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Du caviar pour les chacals
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Livre électronique327 pages4 heures

Du caviar pour les chacals

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À propos de ce livre électronique

Pendant des années, la mystérieuse disparition du PDG d’une importante société d’audit est restée non résolue. Toutefois, la routine est brisée lorsqu’un jeune lieutenant et son stagiaire décident de rouvrir le dossier. Leur investigation les mène à découvrir une machination qui les laisse abasourdis, tout en plaçant la secrétaire du PDG, bien malgré elle, au cœur d’une intrigue qui la dépasse.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Georges Deffaugt a composé un éventail d’œuvres explorant une diversité de thèmes. Ces récits, tels que "Du caviar pour les chacals", puisent leur inspiration dans des expériences de vie authentiques en vous offrant une immersion dans des univers variés où se mêlent intrigue et émotion.
LangueFrançais
Date de sortie4 juin 2024
ISBN9791042228101
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    Aperçu du livre

    Du caviar pour les chacals - Georges Deffaugt

    Chapitre I

    La société Leroy

    Il y avait une bonne dizaine de minutes que Stéphanie guettait le rayon de soleil qui se rapprochait lentement du tableau sur lequel monsieur Pugeot s’escrimait depuis plus d’une heure.

    Elle avait remarqué que les jours précédents, dès que l’éclat lumineux de notre astre dévorait le coin du tableau, monsieur Leroy, le PDG de la société, donnait aussitôt l’ordre de clore la réunion quotidienne. Il était généralement près de dix-sept heures.

    Mais ce soir-là, monsieur Leroy semblait ailleurs, perdu dans ses pensées. Il laissa son collaborateur continuer son brillant exposé. La réverbération sur le noir luisant du tableau faisait mal aux yeux de ceux qui assistaient patiemment à la remarquable démonstration de monsieur Pugeot.

    Stéphanie avait quelques difficultés à distinguer les colonnes de chiffres, tracées à la craie, qui s’alignaient de façon désordonnée. Elle souffla de soulagement quand le conférencier eut terminé ses explications mathématiques, lesquelles avaient pour unique but d’augmenter la rentabilité du personnel employé.

    Stéphanie n’appartenait à la société Leroy que depuis trois semaines. Elle avait auparavant une excellente place de secrétaire comptable dans une entreprise qui avait l’inconvénient d’être beaucoup trop loin de son domicile. Ayant pris connaissance d’une annonce alléchante passée dans la presse par la société Leroy, laquelle recherchait une secrétaire de direction « très compétente », elle posa sa candidature et obtint le poste. Malgré les exigences qui étaient demandées à ladite secrétaire et le titre ronflant qui lui était attribué, la paie était nettement inférieure à celle de son ancienne place, mais au moins elle était à deux pas de chez elle.

    En principe, d’après son contrat d’embauche, elle était censée n’être que responsable du secrétariat de monsieur Leroy et accessoirement de son bras droit, monsieur Pugeot, mais en réalité elle était chargée – et même surchargée – par les corvées les plus diverses, et à la disposition de tous. Elle comprit un peu tard qu’elle s’était laissée abuser par le discours qui lui avait été tenu, coloré par de belles promesses d’avenir qui ne seraient jamais concrétisées.

    Parmi ses fonctions, il y avait celle consistant, chaque fin de journée, à organiser les réunions entre les membres de la direction et les chefs de secteur. Ces derniers avaient pour obligation de rendre compte de leurs activités et du rendement de leurs subordonnés. Son rôle était également de prendre note de tous les sujets qui se discutaient durant ces réunions.

    Ce jour-là donc, contrairement à ses habitudes, le PDG avait laissé le soleil envahir le tableau. Pourtant, le contenu de l’exposé de monsieur Pugeot n’avait pas paru avoir une importance capitale, même s’il lui apportait un certain éclat, ce qui était coutumier. La raison de ce débordement était sans doute qu’étant un vendredi, il fallait épuiser toutes les questions de la semaine restées en suspens. C’est du moins ce que Stéphanie pensa ce soir-là.

    Monsieur Leroy finit par réaliser la gêne des auditeurs qui mettaient une main devant leurs yeux pour regarder le tableau. Il se leva lentement de son imposant fauteuil tout en demandant s’il y avait d’autres sujets prioritaires à examiner. Face au silence pesant de la dizaine de personnes présentes, il décréta que chacun pouvait disposer et donna l’ordre de sortir de la salle de conférence.

    Stéphanie remarqua qu’il avait l’air soucieux en allant discuter avec son adjoint monsieur Pugeot, mais elle n’y attacha pas une attention particulière. Autant le dire tout de suite, elle n’aimait pas ces deux hommes et regrettait d’être à leur service. Elle allait devoir chercher un autre emploi.

    À première vue, elle avait estimé que monsieur Leroy devait avoir une bonne quarantaine d’années, bien qu’il soit très difficile d’attribuer un âge à ce genre de personnage. Comment décrire cette masse informe et éléphantesque surmontée par un ballon de football en guise de tête ? Le visage était inexpressif, si ce n’était qu’un sourire béat quasi permanent lui donnait l’aspect d’un bébé en attente de biberon. De larges poches sous des yeux globuleux et les joues en forme de vagues superposées le faisaient ressembler à un bouledogue fripé.

    Lorsque Stéphanie le rencontra le premier jour de son arrivée, elle ne put s’empêcher de plaindre sincèrement ce pauvre homme ; la vie pour lui ne devait pas être drôle tous les jours.

    Les bons sentiments qu’elle avait eus à son égard n’ont pas duré très longtemps. En quelques jours une autre réalité lui est apparue. Sans même se cacher derrière une façade de principe, Paul Leroy était un despote avec tous ceux qui l’entouraient. Étant à ses côtés, Stéphanie était en première ligne pour subir les accès de colère du monstre. Ce n’est pas qu’il criait – il en était bien incapable – mais tout en soufflant comme un phoque, il crachait ses ordres et reproches avec une sorte de grognements méprisants.

    La première réaction de la nouvelle employée fut de penser que ce malheureux affichait une telle apparence de sévérité pour éviter les moqueries et obtenir par la crainte le respect de ses employés. Bien vite Stéphanie réalisa son erreur ; le respect n’était pas un terme connu par son patron. Il affichait même avec un plaisir sadique les satisfactions qu’il éprouvait à exploiter la crédulité de tous ceux qui lui faisaient innocemment confiance. Il se vengeait ainsi de dame nature en reportant sur les autres la haine qui l’étouffait. Il ne fallut pas très longtemps à Stéphanie pour s’apercevoir qu’aucun des membres de la société ne portait la moindre estime à ce personnage.

    Monsieur Pugeot était âgé d’environ une cinquantaine d’années ; lui c’était autre chose. C’était le tacticien, celui qui avait les idées. Il avait une machine à calculer à la place du cerveau, mais une machine vicieuse et démoniaque. C’était lui qui, six ans auparavant, avait proposé à monsieur Leroy une association. Objectif : financer son génial projet, lequel consistait à exploiter les faiblesses humaines.

    Ainsi l’argent du sinistre Leroy, associé à la matière grise du machiavélique Pugeot, n’avait pas tardé à donner des résultats miraculeux. En peu de temps, l’affaire s’était développée sur tout le territoire national en prenant un essor d’une relative importance.

    Contrairement à monsieur Leroy, monsieur Pugeot avait une allure de fouine, tout en maigreur avec de petits yeux enfoncés dans leurs orbites, lesquels avaient un « on ne sait quoi » qui inspiraient une sorte d’effroi à ceux qu’il apostrophait. Autant Leroy n’hésitait pas à se montrer grossier, autant Pugeot était mesuré dans ses déclarations. Personne ne pouvait être dupe longtemps de ses paroles mielleuses et encore moins de l’hypocrisie permanente qui le caractérisait. Seul point positif, tout le monde se devait de lui reconnaître une grande intelligence.

    Stéphanie n’éprouvait aucune sympathie pour cet individu qu’elle jugeait sournois. À l’inverse, d’après son comportement à l’égard de la nouvelle venue, monsieur Pugeot laissait penser qu’il était ravi de la voir arriver dans le service. Dès le second jour, après lui avoir dicté une lettre un peu avant midi, il termina par ces mots :

    — Voici l’heure du déjeuner. En général je vais dans le petit restaurant qui est sur l’avenue, on y mange assez correctement. Voulez-vous m’y accompagner, nous ferons mieux connaissance ? Bien évidemment, je vous invite, mademoiselle Stéphanie, cela va de soi.

    Prudemment, elle déclina l’invitation en invoquant un prétexte futile. Non seulement cet homme ne l’inspirait pas, mais elle ne tenait pas non plus à se distinguer par un abord facile. Bien lui en a pris.

    Dès le premier jour, elle avait trouvé un air sympathique à la standardiste qui avait aussi le rôle d’hôtesse d’accueil. Dame d’un âge certain, plutôt laide, mais qui respirait la gentillesse et qui avait l’immense avantage de posséder une voix suave. Qualité indispensable dans sa profession.

    Le surlendemain soir de son arrivée, alors que tous partaient, Stéphanie l’interrogea sur les composants de la société. La dame lui dit se nommer Irène et lui apprit qu’elle était la première employée à être entrée ici, et aussi la seule – la direction mise à part – à y être restée. Elle ne comptait plus depuis longtemps le nombre de personnes qu’elle avait vu entrer, pour repartir peu de temps après. Stéphanie devait être la dixième secrétaire au poste qu’elle occupait. Cette information ne l’étonna pas outre mesure après avoir compris où elle avait mis les pieds. Elle comprit aussi rapidement que monsieur Pugeot n’était pas non plus étranger à ce turn-over. Il supportait mal que l’on résiste à son assiduité, et le faisait payer par des sanctions les plus diverses.

    Il y avait maintenant trois semaines que Stéphanie était employée dans la société Leroy (avec l’unique projet de la quitter le plus vite possible). Elle épluchait régulièrement tous les matins les petites annonces avec l’espoir d’y trouver un emploi proche de chez elle. Hélas, la chance n’était pas de son côté ; toutes les propositions intéressantes se trouvaient au diable. Elle prenait son mal en patience.

    C’est alors que les événements se précipitèrent.

    ***

    Tout d’abord, quelques mots pour préciser quelles étaient les activités de la société Leroy. Elle se présentait publicitairement comme étant spécialisée dans « l’Audit » avec pour principales fonctions de sauver les entreprises en difficulté. C’est du moins ce qui avait été expliqué à Stéphanie dès son arrivée. Ne sachant pas de quoi il s’agissait réellement, elle n’avait aucune raison d’en douter.

    La société était installée au premier étage d’un important immeuble moderne à vocation commerciale, lequel était de par sa conception, uniquement constitué de bureaux. À part messieurs Leroy et Pugeot, la standardiste qui avait aussi la fonction d’être au bureau d’accueil, une comptable principale assistée d’une aide, une jeune fille sans spécialité bien définie au service de tous et pour n’importe quoi, et pour finir : l’unique secrétaire – c’est-à-dire Stéphanie pour le moment –, il n’y avait pas d’autre personnel sédentaire.

    Et pourtant, que de monde défilait. C’est dame Irène qui expliqua à la nouvelle venue que la cinquantaine de personnes employées par la société, travaillaient toutes à l’extérieur, déléguées auprès d’entreprises en difficulté en tant que spécialistes du sauvetage. Il y avait douze chefs d’équipe, chacun étant responsable d’un secteur avec de six à huit personnes suivant les variations du moment. Eux-mêmes se déplaçaient fréquemment, parfois assez loin, mais le plus souvent la moitié d’entre eux s’arrangeaient pour revenir suffisamment tôt afin d’assister aux réunions de chaque soir, et principalement les fins de semaine.

    Stéphanie apprit par la suite qu’il y avait une autre catégorie de personnel que l’on ne voyait jamais et qui avait la charge de contacter les entreprises depuis leur domicile. Pour elle tout cela était très vague et lui paraissait assez compliqué.

    Ce qu’elle remarqua dès la première semaine, c’est que la standardiste n’avait pas le temps de s’ennuyer ; les appels fusaient de toutes parts. Cela l’intrigua et au bout de trois ou quatre jours elle interrogea dame Irène. Celle-ci fronça les sourcils et la regarda du coin de l’œil, comme pour se demander si c’était son rôle que de donner cette information. Enfin après un temps de silence elle se décida :

    — Je vois que monsieur Pugeot ne vous a pas fourni beaucoup de précisions sur le fonctionnement de notre société. Il a dû penser que vous alliez comprendre assez rapidement quelles étaient les méthodes de travail. Bien sûr, je reçois un nombre important d’appels venant de tous nos employés en déplacements pour de multiples raisons ; il y a aussi les confirmations de rendez-vous entre les chefs de secteur et les directeurs d’entreprises.

    Irène hésita encore un bref instant, prenant quelques secondes de réflexion avant de continuer. Stéphanie ne comprenait pas pourquoi la dame faisait tant de mystère, comme si elle commettait une faute en lui faisant ces révélations qui paraissaient bien naturelles. Dame Irène se rendit compte que son auditrice la voyait hésiter, alors elle se lança :

    — En fait, la plus grande partie des appels provient de ceux qui répondent aux petites annonces, lesquelles sont régulièrement passées dans la presse. Il y en a plusieurs dizaines chaque jour ; je sais par habitude ceux que je dois décourager immédiatement, mais les autres sont reçus par groupes de quinze ou vingt tous les lundis et mercredis matins par monsieur Pugeot, assisté par un ou deux chefs de secteur. En définitive, il n’en restera que le tiers à peine, soit de dix à douze par semaine qui seront intégrés au personnel.

    En écoutant Irène, Stéphanie resta ébahie. Jamais elle n’aurait imaginé que la société se développait à une telle vitesse. Elle le lui dit avec une expression qui marquait son étonnement. Irène se mit à rire, et finalement lui expliqua :

    — Ce n’est pas aussi simple. Les nouveaux venus ne vont faire que remplacer ceux qui partent. Pour la plupart, ils se font des illusions en entrant, mais ils les perdent bien vite. Non seulement ils se trouvent souvent confrontés à de nombreuses difficultés parfois insurmontables, mais ils engagent aussi leurs responsabilités. Et encore, s’il n’y avait que cela, mais ils sont liés à notre société par des obligations rigides qui leur laissent peu de liberté et leur imposent d’être rentables. En surplus, leur vie privée se réduit à rien, passant la quasi-totalité de leur temps entre les voyages, les nuits à l’hôtel et les repas au restaurant. Quant à la rentabilité financière espérée, je préfère m’abstenir de commentaire. À moins d’être un élément très doué, ce n’est pas ici que ces malheureux feront fortune ; seuls les bons chefs de secteur s’en tirent correctement, mais leur fonction n’est pas une sinécure. Il ne me paraît pas utile d’être plus explicite pour vous faire comprendre pourquoi très peu d’employés font de vieux os dans la société. Vous saisissez maintenant pourquoi mes journées sont chargées. Ma tâche est ingrate, mais je m’y suis habituée.

    Stéphanie avait compris. Il ne lui fallait pas moisir longtemps ici.

    Chapitre II

    Un coin de paradis

    En ce vendredi soir, Stéphanie quitta la société Leroy démoralisée et fatiguée. La réunion s’étant prolongée plus tard qu’à l’habitude, elle avait dû rester une heure de plus pour taper le compte rendu qu’elle avait préalablement pris en sténo. Il y avait beaucoup trop de travail qui l’attendait le lundi matin pour qu’elle puisse repousser cette corvée.

    À peine dix minutes plus tard, elle retrouvait sa petite chambre. Épuisée, elle s’allongea sur son lit pour quelques instants, puis se déshabilla afin de prendre une douche régénératrice.

    Il y avait maintenant près de trois ans qu’elle logeait ici et s’y trouvait bien. Elle y avait une chambre spacieuse et bien éclairée, qui était censée être la seule pièce mise à sa disposition. Elle se situait dans un superbe pavillon de larges dimensions dans lequel on aurait pu très aisément y loger trois familles. Il n’était habité que par un couple âgé, lequel un jour avait été contacté par un organisme administratif qui cherchait des locaux chez l’habitant pour loger certains de ses étudiants. Sans raison particulière, peut-être tout simplement pour rester moins seuls dans leur immense demeure un peu isolée du centre-ville, les propriétaires avaient répondu favorablement à la demande. Ce fut une jeune étudiante, prénommée Alice, qui se présenta à eux au début du mois de mars, mais celle-ci se rendit vite compte que le lieu était très mal desservi par les moyens de transport. Se rendre à l’université chaque jour lui prenait un temps infini ; elle quitta le couple au bout de quatre semaines.

    Le hasard faisant parfois bien les choses, elle avait fait la connaissance de Stéphanie deux mois auparavant et savait que celle-ci cherchait à se loger. Elle lui dit :

    — C’est avec regret que je dois quitter la belle maison dans laquelle l’administration m’a trouvé une superbe chambre, mais matins et soirs c’est la galère avec les transports en commun. Hier, il m’a été proposé une colocation près de l’université, j’ai saisi l’occasion bien que l’immeuble soit vieux et triste, mais au moins je ne perdrai pas des heures dans les transports. Si le cœur t’en dit je peux en parler à mes propriétaires. Ce sont deux petits vieux charmants ; je pense qu’ils seront ravis de t’accueillir.

    Ravis… ravis… Ce n’était pas vraiment le cas, mais les deux vieux ne voulaient pas laisser à la jeune fille une mauvaise impression. Quand celle-ci leur a proposé Stéphanie en remplacement, ils lui ont répondu :

    — Pourquoi pas, si elle est dans la même situation que vous. C’est aussi une étudiante, n’est-ce pas ?

    À cette époque, arrivée depuis seulement quelques mois de province et logée momentanément par un parent dans un réduit exigu, Stéphanie était justement à la recherche d’un appartement. Possédant sa petite voiture, elle n’était pas aussi handicapée que la jeune Alice par le manque de transport en commun ; elle se présenta au vieux couple.

    Elle n’était plus étudiante depuis plusieurs années, et de ce fait n’était pas une locataire pour une durée limitée à une classique année scolaire – qui n’était pas obligatoirement renouvelée – néanmoins, après avoir longuement hésité, ils ont accepté qu’elle vienne remplacer son amie, mais en y mettant, de façon bien appuyée, de multiples réserves, draconiennes et plutôt décourageantes, lesquelles ne l’autorisaient juste qu’à occuper sa chambre en faisant oublier sa présence. Si à ce moment-là Stéphanie n’avait pas été prise à la gorge par le besoin impérieux de se loger, elle se serait sauvée aussitôt. Le loyer était aussi deux fois plus élevé que celui qui avait été demandé à la jeune étudiante. Elle comprit très vite que par leur première expérience qui les avait sans doute déçus, ces personnes ne tenaient plus à s’encombrer d’une autre locataire. Plutôt que de le lui dire carrément, ils avaient espéré effrayer celle qui venait se présenter en dictant de sévères exigences. Peine perdue, Stéphanie s’était résignée en espérant des jours meilleurs. En dehors de sa chambre, seule une jolie salle d’eau était mise à sa disposition, cela sous des conditions strictes. Évidemment, pas question de cuisiner dans sa chambre ; à elle de se débrouiller pour prendre ses repas à l’extérieur.

    Les premières semaines lui furent pénibles, d’autant plus que son lieu de travail était très éloigné à cette époque. Elle partait tôt et rentrait relativement tard ; cantine le midi et restaurant le soir. En dehors des fins de semaine ses logeurs ne la voyaient pas. Ces jours-là elle sortait juste un peu avant midi pour aller déjeuner dans un bouiboui assez proche, puis soit elle revenait en silence, soit elle allait retrouver des amis, ou bien elle se payait le cinéma pour ne rentrer que le soir en s’efforçant de passer inaperçue.

    Elle avait remarqué que ses propriétaires sortaient peu, passant la plupart de leur temps dans leur jardin à s’occuper de leurs fleurs ou alors ils restaient sur leur terrasse à l’heure de la sieste. Aller faire les courses était une corvée qu’ils n’aimaient pas. Stéphanie l’a vite compris en les écoutant bavarder. Le vieil homme commençait à avoir une mauvaise vue et ne prenait sa petite voiture que par obligation.

    Un samedi matin, alors que Stéphanie s’apprêtait à sortir, elle eut quelques mots de politesse en les croisant et leur dit qu’elle allait faire quelques achats dans le centre. Elle ajouta que s’ils avaient besoin de quelque chose elle se ferait un plaisir de le leur rapporter. La dame sauta aussitôt sur l’occasion pour lui demander quelques ingrédients, du pain et un médicament. À son retour en fin de matinée, elle apportait ce qui lui avait été demandé ; la dame la remercia et s’excusa de ne pas lui avoir avancé de l’argent pour les achats – la proposition l’avait prise au dépourvu – elle remboursa Stéphanie en lui disant :

    — Vous êtes une jeune femme vraiment très discrète, c’est à peine si nous vous entendons rentrer le soir. Croyez que nous apprécions cette qualité sans laquelle nous aurions regretté de vous avoir acceptée chez nous. Aimeriez-vous partager notre repas à midi, cela nous permettra de mieux vous connaître. Vous devez penser que nous sommes de vieux sauvages. C’est que nous aimons notre tranquillité.

    Elle ne se fit pas prier, trop heureuse d’échapper à la monotonie du modeste restaurant qu’elle avait déniché à proximité et qui n’égratignait pas trop son maigre budget.

    La glace fut ainsi rompue. La vieille dame n’avait pas sa langue dans sa poche, elle était plutôt bavarde et heureuse de trouver une oreille prête à écouter tout ce qu’elle avait à dire. Elle posait également toutes sortes de questions à sa locataire, sur son travail, ses études, ses goûts, sa famille. Si Stéphanie était discrète, elle ne l’était pas cette petite dame curieuse ; mais la jeune femme lui donna satisfaction, en lui contant comment se déroulaient ses journées.

    Le mari était nettement plus modéré en paroles, il se contentait d’écouter en ne se mêlant que rarement à la conversation.

    Après lui avoir demandé où habituellement elle dînait le soir et aussi les fins de semaine, et comprenant que pour sa locataire, être par obligation abonnée à un sandwich ou guère mieux, était un pénible problème, la vieille dame l’autorisa alors à utiliser « sa cuisine », à condition de ne pas monopoliser le lieu.

    Sur la lancée elle lui demanda quelles étaient ses compétences culinaires. Stéphanie fut bien obligée de lui avouer qu’elle n’était pas un cordon bleu ; dans ce domaine ses connaissances étaient réduites au strict minimum. La dame proposa alors de lui montrer comment elle allait préparer le dîner, mais avant elle l’invita à prendre le café avec eux sur la terrasse.

    Il faisait chaud malgré une légère brise. Tous les trois s’installèrent sous un grand parasol face au jardin fleuri. La maîtresse de maison indiquait de loin, ici et là, les différentes fleurs qui embellissaient la propriété. Le monsieur lui dit – ce qu’elle savait déjà – qu’ils avaient l’habitude de faire leur petite sieste après le déjeuner, et il ajouta :

    — Si cela peut vous être agréable, quand il fait beau, nous ne verrons aucun inconvénient à ce que vous profitiez de la terrasse, il y a d’autres chaises longues au sous-sol.

    En fin d’après-midi, Stéphanie prit son cours de cuisine. Il était visible que la vieille dame était ravie de pouvoir montrer ses compétences à l’élève attentionnée qu’était son aimable locataire. Et pour la seconde fois de la journée, Stéphanie fut conviée à partager leur repas du soir.

    Le lendemain, dimanche, elle avait rendez-vous avec une amie. Elles avaient projeté une petite sortie pour fêter son anniversaire, si bien que Stéphanie rentra assez tard, sans avoir revu ses propriétaires. Les autres soirs, elle profita de l’autorisation accordée en utilisant la cuisine de ses hôtes, en faisant bien attention de ne rien déranger.

    Le samedi suivant, encouragée par le succès obtenu la semaine précédente, elle se proposa de nouveau pour effectuer d’éventuels achats. Elle n’eut pas à le répéter deux fois. S’y attendant très certainement, la dame avait déjà préparé toute une liste de produits les plus divers, et cette fois avec de l’argent. Tout en souriant, elle lui dit :

    — Je sais bien que j’abuse de votre gentillesse. Si vous n’avez pas le temps de tout acheter, ce n’est pas grave, nous sortirons plus tard ; j’avoue cependant, pour être honnête, que je m’en passerais. Bien sûr, ce service va monopoliser votre temps, aussi nous serions très heureux si vous vous joignez à nous pour déjeuner.

    C’est ainsi que finalement, les amabilités se succédant, Stéphanie devint un peu plus chaque jour un élément choyé de la maison. L’invitation ne s’était pas limitée aux seuls week-ends, mais bientôt elle était aussi attendue le soir. Ayant obtenu l’autorisation d’utiliser un petit coin du réfrigérateur, elle n’achetait que le minimum de nourriture afin de ne pas gêner ses

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