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Les Étrangères de Saint-Michel, tome 2: Bénédicte
Les Étrangères de Saint-Michel, tome 2: Bénédicte
Les Étrangères de Saint-Michel, tome 2: Bénédicte
Livre électronique359 pages4 heuresLes étrangères de Saint-Michel

Les Étrangères de Saint-Michel, tome 2: Bénédicte

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À propos de ce livre électronique

Voici le deuxième et dernier tome d’une série historique fascinante à Saint-Michel-de-Bellechasse, entre la guerre de la Conquête et l’invasion américaine.
En 1776, la ville de Québec est sous le siège des troupes rebelles américaines qui espèrent prendre le contrôle de la colonie. Les autorités anglaises sont inquiètes de cette pression militaire, mais aussi de la sympathie des habitants canadiens à la cause rebelle. C’est le cas de la plupart des habitants de Saint-Michel chez qui la Conquête a laissé de profondes blessures.
Pour Marie, ces traumatismes sont incarnés par Gregory Hunter, major de l’armée britannique, celui par qui tant de malheurs sont arrivés… et qui est toujours obsédé par Marie. Tandis que Bénédicte découvre l’amour auprès de Mathias, la jalousie d’Hélène, son amie de toujours, fait des ravages.
Lorsqu’un horrible mensonge est propagé par Hélène, Bénédicte et Marie devront faire des choix douloureux qui entraîneront des conséquences pour Mathias… Où se situe la vérité? Marie saura-t-elle à la fois protéger sa fille, l’homme qu’elle aime et sa vie?
LangueFrançais
ÉditeurGuy Saint-Jean Editeur
Date de sortie28 mai 2025
ISBN9782898276217
Les Étrangères de Saint-Michel, tome 2: Bénédicte
Auteur

Stéphanie Martin

Stéphanie Martin est journaliste à Québec depuis de nombreuses années. Elle a commencé sa carrière au Soleil et, en 2015, elle s’est jointe à l’équipe du Journal de Québec, où elle couvre les affaires municipales. Ce premier roman écrit sur presque une décennie se veut entre autres un hommage à la capitale qu’elle adore et où elle s’est établie il y a plus de vingt ans. Elle y vit toujours, avec son mari et ses deux enfants. Originaire de Saint-Alexis-de-Matapédia, en Gaspésie, elle a également habité Rimouski.

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    Aperçu du livre

    Les Étrangères de Saint-Michel, tome 2 - Stéphanie Martin

    Prologue

    7 janvier 1776

    L’attelage file sur le sentier enneigé, dans un décor féérique baigné de lumière dorée que Marie ne remarque même pas. Heureusement que la jument de son voisin Nicolas connaît le chemin par cœur, car Marie a la tête ailleurs. De l’autre côté du fleuve, à Québec. Là où son monde venait de s’ouvrir sur de lumineuses possibilités, avant d’être brusquement replongé dans la noirceur.

    Toute son attention est tournée vers cette rencontre qu’elle a faite. La pire qu’elle pouvait imaginer. Dire que quelques instants plus tôt, grâce à l’aide providentielle d’un bon Samaritain du nom de Belley, elle s’était réfugiée dans les bras de John Cook, ce rebelle bostonnais rencontré à Saint-Michel, qu’elle avait dû soigner malgré elle, et qui, contre toute attente, avait ravi son cœur. Elle avait cru enfin le bonheur possible, après des années de purgatoire.

    Son pire cauchemar lui était apparu de nulle part, alors qu’elle s’y attendait le moins. Gregory Hunter se tenait en face d’elle et, pendant une fraction de seconde, elle a souhaité disparaître, mourir sur-le-champ, pour ne pas avoir à subir sa présence.

    Elle a ensuite espéré que ses yeux lui jouaient un mauvais tour. Qu’il ne s’agissait que d’un militaire comme les autres, qui avait une vague ressemblance avec l’homme qui l’a violée, il y a seize ans, au moment de la Conquête, et qui s’est enfui en emportant avec lui son plus précieux souvenir de son défunt mari, Gabriel : la broche en argent qu’il lui avait offerte.

    La prise de conscience soudaine dans les yeux de l’homme, lorsqu’il s’est approché d’elle et qu’il l’a reconnue aussi, a achevé de rendre bien réelle cette abominable rencontre. Son apparition a ramené instantanément à la surface les événements traumatisants : les troupes de Wolfe qui ont écumé la campagne et toute la Côte-du-Sud pour y commettre les pires atrocités. C’est alors qu’elle a vu s’étirer sur son visage un horrible rictus.

    — Tiens, tiens. Je ne m’attendais pas à vous revoir ici, love. Cela fait un bail, a-t-il dit en retirant brièvement son couvre-chef, révélant sa chevelure rousse, maintenant striée de gris.

    Il a pris du galon, a noté machinalement Marie, dégoûtée, en apercevant son insigne de major. Et son français s’est amélioré. Ses traits anguleux se sont creusés, accentuant les ombres sur son visage. Mais la froideur de son regard est restée la même, a-t-elle constaté, pétrifiée devant cet homme qui l’a violée. Qui a changé le cours de sa vie pour le pire… et pour le meilleur. Le père biologique de Bénédicte.

    Elle a bien voulu faire comme si elle ne le reconnaissait pas. L’officier n’a pas été dupe. Elle s’est contentée de répondre aux questions froidement, prenant à témoin les autres soldats et Belley, le charretier qui lui avait servi de guide pour trouver la maison d’Ursule.

    Hunter a choisi d’adopter la même stratégie et de procéder à l’interrogatoire de routine pour les passants qui franchissent le pont de glace entre Québec et la Pointe-Lévy. Elle croyait qu’elle en avait fini avec lui quand elle a finalement repris place sur le siège de son attelage et qu’elle a fait claquer les rênes.

    C’est à sa fille qu’elle avait pensé, à chaque seconde de cette détestable rencontre, et au danger qui la guette désormais. Sa fille à qui elle a menti, ce matin, quand elle lui a dit qu’elle allait rendre une visite urgente à une amie. Alors qu’elle file vers Saint-Michel, elle tremble encore et cherche désespérément une échappatoire. Plus elle s’éloigne de lui, plus elle sent sa présence menaçante. Rien ne l’empêcherait de revenir à Saint-Michel.

    Les derniers mots de Hunter résonnent encore à ses oreilles, comme un terrible présage.

    « Bonne route, madame Chamberland. Surtout, n’adressez pas la parole aux rebelles. Il paraît qu’ils sont nombreux, à Saint-Michel. Un bel endroit, d’ailleurs, Saint-Michel, selon mon souvenir… Il faudrait bien que je retourne y faire un tour. »

    Chapitre 1

    La nuit va bientôt tomber et Bénédicte commence à s’inquiéter. Sa mère est partie de bon matin, sous prétexte d’aller rendre visite à une amie malade. Le soleil est disparu à l’horizon et Marie n’est toujours pas rentrée. Il n’est pas dans ses habitudes de s’absenter aussi longtemps. La jeune fille jette des coups d’œil régulièrement par la fenêtre. Elle scrute les environs et la pénombre qui s’installe, en espérant l’apercevoir. En vain.

    En temps normal, elle aurait profité de ces heures de liberté, un dimanche, pour organiser quelque activité avec ses deux meilleurs amis, Hélène et Mathias. Les choses sont différentes, désormais. Hélène et elle sont en froid. Bénédicte ne sait plus très bien comment cela est arrivé. Elle a seulement noté que son amie cherchait à éviter les réunions amicales entre eux trois. Elle semble préférer désormais avoir Mathias pour elle seule.

    Et Mathias. C’est le centre de son univers depuis qu’ils se sont mutuellement avoué l’intérêt qu’ils se portaient. Son univers qui s’est toutefois effondré quand le père de Mathias, Nicolas, a annoncé qu’il avait demandé Marie, sa mère, en mariage. Depuis, tous les espoirs de Bénédicte de voir se développer plus qu’une amitié avec le jeune homme sont assombris, puisqu’il deviendrait en quelque sorte son frère. Ce serait chose impossible de le fréquenter.

    Bénédicte n’a pas eu le choix de confier son désarroi à sa mère. « Ne pleure plus. Tout s’arrangera », lui a juré Marie. Quel soulagement quand elle lui a annoncé qu’elle allait refuser la demande en mariage ! Sa mère lui a expliqué qu’elle n’était pas amoureuse de Nicolas et qu’elle ne voulait pas d’une union de raison, même si celle-ci promettait de lui apporter confort et sécurité. Elle devait donner sa réponse à son prétendant après les Rois, mais son départ impromptu a changé les plans. Bénédicte souhaitait que tout cela soit réglé une fois pour toutes.

    La jeune fille s’est mise à douter. Et si sa mère avait changé d’idée ? Elle a passé la journée à se faire du mauvais sang.

    Elle repousse de nouveau le rideau et gratte le givre pour mieux voir à l’extérieur. Elle sursaute quand elle voit que l’attelage de Nicolas, conduit par Marie, approche. Elle enfile son manteau et ses bottes en vitesse, et sort dans la nuit froide.

    Bénédicte n’était pas la seule à attendre le retour de Marie. Nicolas aussi est sorti, et il se dirige vers la carriole d’un pas ferme, presque colérique.

    — Bon Dieu, Marie ! Où étais-tu ? Je me suis fait un sang d’encre !

    Bénédicte est surprise du ton qu’il emploie.

    Même dans la noirceur naissante, la jeune femme remarque les traits tirés de sa mère. Elle s’approche d’elle, instinctivement, comme si elle ressentait le besoin de la protéger.

    — Maman, est-ce que tu vas bien ?

    Nicolas s’aperçoit alors de la présence de Bénédicte. Il attrape la bride du cheval et ordonne à Marie de descendre.

    — Nous reparlerons de tout cela. Il est tard. Je te laisse aller te reposer avec Bénédicte, maugrée-t-il, visiblement amer.

    Marie ne se fait pas prier. La dernière chose dont elle a envie en ce moment est un sermon de la part de Nicolas. Il sera toujours temps de s’expliquer. Plus tard. Elle prend la main que Bénédicte lui offre et descend de la carriole.

    — Bonne nuit, Nicolas. Et tu remercieras Mathias d’avoir accepté de me prêter la carriole, ce matin. Je vous dédommagerai, promis.

    Elle s’éloigne, s’appuyant sur sa fille, complètement vannée après cette journée forte en émotions. Elles franchissent la distance qui les sépare de leur maison en silence. Une fois entrée, Marie se poste aussitôt au coin du feu. Tous ses membres sont engourdis par le froid et le traumatisme d’avoir revu Hunter. Elle ferme les yeux pour chasser l’image des yeux sournois et du sourire indécent de l’homme. Elle cherche à retrouver la chaleur de sa rencontre avec John. Et elle s’y accroche comme à une bouée.

    Bénédicte ne sait comment agir. Elle voit bien que sa mère est bouleversée. Elle se demande ce qui a bien pu se passer pendant son absence. Qui est cette amie malade à qui elle rendait visite ? À voir la mine déconfite de Marie, la situation doit être plus grave qu’elle ne l’avait laissé paraître. Elle s’approche de sa mère, avec une tasse du bouillon qu’elle lui avait préparé pour souper.

    — Tiens, bois. Cela te fera du bien.

    Marie est reconnaissante de la sollicitude de sa fille. Elle prend la tasse, et la première gorgée lui apporte un peu de réconfort. Bénédicte prend place dans son fauteuil.

    — Maman, tu as l’air perturbée. Est-ce que je peux faire quelque chose ?

    — Non, ma fille, non.

    Marie ne peut chasser la peur qui la tenaille depuis des heures. Elle ne cesse de penser aux conséquences possibles de ce retour de Hunter dans sa vie. Heureusement, se répète-t-elle pour la millième fois, il ignore l’existence de Bénédicte. Et vice-versa.

    — Qui est cette amie à qui tu rendais visite ? Les nouvelles ne sont pas bonnes ? relance Bénédicte avec douceur.

    Marie se mord les lèvres. Elle déteste l’idée de mentir à sa fille. Mais elle ne peut pas lui révéler qu’elle est partie sur un coup de tête pour retrouver un homme dont elle est tombée éperdument amoureuse. Encore moins lui avouer qu’elle s’est par la suite retrouvée nez à nez avec Hunter.

    — Tu ne la connais pas, se limite-t-elle à dire, avant de changer de sujet. Je vais me coucher. Je suis très fatiguée. Merci pour le bouillon, ma chérie.

    Bénédicte reste avec ses questionnements. Elle n’a pas osé aborder la question qui lui brûlait les lèvres : quand a-t-elle l’intention de rendre sa décision à Nicolas ? Quelque chose dans l’attitude de sa mère l’en a empêchée. Une sorte de stupeur troublée. Après des années de vie à deux, elle connaît toutes les amies de sa mère, qui ne sont pas très nombreuses, il faut le dire. Elle n’a connaissance d’aucune d’entre elles qui soit malade. Pourquoi Marie ne lui en aurait-elle jamais parlé avant ? Son doute s’amplifie, et Bénédicte a la nette impression que Marie lui cache quelque chose.


    Le lendemain, à la première heure, Marie est déjà en route pour le presbytère. Elle demande immédiatement une audience au curé.

    — Qu’est-ce qui vous arrive, Marie ? Vous faites peur à voir ! réagit le curé Joseph Dufour quand il l’aperçoit.

    Sa ménagère, d’ordinaire si discrète et posée, affiche un air hagard.

    — Mon père, je n’ai pas dormi de la nuit. Je dois absolument vous parler. Il est arrivé un malheur.

    Joseph pose ses lunettes de lecture sur son bureau et se lève, inquiet du ton employé par Marie.

    — Allons ! Qu’est-ce qui vous met dans cet état ? Venez vous asseoir, je vous en prie.

    Il l’invite dans le petit boudoir où ils se sont si souvent retrouvés depuis toutes ces années qu’il l’a prise sous son aile. Ils y ont partagé leurs inquiétudes, leurs joies et leurs peines. Au fil du temps, un respect mutuel s’est installé entre eux et Marie en est venue à le considérer presque comme un père.

    Aujourd’hui, elle a l’impression de retourner seize ans en arrière, alors qu’elle avait fait appel à lui, quand tout espoir lui semblait perdu. Il lui avait offert une planche de salut, alors que, jeune veuve, elle était devenue enceinte après l’agression sauvage qu’elle avait subie aux mains de Hunter. Grâce à sa protection, elle a pu élever Bénédicte honorablement.

    Joseph la regarde et attend, gagné par l’angoisse de la voir si agitée.

    — J’ai croisé Gregory Hunter hier.

    La phrase reste en suspens entre eux. Joseph n’avait pas envisagé une nouvelle d’une telle ampleur. Il s’appuie contre son dossier pour encaisser l’information. Il reste ainsi un long moment, à réfléchir à toutes les implications de cet incident.

    — Comment cela est-il possible ? demande-t-il enfin.

    — Je suis tombée sur lui à Québec.

    — À Québec ? Que faisiez-vous à Québec ?

    — J’y avais une affaire urgente à régler dont je ne peux vous parler.

    Le prêtre est offusqué, mais choisit de passer sur cette omission.

    — Vous a-t-il reconnue ?

    — J’en ai bien peur. Et ce qui est pire encore, c’est que je crains qu’il soit tenté de revenir à Saint-Michel.

    Joseph pince de ses deux doigts le haut de l’arête de son nez, comme s’il était soudainement pris d’une intense migraine. Il réfléchit longuement. Puis, il dit, d’un ton résolu :

    — Il faut agir vite, Marie ! Nous n’avons plus le luxe d’attendre. Je ne vois qu’une seule option et je m’en veux de ne pas l’avoir imposée avant. Vous devez dire à Nicolas que vous acceptez sa demande en mariage. Je peux vous marier dimanche prochain.

    Marie peine à assimiler les mots du prêtre. Elle était venue se confier à lui pour trouver une solution, mais celle qui se présente à elle bouscule tout.

    — Non ! s’oppose-t-elle vivement.

    Il la fixe sans comprendre.

    — Non ? Pourquoi pas ? C’est la meilleure façon de vous protéger, Bénédicte et vous. Même s’il revient à Saint-Michel, Hunter ne peut pas vous atteindre si vous êtes une femme mariée. Surtout qu’il ignore tout ce qui concerne Bénédicte, n’est-ce pas ?

    — Oui, vous êtes le seul à Saint-Michel à savoir que cet être immonde est le père biologique de Bénédicte. Je veux que cela reste ainsi. Je n’ose m’imaginer le traumatisme pour ma fille d’apprendre qu’elle est issue d’un viol ! Comment me le pardonnerait-elle ? Ah ! Pourquoi fallait-il que ce sombre individu revienne ainsi hanter mes jours et mes nuits ? Nous avions vécu en paix pendant si longtemps que j’en avais presque oublié le danger. J’en viens à rêver d’une victoire des rebelles pour que Hunter et ses acolytes quittent enfin la colonie et soient chassés en Angleterre pour de bon !

    — Marie ! Ne blasphémez pas ! Je sais le tourment qui vous habite, mais souhaiter malheur et ruminer notre déception ne changera rien à la situation actuelle. Nous devons agir ! Je vous en conjure.

    Marie soupire.

    — Je ne peux pas épouser Nicolas.

    Le curé se rebiffe.

    — Pourquoi donc ?

    — Je ne l’aime pas.

    — Allons, Marie, cessez ces enfantillages ! L’amour, c’est pour les jouvencelles. Vous êtes une femme mature avec des responsabilités. Le Seigneur a voulu placer Nicolas sur votre chemin. Qui êtes-vous pour contredire Sa volonté ?

    Marie est heurtée. Si elle avait résolu qu’il valait peut-être mieux ne pas mentionner John, elle en est maintenant convaincue, à la lumière de la réaction du prêtre. Celui-ci poursuit son interrogatoire.

    — Pourquoi refuser ? Pour un simple caprice ? Qu’allez-vous faire, sinon ?

    — Je l’ignore, c’est pour cette raison que je suis venue vous voir.

    — Et vous avez bien fait. Je vais vous dire ce qui vous arrivera si vous vous entêtez. Il y a fort à parier que ce Hunter réapparaîtra à Saint-Michel. Et nul doute que vous le croiserez. Peut-être même que Bénédicte sera avec vous. Il apprendra son âge et pourra facilement faire le lien. S’il ne note pas lui-même une ressemblance troublante, d’autres le feront. Et là, les gens se mettront à parler. Vous n’aurez alors aucune protection face à toute cette pagaille qui s’annonce. En contrepartie, si vous êtes la légitime épouse de Nicolas, vous bénéficiez d’une forme de protection.

    Le prêtre s’arrête, presque essoufflé par son envolée. Comme Marie le fixe sans réagir, il poursuit, plus doucement, convaincu d’être sur la bonne voie pour lui faire entendre raison.

    — Marie. Les femmes ne sont pas faites pour vivre seules. J’admets que c’est un peu ma faute. Lorsque je vous ai engagée, il a maintenant plus de quinze ans, je vous ai laissée mener votre vie comme vous l’entendiez. Après la mort de votre mari, Gabriel, je connaissais vos blessures et je ne voulais pas vous pousser vers une vie que vous ne souhaitiez pas. Et je dois dire que cela me convenait que vous restiez veuve, parce que cet état civil vous rendait plus disponible pour votre travail au presbytère. Maintenant, il faut voir la vérité en face : Nicolas est votre seule planche de salut.

    Marie continue de le regarder droit dans les yeux. Joseph affiche un air compatissant. Il espère qu’il a touché une corde sensible. Elle se redresse sur son siège, comme si elle était prête à se lever.

    — Merci, mon père. Vous avez éclairé ma réflexion. Je savais bien que je trouverais ici une oreille attentive et de précieux conseils.

    — Ah ! Enfin ! Je suis heureux que vous vous rangiez finalement à mes arguments. Je prépare la cérémonie pour dimanche prochain ?

    Marie se racle discrètement la gorge.

    — Non, mon père. Je vais refuser la demande de Nicolas.

    Joseph ouvre des yeux ronds.

    — Pardon ? Vous venez de dire…

    — … que vos paroles ont éclairé ma réflexion, l’interrompt-elle. Et elles l’ont fait. Vous m’avez donné plusieurs arguments à l’encontre de mon mariage avec Nicolas. Comment puis-je lui imposer un tel fardeau ? Il se retrouverait avec une femme qui a une enfant illégitime. Il devra me protéger des pires ragots. Et vous croyez qu’il en sera heureux ?

    Marie note que ses arguments font mouche. Joseph ne capitule pas.

    — Donnez-lui la chance de décider pour lui-même. Avouez-lui tout, propose-t-il.

    — Je vais plutôt lui offrir le meilleur cadeau qui soit : lui épargner une vie de malheur avec moi.

    Marie se lève et s’apprête à prendre congé.

    — Et Bénédicte ? lance Joseph dans une ultime tentative.

    Les yeux de Marie se voilent.

    — Je devrai lui avouer la vérité tôt ou tard. Pour l’instant, rien ne presse. Je vais attendre le bon moment, et surtout, être certaine de choisir les mots justes. Et comme vous le dites si bien, Hunter ignore tout de Bénédicte. C’est le seul point positif dans cette histoire. Bon. Je retourne à ma besogne.

    Elle tourne les talons et sort de la pièce.

    Chapitre 2

    Marie et Bénédicte ont terminé leur repas. La soirée est glaciale et elles ont choisi de rester à la maison. Les fenêtres sont recouvertes de givre. La mère et sa fille ont posé un châle sur leurs épaules et elles sont bien au chaud. Le vent froid s’acharne sur la façade de la maison et ne parvient pas à se frayer un chemin jusqu’à elles. Dans ces moments, Marie a une pensée pour Gabriel, habile charpentier, qui lui a construit une maison solide et bien isolée. Elle connaît des villageois qui ont moins de chance et qui habitent des mansardes qui sont traversées par les bourrasques hivernales.

    Bénédicte dépose une bûche ronde dans l’âtre et Marie achève de laver les quelques couverts qu’elles ont utilisés. Elle s’apprête à ranger les assiettes quand on frappe à la porte.

    Bénédicte se précipite pour ouvrir. Nicolas se tient sur le palier.

    — Nicolas ! s’étonne Marie. Que fais-tu dehors ? Tu vas attraper la mort. Entre vite !

    Le voisin ne se fait pas prier et passe le seuil. Bénédicte referme derrière lui, mais une brise glaciale a eu le temps de s’immiscer. Marie frissonne et resserre son lainage sur elle.

    — Que nous vaut cette visite ? demande-t-elle.

    — Marie, nous devons absolument parler.

    La femme comprend immédiatement par son ton que le moment est grave. Elle sent une faiblesse dans ses genoux et lance un regard vers Bénédicte. Celle-ci la fixe avec des yeux ronds, presque suppliants. Marie se ressaisit et invite Nicolas à s’asseoir.

    — Je serai dans la pièce d’à côté, glisse Bénédicte en s’éclipsant en douce.

    — Non, voyons, proteste Marie. Je n’ai rien à te cacher, Bénédicte !

    — J’insiste.

    Elle franchit la porte de la cuisine d’été, une pièce condamnée pour l’hiver, mais qui sert parfois en cas de nécessité. Elle la referme sur l’image de Marie et de Nicolas qui se font face, assis de part et d’autre de la table.

    Elle s’installe sur une cagette de pommes de terre, consciente que le bois mince des murs laisse bien peu de place à l’intimité. Les paroles prononcées par Nicolas la heurtent d’entrée de jeu.

    — Je crois avoir été assez patient, Marie. J’exige d’obtenir une réponse de ta part !

    Bénédicte s’indigne de la façon dont leur voisin s’adresse à sa mère. Elle serre les dents, mais elle est rassérénée par la réplique de Marie.

    — Exiger ? Est-ce de cette façon que tu souhaites discuter de cette question ? s’emporte-t-elle.

    Nicolas se racle la gorge et reprend plus calmement.

    — Tu comprendras ma frustration de devoir attendre depuis des mois et de voir l’échéance toujours repoussée.

    Marie garde le silence quelques secondes. Lorsqu’elle parle, elle aussi a baissé le ton. Sa voix est posée, comme lorsqu’elle tente de faire entendre raison à Bénédicte lors d’un désaccord.

    — Je suis contente que tu sois venu aujourd’hui. Mon intention était de solliciter une rencontre très prochainement. Je suis consciente d’avoir mis ta patience à rude épreuve, convient-elle. Mon intention a toujours été d’être honnête. Jamais je n’ai voulu te faire attendre à dessein. Disons que les circonstances n’ont pas été propices à ce genre d’engagement dans les derniers mois, avec l’invasion rebelle et les troubles politiques qui ont suivi. Tu sais que le prêtre a même cessé d’officier les messes au pire de la crise. Tout cela est maintenant derrière nous et je suis prête à rendre ma décision.

    Bénédicte pourrait entendre une mouche voler. Elle connaît déjà le choix de Marie. Elle s’en réjouit, car cela signifie pour elle tant de possibilités auprès de Mathias. En même temps, si Marie annonce qu’elle renonce à s’engager, Bénédicte redoute la réaction de Nicolas. Éclairée par une faible bougie, elle enfonce ses mains dans ses jupes pour les empêcher de trembler, de crainte ou de froid. Elle tend l’oreille.

    — Pourquoi ai-je l’impression que je n’aimerai pas ce que je vais entendre ? demande Nicolas d’une voix basse.

    — Je t’en prie, laisse-moi parler, reprend Marie. Ce que j’ai à te dire est important. J’ai beaucoup réfléchi au cours des derniers mois. Ta proposition est très courtoise. Tu m’offres la sécurité et la respectabilité de ton nom. Tu m’accueilles comme peu de gens l’ont fait à Saint-Michel. Je vois les avantages indéniables à notre union. Nos deux familles se côtoient depuis toujours. Nos enfants sont très proches.

    Bénédicte craint que sa mère dévoile son amour pour Mathias. Elle ferme les yeux.

    — Tu as toujours été présent pour moi depuis la mort de Gabriel, poursuit Marie. Pour cela, je te serai éternellement reconnaissante. De plus, j’ai pour toi beaucoup d’affection.

    — Mais ? la presse Nicolas.

    — J’ai beaucoup d’affection, répète Marie, mais je ne ressens pas les sentiments d’une femme envers son époux. Je ne peux pas accepter ton offre, Nicolas.

    Un silence accueille ces paroles. Bénédicte se demande même si l’un des deux parlera de nouveau. Elle entend le frottement des pattes de chaise sur les lattes du plancher. Puis, les pas de Nicolas, lourds et agités. Ils s’arrêtent soudainement.

    — C’est à cause de John Cook ? lance-t-il.

    Bénédicte sursaute. Que vient faire John Cook dans cette conversation ? se demande-t-elle.

    — En partie, répond Marie d’une voix neutre.

    Bénédicte plaque une main sur sa bouche, stupéfaite. En une fraction de seconde, une foule de pièces du casse-tête se mettent en place. Et les

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