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Au nom du fils
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Livre électronique376 pages4 heures

Au nom du fils

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À propos de ce livre électronique

Hugues de la Vilardière, grand reporter de BVS TV, revient après un séjour en Ukraine et en Russie pour analyser le conflit. Cependant, son retour anticipé, camouflé sous un faux passeport, le met en danger, traqué par des forces russes. En France, la mafia russe, financière du Kremlin, sème la terreur. Dans ce tourbillon de violence, son fils est tragiquement assassiné à Paris. Aux côtés de Charlotte, nouvelle ministre de l'Intérieur, et de Jeanine, ministre des Armées, Hugues utilise le pouvoir médiatique de BVS TV pour lutter pour la patrie. Alors que la violence se propage de Marseille à Santa Monica, qui sortira victorieux de cette bataille épique ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Après trois décennies dans le domaine de la production audiovisuelle, Col Porther s'est tourné vers l'écriture des romans. Convaincu que l'acte d'écrire enrichit l'esprit, il plonge dans le monde de l'imagination pour nous proposer le summum de la diversité des fantasmes qu'il offre.
LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2024
ISBN9791042228248
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    Aperçu du livre

    Au nom du fils - Col Porther

    Chapitre 1

    Oups

    Juin 2023

    Hugues, qui a réussi à s’infiltrer dans la périphérie de Moscou, mène une vie incolore et inodore sous une fausse identité, en parlant parfaitement la langue sans le moindre accent qui pourrait le trahir.

    Il est chauffeur de bus urbain et sillonne la banlieue de la capitale huit heures par jour et six jours par semaine.

    Son sérieux et sa rigueur l’ont aidé à obtenir le circuit intérieur de la capitale.

    Désormais sa clientèle a changé d’allure. Les bleus de travail, en toile grossière, ont laissé place aux cols blancs, et costards cravates sur mesures.

    Ces hommes-là, avec quelques femmes aussi, ne prononcent jamais un mot autre que « bonjour ».

    Ils sont toujours pressés, moins que les Parisiens tout de même, avec les yeux sans cesse en mouvement. Tous, sans exception, possèdent une mallette rigide verrouillée et attachée au poignet par une chaînette inviolable.

    En deux semaines, Hugues les a tous photographiés, à leur insu, et tous identifiés par la suite la nuit, toujours parfaitement imperceptible.

    Sans citer de noms, il a, dans sa clientèle, toute la crème du Kremlin (sans vilain jeu de mots).

    Politiques, militaires, barbouzes et même les hauts dignitaires de l’Église Orthodoxe utilisent son bus, qui n’a jamais une minute de retard, et dont le chauffeur est d’une discrétion exemplaire.

    Ce jeudi au poste 1, un inconnu muni d’un badge pass officiel grimpe dans le bus et s’installe au quatrième rang, côté droit, donc côté trottoir puisqu’ici on roule à droite (en principe).

    Hugues a le réflexe de faire pivoter une petite caméra, au moment où le bus s’ébroue pour couvrir le moindre bruit perceptible et donc identifiable.

    Le client n’a rien vu de la manœuvre du chauffeur et se contente de regarder son journal qu’il tenait sous son bras en montant les trois marches d’accès.

    En y repensant, Hugues se dit qu’il tenait son journal avec une forte pression de son bras gauche contre son buste.

    Curieux pour un journal de quelques pages.

    Tout en restant vigilant sur sa conduite, il surveille du coin de l’œil cet individu dont il ne connaît pas le pedigree.

    Le prochain arrêt est celui de l’Évêché où un prélat, toujours le même, grimpe chaque jour à la même heure.

    Avec son bruit caractéristique, la porte s’ouvre en s’escamotant totalement pour libérer le passage entièrement.

    Pour certains clients, l’ouverture est à peine suffisante et ils se présentent en biais, toujours de la même manière.

    C’est le cas du curé. Gras comme un moine, il souffle comme un bœuf pour monter les trois marches et peste dans sa longue barbe blanche de père Noël.

    Aujourd’hui, comme tous les matins, la procédure est strictement identique…

    À un détail près.

    Le mouvement de l’homme sur le quatrième siège provoque un réflexe spontané.

    Du regard, sur l’écran de la caméra, Hugues voit le client pointer un flingue automatique sur le curé.

    Par réflexe instantané, il saute sur le curé et l’entraîne dans sa chute jusque sur le trottoir.

    Les deux coups de feu lui ont déchiré les oreilles. La première balle a percé l’épaule du malheureux curé, et la seconde a éclaté le pare-brise du bus.

    Le temps de se relever, avec l’aide des trois autres passagers assis au fond du bus, le tireur a pris la fuite par la porte arrière de secours.

    Quatre minutes plus tard (chez eux ça va vite), la police arrive en même temps que l’ambulance qui prend en charge le curé pour le mener à l’hôpital.

    Les trois passagers et le conducteur du bus sont manu militari poussés dans un mini bus de la police, avec interdiction de se parler, et menottés d’une main à un rail cylindrique. Deux gardiens restent assis, en faction, avec eux.

    Ils sont conduits au poste de police le plus proche, soit à cinq cents mètres environ.

    Les trois clients, dont les noms n’ont aucune importance, sont fouillés et questionnés individuellement dans des pièces séparées.

    L’obligation d’ouvrir leur mallette sécurisée est contestée vertement, et il faut faire appel à un médiateur extérieur pour calmer le jeu, qui n’a rien d’un jeu, et pour que chacun obtempère.

    Le résultat négatif devant le médiateur qui prend des notes et des photos pour argumenter son travail, laisse comprendre à ce dernier l’importance des documents épluchés.

    Les trois individus recèlent des informations militaires stratégiques et top secret. Aucun des trois ne connaît le contenu de ce que les deux autres transportent.

    Le cloisonnement rigoureux est facilement accepté et oublié par les enquêteurs policiers. Pour le médiateur, par contre, la situation est très différente.

    Il a compris que les trois dossiers réunis, bout à bout, concernent la stratégie militaire avec les villes à frapper en Ukraine dès demain.

    Tout est consigné, ligne par ligne, et mot par mot, avec une obligation de résultat qualifié en pertes acceptables et de pertes évaluées pour l’ennemi.

    L’homme, le médiateur, loin d’être un con, comprend immédiatement qu’il aurait mieux fait de rester chez lui ce matin.

    Il referme sa sacoche et se relève de sa chaise, la main tendue pour saluer l’officier de renseignements. Mais celui-ci refuse cette main tendue en grimaçant, et le médiateur comprend qu’il a mis les pieds dans la merde… profonde.

    Sans bouger un œil, l’officier patiente, lorsque trois barbouzes, taillés comme des armoires à glace, pénètrent dans la salle d’interrogatoire et embarquent le médiateur, soulageant l’officier qui les remercie d’un geste de la tête.

    Qu’est devenu cet homme par la suite ?

    Nada, aucune possibilité de contrôler quoi que ce soit et en toute chose le cloisonnement reste impossible à contrer.

    Cette stratégie a été élaborée par un homme, chef du KGB, il y a quelques décennies, un dénommé VP.

    Après trois heures d’interrogatoire, les trois individus réclamés par un Général sont relâchés.

    Pour le conducteur du bus, la situation est plus périlleuse. Son dossier « employé », ses papiers, sa situation familiale… tout est épluché et passé au peigne fin.

    L’intervention de son employeur, qui déjà privé d’un véhicule voudrait bien récupérer son meilleur élément, n’apporte aucun résultat tangible.

    Sergeil Piezanowski fait mine de se montrer inquiet et obtempère à toutes demandes des enquêteurs qui se relaient en posant toujours les mêmes questions pour le déstabiliser.

    Il est soupçonné d’avoir organisé l’attentat.

    Même si les faits contredisent cette hypothèse, les flics veulent un coupable, et le tireur reste introuvable.

    À vingt heures, Sergeil retourne dans sa cellule pour y passer la nuit, sans manger ni boire.

    23 h

    Coup de théâtre.

    L’archevêque de Moscou en personne arrive, accompagné par trois malabars, avec un ordre écrit du ministère pour la libération immédiate du héros qui a risqué sa vie pour sauver le Père Ivanow, évêque de l’Église cistercienne St Henry.

    Sergeil Piezanowski, alias Hugues de la Vilardière, est donc à nouveau un homme libre.

    Mais il sait, il les a vus. Deux barbouzes, armés comme des porte-avions, sont collés à ses basques, avec probablement des ordres le concernant.

    Sergeil est accueilli avec les honneurs par les moines cisterciens de l’Évêché.

    Au fond de la salle, assis sur un siège qui a tout l’air d’un trône, sa toque bien vissée sur la tête et la barbe fleurie, le Père Ivanow lui fait signe de s’approcher.

    Sergeil s’exécute et lorsqu’il fléchit le genou pour le poser au sol, l’Évêque l’interrompt.

    — Non ! C’est plutôt à moi de m’agenouiller devant toi pour ton courage !

    Aujourd’hui je te dois d’être encore en vie. Même si Dieu a guidé ton acte et ta main, c’est toi qu’il a choisi pour ce faire !

    Tu as ma reconnaissance ad vitam aeternam, et cette maison est désormais aussi la tienne !

    Demain, je t’en donne ma parole, toute la Sainte Église et tous les Orthodoxes connaîtront ton nom et béniront ton courage !

    Merde, manquait plus que ça, se dit Hugues. Pour passer inaperçu, c’est raté complet. Va falloir remédier au plus vite pour renverser la vapeur.

    En même temps, c’est aussi le meilleur moyen d’échapper aux deux quidams qui l’attendent au-dehors.

    Son cerveau est déjà en ébullition lorsqu’un moine vient le chercher pour le conduire à sa cellule.

    Inquiet, il suit son guide. Mais la cellule en question est un quatre étoiles par rapport à celle des flics.

    La nuit porte conseil, paraît-il.

    Le lendemain matin, la nuit a fait son travail en matière de conseil. Aux matines, sonnées à sept heures, Sergeil est assis au côté du Père Ivanow. Il en profite pour lui demander une audience privée dès la fin de leur collation.

    Quelques minutes plus tard, en son bureau, le père Ivanow l’écoute attentivement.

    — Je vais vous demander votre aide mon père, car je suis en grand danger !

    — Diantre ! J’ai bien failli dire diable ! De quoi s’agit-il ?

    — Deux agents de l’ex-KGB sont collés à mes basques ! Ils savent que je suis ici et ils m’attendent patiemment à la sortie pour me régler mon compte !

    — Merde ! Dis-moi quoi faire, et comment !

    — Ils attendent Piezanowski ! Mais si c’est un moine qui sort, en compagnie d’autres moines, ils n’y verront que du feu.

    — Pas con ! Et on les laissera prendre racine pour leur montrer à quel point ils sont cons, eux !

    — Il faudrait aussi différer votre annonce…

    — J’ai compris ! Tu préfères filer en douce pour avoir la paix !

    — Et surtout pour mettre les miens à l’abri, avant qu’ils ne comprennent que je leur ai faussé compagnie !

    — Ça marche ! Tu garderas ta robe de bure le temps qu’il te faudra, et même s’il te faut quitter le pays !

    Accorde-moi une journée pour te fournir une identité monastique ! Comme ça tu seras invisible !

    — Merci mon père !

    — Père Ivanow je préfère !

    J’organise ta fuite, ne t’inquiète pas ! Demain tu seras hors du pays et de nouveau un homme libre !

    Le lendemain matin :

    Sergeil est aux petits soins. Outre sa robe de moine, rêche comme un papier de verre, un prêtre lui confectionne une tonsure magnifique, et un autre lui colle une barbe postiche bien ajustée et finement peignée.

    En fin, la calotte vient parfaire sa panoplie.

    Sergeil admire son reflet dans un grand miroir, reconnaissant de la dextérité et de l’implication des deux frères cisterciens.

    L’évêque Ivanow arrive, debout sur ses pieds et l’air guilleret.

    — Eh bien sauveur, te voilà méconnaissable ! Merci mes frères du travail remarquable que vous avez accompli !

    Vous accompagnerez notre ami là où il vous le demandera ! Une fois en sécurité seulement, vous reviendrez à l’Abbaye !

    Les deux jeunes novices remercient l’Évêque et quittent la pièce.

    — Bon, écoute-moi Sergeil ! Ou, quel que soit ton nom, je ne veux rien savoir de plus ! Un homme interrogé ne peut communiquer ce qu’il ignore, pas vrai ?

    Et je suis quasi certain que je serai bientôt interrogé, donc aujourd’hui je suis mal en point et je retourne à l’hôpital du temps que tu fileras en douce !

    — Vous êtes redoutable Père Ivanow !

    — Bien plus que tu ne l’imagines mon garçon !

    C’est difficile à avouer pour un homme d’Église, mais je hais la tournure actuelle des évènements, et je hais ceux qui gèrent ce désordre et mettent mon pays dans ces conditions exécrables ! Je hais aussi les responsables, irresponsables, qui nous colorent de rouge aux yeux du monde !

    Je te fais un point rapide, et après tu files là où tu dois aller, jusqu’à Paris si tu le souhaites !

    Voilà tous tes papiers, faux, mais en règle !

    Tu dois connaître par cœur ton nouveau nom et le pedigree qui va avec et que tu détruiras au plus vite !

    Ensuite, je te confis cette carte SD ! Dessus se trouvent toutes les réponses aux questions que tu ne m’as pas posées !

    Si tu es pris, tu la détruis en la croquant et tu avales le tout !

    Reste en vie mon garçon ! Tu es un homme précieux pour faire savoir à tous ce qu’il y a à connaître !

    Ne te fie à personne, méfie-toi de tes amis, et évite la mafia russe à Paris, qui en fait est peuplée d’espions au service de Moscou !

    Tous les énarques européens le savent, mais aucun n’a les couilles pour intervenir ! Ils ont tous la trouille de Poutine, et Poutine entretient cette pression sur eux !

    Tu vas repartir avec un énorme bagage de connaissance, mais c’est aussi un très lourd fardeau à porter !

    Pour ta dernière information, l’homme qui a tiré sur moi m’a confondu avec l’Archevêque ! Tu comprendras rapidement pourquoi !

    L’Évêque attrape Hugues et le serre très fort dans ses bras.

    Tu es le plus valeureux des fouille-merdes que j’ai rencontré ! File !

    — J’espère que nous nous reverrons un jour Père Ivanow !

    — L’espoir est la force de la vie mon garçon ! Alors, continue à espérer aussi longtemps que possible !

    Deux véhicules sortent de la cour de l’abbaye par le grand portail, aussitôt refermé, épiés à la jumelle par les deux sbires du Kremlin.

    — Coupe-leur la route, vite ! Je veux savoir où ils vont !

    Les deux voitures stoppent, devant les fusils d’assaut pointés sur eux.

    — Vous allez où comme ça ?

    — Nous accompagnons notre Évêque à l’hôpital ! Il ne va pas bien du tout, ils l’ont laissé sortir trop tôt !

    — Et pourquoi deux voitures ?

    — Si on laisse la voiture personnelle de monseigneur sur place, on rentre comment gros malin ?

    L’agent s’écarte, vexé, et s’approche du second véhicule pour constater. L’Évêque est couché sur le dos, à l’arrière du gros break, apparemment dans le potage.

    — Bon, allez-y ! Vous rentrez à quelle heure ?

    — Demande à Dieu ! Lui seul connaît la réponse !

    — Revexé… Allez, vous pouvez passer !

    En fait, le moine qui a répondu est le dernier arrivé à l’abbaye et le premier à en repartir… définitivement.

    Il se nomme Michel de l’ Hospital, selon ses papiers.

    Chapitre II

    Le vol

    Sur le vol Moscou/Ankara, le moine assis sur le siège 101 détonne dans le paysage par sa tenue austère.

    Sa bible posée sur ses genoux fait office de support au carnet sur lequel il écrit sans discontinuer, ne relevant le nez que toutes les dix ou quinze minutes, le regard dans le vide, pour réfléchir avant de replonger dans ses écrits.

    Il est seul sur son rang de trois places, l’avion est tout juste à un quart de sa capacité et aucun personnel navigant ne vient proposer ses services.

    L’atmosphère s’en trouve presque aussi austère que la burne du moine. Quasi personne ne parle, pas d’infos ni musique, et le silence n’est troublé que par le bruit des réacteurs.

    On se croirait revenu à l’époque de l’Union soviétique, où voyager vers Moscou relevait d’une véritable sinécure. Avec des militaires qui vous imposaient votre siège, avec interdiction d’en bouger et de parler, attaché sur le siège de bois d’un vieux coucou équipé de moteurs à hélices, brinquebalant dans tous les sens et dans un boucan d’enfer. Le tout sous les regards haineux des soldats constamment le doigt sur la gâchette de leur mitraillette.

    Hugues, incessant voyageur, se dit que le retour à cette période est déjà bien engagé. Même si les moteurs sont moins bruyants, le reste pue la marche arrière à plein nez.

    Il se demande si les passagers vont applaudir quand l’avion se posera au sol, se souvenant de cette particularité la première fois qu’il est venu à Moscou.

    C’était il y a quarante ans, juste avant la chute du mur de Berlin.

    Du coup, il se remémore cette période très tourmentée, où son job de flic infiltré à Interpol l’avait contraint à quitter la capitale russe par voie terrestre au volant d’une Lada délabrée sur des routes défoncées, encore plus délabrées que sa voiture. Qui d’ailleurs avait rendu l’âme en arrivant à Varsovie.

    Même en Pologne, cette atmosphère puante d’après-guerre était omniprésente. Il avait évité la Tchécoslovaquie à cause du risque majeur de ne pas réussir à franchir les barbelés.

    Prague semblait tout droit sortie du moyen-âge dans la noirceur de ses bâtiments et ses rues envahies de corbeaux.

    Plongé dans ses pensées, le crayon couchant seul une ribambelle de notes sur le feuillet, il n’a pas vu arriver la personne qui vient lui tapoter l’épaule gauche, provoquant un sursaut et la coupure du film de sa mémoire.

    — Ça va monsieur ? lui demande la femme.

    Il ne répond pas et écrit sur une page blanche un seul mot de quatre lettres.

    Muet.

    La femme, d’une quarantaine d’années environ, s’excuse et retourne aussitôt à sa place, confuse et admirative.

    Elle, le cul bénit de la famille vient de toucher l’épaule d’un moine scribe et muet, dans un avion en vol pour la Turquie.

    Le must du must pour alimenter les potins à son retour.

    Dommage que les réseaux sociaux soient coupés et interdits en Russie, elle aurait fait le buzz à coup sûr.

    Cet aparté ne semble pas avoir affecté le moine, qui continue de coucher ses lignes sans discontinuer sous le regard en coin de la femme, qui continue de l’observer, dans l’espoir d’obtenir une particularité pour étayer ses dires à son retour.

    Mais rien ne vient. Il va lui falloir inventer l’environnement et quelques croustillants.

    Elle n’est pas inquiète, en reine des commérages qu’elle est, elle se catalogue comme plutôt douée.

    Pourtant, sa ténacité est récompensée quand le moine passe du vert au rouge. Il arrache sa page d’un geste rageur et la froisse en boule pour la jeter dans la petite poubelle, avant de refermer son gros bloc note format A4.

    C’est bon, elle tient son scoop.

    Mais ce scoop justement va retomber comme un soufflet, quand le moine tourne la tête vers elle.

    Il plisse les yeux, et libérant ses babines, lui montre les dents simulant un grognement féroce et muet.

    Les yeux exorbités par la panique, la femme morte de trouille en pisse dans sa culotte. Son scoop ne verra jamais le jour, l’humiliation serait immédiate tant son audimat de poules qui caquettent est con.

    Dommage, se dit-elle en gagnant les toilettes, son sac à la main, pour aller se changer.

    À son retour, le moine est replongé dans son rôle de scribe, mais elle évite de porter son regard sur lui.

    Quelques minutes plus tard, c’est au tour du moine de prendre la direction des WC, son carnet coincé sous le bras.

    Il passe à côté d’elle sans lui adresser un regard. Dès qu’il a refermé la petite porte, elle fonce vers le siège 101 et plonge la main dans la poubelle pour récupérer la boule de papier froissé.

    Elle écarquille des yeux furieux en lisant…

    « La curiosité est un vilain défaut ».

    De colère, elle refroisse le papier et le jette dans la poubelle, furieuse de s’être fait berner. Roulée dans la farine par un moine… pfuuu.

    À son retour, celui-ci lui adresse un sourire goguenard, appuyé d’un geste du menton qui veut dire « alors ».

    Assis de nouveau à sa place, il reprend son Bic et poursuit son ouvrage.

    L’avion se pose sur le tarmac de l’aéroport d’Ankara sans que personne n’applaudisse à l’exploit du pilote.

    Le moine se lève de son siège le premier et vient se poster face à la femme devant laquelle il déplie sa feuille manuscrite.

    « Merci de m’avoir tenu compagnie. Votre présence a révélé toute sa lumière à ce voyage maussade. Je ne vous oublierai sans doute jamais ! »

    Les yeux qui le regardent laissent perler des larmes, alors il se baisse et lui colle un baiser sur le front avant de tourner les talons.

    Il est malin le bougre.

    Il sait très bien qu’elle va conserver ce message comme une relique, rien que pour elle, cachée dans une boîte secrète.

    Jamais elle ne partagera ce voyage avec les commères du quartier, qui de jalousie lui feraient la gueule.

    Ce trésor qu’elle ramène est le sien, et jalousement elle le gardera pour elle seule au fond de sa mémoire et au fond de son cœur de femme.

    Tous les passagers en transit sont « accompagnés » par des militaires…

    À travers la vitre, Hugues repère la femme de l’avion qui le regarde avec le sourire aux lèvres. Il lui envoie un signe amical de la main.

    Elle lui répond en collant un baiser dans le creux de sa main qu’elle lui transmet en soufflant dessus. La jeune fille qui l’attendait, sa fille probablement, lui colle une fausse tape derrière les oreilles, avec un mot que Hugues ne décrypte pas. Malgré tout, elle lui répond du même geste amical.

    Il y a encore des gens bien dans ce monde, se dit Hugues, pourquoi en tuer autant.

    Au tableau, le vol Ankara/Paris Roissy est affiché. Il y a une heure trente à patienter dans la zone de transit.

    Aucune boutique duty-free n’égaie la salle d’attente qui porte bien son nom, attente.

    Un seul bureau est ouvert en cas de modification possible suite à une anomalie ou un retard.

    Hugues attend le dernier moment pour réclamer une modification sans possibilités de remboursement.

    Un vol en partance pour Turin est affiché et des places sont disponibles. L’hôtesse modifie son billet et lui souhaite « bon voyage, mon père ».

    Il la remercie et s’éloigne en suivant les consignes affichées en gros caractères, en Turc, et dans la langue de destination, en Italien en l’occurrence.

    Son vol est plus court, mais il lui faudra prendre, soit un autre vol, soit un autre moyen de transport pour aller à Paris.

    Dans l’avion qui va bientôt décoller trente-sept minutes après celui de Roissy, rares sont les places inoccupées, à l’opposé de son vol précédent.

    Dans la totale indiscipline, tous parlent en même temps haut et fort pour se faire entendre, surtout les Italiens dont le débit verbal rivalise aisément avec les Espagnols.

    Seul dans son coin, assis près d’un hublot, le moine poursuit son écriture, interrompue en salle de transit pour ne pas se faire remarquer.

    Du fait du remue-ménage permanent à bord, écrire est compliqué en restant vigilant. Il opte pour une écriture feinte et se concentre sur tout ce qui se passe autour de lui.

    Peu de temps avant l’atterrissage, une trentaine de minutes environ, le commandant de bord fait une annonce au micro.

    — Je réclame votre attention et un peu de silence s’il vous plaît ! Un drame s’est produit sur un vol de notre compagnie. Je passe tous les écrans en mode info sur le chanel dédié !

    Nos hôtesses prendront vos questions et nous tenterons de vous apporter des réponses, dans la mesure du possible !

    L’animatrice de la chaîne info de Berlusconi a une tronche d’enterrement lorsqu’elle prend la parole. Les yeux humides, elle a du mal à s’exprimer.

    — Un de nos appareils s’est écrasé dans les Alpes. Il n’y a aucune possibilité de survivants envisageable après une chute de cette violence !

    Nous n’avons pas encore de précision ni d’images à vous montrer, mais il semblerait qu’une explosion se soit produite en plein vol, alors que la météo était parfaite !

    Des équipes d’enquêteurs sont en route pour couvrir la zone du crash avec l’aide des Français de la chaîne BVS TV.

    Dès que nous aurons des informations précises, nous reprendrons les interruptions de programmes pour vous tenir informés !

    Je vous demande d’excuser mon trouble, mon amie est hôtesse sur ce vol, et il est probable que je demande à être remplacée à l’antenne pour me rendre sur place !

    L’image live est coupée et remplacée par un bandeau défilant donnant les mêmes arguments que ceux annoncés en direct.

    L’angoisse et le respect ont chassé le brouhaha des passagers.

    Hugues a compris. Il est le seul à avoir une explication tangible concernant cet accident. L’avenir très proche apportera confirmation ou infirmation, mais le hasard n’existe pas, et aujourd’hui dans ce monde de fous furieux dénués de valeurs, la vie humaine n’a aucune importance.

    Si, comme il le pense, la cible est un moine, il a intérêt à changer de costume en vitesse.

    Assis sur son siège, il a beau cogiter, aucune occasion de se transformer ne se présente sans risque.

    Piquer des fringues dans une valise et se faire choper n’est pas envisageable. Trop dangereux.

    Si ce sont les Russes qui ont abattu l’avion dans lequel il était supposé voyager, il a encore

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