L'amour à la cour – Les plus belles histoires d'amour de Barbara Cartland
Par Barbara Cartland
()
À propos de ce livre électronique
Plongez au cœur de l'époque Victorienne avec ces 15 romances historiques écrites par Barbara Cartland, la reine de la romance.
Ce livre est une compilation des titres suivants :
- Passeport pour le bonheur
- Le Prince venu du froid
- Voyage en amoureux
- Le Triomphe de la reine
- La Lumière d'Apollon
- Coup de foudre au palais
- La Passagère de l'amour
- Le Double Jeu de Sola
- Pour l'amour d'un prince
- Musique au cœur
- Le Vœu d'Alicia
- Princesse de mon cœur
- Sous le soleil de Grèce
- Un cœur convoité
- Le Roi et Elle
© Barbara Cartland, 2025, Saga Egmont
Pour la traduction française :
© Éditions J'ai lu, 1994-2010
Les livres de Barbara Cartland ont été écrits entre 1925 et 2001. Certains éléments de langage reflètent l'époque à laquelle ils ont été créés.
Lié à L'amour à la cour – Les plus belles histoires d'amour de Barbara Cartland
Livres électroniques liés
Symphonie berlinoise Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Trésor caché Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationQuand l'amour l'emporte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Captive du Grand Vizir Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe plus odieux des chantages Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne trop jolie Écossaise Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne rose pour Almira Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn paradis sur terre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Mensonge d'Amalita Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Brigand et l'Amour Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationComte De Darby: Il Était Une Veuve - Tome 4 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDuchesse malgré elle Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationComment capturer un duc: Manuels à l'usage des dames et demoiselles, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn si gros mensonge Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCœur en bémol Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTentation défendue: Dangereux désir, #2 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVivre avec toi Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationA la recherche du temps perdu: Tome VI - Albertine disparue Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Cœur en jachère Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationComte De Sunderland: Il Était Une Veuve - Tome 1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn cœur au paradis Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationRocambole - Le Club des Valets-de-coeur: Tome I - Les Drames de Paris - 1re série Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationCynthia, en quête d'amour Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Vengeance du comte Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFuite sur le Nil Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationElle voulait simplement être aimée Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe plus Séduisant des officiers Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUne si jolie femme de chambre Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationVeux-tu m'épouser ? Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationIls cherchaient l'amour Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Romance pour vous
L'alpha froid a un faible pour moi Évaluation : 2 sur 5 étoiles2/5Madame Bovary (Édition Enrichie) (Golden Deer Classics) Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Captive de la Mafia: Trilogie Mafia Ménage, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationObsession: Vices et Vertus Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Trio 1 : La proposition: Trio, #1 Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Baby-sitter ingénue: Romance de Milliardaire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationAucun autre ennemi que toi Évaluation : 3 sur 5 étoiles3/5À la recherche du temps perdu Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Joueur Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationL’Héritage : Tout ce qu’il Désire Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Son mec “Et si ?” (Poursuivie par le Milliardaire) Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Vengeance Au Clair de Lune Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Teste-moi si tu peux Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Et si tout était vraiment écrit...: Version incluant les points de réflexologie (schémas et explications) utilisés par Laurie. Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLes Frères Karamazov Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Petits plaisirs masqués: Une Romance de Milliardaire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationFiançailles Factices Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationSecrets des coeurs romantiques Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationUn impossible amour: Histoire d'un amour interdit Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationDésir Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationTout ce qu’il désire (L’Argent de mon Lait) Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5La Dame aux Camélias Évaluation : 4 sur 5 étoiles4/5Entre Deux Milliardaires Partie 3: Entre Deux Milliardaires Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5La Stagiaire: Une Romance de Milliardaire Bad Boy Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEntre Deux Milliardaires Partie 2: Entre Deux Milliardaires Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationEntre Deux Milliardaires: Entre Deux Milliardaires Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Vengeance de la Mariée Trahie Évaluation : 5 sur 5 étoiles5/5Fièvre glacée: Roman d'Amour - Un Papa Célibataire Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLa Vierge des Loups Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluationLe Club des Mauvais Garçons Milliardaires: Une Romance de Milliardaire Bad Boy Évaluation : 0 sur 5 étoiles0 évaluation
Avis sur L'amour à la cour – Les plus belles histoires d'amour de Barbara Cartland
0 notation0 avis
Aperçu du livre
L'amour à la cour – Les plus belles histoires d'amour de Barbara Cartland - Barbara Cartland
Barbara Cartland
L’amour à la cour – Les plus belles histoires d'amour de Barbara Cartland
Saga
L’amour à la cour – Les plus belles histoires d'amour de Barbara Cartland
Titre Original : Courteous Love – Barbara Cartland's Most Beautiful Love Stories
Langue Originale : Anglais
© Barbara Cartland, 2025, Saga Egmont
Pour la traduction française :
© Éditions J’ai lu, 1994-2010
Cover image : Shutterstock & Midjourney
Copyright ©2024, 2025 Barbara Cartland et Saga Egmont
Tous droits réservés
ISBN : 9788727219974
1ère edition ebook
Format : EPUB 3.0
Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur. Il est interdit de procéder à l’exploration de données (data mining) de cette publication, y compris à des fins de formation aux technologies de l'IA, sans l’autorisation écrite préalable de l’éditeur.
www.sagaegmont.com
Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.
Vognmagergade 11, 2, 1120 København K, Danemark
Passeport pour le bonheur
NOTE DE L’AUTEUR
En 1817, après les guerres napoléoniennes, les conditions d’existence étaient devenues extrêmement difficiles en Angleterre, surtout dans les campagnes.
Sir Arthur Bryant, dans son très intéressant ouvrage The Age of Elegance, rappelle combien les fermiers ont souffert lorsque s’est développée l’importation de denrées bon marché en provenance du continent. Il parle aussi du désespoir et de la misère des soldats qui, à leur démobilisation, se sont retrouvés sans travail ni pension.
À cette époque, la famine régnait sur le pays. Pour ne pas mourir de faim, des bandes de miséreux sont partis au hasard des routes. Certains se livraient à la mendicité, d’autres n’hésitaient pas à chaparder, certains sont même devenus de terribles brigands, des voleurs de grands chemins sans foi ni loi.
Si le duc de Buccleuch et lord Bridgewater ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour aider les pauvres gens qui vivaient sur leurs domaines, d’autres propriétaires se sont montrés moins compréhensifs. Tout ce qu’ils souhaitaient, c’était pouvoir continuer à vivre fastueusement et à dépenser sans compter. Pour cela, ils n’ont pas hésité à augmenter encore les fermages, pressurant davantage les pauvres gens qui dépendaient d’eux.
Mais comme l’histoire de notre pays le prouve, les Anglais réussissent toujours à surmonter les épreuves. Peu à peu, cette dramatique situation s’est arrangée et la vie a repris son cours.
Les guerres ne se terminent jamais sans laisser derrière elles tout un cortège de misère et de destruction. Les guerres napoléoniennes n’ont pas failli à cette règle, hélas !
Comme l’a écrit Dryden :
Il est bon qu’une époque se termine.
Et que vienne le temps d’en commencer une autre.
1
1818
— Vous êtes-vous bien amusée au bal, hier soir ? demanda la comtesse d’Harsbourne à sa belle-fille, lady Imilda.
— Assez, belle-maman.
— Assez ? s’écria la comtesse. Vous pourriez manifester un peu plus d’enthousiasme, mademoiselle !
— Je vous avouerai honnêtement, belle-maman, que ce bal ne m’a pas paru très différent de tous ceux auxquels je suis allée cette semaine.
— Avez-vous reçu une demande en mariage ?
Lady Imilda regarda sa belle-mère sans chercher à dissimuler sa stupeur.
— Une demande en mariage ! s’exclama-t-elle. Ne serait-ce pas un peu… prématuré ? Je connais encore à peine les jeunes gens qui m’ont invitée à danser…
Elle ne put s’empêcher de pouffer.
— Et j’avoue que… hum, que je les ai trouvés plutôt… hum, ennuyeux.
La comtesse fronça les sourcils.
— Vous êtes bien difficile, Imilda ! Plus vite vous serez mariée, et mieux vous vous porterez !
Lady Imilda ouvrit de grands yeux.
— Comment pouvez-vous dire cela ?
— Parce que je le pense, évidemment !
— Mais je n’ai aucune intention d’épouser le premier venu ! Ah, si vous croyez que j’ai envie de passer le reste de ma vie auprès d’un homme avec lequel je n’ai rien en commun !
Son expression se fit rêveuse.
— Je veux faire un mariage d’amour.
— Je veux, je veux ! fit la comtesse avec impatience. Une jeune fille ne parle pas ainsi, Imilda. Je me rends compte qu’il serait temps que nous ayons une conversation sérieuse, toutes les deux. Vous rendez-vous seulement compte de votre chance ?
— Ma chance ? répéta Imilda, incertaine.
— Oui ! Votre chance d’être une débutante courtisée et d’avoir un père non seulement très riche, mais aussi très important !
— Certes…
— Deux grands bals ont été donnés en votre honneur et ceux qui y ont été conviés se sentent maintenant obligés de vous inviter en retour. Mais dites-vous bien que cela ne durera pas éternellement !
— Je me demande bien pourquoi !
— Ne répondez pas, petite insolente. Sachez que moi, j’ai hâte de vous voir mariée.
— Et moi, j’estime que c’est une grave erreur de vouloir trop précipiter les choses, ne put s’empêcher de riposter la jeune fille.
Elle pensait à deux de ses amies de pension. Celles-ci, un peu plus âgées qu’elle, avaient fait leurs débuts dans le monde un an auparavant. Très pressées de se marier, toutes deux avaient dit « oui » au premier qui avait demandé leur main… et avaient ensuite été bien malheureuses.
Imilda, qui avait reçu leurs confidences, s’était alors juré qu’elle ne tomberait pas dans le même piège.
« Moi, je ferai un mariage d’amour », s’était-elle promis.
Jamais elle n’aurait imaginé que sa belle-mère voyait la situation d’une manière différente et allait chercher à l’influencer…
Elle s’efforça de sourire.
— Vous et mon père souhaitez donc vous débarrasser de moi ? Je…
— Il ne s’agit pas de cela, coupa la comtesse d’un ton sec. Vous venez d’avoir dix-huit ans, et mon devoir, en tant que belle-mère, est de vous pousser à faire un beau mariage sans attendre que vous vous desséchiez sur pied.
La jeune fille se raidit.
— Je n’en suis pas encore là !
— Le temps passe vite ! Lorsqu’on fait la difficile, on finit souvent vieille fille !
— Si ma mère vivait toujours, je ne crois pas qu’elle me parlerait ainsi.
— Je suis sûre du contraire ! J’ai eu avec votre père une conversation sérieuse à ce sujet. Il pense tout comme moi que les filles doivent se marier très jeunes — avec l’accord de leur famille, naturellement.
— Et dans le cas où je souhaiterais épouser quelqu’un ne rencontrant pas l’approbation des miens ? ne put s’empêcher de demander Imilda.
La comtesse ricana.
— Cela ne risque pas d’arriver !
— Tout est possible.
La comtesse la fixa d’un regard peu amène.
— Si vous poussiez la provocation à ce point, votre père y mettrait bon ordre, n’ayez crainte !
En guise de réponse, Imilda se contenta de soupirer. Elle n’avait jamais beaucoup aimé celle qui avait remplacé sa mère. Souvent, elle se demandait comment son père avait pu se remarier un an à peine après la mort de la femme qu’il aimait tant.
Certes, sa seconde épouse était extrêmement belle, mais comme le disait la Nanny d’Imilda à qui voulait l’entendre : « L’habit ne fait pas le moine. Sachez que ce n’est pas l’extérieur qui compte, mais l’intérieur. »
La nouvelle comtesse, une femme autoritaire et dynamique, adorait diriger la vie de ceux qui l’entouraient. Elle avait poussé son mari à se lancer dans mille activités auxquelles il n’aurait jamais songé autrefois — ce qui lui avait donné beaucoup plus d’importance dans le monde politique comme dans les salons.
Imilda avait suivi cela de loin avec un intérêt amusé. Son père se trouvait plus occupé que jamais… et pourquoi pas ? Il était bon qu’un homme encore jeune et plein d’énergie s’intéresse à tout.
Maintenant, c’était à sa belle-fille que la comtesse s’attaquait… Avec horreur, Imilda se dit que si elle ne se méfiait pas, elle allait se retrouver devant l’autel aux côtés d’un quelconque jeune pair qu’elle connaissait à peine !
La jeune fille avait envie de protester haut et fort. Elle réussit cependant à garder le silence, car l’expérience lui avait appris qu’il valait mieux éviter de heurter sa belle-mère de front.
Après un silence, elle déclara d’un ton conciliant :
— Je suis sûre, belle-maman, que vous êtes pleine de bonnes intentions à mon égard…
— C’est évident !
— Et je vous en remercie. Mais je vous en prie, belle-maman, laissez-moi trouver le prince charmant de mes rêves !
La comtesse ricana de nouveau.
— Le prince charmant !
Elle pinça les lèvres et parut soudain très vilaine.
— Je bavardais avec un groupe de douairières au bal d’hier soir, reprit-elle. Toutes s’accordaient à dire que vous étiez la plus jolie débutante de la saison. Aucun des jeunes gens qui vous ont invitée à danser ne vous a fait de compliments ?
— Mais si, admit Imilda d’un ton réticent.
— Que vous a dit lord Cecil, le fils du duc ?
— Il n’a su me parler que de ses chevaux. Il ne s’intéresse qu’à cela ! Et pourtant, j’ai tenté d’aborder d’autres sujets !
La comtesse pinçait toujours les lèvres.
— Et lord Renisham ? C’est un jeune homme fort séduisant.
— Lui semble seulement passionné par la chasse.
La comtesse haussa les épaules.
— En réalité, vous ne savez pas vous y prendre pour attirer les prétendants. Apprenez, mademoiselle, que je n’ai pas eu moins de trois demandes en mariage lors de ma première saison. Toutes trois ont été faites par des jeunes gens d’excellente famille. Et je dois dire que je n’avais pas la chance d’être la fille d’un comte !
Imilda savait que sa belle-mère était ravie d’être maintenant comtesse, après avoir épousé en premières noces un obscur hobereau beaucoup plus âgé qu’elle. Quand son premier mari était mort d’une crise cardiaque, elle était encore assez jeune et belle pour plaire…
Sans perdre de temps, respectant à peine la période de veuvage, elle avait cherché un nouveau mari. Très vite, elle avait fixé son choix sur le comte d’Harsbourne. Avec une habileté consommée, elle avait réussi à se rendre indispensable auprès d’un homme qui se sentait extrêmement seul et malheureux depuis son veuvage.
Elle savait le flatter, l’admirer, l’écouter… et elle avait même réussi à lui faire croire qu’elle l’aimait vraiment — ce dont Imilda persistait à douter.
L’influence de la comtesse avait toutefois été bénéfique en ce sens qu’elle avait réussi à redonner au comte d’Harsbourne le goût de vivre et d’entreprendre.
« Pour cela, je lui dois une certaine gratitude », pensa Imilda. « Ce n’est pas une raison pour que je la laisse organiser mon avenir à sa façon ! »
La jeune fille appréciait les gens pour eux-mêmes. Un beau titre ou une grosse fortune la laissaient totalement indifférente, et elle avait été très déçue par le manque de culture et de personnalité des jeunes aristocrates qui l’avaient fait danser.
« Peut-être est-ce tout simplement la maturité qui leur fait défaut ? » s’était-elle demandé.
Il était possible que les hommes plus âgés et encore célibataires soient plus intéressants que ces jeunes freluquets, mais elle n’avait jamais eu l’occasion de leur parler car ils évitaient comme la peste les débutantes, leur préférant les femmes mariées peu farouches ou encore les jolies courtisanes à la mode…
À vrai dire, Imilda les comprenait ! Elle se rendait compte combien les jeunes demoiselles tout juste sorties de pension étaient gauches, timides et dépourvues de conversation.
Quoi de surprenant ? Ces petites pensionnaires n’avaient pratiquement jamais rencontré de messieurs et ne connaissaient rien du monde ni de la vie.
Imilda avait été élevée de manière très différente. N’avait-elle pas eu le même précepteur que son frère, le vicomte d’Hasbourne, qui se trouvait en ce moment à l’étranger ?
Lorsque William était allé à Eton, puis à Oxford, elle lui avait demandé de lui apporter ses livres et ses cours, si bien que, tout en se trouvant à distance, elle avait pu suivre les mêmes études que lui.
Pendant les vacances, tous deux discutaient avec passion de politique, d’histoire ou de littérature.
— Tu es beaucoup plus intelligente que moi, Imilda, répétait souvent William. C’est toi qui aurais dû être le garçon…
— Et toi la fille ! s’exclamait-elle dans un éclat de rire. Comme cela aurait été drôle !
Imilda avait appris le latin, le grec et le français. Elle connaissait les auteurs classiques comme les modernes et s’intéressait aussi bien à la physique qu’à l’astronomie ou à l’art et aux civilisations anciennes.
La jeune fille avait été très déçue d’apprendre que son frère ne serait pas là le jour où elle serait présentée à la Cour.
— Oh ! Tu n’assisteras même pas à mes débuts dans le monde ?
— J’en suis navré, Imilda. Mais pourrais-je honnêtement refuser une invitation aux Indes quand le fils du nouveau gouverneur est mon meilleur ami ?
— Je t’accompagnerais volontiers là-bas !
— Hélas, ce n’est pas possible !
La jeune fille regrettait plus que jamais l’absence de son frère. Lui aurait su trouver les arguments qu’il fallait pour faire comprendre à la comtesse que trop de précipitation nuisait.
Sa belle-mère avait-elle deviné ses pensées ?
— Vous voudriez que votre frère soit là pour vous soutenir. Mais vous devriez savoir qu’un jour il se mariera, lui aussi, et que sa femme ne voudra certainement pas vous voir toujours en tiers !
— Si elle est intelligente, elle comprendra que William et moi sommes les meilleurs amis du monde et que ce serait une erreur de vouloir nous empêcher d’avoir des conversations passionnantes.
— Sur quel sujet, grands dieux ?
— Sur des sujets dont la plupart des jeunes gens n’ont aucune idée. Ces petits fats ne s’intéressent à rien en dehors de la coupe de leur habit, de leurs chevaux ou de la chasse !
— Tout cela est ridicule et je vous trouve aussi impertinente que prétentieuse, mademoiselle, déclara la comtesse d’une voix cassante. Sachez qu’aucun homme sensé ne voudra épouser une femme plus intelligente et plus instruite que lui. Vous avez intérêt, croyez-moi, à ne pas faire étalage de vos connaissances en société.
Imilda jugea préférable de ne pas répondre à cette diatribe.
— Ce soir, reprit sa belle-mère après une pause, nous irons à un autre bal. Tâchez de faire des efforts pour avoir un peu plus de succès !
Imilda baissa la tête sans répondre.
— Et vendredi, poursuivit la comtesse, nous nous rendrons à la campagne pour le steeple-chase que votre père organise tous les ans. Je n’ai pas encore vu la liste des cavaliers y prenant part, il faudra que je l’étudie… Peut-être y aura-t-il à ce steeple-chase un jeune homme tout prêt à vous offrir son cœur ?
Sur ces mots, elle sortit. Restée seule, Imilda se dirigea à pas lents vers la fenêtre et appuya son front à la vitre pour contempler le petit jardin qui se trouvait derrière l’hôtel particulier que son père possédait dans Park Street.
Comme elle regrettait de ne pas être à la campagne !
« Au moins, là-bas, je pourrais monter à cheval ! »
Certes, il y avait des chevaux dans leurs écuries de Londres. Sa belle-mère et elle-même les faisaient seller pour monter à Hyde Park. Mais ces promenades au petit trot ne plaisaient guère à la jeune fille.
En revanche, au château d’Harsbourne, dans le Hertfordshire, elle pouvait galoper pendant des heures sur le domaine de son père en sautant haies ou barrières…
« Que faire ? » se demanda-t-elle avec anxiété. « Ma belle-mère veut que je me marie immédiatement… C’est ridicule ! Mais elle est très têtue et une fois qu’elle a une idée en tête… »
En fin d’après-midi, avant de monter se préparer pour dîner, le comte rejoignit sa femme et sa fille au salon.
— Nous aurons huit invités au château pour le steeple-chase, dit-il à la comtesse.
— Il n’y aura que huit participants au steeple-chase ? s’étonna Imilda.
— Non, ils seront beaucoup plus nombreux. Mais comme la plupart sont nos voisins, nous n’aurons bien évidemment pas à les loger.
— Je voulais justement vous demander qui vous aviez invité, lui dit la comtesse.
Le comte énuméra sept noms avant de marquer une pause destinée à ménager un effet.
— Et ce matin, j’ai réussi à persuader le marquis de Melverley à se joindre à nous !
— Melverley ? s’exclama la comtesse. Je ne savais pas que vous le connaissiez.
— Son père et moi étions très amis. Le château de Melverley n’est pas très éloigné du nôtre dans le Hertfordshire. Mais figurez-vous que le nouveau marquis n’y a encore jamais mis les pieds… Ce qui cause tout un drame là-bas, comme vous pouvez l’imaginer.
— Pourquoi n’est-il pas allé sur son domaine ? demanda Imilda.
— Je l’ignore, lui répondit son père. Tout ce que je sais, c’est que le nouveau marquis semble s’intéresser davantage à soutenir sa réputation dans le monde… tout comme dans le demi-monde !
— Comment cela ? demanda Imilda. Quelle réputation ?
— Hum… fit le comte.
Il se tourna vers sa femme comme s’il l’appelait au secours. La comtesse haussa les épaules.
— Si vous insistez pour savoir, mademoiselle, apprenez que le marquis se conduit très mal.
— C’est un bon officier, dit le comte. Sa conduite a été irréprochable pendant la guerre et je sais qu’il a été décoré plusieurs fois par Wellington lui-même.
— Et maintenant ; il a la médaille du marivaudage ! fit-la comtesse dans un éclat de rire. Depuis son retour de l’armée, il s’est beaucoup trop intéressé aux jolies femmes mariées !
— Il a des maîtresses ? demanda la jeune fille.
— Imilda ! s’exclama le comte d’un air désapprobateur. Tu ne devrais pas…
Sa femme l’interrompit.
— Oui, il a des maîtresses ! Et beaucoup trop ! Un de ces jours, cela risque de lui causer de gros ennuis.
— Quel dommage ! soupira le comte. Un homme si sympathique et si intelligent !
— Quelle est la dernière en date de celles qu’il a séduites ? s’enquit la comtesse d’un ton sarcastique.
— Je crois qu’il s’agit d’une Italienne, une certaine contessa di Torrio. J’ai eu l’occasion de la voir deux ou trois fois. Une brune d’une beauté à couper le souffle !
— Le marquis de Melverley n’est pas homme à se contenter d’un laideron.
Le comte pouffa. Puis il s’aperçut que sa fille écoutait leur conversation de toutes ses oreilles et, un peu gêné, grommela :
— Quoi qu’il en soit, c’est un cavalier exceptionnel et je ne serais pas étonné de le voir remporter le steeple-chase haut la main.
— La liste de nos invités est donc complète, déclara la comtesse. Il faut encore y ajouter…
Son expression changea, tout comme sa voix, tandis qu’elle ajoutait avec un visible orgueil :
— … le duc et la duchesse de Crowcombe !
Cela la mettait presque en transe de recevoir des personnes d’un tel titre et si haut placées. Mais n’était-ce pas la première fois que le duc et la duchesse de Crowcombe acceptaient une invitation au château depuis le remariage du comte d’Harsbourne, leur ami de toujours ?
La perspective de recevoir ces derniers suffit à mettre la comtesse de bonne humeur pour tout le restant de la soirée. Et plus tard, en rentrant du bal, elle ne chercha pas à savoir ce que sa belle-fille pensait des jeunes gens qui l’avaient fait danser — au grand soulagement de cette dernière.
Dans la voiture qui les ramenait à l’hôtel particulier d’Harsbourne, la comtesse ne parlait que de leur départ pour la campagne.
— Nous allons nous retrouver avec de nombreux invités… Il va falloir les distraire !
— Le steeple-chase sera bien suffisant, remarqua Imilda.
— C’est ce que vous croyez !
À mi-voix, comme pour elle-même, la comtesse poursuivit :
— Je suppose cependant que le premier jour, après avoir fait la route, ils seront fatigués et voudront se coucher de bonne heure. D’autant plus que les épreuves commenceront très tôt le lendemain matin.
À mi-voix, comme pour elle-même, elle poursuivit :
— Il n’y aura pas d’autre jeune fille que vous…
Imilda se raidit, attendant la suite.
— À l’exception du marquis de Melverley, les cavaliers sont tous déjà mariés… poursuivit la comtesse en rétrécissant les yeux d’un air calculateur.
Puis grâce au ciel !
— , elle se mit à parler d’autre chose. Déjà, Imilda n’écoutait plus que d’une oreille…
Son père organisait tous les ans au château un steeple-chase auquel participaient les meilleurs cavaliers du royaume.
Mais l’année précédente, comme le comte était encore en grand deuil, cette manifestation sportive n’avait pas eu lieu.
Ce serait la première fois qu’Imilda pourrait y assister. Les autres années, elle était trop jeune pour se joindre aux invités de son père et se contentait de les regarder du haut de la galerie qui dominait la salle à manger et le vaste hall.
Blottie derrière les balustrades en bois sculpté, elle suivait les réceptions avec des yeux éblouis. Elle avait l’impression de vivre un conte de fées en voyant, sous les grands lustres, scintiller l’argenterie, les cristaux et les pierres précieuses… Les invitées portaient des robes du soir toutes plus splendides les unes que les autres et des bijoux étincelants.
En général, l’on ne voyait pas de jeunes gens dans ce genre de réunions, réservées par tradition aux personnes déjà un peu plus âgées.
« Je vais me sentir un peu hors de mon élément », pensa Imilda.
Et pour la centième fois peut-être, elle regretta que son frère soit absent.
« Il aurait certainement participé au steeple-chase s’il avait été là… Quant à moi, j’aurais vraiment passé une bonne journée », pensa la jeune fille.
Au lieu de cela, elle devrait suivre une course dont l’issue ne la passionnait guère.
« Que ce soit l’un ou l’autre qui gagne… Cela m’est bien égal puisque je les connais à peine ! »
Lorsqu’elle avait douze ans, Imilda se souvenait avoir vu son père remporter l’épreuve. Comme elle l’avait alors applaudi !
— Participerez-vous au steeple-chase cette année, père ? demanda-t-elle.
— Seulement en tant que juge. Je commence à me faire trop vieux pour de telles compétitions. C’est que je n’ai plus la résistance d’un homme jeune ! Et j’avoue que je ne tiens pas spécialement à me rompre le cou.
— Comme c’est dommage ! s’exclama Imilda.
— Que je ne me rompe pas le cou ? demanda le comte en riant.
— Ce n’est pas cela que j’ai voulu dire et vous le savez bien, père ! J’aurais tant aimé vous voir gagner !
— De toute manière, j’aurais eu peu de chances contre un concurrent comme Melverley. Il va sûrement remporter la course haut la main ! Tout d’abord, il n’a que vingt-sept ans, ensuite c’est un cavalier hors pair, et enfin, il a déjà raflé de nombreux prix au cours d’épreuves du même genre. Tout cela est à porter à son crédit…
— Pfff ! Il y a encore plus à porter à son discrédit, déclara la comtesse d’un air pincé.
— Vous êtes bien sévère, ma chère amie !
— C’est que j’ai entendu souvent parler des frasques du nouveau marquis !
— Bah ! il faut bien que jeunesse se passe ! Et sa conduite héroïque pendant la guerre rachète tout cela. Il est bien triste que son père soit mort pendant qu’il se trouvait à l’armée.
Le comte marqua une pause avant de poursuivre d’un ton pensif :
— Je crois bien que Melverley est l’un des hommes les plus riches du royaume.
La comtesse ouvrit de grands yeux.
— L’un des hommes les plus riches du royaume… fit-elle avec émerveillement.
— Et son titre est très ancien. Si mes souvenirs sont exacts, il y avait déjà des Melverley sous Guillaume le Conquérant.
— Sous Guillaume le Conquérant… répéta la comtesse avec extase.
Imilda se dit avec ironie que désormais sa belle-mère ne se risquerait plus à critiquer la conduite du marquis de Melverley.
Ils partirent pour Harsbourne le lendemain matin de très bonne heure. Le comte menait lui-même les quatre pur-sang noirs qui tiraient son rapide phaéton. À l’intérieur de ce léger véhicule aux portières ornées d’une couronne comtale, il n’y avait de place que pour la comtesse et Imilda. Un valet de pied en livrée se tenait perché à l’arrière.
Les femmes de chambre, le valet du comte, quelques autres domestiques et les bagages suivaient dans une grande berline de voyage conduite par le cocher.
Le comte mit ses chevaux au pas pour emprunter l’allée bordée de grands chênes. En apercevant au loin l’impressionnant château qui se reflétait dans un lac où évoluaient des cygnes, Imilda se sentit émue aux larmes. Elle aimait tant cette demeure !
Le château d’Harsbourne appartenait aux siens depuis plus de trois cents ans. Chacun des comtes d’Harsbourne avait tenu à ajouter qui une aile, qui une tour, qui un étage de plus… L’actuel comte avait fait construire une galerie de portraits d’une architecture très classique.
Dans les pelouses d’un beau vert velouté, quelques jardiniers entretenaient les massifs de fleurs printanières avec un soin jaloux. Les fontaines lançaient dans le ciel pur de grands jets d’eau, étincelants sous le soleil, qui retombaient ensuite en cascade dans les vasques de pierre.
À peine arrivée, Imilda courut vers les communs.
« Ah ! si seulement William était là ! » se redit-elle une fois de plus.
Le responsable des écuries la salua en souriant.
— Bonjour, mademoiselle Imilda ! Savez-vous que nous avons de nouveaux chevaux ?
— Vraiment, Ben ?
— Mais oui, mademoiselle Imilda. Ceux que milord a achetés à Newmarket et à Londres. Je vous assure que vous aurez de quoi vous amuser ! Ils ne sont pas commodes, je vous préviens ! Mais je sais que cela vous plaît.
— Vous avez raison !
Au contraire de sa belle-mère, Imilda détestait monter des chevaux si calmes qu’ils paraissaient presque endormis. Très bonne cavalière, elle préférait la difficulté… Ce n’était pas une ruade, un brusque écart ou un saut de mouton qui lui faisait peur !
— Quel dommage que M. William ne soit pas là pour participer à la course ! s’exclama le responsable des écuries.
— À qui le dites-vous, Ben ! Je vous avoue que j’aimerais bien le remplacer…
— Malheureusement, vous ne pouvez pas faire cela, mademoiselle Imilda !
— Je le sais, hélas ! Tout le monde serait si choqué…
La jeune fille éclata de rire.
— Et imaginez un peu la réaction des participants si je gagnais !
— Ce qui serait tout à fait possible ! Mais les messieurs n’aiment pas être battus par les dames.
— Pourtant je ferais des étincelles avec Apollon !
— Je ne vous le fais pas dire, mademoiselle Imilda.
La jeune fille alla caresser ses montures favorites et fit une distribution équitable de sucre et de carottes.
— Les chevaux de certains des cavaliers qui participeront au steeple-chase de demain sont déjà arrivés, lui dit Ben.
Imilda, qui savait que les palefreniers organisaient des paris à l’occasion d’un steeple-chase, demanda :
— Sur qui miserez-vous demain, Ben ?
— Probablement sur le marquis de Melverley.
En hochant la tête d’un air entendu, il poursuivit :
— C’est un cavalier, vous pouvez me croire ! Et il a toujours de bons chevaux. Dommage qu’il néglige tant son domaine !
— J’ai entendu parler de cela, en effet…
— Savez-vous qu’il n’a pas mis le pied une seule fois au château de Melverley depuis qu’il en a hérité ? Ah, quelle honte ! Dans la région, tout le monde est très choqué par son attitude.
— Je le comprends. Il faut qu’il soit bien irresponsable pour agir ainsi, murmura Imilda.
Son père avait un régisseur à Harsbourne, mais cela ne l’empêchait pas de s’intéresser à tout. Quant à sa mère, elle ne manquait jamais de passer deux après-midi par semaine à visiter les pauvres et les malades dans les villages, même les plus éloignés.
Imilda avait pensé que sa belle-mère allait en faire autant. Mais jusqu’à présent, très prise par ses responsabilités mondaines, la nouvelle comtesse ne semblait guère se soucier des miséreux.
— Voulez-vous voir les chevaux du marquis de Melverley, mademoiselle Imilda ? demanda Ben.
— Je le voudrais bien, mais je ne peux pas m’attarder davantage : le déjeuner va être annoncé et milady se fâcherait si j’arrivais en retard.
La comtesse passa l’après-midi à modifier l’attribution des chambres destinées aux invités.
Imilda se demanda pourquoi sa belle-mère se souciait de semblables détails.
« Elle a tort », pensa-t-elle. « D’ordinaire, c’est la gouvernante qui s’occupe de cela et jusqu’à présent, elle s’en est toujours très bien tirée. La nouvelle femme de papa ne connaît pas encore très bien nos invités et risque de commettre des impairs. »
Mais comme cela ne la concernait pas, elle monta dans la chambre qui avait été la sienne depuis toujours. Elle y trouva sa femme de chambre attitrée, une personne d’un certain âge qui travaillait au château depuis de longues années.
— Bonjour, mademoiselle Imilda !
— Bonjour, Betsy, répondit la jeune fille en souriant. Cela me fait plaisir de vous retrouver.
— Moi aussi, je suis bien contente de vous revoir, mademoiselle Imilda. Ce séjour à Londres vous a réussi : vous avez encore embelli.
— Je ne suis pas fâchée de revoir Harsbourne… J’aime tellement cette demeure ! J’ai déjà eu le temps d’aller faire un petit tour aux écuries !
Betsy éclata de rire.
— Cela ne m’étonne pas de vous, mademoiselle Imilda. Vous allez pouvoir parler de chevaux sans arrêt lorsque les invités de milord seront là !
— Il est vrai que ce sont des passionnés !
Imilda avait largement le temps de se préparer pour dîner. Sa belle-mère lui avait dit que, dès leur arrivée, les invités seraient conduits dans leurs chambres respectives pour qu’ils puissent s’y installer tranquillement.
— Et à partir de sept heures, le champagne sera servi au grand salon. Tâchez d’être à l’heure !
— Oui, belle-maman.
— Ce soir, seuls les invités séjournant au château dîneront avec nous. Mais demain, après le steeple-chase, nous aurons tous nos voisins…
Imilda savait que son père, prévoyant que, le lendemain, la soirée risquait de se prolonger très tard, avait ordonné que l’on prépare la salle de jeu pour les amateurs de cartes.
Après avoir pris son bain, la jeune fille revêtit l’une des robes du soir qu’elle avait achetées à Londres, dans l’une des meilleures boutiques de Bond Street.
C’était une ravissante toilette en mousseline blanche, ornée autour de l’ourlet et du décolleté, comme le voulait la mode, d’un semis de minuscules roses, de perles et de petits diamants.
Betsy joignit les mains.
— Comme vous êtes jolie, mademoiselle Imilda ! Et cette robe… Quelle merveille ! J’avoue n’en avoir jamais vue d’aussi ravissante !
— C’est la dernière mode. Mais elle est relativement simple en comparaison des toilettes que portent certaines élégantes à Londres.
— Vous aurez bien le temps de porter des toilettes plus élaborées lorsque vous serez mariée.
— Et j’ai bien le temps de me marier, aussi, fit la jeune fille entre ses dents.
— Excusez-moi, mademoiselle Imilda, mais je n’ai pas entendu ce que vous venez de dire.
— Rien d’important, Betsy.
Tout en mettant autour de son cou gracile un collier de perles, Imilda ajouta :
— Je suppose que les épouses de nos invités, étant des femmes mariées, seront couvertes de bijoux ce soir.
— Et de poudre, et de rouge… fit Betsy avec une grimace réprobatrice.
La jeune fille savait que les femmes mariées employaient des fards pour rehausser leur beauté. À Londres, c’était devenu une pratique courante. À la campagne, le maquillage, tout en restant admis, se faisait plus léger… Mais l’œil implacable de Betsy remarquait tout !
— Bah ! pour l’instant, je n’ai pas à me soucier de cela puisque je ne suis pas encore mariée, déclara Imilda en souriant.
— Vous n’aurez jamais besoin de vous abîmer la peau avec des fards ! s’exclama Betsy avec conviction. Ce serait un crime de cacher un teint aussi translucide sous de la poudre, et un crime encore plus grand de peindre des lèvres aussi naturellement roses !
La jeune fille éclata de rire.
— Vous allez me rendre vaniteuse, Betsy.
— Celą m’étonnerait, mademoiselle Imilda.
Cette dernière jeta un coup d’œil machinal au grand miroir qui surmontait la cheminée. Ses cheveux étaient blonds comme les blés, avec un reflet doré qu’accentuait la lumière des bougies.
— Comme vous ressemblez à milady, mademoiselle Imilda ! s’exclama Betsy avec émotion.
— Milady ? murmura la jeune fille, un peu incertaine.
— Je ne parle pas de l’actuelle comtesse ! jeta Betsy d’un air méprisant. C’était à madame votre mère que je pensais, bien entendu !
Un peu plus tard, en descendant au salon, Imilda y trouva son père en compagnie de trois de ses invités.
Ceux-ci, des amis de toujours de ses parents, la connaissaient depuis qu’elle était enfant et lui firent quelques compliments.
— Ah ! voilà la plus jolie débutante de l’année ! s’exclama le premier.
— Merci, milord.
— Vous êtes devenue aussi belle que votre mère ! renchérit le second.
— Merci, milord.
— Et vous avez bien grandi depuis la dernière fois que je vous ai vue ! lança le troisième avec un éclat de rire.
— Cela, milord, c’est l’entière vérité, répondit-elle en se joignant à son hilarité.
— Quelle bonne idée d’organiser un steeple-chase tous les ans, dit l’un des invités au comte. J’ai bien regretté que ce ne soit pas possible l’année dernière.
Le comte soupira, tandis que son regard s’évadait.
— Moi aussi.
Imilda comprit alors qu’en dépit de son remariage précipité son père n’oublierait jamais sa mère.
Le majordome ouvrit la porte et annonça d’une voix de stentor :
— Le marquis de Melverley !
Le comte s’empressa d’aller accueillir cet invité de marque.
— Melverley, permettez-moi de vous présenter à ma femme, la comtesse d’Harsbourne.
Le marquis salua cette dernière, qui ne se tenait plus de joie en recevant un hôte aussi distingué. Toute gonflée de son importance, elle déclara d’une voix maniérée :
— Je suis si heureuse que vous ayez pu venir à Harsbourne, milord ! Tout le monde m’a dit que vous alliez certainement gagner le steeple-chase.
— Je l’espère bien ! Et je serais fort humilié si ce n’était pas le cas.
Imilda pensa qu’il était fort prétentieux…
— Voici ma fille, Imilda, qui vient de faire son entrée dans le monde, dit le comte.
Le marquis accorda à peine un regard à la jeune fille. Après l’avoir saluée, il se tourna vers le comte.
— Dites-moi vite qui doit participer à ce steeple-chase. J’ai bien l’intention de remporter la coupe !
— Savez-vous que j’ai déjà eu l’occasion d’en remettre dix-neuf au cours de toutes ces années ? Celle de cette année sera la vingtième…
— Pourvu que le vingt soit mon bon numéro !
Un valet vint offrir au marquis une coupe de champagne qu’il leva en déclarant :
— À la coupe du steeple-chase d’Harsbourne ! En espérant qu’elle me soit attribuée !
Le comte sourit.
— Je ne puis que vous souhaiter bonne chance.
D’autres invités descendirent, certains accompagnés par leur femme, puis lorsque tout le monde se trouva au salon, le majordome vint annoncer que le dîner était servi.
Imilda se trouva assise entre deux cavaliers qui avaient déjà participé à d’autres steeple-chases au château. Tout en parlant chevaux avec eux, elle ne pouvait s’empêcher de tendre l’oreille pour suivre la conversation que tenaient à mi-voix d’autres invités un peu plus loin.
— Il paraît que si Melverley participe à une course il la gagne forcément ?
— C’est ce que j’ai entendu dire…
— Cela me semble un peu fort !
— À moi aussi, je l’avoue… Nul n’est infaillible et ce monsieur l’apprendra un jour à ses dépens.
— Est-ce vraiment un cavalier aussi extraordinaire qu’on le raconte ? J’avoue que je n’ai encore jamais eu l’occasion de le voir monter.
— Moi non plus.
Dans un éclat de rire, le médisant ajouta en baissant à peine la voix :
— Mais s’il est aussi doué avec les chevaux qu’avec les femmes, nous n’avons aucune chance !
— Pas sûr ! S’il passe tout son temps à Londres en allant de boudoir en boudoir, je doute qu’il soit en aussi bonne forme qu’on le raconte.
— Il paraît que lord Crawford s’entraîne depuis des semaines à la campagne pour ce steeple-chase. Lui sera en bonne forme !
— J’aurais bien aimé en faire autant. Malheureusement j’avais un discours à prononcer à la Chambre des lords mardi dernier, avant-hier je devais recevoir un comité important, hier le Premier ministre voulait me consulter d’urgence… Et je ne parle pas des nombreux dîners et réceptions inscrits à mon agenda. Bref, j’ai été beaucoup trop pris par mes obligations mondaines et politiques pour songer à autre chose.
— Tout comme moi. Bah ! nous ferons de notre mieux…
Imilda examina le marquis de Melverley qui était assis de l’autre côté de la table. Il flirtait ouvertement avec sa voisine de gauche, une très jolie rousse, l’épouse d’un riche baronnet. Ce dernier, qui était assis un peu plus loin, paraissait furieux de voir sa femme être l’objet de tant d’attentions.
Visiblement sous le charme, la jolie rousse écoutait ce que lui disait son voisin de table en battant des cils et en soupirant.
« Si le marquis se conduit toujours ainsi, je comprends qu’il ait mauvaise réputation ! » songea la jeune fille.
À la fin du dîner, le baronnet, devenu écarlate de colère, semblait sur le point d’éclater…
Heureusement, la comtesse emmena les dames au salon tandis que les messieurs restaient dans la salle à manger pour y fumer un cigare et boire leur porto.
Imilda surprit une brève conversation entre la femme du baronnet et l’une de ses amies.
— Oh, ma chère ! Il est fascinant… Absolument fascinant !
— Ne vous l’avais-je pas dit ?
— Je comprends maintenant pourquoi Ruby a voulu se suicider quand il l’a délaissée.
— Quant à cette pauvre Cecilia, elle a pleuré pendant des jours et des semaines lorsqu’il lui a signifié la rupture !
— Cela ne m’étonne pas : il a tant de charme ! À côté de lui, les autres hommes semblent tellement ennuyeux !
— Votre mari ne paraissait pas très content de voir que vous étiez monopolisée par le séduisant marquis.
— Tant pis !
— Attention, Vera ! Si vous tombez amoureuse de Melverley, cela se terminera par des larmes. Il se lasse très vite…
Son amie ne parut guère convaincue.
— Peut-être, peut-être…
Elle pouffa avant d’enchaîner :
— Mais pensez un peu à tous les bons moments que l’on peut passer… avant qu’il ne se lasse !
2
Le lendemain, dès son réveil, Imilda courut à la fenêtre. Elle laissa échapper un soupir de soulagement en constatant que le soleil brillait dans un ciel d’azur.
« Il va faire beau pour le steeple-chase ! » se dit-elle. « Quelle chance ! Ce serait trop dommage que les épreuves se déroulent sous la pluie et dans la boue ! »
Après s’être préparée, la jeune fille courut jusqu’aux écuries. Les palefreniers discutaient avec fièvre de la course, supputant qui serait le vainqueur du steeple-chase. Leur favori semblait être le marquis de Melverley et, à les entendre, les autres n’avaient aucune chance.
Imilda ne put s’attarder aux écuries comme elle l’aurait souhaité, d’autant plus qu’elle n’avait pas encore pris son petit déjeuner. Lorsqu’elle se rendit dans la salle à manger, elle y trouva la plupart des cavaliers attablés devant un solide repas.
Leurs femmes demeuraient invisibles et cela n’étonna guère la jeune fille qui savait que la comtesse avait donné des ordres pour qu’on leur monte un plateau au lit.
— Nous avons tout notre temps, déclara le comte en posant sa serviette à côté de son assiette.
— À quelle heure doit être donné le départ ? demanda l’un des concurrents.
— Pas avant onze heures, ce qui vous permettra d’étudier le parcours à loisir.
— La dernière fois que j’ai participé à votre steeple-chase, je me souviens qu’il y avait un virage si inattendu que plusieurs cavaliers, pris par surprise, ont tourné à gauche au lieu d’aller sur la droite.
— Cela ne risque pas de se reproduire aujourd’hui, répondit le comte. Le parcours a été particulièrement bien fléché : j’y ai veillé moi-même. Mais les obstacles seront plus hauts et en plus grand nombre !
À partir de dix heures et demie, les invitées commencèrent à descendre. Elles étaient toutes plus élégantes les unes que les autres et pour s’embellir — du moins le croyaient-elles — , n’avaient ménagé ni la poudre ni le rouge.
Quelques-unes d’entre elles s’approchèrent du marquis pour lui souhaiter « bonne chance », d’une voix énamourée.
« Dans ces conditions, je comprends qu’il soit aussi infatué de lui-même », pensa Imilda avec ironie. « Elles n’ont donc pas plus de dignité ? C’est incroyable ! Elles sont presque toutes après lui ! »
Les concurrents venus des environs furent beaucoup plus nombreux que le comte ne le pensait, si bien qu’il fallut envoyer quelqu’un aux cuisines afin de prévenir qu’il y aurait un nombre plus important de convives que prévu au déjeuner.
Les chevaux piaffaient sur la ligne de départ, impatients de s’élancer au grand galop. Et à onze heures précises, le comte donna le signal…
Les spectateurs se tenaient sur la tribune que le comte avait fait ériger quelques années auparavant. De ce poste d’observation, l’on pouvait voir la plus grande partie du parcours.
Les cavaliers devaient effectuer un circuit dans le parc, puis à travers champs, avec franchissement d’obstacles naturels — haies, buttes, barrières et rivières — , avant de revenir à leur point de départ.
— Il y a un cavalier devant les autres ! s’exclama l’un des spectateurs. Je me demande qui cela peut bien être…
— C’est certainement le marquis ! fit une femme.
— Peut-être, mais il est impossible de reconnaître qui que ce soit à cette distance.
Les cavaliers se rapprochaient au grand galop. L’un d’eux était en tête en effet… Et c’était bien le marquis ! Dans la dernière ligne droite, celui qui était en seconde place cravacha sa monture dans un effort désespéré pour combler l’écart. Mais le marquis arriva le premier avec trois bonnes longueurs d’avance.
Dans la tribune, tout le monde applaudit le vainqueur. Seuls ceux qui avaient parié sur les chances d’un cavalier de la région grommelèrent quelque peu, et Imilda entendit une femme déclarer entre haut et bas :
— Ce n’est pas juste. Il gagne partout… On devrait lui donner un handicap !
Le marquis reçut la coupe en argent des mains de son hôte, tandis que les spectateurs se groupaient autour de lui pour le féliciter.
Les concurrents arrivaient les uns après les autres, et le comte leur distribua des médailles et des flots de rubans. Puis l’on attendit l’arrivée du dernier participant : un hobereau montant un solide cheval de chasse — pas suffisamment rapide toutefois pour ce genre de compétition.
Le voyant très déçu d’être bon dernier, Imilda alla le féliciter — elle qui n’avait pas dit un mot au vainqueur de la course.
— L’important, c’est de participer, lui dit-elle. Votre cheval a fait de son mieux, j’en suis sûre.
— C’est certain ! Et moi aussi, d’ailleurs… fit-il, déjà rasséréné, en accrochant le flot de rubans que lui avait remis le comte à la têtière de son cheval.
Le couvert avait été mis pour une quarantaine de personnes dans la grande salle à manger du château. Le comte fit un petit discours, puis ce fut au tour du marquis de prononcer quelques mots. Après cela, plusieurs voisins du comte tinrent eux aussi à prendre la parole. L’un d’eux, particulièrement disert, se lança dans une longue et ennuyeuse conférence qui fit bâiller d’ennui quelques jolies femmes.
Enfin, l’on put attaquer le saumon d’Écosse, puis les pièces de venaison…
Après déjeuner, Imilda monta dans sa chambre avec un livre. L’aile réservée aux membres de la famille était la plus luxueuse de tout le château.
La jeune fille se souvenait que sa mère s’était montrée intransigeante sur ce point. Dès que ses enfants avaient été en âge de quitter la nursery, elle les avait voulus près d’elle.
Le comte n’avait pas manqué de manifester sa surprise.
— Mais, c’était à cet étage que, du temps de mes parents, on logeait les membres de la famille royale ainsi que les invités de marque !
— Pour moi, mes enfants sont plus importants que les invités de marque, avait répondu la comtesse en souriant. Et je ne tiens pas spécialement à recevoir les membres de la famille royale. N’êtes-vous pas déjà le roi de mon cœur ?
Une règle très stricte avait été établie : aucun étranger ne venait jamais loger dans cette partie du château. Aussi, quelle ne fut pas la surprise d’Imilda lorsqu’elle constata que sa belle-mère y avait installé le marquis de Melverley !
« Pourquoi lui a-t-elle donné la chambre située juste en face de la mienne ? » se demanda la jeune fille.
Elle se dit que la comtesse avait probablement voulu offrir à son invité de marque l’un des plus beaux appartements du château…
À vrai dire, toutes ces subtilités n’intéressaient guère Imilda. En haussant les épaules, elle ouvrit son livre et se plongea dans l’histoire passionnante de la dynastie des Tudor.
À l’heure du dîner, Imilda découvrit avec étonnement qu’elle était assise à côté du marquis de Melverley.
Pendant le repas, celui-ci ne lui adressa pratiquement pas la parole. Il était beaucoup trop intéressé par son autre voisine, une jolie brune, cette fois. Et une femme mariée, elle aussi…
Assez amusée, Imilda pensa que le mari de cette dernière devait être en ce moment aussi jaloux que l’avait été le baronnet la veille.
La conversation était très animée autour de la table. L’on parlait des changements récemment apportés au règlement du Jockey-Club. Chacun avait son opinion et, le vin aidant, tenait à l’exposer bien haut et fort.
L’un des convives, qui semblait avoir déjà beaucoup bu, se mit debout.
— À la santé du meilleur cavalier du royaume ! À la santé du marquis de Melverley !
Il leva son verre et le vida d’un trait. Chacun but un peu, sauf Imilda qui reposa sa coupe sans même l’avoir touchée des lèvres. Elle commençait en effet à trouver toutes ces manifestations ridicules, estimant que le marquis n’avait reçu que trop de compliments.
Ce dernier se tourna soudain vers elle.
— J’ai remarqué, lady Imilda, que vous n’avez pas bu à ma santé. Pourquoi ?
À cette question directe, la jeune fille n’hésita pas à répondre tout aussi directement.
— Si vous voulez savoir la vérité, sachez, milord, que je trouve que l’on fait beaucoup trop d’histoires pour un fait totalement anodin.
— Selon vous, le steeple-chase organisé par votre père représenterait une épreuve mineure ?
— L’on ne buvait pas à la course, mais à votre santé, objecta-t-elle.
— Vous pensez que ma santé ne compte pas ?
Cette fois, Imilda éluda la question.
— Comme celle de tout un chacun, répondit-elle d’un ton neutre.
Le marquis lui adressa un regard stupéfait. Il ne devait pas avoir l’habitude d’être traité par une femme avec aussi peu d’égards…
— Donc, ma santé ne vous semble pas autrement digne d’intérêt, déclara-t-il enfin. Pas plus que ma personne, je suppose ?
— Vous essayez de me faire dire ce que je n’ai pas dit ! s’exclama-t-elle sans chercher à cacher son agacement.
— J’avoue que votre réaction m’intrigue…
— Parce que je ne m’extasie pas devant chacun de vos faits et gestes ?
Le marquis éclata de rire.
— Pourquoi me manifestez-vous une telle hostilité, lady Imilda ?
La jeune fille rougit, soudain consciente d’avoir été trop loin.
— Quelle idée ! murmura-t-elle avec gêne.
Elle détourna la tête, espérant que le marquis allait enfin cesser de la questionner.
— Quelle est votre opinion à mon sujet, lady Imilda ?
— Milord…
— Répondez-moi franchement.
Cette fois, elle ne recula pas.
— Très bien ! Puisque vous insistez pour connaître mon avis, je vous dirai que cela me navre de vous voir perdre autant de temps pour des futilités, alors que vous devriez vous occuper de choses infiniment plus importantes.
Le marquis la toisa d’un air hostile.
— Lesquelles, par exemple ?
— Je crains que vous ne souhaitiez pas m’entendre.
— Au contraire ! Vous en avez trop dit maintenant pour vous arrêter en si bon chemin. Je vous écoute, lady Imilda.
— Eh bien, je trouve désolant qu’un homme comme vous passe son temps dans les salons au lieu de travailler à la reconstruction d’un pays que les guerres ont rendu complètement exsangue.
Le marquis parut sidéré.
— Mais j’ai fait la guerre ! J’estime avoir rempli mon devoir… Maintenant que la paix a été signée, que voulez-vous de plus ?
— Que vous œuvriez au redressement de votre pays.
— Et comment cela ?
— Ce n’est pourtant pas difficile, milord. Vous ne pouvez pas ignorer que la plupart de nos valeureux soldats n’ont pas trouvé de travail à leur retour au pays. Comme, de plus, ils ne perçoivent pas de pension en récompense des années passées au front, ils sont dans une situation dramatique.
— Ils n’ont q’ua chercher un emploi ! Ce n’est pas difficile… D’autant plus que les fermiers se plaignent de manquer de bras.
— C’était pendant la guerre qu’ils cherchaient désespérément de la main-d’œuvre. Tout a bien changé depuis la fin des hostilités ! On importe du continent des tonnes et des tonnes de denrées alimentaires bon marché.
— J’ai entendu parler de cela, en effet…
— Comment voulez-vous que nos fermiers luttent contre une telle concurrence ? C’est impossible ! L’étau se resserre chaque jour un peu plus. Certains sont déjà réduits à la misère…
En voyant que le marquis demeurait silencieux, Imilda se dit qu’il n’était probablement pas au courant de la gravité de cette situation.
— Il suffit de lire les journaux pour comprendre ce qui se passe, reprit-elle avec fougue. De plus, certaines banques ont fait faillite, si bien que les fermiers qui leur avaient confié leurs économies ont tout perdu.
Le marquis ne disait toujours rien…
— Comme il n’y a plus de travail ni d’argent, savez-vous comment subsistent ces malheureux ? interrogea la jeune fille.
— J’avoue que je l’ignore…
— En mendiant ou en volant !
— J’ignorais que la situation était à ce point désespérée…
— Eh bien, vous le savez maintenant ! rétorqua la jeune fille. Il me semble que le devoir de quelqu’un comme vous serait de mettre ceux qui nous gouvernent en face de leurs responsabilités.
— Ne sont-ils pas déjà au courant ?
— Si c’est le cas, pourquoi ne s’efforcent-ils pas de remédier à cet état de choses ? Il faudrait ameuter l’opinion publique et vous avez, milord, une tribune idéale à la Chambre des lords.
— Vous avez raison. Je doute cependant que mes discours intéressent qui que ce soit.
— Vous voilà bien modeste, milord ! Vous, un héros de la guerre ? Ce serait pourtant votre rôle de parler des malheureux soldats revenus infirmes des champs de bataille. Personne n’a encore signalé combien il était honteux qu’ils ne touchent pas la moindre pension.
— Cela me paraît scandaleux, en effet… si c’est la vérité.
— Milord !
— Je ne suis pas au courant car — vous le savez peut-être — je ne suis pas revenu en Angleterre tout de suite après la guerre. Mais j’ai peine à croire que les officiers qui ont regagné Londres aussitôt le traité de paix signé ne se soient pas occupés de ces braves militaires.
— Personne n’a pensé à eux, sinon leurs proches. Imaginez la détresse de ceux qui n’avaient ni famille ni amis !
— Si j’avais eu connaissance de cette situation, je me serais certainement arrangé pour y remédier.
— C’est ce que j’ai entendu beaucoup de gens dire… mais rien n’a été fait.
— Et maintenant ?
— Les choses se sont améliorées un peu. Mais les fermiers rencontrent toujours d’énormes difficultés pour vendre leurs récoltes.
Le marquis demeura plongé dans ses réflexions pendant quelques instants. Imilda n’osait plus lui parler. Déjà, elle regrettait d’avoir parlé avec autant de véhémence.
« Je n’avais pas à lui faire la leçon… J’ai eu tort de me laisser emporter… »
Elle s’apprêtait à lui faire des excuses quand la jolie brune assise de l’autre côté du marquis se rappela à l’attention de ce dernier.
— Vous me négligez ! fit-elle d’une petite voix plaintive.
Le marquis n’eut pas le temps de répondre, car la comtesse venait de se lever.
— Je crois l’heure venue de laisser les messieurs à leur porto et à leur cigare… dit-elle d’un ton enjoué.
Un petit orchestre jouait dans la salle de bal voisine du grand salon et quand, un peu plus tard, les messieurs rejoignirent les dames, ils les invitèrent tout de suite à danser.
Imilda ne manqua pas de partenaires…
Certains des invités de son père ne vinrent pas danser. Ils avaient préféré s’arrêter autour des tapis verts de la salle de jeu. Le marquis était de ceux-ci.
Les dames auraient volontiers dansé jusqu’à une heure tardive de la nuit, mais après le steeple-chase, les messieurs avaient surtout envie de monter se reposer. Aussi la soirée se termina-t-elle relativement tôt.
Une fois seule dans sa chambre, Imilda se dit avec soulagement que leurs invités prendraient congé le lendemain — au plus tard le surlendemain — et qu’elle pourrait monter à cheval avec son père tous les matins.
« Ma belle-mère doit être fâchée parce que je n’ai flirté avec personne… »
Mais, à vrai dire, aucun de ces messieurs ne l’intéressait.
« Certes, ce sont de bons cavaliers pour la plupart… À part cela, ils n’ont aucune personnalité, à l’exception du marquis de Melverley. »
Craignant que la soirée ne se prolonge, la jeune fille avait demandé à sa femme de chambre de ne pas l’attendre pour l’aider à se préparer pour la nuit.
— Allez vous reposer, Betsy, je peux très bien me déshabiller seule !
Après avoir suspendu sa robe dans une armoire, elle enfila une ravissante chemise en linon blanc ornée de dentelles et de petits nœuds bleu pâle, puis elle se mit au lit.
Elle s’apprêtait à souffler les bougies quand elle eut l’impression de manquer d’air.
« Je vais entrouvrir la fenêtre », se dit-elle.
Au moment où elle faisait jouer l’espagnolette, elle crut entendre sa porte s’ouvrir. Elle se retourna vivement et, voyant le battant clos, pensa qu’elle avait dû rêver.
Mais lorsqu’elle vint se remettre au lit, elle aperçut une masse grise près de la porte. La masse se mit à bouger et elle laissa échapper un petit cri.
C’était un rat ! Un énorme rat…
S’il y avait un animal dont Imilda avait horreur, c’était bien du rat ! Le rongeur s’était de nouveau immobilisé et la fixait de ses yeux brillants dans la lueur des bougies.
Submergée par une peur panique, la jeune fille laissa échapper un petit cri étranglé.
Le rat s’immobilisa, le poil hérissé…
« C’est qu’il est capable de sauter sur moi et de me mordre ! » pensa Imilda en tremblant.
— Au secours ! cria-t-elle de toute la force de ses poumons. Au secours !
La porte de sa chambre s’ouvrit brusquement et la silhouette d’un homme s’encadra dans le carré lumineux.
— Que se passe-t-il ici ?
— II… il y a un rat dans… dans ma chambre ! Un… un gros rat !
À ce moment-là, l’animal fila comme un trait vers le lit et disparut sous les volants de cretonne fleurie.
L’homme qui avait ouvert la porte entra. Imilda s’aperçut alors que c’était le marquis.
— Un rat ? demanda-t-il. Vous en êtes sûre ?
— II… il s’est caché sous mon lit !
— Voyons cela…
Au moment où le marquis s’approchait du lit, la comtesse entra à son tour dans la chambre d’Imilda.
— Milord ! Que faites-vous dans la chambre de ma belle-fille ?
— L’entendant appeler au secours, je me suis précipité. Il y a un rat caché sous son lit.
— Un rat ! Je n’ai jamais entendu pareille sottise. Il n’y a pas de rats ni de souris dans cette maison, je puis vous l’assurer !
— Si, be… belle-maman ! balbutia Imilda. Je… j’ai vu un… un énorme rat. II… il vient tout juste de… de se cacher sous… sous…
— Ce n’est pas très original comme histoire ! fit la comtesse avec mépris. Vous auriez pu trouver mieux…
— Belle-maman, croyez-moi ! Je…
La comtesse se tourna vers le marquis de Melverley.
— Milord, je pense que vous feriez bien de retourner dans votre propre chambre. Mon mari vous parlera demain matin.
Le marquis se raidit en fixant son hôtesse d’un regard plein de stupeur. Puis lorsqu’il comprit ce que cette dernière phrase sous-entendait exactement, il pinça les lèvres et, sans ajouter un mot, sortit.
Restée seule avec la comtesse, Imilda insista :
— Il y a un rat ici !
— Je n’en crois pas un mot, mademoiselle. Le marquis s’est conduit d’une manière scandaleuse et vous avez eu tort de l’encourager. Je suis sûre que ce sera l’avis de votre père, que je vais mettre au courant de ce pas !
La comtesse partit à son tour, laissant la jeune fille seule… avec le rat.
Elle contempla son lit en frissonnant.
— Je refuse de dormir ici ! fit-elle à mi-voix.
Sans réfléchir davantage, elle prit une bougie et se rendit dans la chambre de son frère, qui se trouvait à côté de la sienne. Comme le lit n’était pas fait, elle se contenta de se glisser entre les couvertures.
Elle tremblait de tous ses membres et son cœur battait à grands coups précipités.
Puis, peu à peu, elle se calma et s’obligea à réfléchir posément. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre enfin ce qui s’était passé : sa belle-mère venait de lui tendre, ainsi qu’au marquis de Melverley, le plus adroit des pièges.
« Et nous sommes tous deux tombés dedans sans la moindre méfiance ! »
Imilda n’ignorait pas que la présence d’un homme dans la chambre d’une jeune fille signifiait pour cette dernière la ruine de sa réputation.
Demain, son père aurait une conversation sérieuse avec le marquis de Melverley…
« Et celui-ci, que cela lui plaise ou non, se trouvera forcé de me demander en mariage ! »
Imilda se dressa dans le lit et se prit la tête entre les mains.
— Ce n’est pas possible ! fit-elle tout haut. Quelle histoire de fous !
Elle se souvint que lorsqu’elle était à la fenêtre, elle avait cru entendre sa porte s’ouvrir. C’était certainement à ce moment-là que la comtesse avait lâché le rat dans sa chambre.
La jeune fille comprenait enfin pourquoi sa belle-mère avait tenu à modifier l’attribution des chambres !
« Si le marquis n’avait pas été logé dans celle située juste en face de la mienne, jamais il ne m’aurait entendue crier ! »
Imilda était tellement énervée qu’elle dormit à peine cette nuit-là.
Elle ne cessait de se tourner et de se retourner dans le lit de son frère, en se demandant s’il y avait une issue à la situation dans laquelle elle se trouvait, piégée par la faute d’une belle-mère trop intrigante.
« Si j’arrive à prouver qu’il y avait bien un rat dans ma chambre, tout devrait s’arranger », se dit-elle lorsque les premières lueurs de l’aube apparurent à la fenêtre.
En dépit de sa peur des rongeurs, Imilda se leva et, sur des jambes mal assurées, se força à retourner dans sa chambre. Elle s’étonna d’en trouver la porte grande ouverte alors qu’elle était persuadée l’avoir refermée la veille. Inconsciemment, elle avait voulu y emprisonner le rat pour prouver la véracité de ses assertions. Mais sa belle-mère avait dû passer par là !
« C’est trop tard ! » se dit-elle avec résignation. « Il a dû fuir et je suis sûre qu’il doit être loin maintenant… »
Ce ne fut cependant pas sans inquiétude qu’elle se décida à pénétrer dans la pièce. Éclairée par les premiers rayons du soleil qui filtraient entre les rideaux, celle-ci lui parut aussi tranquille, aussi rassurante qu’à l’ordinaire.
La jeune fille s’obligea à regarder sous le lit et les armoires — mais bien entendu, elle ne vit rien.
« Il doit être loin ! » pensa-t-elle. « Par conséquent je n’ai aucun moyen pour prouver ce qui s’est passé. »
Elle s’allongea sur son lit et contempla le plafond en se demandant comment déjouer le piège tendu par sa belle-mère.
En soupirant, elle ferma les yeux… et s’endormit.
Lorsqu’elle se réveilla, elle s’aperçut avec stupeur qu’il était déjà dix heures et demie. Dès qu’elle sonna, Betsy arriva avec un plateau sur lequel elle avait disposé un appétissant petit déjeuner.
— Ah, on peut dire que vous avez bien dormi, mademoiselle Imilda ! s’exclama la femme de chambre. Je voulais venir ouvrir vos rideaux mais milady m’a dit de vous laisser vous reposer. Jamais vous n’avez passé une nuit aussi longue !
La jeune fille jugea inutile de détromper Betsy.
— Je vais me lever maintenant.
— Rien ne presse, mademoiselle Imilda. Les invités de milord sont encore là pour la plupart.
— Certains sont déjà partis ?
— Deux ou trois, pas davantage.
— Que font ceux qui restent ?
— Certains messieurs sont allés monter à cheval. Les dames sont au jardin.
— Et… milord ? Et milady ?
— Ils se sont enfermés pendant au moins une heure avec le marquis de Melverley dans la bibliothèque, mademoiselle Imilda. Puis le marquis est reparti pour Londres et il paraît qu’il avait l’air de fort mauvaise humeur.
La jeune fille soupira. Son intention était de parler au marquis avant que ce dernier ne voie son père… Hélas, il était déjà trop tard !
— Betsy ?
— Oui, mademoiselle Imilda ?
— Y a-t-il des rats dans la maison ?
— C’est bien curieux que vous me posiez cette question, mademoiselle Imilda. Figurez-vous que depuis des années, nous n’en avions pas vu un seul. Et voilà qu’hier, justement, M. Duncan en a pris un très gros dans la cave.
— Très gros, vraiment ?
— Énorme ! Et vous n’allez pas le croire ! Mais quand M. Duncan a dit cela à milady, elle lui a d’abord demandé de le tuer tout de suite. Puis cinq minutes plus tard, elle changeait d’avis. « Non ! Gardez-le vivant pour moi ! » a-t-elle ordonné.
Betsy secoua la tête.
— N’est-ce pas bizarre ? Je n’ai jamais vu quelqu’un vouloir un rat !
Imilda ne répondit pas. Elle savait maintenant comment était née cette idée machiavélique dans l’esprit de sa belle-mère !
Les invités du comte prirent congé les uns après les autres dans le courant de la journée.
En fin d’après-midi, le comte fit appeler sa fille dans son bureau.
— J’ai à te parler, lui dit-il. Assieds-toi, s’il te plaît.
Sans mot dire, Imilda s’exécuta. Le comte resta debout, adossé à la
