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Marie de la mer 03 : Sous la lune
Marie de la mer 03 : Sous la lune
Marie de la mer 03 : Sous la lune
Livre électronique276 pages3 heures

Marie de la mer 03 : Sous la lune

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À propos de ce livre électronique

Cap-des-Rosiers, 1910. Après les déboires d'Antoine à Québec pour sauver son mariage, Marie conduit sa famille sur sa terre natale de Gaspésie, où leur bonheur est de courte durée. Bien loin du faste de leur vie de notables dans la capitale, ils doivent désormais faire face à une tout autre réalité et notamment à la pauvreté.Ancien avocat et député, Antoine ne peut se résoudre à sa nouvelle vie et il risque à tout moment de basculer dans l'alcoolisme et le jeu. Pour sortir sa famille de la pauvreté, il partira loin d'elle pour travailler dans les camps de bûcherons.Marie aura besoin de toutes les ressources de son coeur de femme fière pour affronter leur destin commun.Marie pourra-t-elle faire face aux fantômes du passé?Renoncera-t-elle aux passions brûlantes qui l'habitent malgré sa solitude?Un roman mettant en scène une héroïne qui, malgré les épreuves de la vie, avance avec courage et détermination vers l'espoir d'un avenir meilleur.
LangueFrançais
Date de sortie22 avr. 2015
ISBN9782895497035
Marie de la mer 03 : Sous la lune

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    Aperçu du livre

    Marie de la mer 03 - Lavigne Annie

    5, rue Sainte-Ursule

    Québec (Québec)

    G1R 4C7

    Téléphone : 418 692 0377

    Télécopieur : 418 692 0605

    www.lesintouchables.com

    DISTRIBUTION : PROLOGUE

    1650, boul. Lionel-Bertrand

    Boisbriand (Québec)

    J7H 1N7

    Téléphone : 450 434-0306

    Télécopieur : 450 434-2627

    Impression : Imprimerie Lebonfon Inc.

    Conception graphique : Paul Brunet et Cynthia Gervais

    Illustration de la couverture : Rielle Lévesque

    Direction éditoriale : Érika Fixot

    Révision : Patricia Natacha Auclair

    Correction : Marie-Claude Masse

    Les Éditions des Intouchables bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d'impôt pour l'édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada.

    Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l'entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d'édition.

    © Les Éditions des Intouchables, Annie Lavigne, 2014

    Tous droits réservés pour tous pays

    Dépôt légal : 2014

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    ISBN : 978-2-89549-702-8

    978-2-89549-703-5 (ePUB)

    Prologue

    Je suis Marie. Pas celle qui a enfanté le Messie, mais la petite Marie de la Gaspésie. Marie la Gaspésienne.

    Grelottante sur la plage gelée par la morsure de l’hiver, emmitouflée dans des épaisseurs de lainage, je regarde les croûtes de sel dessiner sur le sable des lignes aussi confuses que ma vie, sous les rayons de la pleine lune.

    Dans ma tête résonnent encore les coups et les injures qu’Antoine m’a infligés lorsqu’il est rentré à la maison, ivre d’alcool et de rage, la fureur aux poings et à la bouche. Son cœur a explosé. Toute la noirceur et la colère en sont sorties d’un seul coup.

    Je suis blottie contre les planches délavées de la cabane de pêche du vieux Henri. Aube et Raphaël ont fini par s’endormir bien au chaud, roulés en boule sur la couche improvisée.

    Comment ai-je pu en arriver là ? Moi, la petite Gaspésienne, mariée à un député, maîtresse d’un baron français puis mère de famille travailleuse !

    Je regarde la mer, elle qui m’a toujours parlé, réconfortée. Je n’y vois en ce moment qu’un chaos de noirceur qui s’agite vainement. Je regarde le ciel, la lune, mais cette dernière n’est d’aucun réconfort. Elle éclaire plutôt toutes les blessures que j’aurais voulu cacher…

    Mon pouls résonne dans mon crâne de plus en plus douloureux. Une rafale glaciale me fouette le visage. Je rentre dans le petit abri, doucement pour ne pas réveiller mes deux petits anges. J’ouvre le poêle et y ajoute deux bûches. Je me frotte les mains pour les réchauffer.

    Tout à coup, Aube gémit dans son sommeil. Je la borde. Pour elle et pour mon petit Raphaël, je dois me ressaisir, je dois survivre jusqu’au matin. La lumière du petit feu filtre à travers une fente entre les plaques de métal du vieux poêle. Je m’abandonne à la douce sensation de chaleur et de vie qu’elle me procure.

    Le vent de janvier fait chanter les vieilles planches mal jointes. Et lorsqu’il fait silence, c’est le roulis des vagues sur la plage qui marque la mesure.

    Alors peu à peu, par je ne sais quel miracle, les images de ma vie avec Antoine se succèdent une à une. Six années en pente douce qui aboutissent ici, ce soir, au pied de la falaise de Cap-des-Rosiers.

    1

    — Tu te souviens, Marie ? me demanda Antoine.

    — Bien sûr ! répondis-je.

    Comment oublier cette petite clairière parsemée de fraises des bois où il m’avait conquise pour la première fois… C’était il y a onze ans déjà. J’avais tout juste vingt ans et lui, vingt-deux. « Est-ce que je peux te cueillir, ma belle Marie ? » m’avait-il demandé, mi-sérieux mi-rieur, puisque j’étais en train de cueillir des fraises sauvages. Pour la première fois, j’avais passé mes mains dans ses cheveux noirs de jais, saisi ses larges épaules… Pour la première fois, il avait délacé mon corsage et s’était enfoncé en moi, me faisant connaître la puissance virile de son désir pour moi.

    — Tu rougis, Marie ! se moqua Antoine. Ne t’inquiète pas ma belle, cette fois, je n’écraserai pas les fraises !

    — Arrête, lui dis-je, gênée autant qu’amusée par son allusion. Montre plutôt à Aube comment ramasser les fraises sauvages sans les écraser, dis-je d’un ton sérieux et préoccupé. J’aimerais pouvoir faire assez de confiture pour l’hiver.

    Penchée sur les fraisiers, je ramassai les petits fruits mûrs à point et les déposai dans mon panier plat. C’était peut-être à cet endroit précis qu’il s’était allongé sur moi… Ce que je l’aimais, mon Antoine ! Depuis la première fois que je l’ai vu, chez mon amie d’enfance Rosalie Boileau, je n’ai cessé de le désirer. Et après avoir lutté, au début, contre cette marée de désirs inconnus, j’avais fini par céder à l’évidence : je l’aimais et j’avais envie de lui plus que tout au monde. Je voulais qu’il entre en moi comme une mer furieuse et qu’il emplisse chacun des recoins de mon être. Je voulais être la plage sur laquelle il s’épancherait sans cesse, jusqu’à la fin des temps. Que j’étais jeune et inconsciente du chemin ardu qui peut mener un couple à cette fin des temps !

    — Aube, fais attention ! Tu écrases des fraises !

    — Oui maman, me répondit ma fille en relevant une mèche de la formidable chevelure de jais qu’elle tenait de son père. Le soleil de juin trahissait tout de même quelques reflets roux, qu’elle tenait de mes cheveux de feu. Je regardais mon Antoine, qui lui expliquait comment choisir les fruits et les saisir délicatement derrière leur collerette. Alors qu’Aube était concentrée sur les fruits, il relevait la tête d’un air coquin et me faisait des clins d’œil. Lui aussi revivait le souvenir de notre première étreinte.

    Je n’étais plus la jeune femme effarouchée qu’il avait étendue sur un lit de fraises. J’étais une épouse et la maman de deux enfants. Une fois mariée avec Antoine, j’avais dû quitter mon petit bout du monde en Gaspésie pour suivre ses ambitions politiques à Québec, la grande ville. Moi, la petite rouquine sauvageonne de Cap-des-Rosiers, j’avais dû tout apprendre des attitudes de la bourgeoisie qui convenaient à mon statut de femme de député. Le beau jeune homme aux larges épaules et aux manières viriles que j’avais découvert en Gaspésie était en fait un gars de la ville, diplômé en droit, fils d’une famille aisée. J’étais tombée amoureuse d’un gars qui sautait sans manières d’une charrette sur un petit chemin de Gaspésie, d’un gars qui me faisait danser à en mourir à la fête du village, d’un gars qui m’avait conquise au milieu des fraises des bois, mais j’avais en fait épousé maître Antoine Boileau, avocat ambitieux élu député peu de temps après notre emménagement à Québec.

    — Marie ? appela Antoine.

    Je relevai la tête.

    — Oui ? répondis-je, encore perdue dans mes souvenirs.

    — En avons-nous assez, maman ? demanda Aube en me tendant son panier bien garni.

    — Oui, et de toute façon, nous devons rentrer. J’ai promis à Rosalie que nous reviendrions assez tôt pour qu’elle puisse faire sa lessive.

    Rosalie s’était mariée à Émile Boucher, et ils vivaient ensemble près de chez nous. Fille unique, j’avais passé beaucoup de temps avec la famille (nombreuse) de Rosalie ; depuis mon retour à Cap-des-Rosiers, toutes deux devenues mères, nous étions de nouveau très proches. Aujourd’hui, Antoine et Aube m’avaient proposé de venir avec eux pour cueillir des fraises. J’avais hésité — j’avais tant d’ouvrage ! —, mais devant la déception d’Aube, j’avais finalement cédé. Et Rosalie — tout aussi occupée que moi — avait gentiment accepté de garder mon poupon pour quelques heures.

    — Partez devant. Je vais finir de remplir mon panier et je vous suis.

    Antoine sourit.

    — Tu vas parler à la mer ! me lança-t-il d’un air entendu. Et sans attendre ma réponse, il prit Aube par la main. Allez, viens, ma beauté. Allons montrer à Rosalie les belles fraises que nous avons cueillies aujourd’hui.

    Ils partirent ensemble d’un bon pas et j’attendis qu’ils aient disparu pour cesser de m’affairer sur les fraisiers. Je marchai alors en direction de la falaise sur laquelle la clairière aux fraises aboutissait. L’air salé de l’océan était chaud et doux. Qu’il m’avait manqué lorsque nous habitions Québec ! Le ciel avait ce bleu intense des jours d’été. Des nuages blancs cotonneux y traînaient çà et là. La ligne d’horizon de la mer était claire et nette.

    Parvenue au bout de la terre, au bout du monde, je posai mon panier sur l’herbe rase et m’assis. Je dénouai mon corsage, car la chaleur m’oppressait. J’enlevai mon chapeau puis épongeai la sueur de mon front. Dénouant le ruban qui retenait mes cheveux, je les secouai doucement et pris quelques respirations profondes. Que la vie était belle et douce ici ! Exactement ce qu’il nous fallait, à Antoine et moi, pour nous reconstruire.

    La mer était froissée par la brise ; des zébrures d’écume apparaissaient brièvement sur le bleu profond de cette mer que j’aimais tant.

    « Que la vie est brève, pensai-je en contemplant ces éphémères apparitions. Il y a quelques mois, j’étais en France, maîtresse du baron de Monbadon ! » Ce n’était qu’un rêve. Un mauvais rêve. Antoine était venu me chercher par surprise, le jour de mon anniversaire, pour tout recommencer.

    J’étais revenue là où je devais être, là où notre vie était, là où nous avions uni nos corps et scellé nos destins. J’étais redevenue Marie de la mer, la fille trouvée dans une barque par le Carol et la Madeleine.

    — Tout ça n’était qu’un rêve, qu’un peu d’écume sur la mer… murmurai-je.

    Emplie d’un profond sentiment de paix, je dépliai mes jambes pour les laisser pendre au bord de la falaise. Je m’étendis, mes cheveux de cuivre épars formant comme une couronne de feu sur l’herbe verte. Ma robe de coton léger ondulait sous la brise chaude. J’ouvris mes bras en croix. J’étais revenue, j’avais bravé les tempêtes et ramené mon homme sur cette terre bonne et fertile.

    Alors que j’avais les yeux fermés, la lumière intense du soleil à son zénith s’obscurcit tout à coup. Un nuage passait. Je plissai les yeux pour parvenir à l’observer. Il avançait lentement. Je repensai à Antoine et à son infidélité : contrairement à l’idée qui m’avait torturée des mois durant, il ne m’avait pas trompée avec une femme mais avec le jeu. Il avait caressé les cartes, embrassé les dés. Il avait aimé le tapis vert à la folie. Il avait joué au point de perdre tout ce que nous possédions. Et il avait bu pour oublier. Il avait fait taire sa honte en la noyant dans l’alcool. Le nuage avançait doucement. « Les épreuves sont comme des nuages, songeai-je. Lorsqu’elles traversent notre vie, que cela nous semble long ! »

    Un sanglot surgi de nulle part souleva tout à coup ma poitrine, et mon visage se crispa sans que je cherche à l’en empêcher. Que j’avais été seule ! Que j’avais lutté pour éviter le naufrage de notre couple ! Puis j’avais cédé aux sirènes de l’amour facile. J’avais voulu croire qu’il existait un homme parfait pour moi, qui ne me décevrait jamais… Je pleurais à chaudes larmes. Je pleurais comme je n’avais jamais pleuré. Des sanglots puissants m’arrachaient des cris profonds et rauques.

    Alors, doucement, le nuage finit par passer. La lumière grandit derrière mes paupières emplies d’eau. La chaleur revint sur ma peau blanche. Je la mangeais, je la respirais, je l’absorbais par chacun de mes pores.

    « Je veux vivre dans la lumière, pensai-je. Je veux vivre dans le bonheur. Je suis prête à tout pour cela. À présent que le nuage du malheur s’en est allé, je resterai pour toujours sur cette terre, moi, la fille de la mer. Et je ne laisserai aucun nuage nous faire de l’ombre ! »

    J’essuyai mes larmes que le soleil et la brise marine finirent de sécher. Puis je me relevai, serrai mon corsage, attachai mes cheveux et remis mon chapeau.

    — Je ne te quitterai plus jamais ! criai-je à la mer.

    2

    Les rayons du soleil perçaient déjà au-dessus de l’océan, éclairant le vieux papier peint de notre chambre. Je savais qu’Antoine était déjà levé, lavé et habillé pour sa journée et qu’il allait venir me réveiller. En entendant ses pas dans les escaliers, je refermai les yeux et feignis de dormir ; j’aimais tant qu’il me réveille d’un baiser ! C’était notre minute amoureuse avant que les enfants s’éveillent à leur tour, ce qui ne tardait jamais.

    Penché au-dessus de mon visage, il déposa un baiser délicat sur ma bouche encore toute chaude de sommeil.

    — Bon matin, mon amour !

    Je ne répondis pas, prétendant être si profondément endormie qu’il fallait plusieurs de ces baisers pour me sortir de ma torpeur, mais devinant mon jeu, Antoine décida de me réveiller plus rapidement.

    — Aube a neuf ans aujourd’hui ! Il est temps de te lever pour préparer sa fête !

    Je me dressai alors d’un bond, heurtant sans le vouloir le visage d’Antoine.

    — Aïe ! cria-t-il sans retenue, se tenant le nez à deux mains.

    — Oh ! Pardon, mon chéri ! lui dis-je. Excuse-moi !

    Mais sans attendre sa réponse, j’enfilai ma robe de chambre et descendis à toute vitesse les escaliers pour m’affairer à la cuisine. Il m’y rejoignit quelques minutes plus tard.

    — Eh bien, la prochaine fois, je m’en tiendrai aux baisers ! me dit-il, amusé.

    — Mon Dieu, mais tu saignes ! m’étonnai-je en le voyant arriver. Tu aurais dû me réveiller plus tôt, comme je te l’avais demandé. Maintenant, je suis déjà en retard. Je dois préparer le gâteau, les limonades et le pain pour les invités… Oh là là, où ai-je mis mon pot de bicarbonate ?

    — Calme-toi, Marie ! me dit Antoine d’un ton qui avait le don de m’énerver. Il n’y aura que Rosalie, Émile et leurs enfants. Ce n’est pas comme si nous organisions une réception officielle, n’est-ce pas ?

    — C’est facile à dire pour toi. Ce n’est pas toi que l’on va critiquer si le gâteau est raté ou que le pain est trop cuit. Alors, garde tes conseils et va plutôt me chercher du bois pour le poêle.

    Renonçant à tout commentaire, Antoine s’exécuta, me laissant m’agiter dans la cuisine comme une diablesse à mille bras.

    — Et dire que je n’ai pu acheter qu’une demi-livre de fruits secs ! dis-je à voix haute mais me parlant à moi-même.

    Antoine avait dû entendre cette remarque involontairement cruelle, car il arrivait déjà avec du bois plein les bras. Je pinçai les lèvres, honteuse, car je venais de nous rappeler — comme s’il en était besoin ! — à quel point notre situation financière était catastrophique. Il fit comme s’il n’avait rien entendu et chargea le poêle à bois.

    Si Aube avait été conçue ici même, à Cap-des-Rosiers, ses huit premiers anniversaires avaient été fêtés à Québec, avec des moyens que nous n’avions plus. Nous faisions toujours de grands repas, des goûters somptueux. J’achetais ce qu’il y avait de meilleur pour ce jour si important à mes yeux. Rien n’était trop beau et je repensai avec un peu d’amertume au beurre, au sucre, au miel, aux fruits confits, à la crème et à ces confiseries dont je garnissais la table sans limites durant ces jours glorieux.

    Rien de tel aujourd’hui pour le gâteau : un pain à la farine de maïs que j’allais sucrer avec un peu de sirop d’érable que Constance, la mère de Rosalie, m’avait donné. J’avais réussi à me procurer une tasse de raisins secs, que j’allais faire tremper dans du rhum. Et j’avais si peu de sucre blanc que le glaçage serait à peine suffisant pour écrire « Aube » sur le dessus du gâteau. Mais Rosalie apporterait des pâtés à la viande en quantité suffisante, me soulageant d’une dépense que de toute façon j’aurais été incapable de faire.

    Revenant à mes desserts, je listai mentalement les ingrédients nécessaires.

    — Dieu merci, j’ai des pommes… dis-je en rentrant le panier plein de délicieux fruits bien frais qu’Antoine avait cueillis la veille dans notre verger.

    Avec la confiture de fraises, je pourrai préparer de petits desserts. C’est qu’il en fallait pour nourrir les nombreux enfants de Rosalie et d’Émile ! Antoine revint et plongea son doigt dans le pot de confiture que je venais d’ouvrir.

    — Bas les pattes ! criai-je en lui donnant une tape sur la main.

    Les yeux rieurs, il porta son doigt couvert de confiture à sa bouche. De son bras puissant, il entoura ma taille et, me serrant contre lui, il me chuchota à l’oreille :

    — Belle demoiselle, si je ne peux pas goûter votre confiture, il faut me permettre de goûter autre chose…

    Oubliant un instant l’urgence de la situation, je rougis et le laissai m’embrasser. Ses lèvres goûtaient la fraise.

    En entendant les pas d’Aube résonner rapidement sur le vieux parquet de bois, nous nous séparâmes vivement. Je me retournai vers la table, absorbée par la contemplation de mon pot de confiture, et Antoine prit un air très concerné en examinant la chaleur qui émanait du poêle à bois, où le feu était maintenant bien ardent.

    Aube arriva en sautillant dans la cuisine.

    — Bonjour, papa ! Bonjour, maman !

    — Bonjour, ma chérie ! Bonne fête ! lui dis-je.

    Mais c’est vers son père qu’elle se précipita en premier.

    — Hé là ! dit Antoine en vacillant sous l’assaut impétueux de sa princesse aux cheveux de jais. Fais attention ! Je suis vieux maintenant, et toi, tu es quasiment une adulte !

    — Arrête, papa ! Je veux toujours sauter dans tes bras. Maman ne veut jamais, mais toi, tu es beaucoup plus grand et fort qu’elle, rigola Aube en enroulant ses bras autour du cou de son père.

    Lorsqu’enfin elle desserra son étreinte pour me rejoindre, je lui fis remarquer que j’étais couverte de farine, alors nous nous limitâmes à un petit baiser sur le bout du nez.

    — Va attacher tes cheveux et faire ta toilette. Rejoins-moi dès que tu auras fini, car j’ai besoin d’aide pour tout préparer. Nous verrons ensuite pour ta robe et ta coiffure.

    — Oui, maman, répondit Aube, d’un air enjoué.

    N’ayant plus les moyens d’acheter des vêtements neufs, j’avais trouvé une robe usagée qu’une voisine m’avait vendue pour quelques sous. Il fallait rajouter une longueur de tissu, car elle était trop courte pour Aube, mais j’avais justement un peu de coton dont la teinte était très proche.

    Entendant les pas d’Aube s’éloigner pour chercher de l’eau à la pompe, Antoine se rapprocha et me demanda discrètement :

    — Qu’as-tu fait pour son cadeau ?

    — J’ai fait passer le mot auprès des gens du village après la messe. Un couple de la paroisse m’a donné une poupée qui appartenait à leur fille. Rosalie m’a proposé de regarnir sa chevelure et de refaire son maquillage. Mais je n’ai rien pour faire un joli emballage…

    — Justement, me dit Antoine, c’est ce que j’ai oublié de te dire hier. En allant aider à la quincaillerie, j’ai récupéré un papier brillant avec un ruban. Je les ai bien pliés et aplatis pour qu’ils semblent neufs. Je les ai cachés dans le tiroir de la chambre.

    Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’il était le meilleur des pères, car Aube revint aussi vite qu’elle fût était partie.

    Nous travaillâmes toute la matinée à la préparation de la réception. Le compartiment du poêle dans lequel je pouvais faire cuire les pains et les gâteaux était tellement petit que je dus faire de nombreuses fournées afin d’avoir de quoi rassasier nos invités. La fonte était constamment brûlante et nous finîmes par suer à grosses gouttes, Aube et moi.

    Le début de l’après-midi se passa très bien. Que c’était bon de se retrouver entre amis ! Je repensai avec amusement aux après-midi dans la

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