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Éric Martel-Bahoéli, je n'arrêterai jamais de me battre
Éric Martel-Bahoéli, je n'arrêterai jamais de me battre
Éric Martel-Bahoéli, je n'arrêterai jamais de me battre
Livre électronique268 pages4 heures

Éric Martel-Bahoéli, je n'arrêterai jamais de me battre

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À propos de ce livre électronique

Voici un ouvrage qui frappe fort. L’ex-boxeur poids lourd Éric Martel-Bahoéli se révèle sans pudeur tel un grand livre ouvert à l’image de ce qu’il est : un être entier et franc. Dans ce livre coup de poing, coécrit par Charles Lalande, nous sommes entraînés dans le monde insolite de la boxe. On suit la carrière du pugiliste pas-à-pas, tant ses bons coups que ses plus mauvais, jusqu’à sa descente en enfer.

Mais son parcours est aussi lumineux, car après s’être relevé, il mène maintenant son plus dur combat : celui contre ses propres démons. Motivé par son intention ferme de ne plus rechuter et de relever d’autres défis, Éric veut désormais être un modèle inspirant pour les jeunes et les moins jeunes. Cet ouvrage est un véritable message d’espoir pour tous ceux qui aspirent à être de meilleures personnes.

Découvrez le parcours d’un « géant » qui n’a pas fini de faire parler de lui.
LangueFrançais
Date de sortie5 avr. 2023
ISBN9782924782729
Éric Martel-Bahoéli, je n'arrêterai jamais de me battre
Auteur

Éric Martel-Bahoéli

Né à Québec en 1981 d’une mère québécoise et d’un père ivoirien, Éric Martel-Bahoéli a commencé à boxer à l’âge de 16 ans. Il a été couronné champion canadien à deux reprises au cours de sa carrière amateur et professionnelle. Il a accroché ses gants en 2018 pour devenir entraîneur. Aujourd’hui, il s’implique activement dans sa communauté pour faire bouger les jeunes, les tenir loin de la rue et sensibiliser la population aux problématiques concernant le racisme et la santé mentale. Il est aussi agent d’intervention au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale nationale depuis 2010. C’est désormais un conférencier recherché conscient de l’impact qu’il peut avoir dans la vie des jeunes et moins jeunes.

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    Aperçu du livre

    Éric Martel-Bahoéli, je n'arrêterai jamais de me battre - Éric Martel-Bahoéli

    Prologue

    Au printemps 2018, ça n’allait pas du tout. Je ne me souviens même pas de la date exacte tellement mes souvenirs sont flous. Ce soir-là, je réalise que j’ai accumulé tellement de problèmes au cours des années que je pense avoir atteint un point de non-retour. Je n’en peux plus. Il faut que j’arrête de souffrir. Je suis en dépression. Mon meilleur ami est mort après avoir passé 10 mois dans le coma. Je suis à la retraite de la boxe depuis un an et j’ai l’impression que plus personne ne se souvient de moi. Les derniers mois m’ont fait réaliser que j’étais entouré de gens opportunistes. Ils m’ont été fidèles lorsque ma carrière allait bien, mais, aussitôt celle-ci terminée, j’ai senti qu’ils m’ont laissé tomber.

    Cette journée a été la pire de ma vie, à un point tel que j’ai décidé que ça allait être la dernière. C’en était terminé pour Éric Martel-Bahoéli. J’ai sauté dans ma voiture avec l’idée de simuler un accident. Finalement, il y a sur cette planète un gars – pas du tout au courant de mon mal de vivre – qui m’a fait changer d’idée, et ce, sans même le savoir. Ce gars, je ne le connaissais même pas, mais je veux le remercier. Ce monsieur rencontré dans une station-service de Trois-Rivières m’a gardé en vie et j’ai par la suite choisi de me prendre en main. Je me suis rendu compte que j’avais une valeur à ses yeux, et sans doute aux yeux de beaucoup de gens.

    Avec le recul, je réalise que cette journée-là, je ne voulais pas réellement mourir. J’avais un mal de vivre, et je cherchais à m’en débarrasser. Je n’étais même plus capable d’être chez moi, alors l’idée d’aller ailleurs, de partir, m’est venue à l’esprit. J’étais mélangé et déprimé. Je voulais seulement arrêter de souffrir. L’idée de commettre l’irréparable m’est apparue comme une pulsion. Je n’avais pas de plan précis pour y parvenir et c’est tant mieux, car je suis encore en vie. Quand l’inconnu m’a salué, il m’a ramené à la réalité. J’étais animé du désir de reprendre le contrôle de ma vie.

    Retrouver le droit chemin, c’est un long processus. Il faut accepter le fait qu’on va trébucher bon nombre de fois avant d’y arriver. Entre vouloir changer et réellement y parvenir, il y a eu des rechutes, des moments pendant lesquels la tentation de rester dans ma propre tourmente a été présente. Cela a valu la peine que je me batte contre mes démons et contre moi-même.

    Je me souviens d’un moment, au printemps 2021, où j’ai pris le temps de m’arrêter et de contempler tout le chemin parcouru depuis le soir où j’avais failli m’enlever la vie. La course à pied fait maintenant partie de mon quotidien et c’est mon nouveau moyen de me dépasser physiquement. Ce vendredi 9 avril 2021, j’ai couru 22 kilomètres (km) et j’étais tellement fier de moi. Par la suite, j’ai pris une douche, je me suis hydraté et je me suis couché tôt pour me réveiller de bonne heure le lendemain matin. J’étais heureux. Je me suis rappelé que, trois ans auparavant, chaque vendredi, à la même heure, j’allais m’acheter une caisse de 12 bières et je contactais un gars pour me procurer de la cocaïne. Ensuite, j’en aurais probablement consommé jusqu’aux petites heures du matin et je me serais réveillé dans un état lamentable, habité par la honte.

    ***

    Ce livre – écrit au «je» –, que je préfère appeler «la moitié de ma vie» plutôt qu’une biographie, a été écrit par Charles Lalande grâce aux nombreuses entrevues réalisées au fil des mois. Il a pu compléter sa recherche grâce aux souvenirs conservés par ma mère tout au long de ma carrière. Au fil de mon histoire, Charles et moi avons aussi intégré des éléments provenant d’articles de journaux, en plus de certaines citations tirées d’entretiens entre Charles et ma mère.

    Dans ce livre, je vous parle de mon enfance, de mon premier contact avec la boxe, des hauts et des bas de ma carrière, de mes expériences de vie et de certaines histoires qui risquent d’en surprendre et d’en ébranler plusieurs. Je raconte, au meilleur de mes connaissances, des événements ainsi que la façon dont je les ai vécus, avec un désir d’authenticité et de transparence. Je le dis parfois: je suis passé par l’enfer et je ne veux pas y retourner. J’ai commis un tas d’erreurs et je vous les raconte avec franchise. En toute humilité, je pense que mon cheminement peut inspirer beaucoup de gens. Je relate mes mauvaises décisions et les conséquences de celles-ci pour éviter que d’autres personnes fassent comme moi. Je préfère que les gens s’inspirent de ma rédemption et de la personne que je suis devenue.

    Ce livre est divisé en 12 chapitres ou rounds intercalés chacun par une pause. Ce n’est pas le fruit du hasard. Un combat de boxe peut durer jusqu’à 12 rounds. Dans ma catégorie, celle des poids lourds, il est plutôt rare qu’on se rende à la limite. Cela ne m’est arrivé qu’à une seule occasion au cours de ma carrière professionnelle. Je ne suis malheureusement pas sorti vainqueur de ce combat. C’est la vie, il faut un gagnant et un perdant. L’important, c’est la façon dont tu réagis après un échec. C’est ça qui te définit.

    Je souhaite que ce livre soit inspirant. C’est cliché, mais si je peux sauver la vie d’une seule personne, tout ce processus en aura valu la peine. Si tu connais quelqu’un qui a des idées suicidaires et qui pense en finir, ou si tu es toi-même cette personne, écoute-moi bien mon chum: tu peux t’en sortir. Tu vas t’en sortir. Il y a des ressources inestimables et un tas de gens qui t’aiment dans ton entourage. Demander de l’aide, ce n’est pas un signe de faiblesse. Dans quelques mois, tu seras une personne fière de toi: fière d’avoir progressé, fière d’aller mieux et fière d’être restée avec nous.

    Bonne lecture!

    Éric

    1 866 APPELLE (277-3553)

    1er round

    Grandir sans mon père

    Je suis né le 23 août 1981, à Québec, d’une mère québécoise, Céline Martel, et d’un père africain, Pierre Bahoéli. Mes parents, qui s’étaient mariés en 1978, se sont séparés lorsque j’étais âgé de cinq mois.

    Ma mère se rappelle les mois qui ont suivi: «Aussitôt, j’ai obtenu la garde complète d’Éric et son père avait des droits de visite, à la hauteur de quelques heures aux deux semaines, mais il prenait rarement de ses nouvelles¹.» Je n’avais pas encore deux ans lorsque mon père est retourné en Côte d’Ivoire. J’ai donc été élevé par une mère monoparentale qui a eu à jouer le rôle des deux parents.

    «Je me suis dit qu’Éric n’avait pas le droit d’être malheureux et que j’allais tout mettre en œuvre pour qu’il soit heureux.» Le moins que je puisse dire, c’est qu’elle l’a fait à merveille. Peu importe ce que j’entreprenais, elle était toujours très intéressée. Vous ne pouvez pas vous imaginer tout ce qu’elle a fait pour moi. Je pourrais en parler pendant des heures tellement elle a été incroyable. Elle n’a jamais vraiment refait sa vie avec un autre homme. Elle s’est consacrée à moi et à son travail de technologue en radiologie, avant de devenir cadre puis de prendre sa retraite. Son horaire l’obligeait à travailler le soir et même la fin de semaine. Malgré tout, elle a toujours réussi à m’accorder beaucoup de temps et elle a constamment cherché à répondre à mes besoins.

    ***

    Je l’avoue, le fait de grandir sans mon père a laissé des traces. Je me suis souvent et longtemps demandé comment il avait pu faire un enfant, assister à sa naissance et partir ensuite en Afrique. Je n’ai jamais eu une réponse claire. Aussi difficile que cela ait pu être, j’ai cessé de tenter de trouver la réponse, préférant regarder vers l’avant.

    Être un Noir à Québec dans les années 1980, c’était parfois difficile. La couleur de ma peau a souvent été un sujet de discussion lorsque j’étais enfant et, malheureusement, j’ai été victime de racisme assez régulièrement. À l’école cependant, les jeunes de mon âge étaient somme toute assez respectueux. Bien que parfois, lors d’une chicane, les insultes racistes sortaient, parce qu’attaquer ma couleur de peau était la chose la plus facile à faire. Après tout, c’est ce que l’on remarque le plus facilement. Sinon, j’entendais souvent des commentaires par l’entremise d’une autre personne. Par exemple, je me demandais parfois pourquoi un gars pouvait agir bizarrement avec moi. Je le demandais à ses amis et la réponse pouvait être: «Lui, il n’aime pas les Noirs».

    Je devais avoir 11 ans lorsqu’un de mes amis a voulu m’inviter à dormir chez lui, mais il m’a dit ne pas être certain parce que son père n’aimait pas les Noirs. J’ai grandi comme cela et je n’en ai pas fait de cas chaque fois. Il est toutefois indéniable que cela a causé des blessures en moi.

    Au hockey, c’était une tout autre affaire; si vous saviez le nombre d’insultes que j’ai entendues. À une occasion, je devais avoir 14 ans et je jouais bantam. Le père d’un de mes coéquipiers est venu me voir pour me dire que le hockey «n’était pas un sport pour les petits [mot en n]». Le père d’un coéquipier… Imaginez-vous ce que les parents de mes adversaires pouvaient dire ou, pire encore, ce qu’ils pouvaient chuchoter loin de mes oreilles. J’entendais beaucoup de choses, mais je sais qu’il s’est dit bien pire. Pendant mon parcours de hockeyeur, il y a un gars en particulier qui ne m’a pas lâché pendant cinq saisons. Il était toujours sur mon dos pour me traiter du mot en «n» ou pour me lancer des insultes racistes. Ça n’avait aucun sens. Je l’ai d’ailleurs croisé il y a quelques années. Visiblement, il avait acquis beaucoup de maturité puisqu’il a pris la peine de s’excuser pour tout ce qu’il m’a fait subir. C’est au moins ça!

    À l’adolescence, j’ai commencé à m’intéresser aux filles. Certaines d’entre elles me disaient parfois: «Éric, tu es super gentil, mais mes parents ne veulent rien savoir de l’idée que je sorte avec un Noir.»

    Avec les années, j’ai été marqué par tout cela. J’ai gardé beaucoup de choses pour moi et j’ai fini par me faire une carapace, à un point tel que je me suis mis à faire des blagues pour faire rire les autres et les amener à se dire: «Éric, lui, il est correct et il me fait rire!» En grandissant, j’ai continué à utiliser l’humour. Je me dis que si je fais des farces sur la couleur de ma peau, cela va calmer les ardeurs de bon nombre de personnes qui pourraient blaguer en étant mal intentionnées. Par exemple, j’ai récemment plaisanté en disant que nous devrions cesser d’utiliser le terme «patinoire», car cela était offensant pour la communauté noire. J’ai aussi publié une vidéo de moi qui imite l’acteur Eddie Murphy, du film Un Prince à New York, en me proclamant le «Prince de Québec»!

    Parfois, j’en parlais à ma mère, et d’autres fois je gardais ça pour moi. Chose certaine, elle se souvient très bien de ces épisodes marquants: «Ça n’arrivait pas très souvent, car Éric a toujours su se faire apprécier des gens. Il était constamment heureux et enjoué. Les gens qui étaient racistes à son égard étaient surtout ses adversaires au hockey. Quand ça arrivait, je lui disais toujours qu’ils étaient ignorants et qu’il avait sa place sur terre comme tout le monde.»

    ***

    Je n’ai pas pu, comme la grande majorité des gens, compter sur la présence d’un père, mais j’ai quand même eu de beaux modèles. Mon grand-père maternel est l’un d’eux. Il a occupé un rôle prépondérant dans ma vie, avant de mourir quand j’avais 18 ans.

    Mon entraîneur de boxe, François Duguay, est une autre personne qui a eu une place importante dans mon parcours. Nous nous sommes connus en 2004. Malgré nos hauts et nos bas (nous y reviendrons), nous entretenons encore une belle relation même si je ne suis plus son boxeur. Je l’ai souvent appelé mon deuxième père.

    Aussi, grâce à l’organisme les Grands Frères et Grandes Sœurs de Québec, j’ai eu la chance de connaître le journaliste sportif Stéphane Turcot, qui œuvre maintenant pour le compte de TVA Sports. Il a été – et il est encore – une personne qui m’est très chère. Je devais avoir environ 10 ans lorsque ma mère m’a demandé si j’étais intéressé à ce qu’elle m’inscrive pour que je sois jumelé à un Grand Frère.

    «Je trouvais qu’il était important pour un petit gars de son âge de pouvoir compter sur de beaux modèles masculins», se souvient-elle. De mon côté, j’ai trouvé l’idée intéressante, alors j’ai accepté. Au départ, j’étais jumelé à un avocat, mais il était très occupé et il a fini par déménager dans une autre ville, alors je n’avais plus de Grand Frère. Je me disais que ce n’était pas facile d’avoir une présence masculine dans ma vie! Puis l’organisme a eu l’idée de me jumeler avec Stéphane, alors journaliste sportif pour la défunte station TQS. Nous avons appris à nous connaître lors d’un souper au restaurant, puis lors du tournage d’une publicité. Cela a été le début d’une belle relation qui dure encore aujourd’hui. Steph et moi n’avons pas forcé les choses, tout s’est fait de façon naturelle. Il m’invite encore à souper chez lui de temps en temps, parfois avec ma mère aussi. Il m’a présenté à ses enfants, avec qui je m’entends bien. Normalement, la relation avec un Grand Frère se termine quand l’enfant atteint l’âge de 18 ans. Si elle se poursuit, c’est parce qu’il y a une volonté mutuelle, et cela est notre cas.

    Au cours de mon adolescence, j’ai parfois eu la chance d’accompagner Stéphane lorsqu’il faisait des reportages. Il m’a même présenté à ses collègues de travail de la salle de rédaction, dont Marc Durand, Gérard Deltell et Richard Latendresse, tous des journalistes qui ont connu de belles carrières. J’ai aussi pu rencontrer et voir de près plusieurs sportifs et en apprendre davantage sur tous les sacrifices nécessaires à la réussite de leur carrière. Parmi ceux-ci, il y avait des joueurs des Rafales de Québec² et des Harfangs de Beauport³, dont l’homme fort Patrick Côté. J’ai aussi eu la chance de rencontrer des athlètes olympiques, dont la skieuse alpine Mélanie Turgeon et la cycliste Marie-Hélène Prémont. Quelques années plus tard, je me suis rendu compte à quel point ces rencontres m’avaient aidé à persévérer et à faire les bons choix dans ma carrière professionnelle. Marie-Hélène est particulièrement inspirante. Elle faisait partie de l’élite mondiale de vélo de montagne tout en faisant ses études pour devenir pharmacienne. Cela m’a permis d’apprendre rapidement qu’il était possible de mener deux carrières de front avec succès. Une quinzaine d’années plus tard, c’était à mon tour de le faire.

    J’ai toujours été fier d’être associé à l’organisme les Grands Frères et Grandes Sœurs de Québec. En 2016, j’ai eu la chance d’être l’une des têtes d’affiche de la campagne régionale de Centraide, dont le but était de mettre en valeur des gens qui ont bénéficié des dons offerts à cet organisme. Ce court mandat m’a permis de raconter mon histoire – et celle de Stéphane – pendant quelques semaines. Ce fut un grand succès. Plus j’en parle, plus je prends conscience jusqu’à quel point cela a été marquant dans ma vie, à tel point que j’ai moi-même décidé de prendre des jeunes sous mon aile, qu’il s’agisse de jeunes du Centre jeunesse de Québec ou de ceux que j’apprends à connaître en donnant des cours de boxe. Je ne suis pas un Grand Frère comme tel, mais les jeunes dont je m’occupe, je les considère comme mes fils, alors je prends soin d’eux et j’essaie d’être un beau modèle pour eux.

    ***

    Malgré tous les beaux modèles masculins que j’ai eu la chance d’avoir, il y a, et il y aura toujours un vide, à cause de l’absence de mon père. Je me souviens qu’à l’âge de trois ou quatre ans, quand je me trouvais dans un lieu public et que je voyais des Noirs, je m’approchais d’eux tranquillement et je parlais de mon père assez fort. Je disais par exemple: «Je ne sais pas ce que mon père en pense.» Ma mère me disait d’arrêter cela, mais j’ai continué à le faire pendant deux ou trois ans. Pourquoi? Difficile à définir, mais on dirait que je voulais savoir où il était…

    Au fil des années, il est venu à quelques reprises à Québec pour des raisons professionnelles, ce qui m’a permis de le revoir une fois. Au cours de mon enfance et de mon adolescence, je continuais à parler souvent de mon père. À l’été de mes 16 ans, ma mère m’a envoyé un mois en Côte d’Ivoire chez mon père pour que je puisse le voir et aussi rencontrer l’ensemble de ma famille paternelle.

    Ma mère se rappelle très bien les mois qui ont précédé le grand départ. «Lorsqu’il était adolescent, je lui avais dit que lorsqu’il aurait atteint l’âge de 18 ans, j’allais lui donner tous les renseignements voulus sur son père et qu’il allait faire ce qu’il voulait ensuite. Mais Éric avait beaucoup de questions, et il voulait vraiment rencontrer son père, alors j’ai fait les démarches nécessaires pour qu’il puisse y aller à l’âge de 16 ans. Je me suis beaucoup investie. Je suis même allée à Montréal, à l’ambassade de la Côte d’Ivoire.» Ma mère raconte qu’elle était un peu nerveuse que ma première expédition en avion se fasse en solitaire, pour un voyage aussi lointain et important.

    Je conserve des souvenirs impérissables de ce mois en Côte d’Ivoire. Je me souviens encore de la chaleur, de mes oncles, de mes tantes, de la nourriture, de la ville, des taxis, des routes et de l’habillement traditionnels. C’était un monde complètement différent. Tous les soirs, mes journées se terminaient de la même façon: mon père et moi nous retrouvions seuls dans le salon. Nous avions de longues discussions, face à face. Je lui posais toutes les questions que j’avais en tête. Il a pu répondre à plusieurs d’entre elles, mais j’avoue que je n’ai pas eu toutes les réponses que j’espérais. À mes yeux, certaines manquaient parfois de clarté. Parfois, il me disait que les circonstances n’avaient pas été les bonnes pour avoir un enfant et que ma naissance n’avait pas été planifiée. Cependant, ma mère, elle, m’a toujours dit que j’étais un enfant désiré. Alors, qui croire: mon père qui m’a abandonné ou ma mère qui a tout fait pour moi? Assurément ma mère.

    C’était juste blessant d’avoir le sentiment que mon père me mentait plutôt que de simplement me dire qu’il n’avait pas voulu prendre ses responsabilités. De mon point de vue, il ne semblait pas capable de dire les vraies choses. Il ne m’a jamais personnellement exprimé de regrets face à la situation. Quand je repense à cela, je me sens blessé chaque fois. Je ne dis pas cela pour me victimiser, mais je ne l’ai vraiment pas eu facile. Être un enfant métissé à Québec, dans un contexte familial qui n’était pas optimal, c’était loin d’être facile. Le fait d’avoir mon père près de moi m’aurait mieux permis de relever certains défis. Il aurait pu être une bonne oreille lorsque je vivais des situations de racisme. Il aurait pu me dire comment réagir et me parler de ses expériences. Ma mère pouvait me soutenir et me réconforter d’une manière extraordinaire. Cependant, en tant que femme blanche, elle n’a jamais vécu de racisme. Pour une rare fois, l’aide qu’elle pouvait m’apporter avait une limite.

    Mais ce voyage, aussi mémorable soit-il, m’a bouleversé beaucoup plus que je ne l’avais imaginé. Ma maman l’a évidemment remarqué, et elle a même dû faire une mise au point! «Le premier mois, je ne reconnaissais pas mon fils. Éric n’a jamais été un enfant difficile. S’il y avait un problème, nous prenions le temps de nous asseoir et d’en discuter. En Côte d’Ivoire, il a pu faire ce qu’il voulait: il n’y avait aucune règle à suivre. À son retour, il s’était un peu rebiffé. Ça n’a pas été long que j’ai remis les points sur les i.»

    À mon retour de ce premier séjour en Côte d’Ivoire, j’ai voulu davantage me tenir avec des Noirs.

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