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L'arbre des couscous: Unité et diversité d’un patrimoine
L'arbre des couscous: Unité et diversité d’un patrimoine
L'arbre des couscous: Unité et diversité d’un patrimoine
Livre électronique322 pages4 heures

L'arbre des couscous: Unité et diversité d’un patrimoine

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À propos de ce livre électronique

Rachid Sidi Boumedine, qui a déjà signé un ouvrage sur les cuisines, revisite les mille et une manières de nommer, de préparer le couscous, en rapport avec les moments, les lieux, les motifs et les circonstances de sa consommation en cercle plus ou moins intime, dans une commensalité ordinaire ou solennelle.
Pour secouer nos mémoires afin de les arracher à la somnolence qu’engendrent le familier et les fausses évidences, Rachid Sidi Boumedine nous plonge dans l’histoire longue pour nous convaincre de l’ancestralité de ce mets. En suivant les traces du couscous, on découvre le pointillé des voies et des chemins que l’écume des siècles a recouvert. On se résout à admettre, avec l’auteur, que « l’approche par les rites et consommations alimentaires est susceptible de montrer que là où on nous propose coupure, nous pourrons reconstruire des continuités ». Pas à pas, il retisse la toile, reconstruit les liens et, pour reprendre ses mots, suture les coupures imposées par les idéologies et les aléas de l’histoire. Le couscous, concentré de codes, de signes et de manières de vivre, se révèle alors comme une sorte de condensé de l’histoire sociale, politique et culturelle. Avec cette leçon magistrale, l’auteur a réussi son pari et relevé ledéfi de nous convaincre de la nécessité de résister au piège dela familiarisation que les sociologues appellent « l’illusion de la transparence ». On en sort avec cette conviction : la connaissance requiert, au préalable, de ne pas se fier aux idées reçues et de s’appliquer à mettre à distance les consensus superficiels. En adoptant ce programme, l’auteur a beaucoup appris sur le couscous et a fini par nous proposer un ouvrage aussi riche qu’agréable à lire. En refermant le livre, le lecteur ne mangera plus le couscous avec la même désinvolture qu’avant. Il le goûtera désormais par tous ses sens.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Sociologue et urbaniste, Rachid Sidi Boumediene a enseigné et dirigé plusieurs organismes publics d›étude et de recherche, et travaillé comme expert auprès d’institutions nationales et internationales. Il s’est également consacré à l’écriture, notamment sur les villes et le patrimoine. 
LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie25 avr. 2024
ISBN9789947396919
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    Aperçu du livre

    L'arbre des couscous - Rachid Sidi Boumediene

    978994739687.jpg

    L’ARBRE DES COUSCOUS

    Unité et diversité d’un patrimoine

    Rachid SIDI BOUMEDINE

    L’ARBRE DES COUSCOUS

    Unité et diversité d’un patrimoine

    CHIHAB EDITIONS

    ******

    © Éditions Chihab, 2023.

    www.chihab.com

    Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91

    ISBN : 978-9947-39-687-2

    Dépôt légal : mars 2023.

    Préface

    En réagissant à l’inscription du couscous au patrimoine de l’humanité, Rachid Sidi Boumedine, qui a déjà signé un ouvrage sur les cuisines, exprime un certain dépit. Non pas pour contester cette patrimonialisation qu’il trouve justifiée et méritée, mais pour déplorer l’indigence de l’argumentation du dossier. Il décide alors de le rouvrir à nouveaux frais avec l’objectif d’aller au-delà des arguments piégés par les évidences et plus loin que les propos convenus consacrant le consensus entre pays que met en avant l’UNESCO. Il s’attache alors à mettre en relief les multiples facettes et toutes les dimensions qui, à ses yeux, auraient mérité d’être mises en avant à cette occasion. Pour ce faire, il revisite les mille et une manières de nommer, de préparer ce plat, en rapport avec les moments, les lieux, les motifs et les circonstances de sa consommation en cercle plus ou moins intime, dans une commensalité ordinaire ou solennelle.

    En suivant l’auteur dans sa quête effrénée des pratiques et des usages, factuels et symboliques, relatifs à ce plat, le lecteur voyage dans le temps, traverse des déserts, franchit des frontières, des mers et des océans. Au fil de cette odyssée, son bagage s’alourdit et il se retrouve enseveli sous les données historiques, économiques, sociologiques et anthropologiques. Car, pour saisir le monde du couscous, l’auteur ne lésine sur rien et ne néglige aucun domaine.

    En chercheur avisé, le sociologue Rachid Sidi Boumedine aborde son objet en élargissant la focale. Le couscous est appréhendé à la fois comme matière nourricière, mais aussi comme une modalité de se nourrir et d’être, requérant une approche non pas pluridisciplinaire, mais transdisciplinaire. Pour questionner l’acte de se nourrir, l’auteur mobilise concurremment l’histoire (longue et immédiate), la géographie mais aussi la sociologie, l’anthropologie, la philologie et n’hésite pas à faire des incursions en ethnolinguistique pour décoder mots, dictons et autres proverbes.

    Après avoir posé le cadre et évité les quiproquos, après avoir montré la richesse des appellations et des manières de l’apprêter, Rachid Sidi Boumedine s’intéresse à la dimension anthropologique et symbolique de la commensalité au travers des rituels associés aux moments ordinaires et cérémoniels de la consommation de ce plat.

    Au fil de la lecture et à la lumière des données qui s’accumulent, le couscous s’impose comme un « fait social total » (M. Mauss) qui concerne la totalité de la société et de ses institutions. Il est tout à la fois nourriture hygiène, diététique et soin. Sa préparation et sa consommation interpellent à la fois « les manières de table », le goût, le raffinement ; mais aussi les compétences et les statuts.

    S’élevant au-dessus des données ethnographiques touffues et cherchant à rendre la lecture de son ouvrage aussi digeste et goûteuse que l’objet dont il est question, Rachid Sidi Boumedine divise le livre en deux grandes parties. Il consacre la première à régler la question patrimoniale du couscous, entre l’ancien et le nouveau. Le lecteur, même le plus initié, se trouvera surpris par la variété des noms du couscous en Algérie, dans la région du Maghreb et ailleurs, à commencer par le monde berbère où le générique couscous est une appellation se déclinant en plusieurs phonétiques : kuskusi, saksou, kusksu, kousksi. Le berbère possède aussi un autre mot : aberbouch ou berboucha (arabisé).

    Parallèlement à ces dénominations berbères, le couscous possède d’autres noms en arabe. Il se dit na’ma, ’aysh et t’aam, trois vocables renvoyant tous au même connotatif : la vie. Le couscous est plus qu’un plat qui nourrit (t’aam) et fait exister (’aysh), il est une grâce (na’ma).

    Si la racine kuskus est la plus fréquente pour désigner ce met, un peu partout dans les contrées où on le rencontre, il porte quelquefois d’autres noms. Au Moyen-Orient, il est désigné par l’appellation moghrabieh, en référence au Maghreb, sa région matricielle, et quelquefois par le mot maftûl (roulé), du verbe ftal qui veut dire rouler ou enrouler. En dehors du monde arabe et berbère, à l’exemple de la région du Sahel, des noms ‎puisés dans les idiomes locaux désignent ce plat et constituent des sortes ‎d’indicateurs, voire de buttes, témoins de l’étendue d’une aire culturelle. ‎

    Toutefois et malgré leur nombre, les appellations génériques du couscous restent limitées. En revanche, les dénominations locales des plats sont innombrables. La région, les ingrédients, le type de céréale, la grosseur du grain, les façons de le faire cuire sont autant de facteurs qui concourent à distinguer un couscous d’un autre. Les nombreuses manières de les associer et de les croiser démultiplient encore davantage les variantes et types de couscous et partant, les noms qui les désignent.

    Tout en se régalant de précieux détails sur les manières de préparer ou de consommer, le lecteur se nourrit d’une érudition foisonnante qui déborde de ces mots savamment agencés et élargit l’horizon. On découvre le monde raffiné du savant et musicien Ziryab, les goûts culinaires du grand médecin persan Avicenne. On apprend que le grand scientifique perse, ar-Râzi, tout comme le célèbre philosophe et médecin cordouan, Averroès, se sont intéressés à la diététique et ont laissé des traités sur les aliments.

    La seconde partie est une véritable anthologie des couscous, soutenue par des données historiques et éclairée par des percées anthropologiques. Nous saurons tout sur les différents couscous, secs ou arrosés, sucrés ou salés, avec ou sans viande, au poisson, assortis de fruits secs ou frais.

    Pour distinguer le couscous ordinaire du couscous festif, Rachid Sidi Boumedine commence par évoquer les multiples variétés de pâtes (fdaouch, chakhchoukha, thrida, rechta et autres) qui s’en rapprochent plus ou moins. Comme tous ces plats, le couscous est consommé dans les temporalités ordinaires mais se caractérise, tout de même, par un point essentiel. Il demeure le seul plat dédié à la célébration collective, ponctuant les moments d’allégresse et les épisodes d’affliction.

    Ne se contentant pas de mettre en évidence cette singularité sur le plan du symbolique, Rachid Sidi Boumedine réprime difficilement l’envie de nous parler encore et davantage de tous ces plats et sous tous les angles. Il finit par compatir, évitant au lecteur le risque de s’égarer en perdant le fil de l’écheveau.

    Il poursuit alors sur sa problématique principale, celle de la singularité du couscous au regard des autres mets. Plat du dedans et du dehors, de l’intime et du public, il est consommé ordinairement à la maison mais aussi en offrande à l’extérieur. Il est servi lors des manifestations festives et dans les cérémonies les plus solennelles. Le traitement et l’analyse des données recueillies par l’observation et l’enquête documentaire établissent la centralité du couscous dans l’échange, le don et le contre don. Il apparaît clairement que le couscous sert d’abord à (re) construire le lien social et autorise à soutenir qu’il est à la fois signe et signifiant.

    Pour secouer nos mémoires afin de les arracher à la somnolence qu’engendrent le familier et les fausses évidences, Rachid Sidi Boumedine nous plonge dans l’histoire longue pour nous convaincre de l’ancestralité de ce mets berbère attesté depuis la nuit des temps. Marqueur de l’identité berbère et traceur de son aire d’influence, le couscous est présent bien au-delà du nord de l’Afrique, sa terre d’origine où il est signalé depuis les époques romaine et phénicienne. Certaines sources le font remonter « au règne du roi berbère Massinissa, c’est-à-dire entre 238 et 149 avant Jésus-Christ », nous dit l’auteur.

    Signe d’une certaine profondeur historique qui l’enracine dans ces terres du nord de l’Afrique, le couscous montre également l’étendue de l’influence géographique de cette région, aussi bien en direction de l’est (au Moyen-Orient) et de l’ouest (péninsule Ibérique) que vers le sud (Sahel et au-delà).

    Né dans ces contrées berbères, le couscous va voyager au gré des conquêtes et des expéditions. Il parvient en Orient et dans la péninsule Ibérique (Espagne, Portugal) à l’époque almohade, au XIIIe siècle. Il semble avoir voyagé jusqu’en Perse par le biais des Ottomans, présents au Maghreb du début du XVIe siècle jusqu’à la conquête d’Alger par la France. Cette dernière va, à son tour, l’intégrer à son art culinaire confirmant ainsi le couscous comme lieu de croisement et de métissage. Il est un point de jonction entre l’Orient et l’Occident, le Moyen-Orient et l’Andalousie, l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne.

    En suivant les traces du couscous, on découvre le pointillé des voies et des chemins que l’écume des siècles a recouvert. On se résout à admettre, avec l’auteur, que « l’approche par les rites et consommations alimentaires est susceptible de montrer que là où on nous propose coupure, nous pourrons reconstruire des continuités ». Pas à pas, il retisse la toile, reconstruit les liens et, pour reprendre ses mots, suture les coupures imposées par les idéologies et les aléas de l’histoire. Le couscous, concentré de codes, de signes et de manières de vivre, se révèle alors comme une sorte de condensé de l’histoire sociale, politique et culturelle.

    Avec cette leçon magistrale, l’auteur a réussi son pari et relevé le défi de nous convaincre de la nécessité de résister au piège de la familiarisation que les sociologues appellent « l’illusion de la transparence ». On en sort avec cette conviction : la connaissance requiert, au préalable, de ne pas se fier aux idées reçues et de s’appliquer à mettre à distance les consensus superficiels. En adoptant ce programme, l’auteur a beaucoup appris sur le couscous et a fini par nous proposer un ouvrage aussi riche qu’agréable à lire. En refermant le livre, le lecteur ne mangera plus le couscous avec la même désinvolture qu’avant. Il le goûtera désormais par tous ses sens.

    Moussaoui Abderrahmane

    Professeur en anthropologie

    Université Lyon 2

    Avertissement :

    Un lecteur averti en vaut deux

    Pourquoi avertir le lecteur pour un sujet qui, non seulement semble ne présenter aucune difficulté de lecture mais, plus que cela, est un terrain fréquenté par chacun de nous depuis sa plus tendre enfance ! Nous en avons tous une telle expérience que cela semble superflu, à la limite du ridicule, de prévenir quelqu’un que l’on va lui parler d’une question qu’il (pense maîtriser) maîtrise parfaitement.

    Justement, le piège est dans la familiarité. Pas dans le fait de savoir mais dans l’illusion de savoir que crée cette familiarité de tous les jours. Il faut dire que l’illusion de connaissance repose surtout sur notre expérience gustative des couscous, parfois même sur notre art de leur confection, mais elle ne porte pas sur le pourquoi ni le comment des façons de le consommer et qui ont fait de ce plat, très varié dans sa diversité, un patrimoine immatériel partagé.

    Ce n’est donc pas le fait de parler du couscous comme met qui présente un problème mais le fait de tenter, comme ici, d’établir et d’illustrer comment et en quoi il est un patrimoine immatériel. C’est-à-dire de quelque chose que chacun considère comme sien, comme une propriété personnelle et collective.

    Et c’est là que commencent les problèmes, chacun disant ou pouvant dire « chez nous, on fait comme ceci ou comme cela ». Il n’y a qu’un pas qui nous sépare d’un absolu du genre « c’est comme ceci qu’on fait le couscous ». Ce genre d’affirmations, chacun peut les faire tant en ce qui concerne les recettes (de couscous qu’on mange seulement à la maison ou à l’occasion de fêtes) que les circonstances qui font qu’on mange plutôt telle sorte de couscous que telle autre.

    Et nous avons donc, si nous nous en tenons aux discours des uns et des autres, autant de manières de faire qu’il y a de régions, de villes, de villages… presque de familles. Il faut donc, pour y voir plus clair dans ce qui est un patrimoine partagé, trier les manières de faire et les circonstances/conditions où on consomme ces variétés, les classer et en tirer des régularités, du sens à travers le pourquoi et le comment.

    J’ai donc créé une façon de classer les sortes de couscous en fonction de ce double point de vue (critère) : celui de la manière de préparer les différentes variétés, leurs principaux ingrédients, d’un côté, et, de l’autre, celui des circonstances de la consommation (pour la famille, pour les invités, à destination d’étrangers).

    C’est de ce double classement objectif, à travers toute l’Algérie, que nous pouvons faire surgir ce que nous avons tous en commun, dans les manières de faire et dans les manières de consommer, et ce que nous avons, tous, comme originalité.

    Je ne consacrerai aucune place aux « outils » : les keskes, gassaa, djefna et autres s’han, tous ces vastes plats où il se roule, se refroidit, se déguste aussi parfois, pour me consacrer à un objet central, celui des manières dont nous pratiquons les couscous et ce que cela recouvre comme système de pratiques et de valeurs sociales.

    Cette façon de procéder m’a permis aussi de mettre en lumière certaines préparations particulières qui font parfois la spécificité et la fierté de leur région. Mais c’est aussi en raison des capacités d’innovation des familles dans chaque région, en profitant de toutes les ressources locales, qu’il est vain de prétendre faire un inventaire complet des couscous tant les variantes abondent.

    Il en résulte des nuances infinies dans les recettes, les dosages ou les listes d’ingrédients, les modes de cuisson, et qui font que les « frontières » entre régions et sous-cultures resteront floues.

    D’autant plus floues que les facteurs démographiques – les mariages et les migrations qui se sont amplifiés et accélérés depuis l’Indépendance notamment - ont engendré de telles influences réciproques qu’il est absurde de vouloir prétendre à des « modèles » purs.

    Je demande au lecteur le même genre d’efforts que j’ai été obligé de faire : suivre le fil conducteur, même s’il prend des formes sinueuses, sans se laisser distraire par ses certitudes anciennes, de ce qui donne à nos couscous ce caractère de patrimoine immatériel.

    Il m’importe en effet que le message que je tente de délivrer dans le présent ouvrage suive son chemin et, pour cela, j’ai besoin que le lecteur soit averti des embûches que j’ai rencontrées dans sa rédaction car il va les retrouver dans sa lecture.

    Dénominations et généralités

    L’inscription du couscous sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité a suscité un vaste consensus. Mais cette reconnaissance globale d’un jeune homme de plus de trois mille ans, si plein de vitalité que chacun réclame haut et fort, le voulant pour soi, me semble quelque peu dérisoire.

    De plus, cette reconnaissance n’en recèle pas moins un risque plus subtil lié à la globalisation qu’implique l’usage du terme générique « le couscous ».

    Reconnaître par conséquent aux couscous leur diversité comme vecteurs du patrimoine immatériel exige de faire ressortir et décrypter les facettes des systèmes de pratiques matérielles (la confection et les conditions de consommation des couscous) et des valeurs (qui sous-tendent des pratiques socialement ancrées).

    Mettre en lumière l’unité et la diversité des pratiques matérielles d’un côté et sociales de l’autre est susceptible en effet, quelles que soient les nuances apportées par les différentes communautés aux modes de confection (les recettes), de marquer encore plus l’ancrage des couscous dans la vie des populations du Maghreb, et spécifiquement celles de l’Algérie que nous traitons ici.

    Pour le montrer, nous partirons de la définition officielle et consen-suelle de ce qu’est un patrimoine immatériel de l’humanité telle que retenue par la Convention de l’UNESCO¹.

    Sur cette base, notre travail devrait se focaliser autant sur les savoir-faire (les recettes) que sur les pratiques sociales associées, pour montrer en quoi et comment les couscous (leur diversité) constituent un patrimoine immatériel. Nous utiliserons cependant le singulier, terme générique, chaque fois que nous voudrons énoncer une règle générale.

    Il nous faut prendre acte aussi de la dimension symbolique de ce patrimoine aux yeux du peuple algérien qui, tout comme ses voisins nord-africains, a sacralisé le couscous en lui donnant, non seulement, des noms à ses différentes variantes, et elles sont nombreuses, mais surtout le nom de « nourriture fondamentale ».

    Pour beaucoup, en effet, il s’appelle t’aam (la nourriture par excellence) si ce n’est na’ma (le bienfait de Dieu). Il partage parfois avec berkoukes, son faux jumeau, le titre de aïch (la vie).

    Par ailleurs, sa pénétration de longue date – dix siècles au moins – au sud du Sahara et au Sahel par le biais d’échanges soutenus a ouvert la porte à la consommation du blé dans des pays où domine l’usage du mil et du sorgho², et créé les conditions pour que leurs peuples en revendiquent le partage symbolique.

    Partout, chaque consommateur de couscous concourt, en l’accom-modant selon son goût et les moyens dont il dispose, la circonstance qui le lui fait préparer, à l’entretenir comme fait vivant en l’inscrivant dans sa vie de tous les jours.

    Et bien que nourriture par excellence, inscrit de « tout temps » comme un fait vivant, immuable, il n’en subit pas moins les effets de l’adaptation de ses consommateurs/adeptes à des conditions de vie qui changent, à travers les migrations vers les villes ou vers l’étranger, de statut économique et social, de mode de vie.

    Ce patrimoine, résultat d’une appropriation, est alors soumis aux relectures, combinaison de nostalgie reconstruite et d’innovation, par ceux qui, tout à la fois évoluent et le font évoluer tout en se prétendant – toujours – absolument respectueux des caractères d’un couscous « traditionnel ».

    Le résultat est que, dans chaque région et pour chaque type de couscous il y a un risque patent de rencontrer des décalages entre les versions des différents acteurs, déclarées par ailleurs toutes plus « authentiques » les unes que les autres, et entre les discours et les pratiques.

    Mais le couscous millénaire « absorbera », sans se dénaturer, ces nouveaux apports comme il a absorbé en leur temps la tomate puis la pomme de terre, ce qui nous vaut des « sauces blanches » et des « sauces rouges » sans que personne y trouve de l’hétérodoxie³.

    Après les premiers habitants de l’Algérie, puis tous ceux qui sont venus ensuite, jusqu’aux « immigrés » européens, entrés de force, il n’est pas qui ne s’en soient finalement emparés pour fabriquer et réexporter, en repartant, de nouvelles variantes au prix de certaines innovations culinaires aussi bien qu’intellectuelles/culturelles.

    Et il faudra leur pardonner leur « audace », pleine d’ironie au demeurant, puisqu’elle va jusqu’à dénommer « Royal⁴ » ce plat populaire par essence et souvent par composition, ou lui ajouter des merguez, lui qui ne s’accommode que des ingrédients doux ou sucrés, parce qu’ils auront péché par amour.

    Si cette réappropriation reste compréhensible, à défaut d’être orthodoxe, elle n’en témoigne pas moins de la volonté de (ou d’une partie) cette communauté de concentrer en un plat « tous les parfums du Maghreb », de s’y reconnaître en en faisant son emblème. Plus que cela d’ailleurs puisque plusieurs enquêtes ont révélé que le couscous est le plat préféré des Français.

    Préambule : les noms du couscous

    Le terme couscous a pour mission paradoxale de désigner dans le même temps, par son usage du singulier et dans sa généralité, un plat qui apparaît sous la forme d’une infinité de variantes. C’est, chaque fois, le contexte qui nous dit, parmi ces couscous pluriels, de quel couscous il s’agit. Chacun, celui qui parle et celui qui écoute, sait de quoi il retourne comme souvent dans le cas des polysémies ou des expressions ambivalentes.

    Ici, puisqu’il s’agit pour nous, de « parler de couscous » à des personnes dont certaines n’appartiennent pas à notre groupe d’interconnaissance, ni même peut-être à notre pays ou à notre culture, il nous faudra prendre quelques précautions pour que chacun sache dans quelle acception nous entendons utiliser le terme.

    Le terme couscous (terme convenu en langue française) est, pour commencer, variable dans son orthographe selon la région ou la langue dans laquelle il est énoncé.

    De nombreuses recensions en ont été faites, sans doute depuis qu’il dispose de lettres de noblesse officielles mais surtout depuis que les sites électroniques ouverts à l’initiative de membres de la diaspora en ont consacré de multiples recettes toutes plus « authentiques » les unes que les autres. Il ne paraît guère utile de tenter d’en ajouter une autre à celle, consensuelle, de Wikipédia, résultat d’apports croisés, en la recoupant avec d’autres sources.

    Dénominations convenues

    Le terme couscous, dans ses différentes variantes (en berbère il s’écrit : ⵙⴽⵙⵓ seksu ou ⴽⵙⴽⵙⵓ keskesu, et en arabe maghrébin الطعام، كسكسي، كسكس، سكسو, seksu, kuskus, kusksi, kesksu, t’aam) désigne en même temps, d’une part, la semoule de blé dur dont on fait les grains, et, d’autre part, son accompagnement culinaire sec ou en sauce, à base de légumes, d’épices, d’huile d’olive et de viande (rouge ou de volaille) ou de poisson.

    Le mot seksu existe dans tous les parlers berbères de l’Afrique du Nord suivant les régions amazighophones, sous les formes keskesu et seksu, kuskus, kuskusūn en arabe.

    Un autre terme qui dérive, selon certains auteurs, de la même racine berbère que seksu est le verbe berkukes, de kukes, « rouler la semoule », et de ber qui signifie « redoubler le travail dans le but d’agrandir les grains ». Le mot taseksut ou tasaksiouth désigne la passoire dans laquelle on fait cuire le couscous.

    Le verbe seksek est utilisé par les Touaregs dans le sens de « passer au crible », rappelant l’usage du tamis dans la préparation, alors que ce dernier porte le nom de gharbal (agahrvâl en berbère) dans le

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