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Emma
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Livre électronique339 pages4 heures

Emma

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À propos de ce livre électronique

« Si ma vie était un film, ce serait un film d’horreur. »

Emma Samson ignore depuis combien d’années elle est prisonnière de Paul Dommelen, un violeur psychopathe.
Son Circuit Intégré Numérique (CIN), qui la connectait auparavant à la réalité augmentée, est hors d’usage. Toute seule dans une minuscule pièce d’un sous-sol sombre et crasseux, elle ne distingue plus le jour de la nuit, le vrai du faux.

Quand elle réussit à s’extirper des griffes de son agresseur, elle découvre un monde dévasté. L’air toxique, les rues désertes et les bâtiments abandonnés lui donnent l’impression que la société s’est écroulée.

Pourchassée par son geôlier, Emma a soif de vengeance et de liberté.

Parviendra-t-elle à évoluer de victime à bourreau ?
LangueFrançais
Date de sortie12 janv. 2023
ISBN9782898191282
Emma

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    Aperçu du livre

    Emma - Withney St-Onge

    Note

    La présente histoire se déroule quelques années après celle de Déviance. La lecture de cette dernière n’est pas obligatoire pour entamer le livre que vous tenez entre les mains, mais elle est suggérée. Emma dévoile la vie complète du personnage secondaire éponyme que vous retrouverez au cœur du thriller explosif qu’est Déviance.

    Il m’est apparu essentiel d’inventer une fin plus digne pour cette toxicomane quadragénaire, j’espère qu’elle vous plaira. Ce roman explore son passé, son présent et son futur.

    Pour les aventureux qui souhaitent se plonger directement dans Emma, voici quelques repères sur son univers. (Attention, spoilers !)

    Montréal, 22e siècle. Les Québécois sont presque tous greffés à la naissance d’une puce au cerveau, communément appelé le Circuit Intégré Numérique (CIN), qui les guide dans leur quotidien à l’aide de la réalité augmentée. Le CIN agit comme un ordinateur doublé d’un assistant virtuel. La pollution bien présente réduit la fertilité, limite les ressources naturelles, empêche la majorité des plantes de pousser et les humains, de sortir trop longtemps sans protection ou apport d’oxygène. Le caelum, drogue de synthèse ayant des propriétés hallucinogènes et nostalgiques, fait des ravages. La criminalité, les substances psychotoxiques et la réalité augmentée sont autant d’échappatoires auxquelles les Québécois ont recours pour survivre.

    À la fin de Déviance, Emma est prisonnière d’un psychopathe qui s’enrichit du fruit de ses propres viols. Elle subit les pires tortures : l’isolement, de même que des agressions physiques et sexuelles.

    … Mais Emma n’a pas dit son dernier mot. Pour connaître la suite de l’histoire, tournez la page !

    Chapitre 1

    Je suis un monstre

    Si je n’étais pas captive dans la cave crasseuse d’un malade misogyne, je serais peut-être… une ballerine.

    Les paupières d’Emma se ferment délicatement. Une longue inspiration gonfle ses poumons et bombe son torse. Après quelques secondes, elle expire doucement pour recommencer. Des images chargées de détails se révèlent progressivement. Elle se visualise : grande, fière, belle, souriante… et libre. Son corps s’élance avec élégance sur la scène. Ses cheveux dansent au vent, en harmonie avec des rubans de différentes couleurs. Emma se sent soulevée par la foule et les notes du Lac des cygnes qui résonnent au piano. Elle murmure la mélodie en effectuant quelques pas bien coordonnés. Les puissantes lumières éclairent sa peau. Le bonheur d’exister, pour elle et pour les autres, diffuse au creux de son ventre une chaleur agréable.

    Le sentiment est savouré et lui permet de s’évader l’espace d’un instant.

    Un instant seulement avant que sa Raison ne revienne écraser ses rêves avec ses grands sabots :

    — Tu n’as jamais suivi de cours de danse ! Et tu es enceinte jusqu’aux yeux. Tu as quel âge au juste ? Cinquante ans ? Sûrement plus ! As-tu déjà vu des ballerines commencer leur carrière dans la cinquantaine ? Encore étonnant que tu puisses porter un enfant !

    La visualisation s’interrompt.

    Le temps semble flou dans cette petite pièce au sous-sol et il s’éternise ; aucune lumière naturelle ne permet de distinguer le jour de la nuit. Emma ignore combien de semaines se sont écoulées depuis que cet être s’est incrusté en elle tel un parasite. Puisque ce n’est pas son premier enfant, elle sait tout de même que l’accouchement arrivera bien vite.

    Sa Raison gâche toujours tout. Emma la supplie en levant les yeux :

    — … Chut… Chut… J’ai besoin de m’évader. Tu es ma Raison après tout, non ? Tu devrais comprendre !

    En contemplant l’ampoule de trop faible intensité, là-haut au plafond bétonné, Emma se perd dans ses songes. Les règles de la réalité ne devraient pas s’appliquer au monde des rêves : la logique ne devrait pas interférer. Le cerveau a le droit d’être auteur de fiction. Tous les humains détiennent cette liberté inextricable : autant une personne sans vice qu’une toxicomane invétérée. Autant Thérèse Casgrain qu’une fille qui, comme elle, n’a rien accompli dans la vie.

    Peu importe. Dans ma tête, je peux être ce que je veux…

    La limite imposée est celle de l’imagination. Avec les années, Emma est devenue une experte en la matière. Pour supporter l’absence de stimulation et de compagnie dans cette cage, elle n’a tout simplement pas eu le choix.

    Avant de se risquer à une deuxième tentative, Emma s’accroupit dans le coin sous l’escalier et se soulage dans un seau – un des seuls objets présents dans la pièce. De fortes odeurs en émanent. La paroi de plastique lui mord les fesses. Elle expire et se saisit de sa dernière serviette propre, déclenchant chez elle un sourire. Paul lui en fournit maintenant deux ou trois, chaque fois qu’il lui redonne un seau propre. Petite victoire après une première tentative de suicide manquée et des menaces criées : il veut la garder en vie. Elle a donc maintenant de quoi s’essuyer.

    Deuxième tentative.

    Si je n’étais pas captive dans la cave crasseuse d’un malade misogyne, je serais peut-être… barmaid.

    Elle referme les yeux, inspire à fond et se concentre à la création de son univers. Elle suscite la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher ; plus nombreux sont les sens stimulés, plus la visualisation est réussie. Quelques secondes sont nécessaires pour que se matérialise chaque détail dans son esprit.

    Une barmaid…

    Emma se tient debout derrière un immense bar en granite noir. L’ambiance est chaleureuse : lumières tamisées, rires et musique jazz. Dans son dos, des dizaines de coupes à vin et de pichets à bière sont suspendus à des supports. Sur le comptoir, plusieurs shooters de différentes couleurs. Aussi habile qu’une pieuvre, elle les tend à ses clients. Emma se saisit ensuite d’un verre à la forme particulière et le dépose devant elle. Plusieurs liquides y sont déversés, puis un zeste d’orange artificiel et une cerise synthétique complètent le tout.

    La foule s’agglomère ; des clients venus de partout dans le monde pour goûter, rire et s’amuser. L’odeur fruitée caresse les narines d’Emma. Ses mains froides permettent aux boissons de conserver la bonne température. Un client lui transfère cent dollars québécois via le CIN et lui propose une consommation qu’elle accepte sans hésiter :

    — À la nôtre ! s’exclame-t-il.

    Elle sourit et empoche la somme automatiquement tout en s’envoyant une première gorgée. Avant qu’elle ne l’avale, le visage du donateur se précise. Elle réalise que…

    C’est Paul.

    Elle s’étouffe.

    Recrache.

    Paul. Un bar. Emma émerge de sa visualisation comme si elle était restée en apnée trop longtemps. Elle halète. La sueur perle dans son dos. C’est dans un bar qu’elle a rencontré son geôlier. Un goût d’amertume se diffuse dans sa bouche.

    … Maudite Raison !

    Depuis son dernier « néant », non seulement son bras droit la démange, mais sa Raison rôde sans relâche. Elle l’empêche de voyager plus de deux minutes consécutives. Qu’elle se manifeste par la parole ou par la pensée, elle l’ancre contre son gré dans cette réalité insoutenable.

    Emma songe au « néant ». Il se produit sans qu’elle ne puisse en établir la fréquence. Paul drogue sa nourriture et la fait sombrer dans l’inconscience. Un coma ? Quand elle se réveille, elle a l’impression d’être sur un lendemain de veille et jurerait avoir dormi des jours. Généralement, elle remarque des traces d’injection dans ses bras et, bien souvent, des effets secondaires incommodants se manifestent. Puis, Paul lui prête une tablette sans connexion Internet pour qu’elle remplisse un questionnaire.

    Ce malade réalise des expériences sur moi ! Et je me laisse faire !

    Frustrée, elle se lève d’un trait, son ventre rebondit en imitant son mouvement. Elle fait les cent pas avec frénésie. Des allers-retours restreints dans l’espace, qui ne lui permettent pas de se décharger de sa détresse. La colère, la peur, l’anxiété : toutes ces émotions l’envahissent.

    Elle se tire les cheveux dans l’espoir que la douleur fasse passer la boule logée dans sa gorge. Sa respiration s’accélère au même rythme que son cœur paniqué. Incapable de se contenir davantage, elle crie de toutes ses forces, puis se penche sous l’escalier pour se saisir du seau d’excréments. Du bout de ses bras, elle le jette en hurlant. Le fracas du plastique contre la tôle de la fenêtre barricadée résonne.

    Un bruit humide de liquide et de déjections qui s’écoulent imprègne l’atmosphère. Emma s’adosse au mur opposé, se laisse choir sur le béton. Sa gorge brûle. Elle s’égosille jusqu’à ce que ses cris se transforment en sanglots. L’odeur jusque-là presque contenue dans le seau se propage dans la pièce.

    Emma se recroqueville.

    Je suis pathétique…

    Elle a éclaté. Sans visualisation, elle ne peut plus rien vivre. Ici, dans cette cave, à l’exception de l’automutilation, il n’y a aucun autre moyen de s’évader, ou même de ressentir quelque chose. Elle ne peut utiliser la réalité augmentée ni s’injecter une bonne dose de caelum. Impossible de sentir la présence d’un autre être humain. Sa Raison constitue la seule entorse à cette solitude. Emma sait toutefois que ce n’est en fait qu’un morceau d’elle-même. Pour preuve, sa voix est identique à la sienne. Une voix, sans corps, qui résonne parfois dans ses pensées, mais qu’elle perçoit pourtant clairement à certaines occasions.

    — Je ne suis qu’un effet secondaire de ton isolement, Emma, affirme sa Raison.

    Elle hoche la tête.

    L’exiguïté de la pièce gonfle son mal-être : une prison d’environ neuf mètres carrés. Une once de culpabilité puis une livre de détresse la remplissent en observant le mur devant elle. Qu’a-t-elle fait ? ! Du liquide et des excréments se répandent sur la tôle, puis meurent dans le lit improvisé qu’elle a dessiné à même la crasse du sol.

    Maintenant, elle ne peut plus se débarrasser des déchets organiques en faisant passer le seau par la trappe, en haut des escaliers.

    Elle ignore si c’est la panique ou bien les gaz émanant de ses déjections, mais déjà, un étourdissement l’attaque. Combien de temps s’écoulera avant que Paul ne vienne ramasser cet amas pestilentiel ? Paul. Espérant et redoutant l’apercevoir, ses yeux lorgnent vers le haut de la cage de l’escalier de métal bien ancré dans le béton. Une porte lourde, verrouillée à double tour à son sommet. Personne. Soulagement et déception. Cette contradiction la fait sentir toute drôle.

    Ses sanglots ont cessé. Elle tremble ; le froid lui gruge les os. En tâtant le sol, elle ramasse une vieille couverture usée et s’en couvre. Quelques respirations saccadées sont prises par nécessité. Elle ferme les paupières un instant. Puis, ses doigts frottent vigoureusement ses bras. Une fois ressaisie, elle délimite, dans la saleté du plancher, un rectangle imparfait. Aucun matelas n’indique que cette forme est le nouvel espace où elle dormira. Seul son esprit dérangé en a connaissance.

    Son œuvre terminée, elle s’allonge. Ses mains lui servent d’oreiller. Elle jette un dernier regard à la fenêtre barricadée : elle ne perçoit pas les détails avec la luminosité réduite, mais elle sait. Elle sait que le mur est maintenant souillé par sa faute, puis que ses enfants en décomposition s’empilent, leur chair se désintégrant davantage chaque seconde. Des dizaines de Liam et de Julie. Tous les garçons s’appellent Liam. Toutes les filles se nomment Julie. Elle n’ose pas leur donner des noms différents ; ça les humaniserait et elle pourrait s’attacher. Pour elle, ce ne sont que des numéros dans un enfer qui se répète à l’infini. Le vrombissement des mouches qui se délectent par centaines de leur petit corps handicapé lui provoque un haut-le-cœur.

    Sa Raison la rassure un peu :

    — Comment pourrait-il y avoir autant d’insectes ici, Emma ?

    — Je… C’est sûrement vrai ce que tu dis. Je ne sais pas. Je les entends…

    — Comme ma voix.

    Juste à côté des déjections, sur le dos, son dernier enfant toujours vivant : Liam dix-neuf.

    — Étrange. Où était-il quand tu marchais ? Et il n’a pas été blessé par le seau ?

    Étrange, oui. Liam apparaît et disparaît. Pourtant, en s’étirant un peu et en allongeant le bras, Emma peut le toucher. Son petit corps frissonne, mais sa peau est douce. Elle entend bien sa respiration laborieuse. Il siffle. Tousse. Pleure. À longueur de journée, c’est tout ce qu’il fait.

    Je ne sais pas si j’ai le droit de l’appeler « mon enfant ». Je ne l’aime même pas. L’amour, c’est un prérequis pour être une mère, non ? Il a moins d’un an. Je n’arrive pas à décider s’il est beau ou laid. Il est difforme. Il lui manque un bras et quelques os dans une jambe. Mais la couleur de ses yeux, même si je me place sous l’ampoule… Je ne sais pas. Ressemble-t-il aux miens ou à ceux de Paul ?

    À l’idée qu’il ait ceux de son agresseur, elle a envie de le faire disparaître. Pour de bon.

    C’est épouvantable… je ne suis pas une vraie mère. Je suis un monstre.

    — Tu lui rendrais service. Tu abrégerais ses souffrances. Le tuer serait probablement la plus grande preuve d’amour que tu puisses lui donner, conseille sa Raison.

    Elle se redresse sur ses coudes et se traîne jusqu’au petit corps, puis lui pince les narines.

    Il cesse de pleurer.

    Emma en ressent un soulagement immédiat.

    Habituellement, elle enlèverait sa main avant qu’il ne soit trop tard.

    Habituellement.

    Chapitre 2

    Morte et enterrée

    Emma maintient sa main sur le visage de Liam. Pour la première fois, elle se sent bien avec ce geste. Sa Raison lui a donné sa bénédiction après tout.

    Elle appuie de plus en plus fort.

    Elle n’ose plus regarder.

    Des larmes roulent sur ses joues.

    Liam ne souffrira plus.

    Puis, plus rien. Emma ne ressent plus son minuscule nez entre ses doigts ni sa peau sur sa paume. Quand elle ouvre les yeux, son enfant a disparu.

    Qu’est-ce qui se passe encore ?

    Sans réponse, elle retourne se coucher, grattant frénétiquement son bras qui la démange.

    L’odeur de putréfaction mélangée à celle de l’urine et des excréments s’infiltre violemment dans ses narines. Tous ses poils se hérissent d’un coup. L’humidité glaciale la fait se recroqueviller davantage. Elle ferme les yeux, incapable de tolérer son existence éveillée plus longtemps. Bien que ses enfants soient morts, elle les entend hurler, pleurer, et ce, toute la journée.

    Toute la journée.

    Si je n’étais pas captive dans la cave crasseuse d’un malade misogyne, je serais probablement une toxicomane.

    Encore et toujours une droguée. Emma se questionne : a-t-elle vraiment cessé de l’être, malgré toutes ces années d’abstinence ? Pas une heure ne passe sans qu’elle ne rêve aux effets nostalgiques que pourraient lui procurer quelques grammes. Pas une seconde ne s’écoule sans qu’elle ne s’imagine en transe, une seringue dans la peau, plongée enfin dans ses souvenirs hallucinés. Les mystérieux sites d’injection dans son bras exacerbent son envie de consommer. Bien souvent, une dose pouvait lui permettre de revoir Luis, l’amour de sa vie, comme s’il vivait toujours. Pour cette raison – et pour bien d’autres –, elle était dans un état perpétuel d’intoxication. Chaque dose creusait sa tombe.

    Si je n’étais pas captive dans la cave crasseuse d’un malade misogyne, je serais probablement… morte.

    Morte et enterrée.

    Enterrée, elle l’est déjà. Il ne lui manque plus qu’à trouver une façon de se tuer. Cette tâche s’avère toutefois plus ardue qu’il n’y paraît. Ses tentatives de suicide ne se comptent même plus sur les doigts d’une main. Avant de s’éclater la tête sur le mur, son corps se retire, chaque fois. Elle n’est pas sans savoir que ses gestes de survie sont motivés par sa seule raison de vivre : Julie. Son premier enfant. Celle qui a été conçue grâce à la violence de Paul et qui a également été enlevée par ce dernier. Elle est sûrement en vie : son « géniteur » a une compagnie d’adoption et semble vendre le fruit de ses viols à de futurs parents, qui ignorent tout de ses moyens immondes pour se procurer les poupons. Si Julie est bien en vie, Emma veut savoir ce qu’elle est devenue. Savoir si elle a réussi à faire au moins UNE chose de bonne dans la vie : concevoir un humain viable… et potable. C’est pour cette raison qu’elle a la conviction qu’un jour, elle réussira. Oui, elle réussira à sortir de sa cage. Pour retrouver son enfant. Pour constater sa réussite, ou son échec.

    Échec. Les yeux clos, Emma voit encore ses enfants mutilés, ce qui l’empêche de s’endormir. Leur image est gravée dans la peau de ses paupières. Elle se tourne alors sur le dos pour faire face au plafond, où seule la lueur d’une minuscule ampoule scintille. Une étoile dans un ciel pollué.

    L’obscurité siège malgré cet éclairage de fortune. Sa vision s’est toutefois accoutumée partiellement à l’absence de lumière – autant métaphoriquement que physiquement.

    Mourir. Ce serait certainement mieux. Mort, on ne peut pas souffrir.

    Ses années de captivité ont tempéré sa vivacité. Emma demeure cependant une survivante, tenace et déterminée. Même s’il lui arrive de sombrer dans ce genre de pensées négatives. Chaque fois, elle se sent misérable et honteuse. Elle n’a pas le droit d’abandonner. Elle doit revoir Julie.

    Faut pas se laisser aller trop longtemps. Plus on tombe de haut, plus il est difficile de se relever.

    Ayant assez discuté avec sa souffrance, Emma se redresse, et affirme de vive voix :

    — C’est assez, la pleureuse. Ressaisis-toi.

    Faire résonner ces mots dans le vide est ce qui se rapproche le plus d’une forme de conversation. Quand la chance lui sourit, sa Raison lui répond.

    — Tu es là, Raison ?

    Silence radio.

    Bon, elle boude. Encore.

    Bien que limitée par sa condition physique, Emma effectue son programme de musculation : squats, redressements assis, planche. Chaque exercice est exécuté assidûment dans l’espoir de conserver une forme assez correcte pour s’enfuir dans l’éventualité où sa cage s’ouvrirait.

    Malgré l’épuisement et la sueur qui perle sur son corps encrassé, elle persévère. Elle monte et descend les douze marches en courant, mais cet exercice cardio est rapidement interrompu par une toux qui lui brûle les poumons. Elle remonte son chandail sur son nez. Force est de constater que l’air n’est pas assez sain pour réaliser tous les exercices aujourd’hui. C’est à cause de ce maudit seau. Un bruit familier résonne dans la pièce et l’interrompt : celui du cabaret qui claque sur le palier de l’escalier.

    Ne ressentant plus la faim depuis des mois, Emma s’efforce tout de même de s’alimenter. Elle grimpe les marches, puis s’accroupit devant son bol et mange comme un chien, sans ustensiles. Tous les repas qu’on lui sert consistent en un genre de gruau pâteux et fade comme celui d’aujourd’hui. Vraisemblablement une bouillie de tous les nutriments nécessaires à sa relative bonne santé. Peut-être aussi des vitamines et des médicaments, parfois. Parce que, force est de constater qu’elle est très rarement tombée malade depuis le début de sa captivité. Et, en dépit de la déprime, l’énergie foisonne dans son corps quand son repas est terminé.

    Elle lèche le fond et essuie son visage du revers d’une main.

    En voulant rendre son plateau par la trappe de la porte, elle a une idée. Si elle remet le seau souillé, bien que vide, Paul comprendra qu’il a été renversé. C’est normalement par là qu’elle se débarrasse du seau plein. Il viendra tout ramasser. À ce moment, un souvenir lointain émerge à la surface de sa mémoire. Oui, ça lui est déjà arrivé et cette solution avait fonctionné. En faisant glisser son plateau-repas puis son seau taché d’excréments, la pensée que sa bouffe et ses déjections voyagent au même endroit la fait grimacer. Comme si cette trappe était à la fois sa bouche et son anus.

    L’estomac plein, elle sent néanmoins son cœur vide. Chaque besoin comblé cède la place à un manque différent.

    Les pleurs de ses enfants résonnent dans sa tête, et le sentiment de solitude est brutal. Au bas de l’escalier, elle voit Liam.

    Elle s’accroupit pour le cueillir. La froideur de sa peau se propage à la sienne. Elle soulève son chandail. Il prend le sein.

    — Je m’excuse, mon bébé, pour tout à l’heure… Maman voulait juste que tu arrêtes de souffrir.

    Elle caresse son minois du bout du doigt et s’oblige à sourire. Elle se sent si seule. Paul n’a pas daigné lui parler depuis des semaines. Peut-être que le lancer du seau était un appel inconscient ?

    Elle en est venue à espérer qu’il la visite. Oui, elle rêve de la présence de celui qui l’a enfermée et violée à répétition. Une envie éphémère, vite sublimée par la honte : Paul était, est, et sera toujours un salaud.

    Pour lui, elle n’est qu’un objet : un réceptacle à sperme, puis une oreille où vomir ses anecdotes d’enfance.

    Peu après le repas, ses muscles se détendent. Une sensation qui la pousse à s’asseoir. De toute évidence, Paul a drogué sa nourriture. Encore. Deux possibilités sont à considérer : soit elle perdra conscience bientôt et il procédera à ses… expériences ; soit ce n’est qu’un léger sédatif qui assure la sécurité de Paul pendant une visite. Peut-être savait-il déjà que sa prison devait être lavée ? Ce sont les multiples tentatives de fuite qui ont motivé ces précautions. Une fois, elle a même réussi à sortir de la cave, mais il l’a rattrapée dans le salon.

    La fébrilité lui noue les tripes : qu’elle soit consciente ou pas, Paul viendra.

    Le grincement de la charnière résonne. Elle s’efforce de se lever ; elle s’est promis d’essayer de fuir chaque fois qu’elle en aurait l’occasion. Tout tourne. Un peu de lumière en haut des marches. Elle s’en abreuve et en profite pour tenter de distinguer davantage les formes, les couleurs. Elle est cependant aveuglée. Elle n’a même pas le loisir d’avancer d’un pas que la porte se referme. Tenir sur ses jambes molles est risqué, surtout avec un bébé dans les bras. Elle se rassoit.

    Soumise.

    Il la surplombe depuis la sortie, tout en haut. Il est furieux. Elle le sent, même si elle ne peut pas vraiment discerner ses traits. Elle craint la douleur à venir, mais a tellement besoin de parler à quelqu’un, à n’importe qui…

    Sa silhouette se dessine dans l’obscurité.

    — Emma ?

    Cette voix… Cette voix qu’elle détestait, en ce moment, elle la trouve belle. Cette pensée la révulse, mais elle doit bien se l’avouer : l’isolement est la pire des tortures vécues jusqu’à présent.

    — EMMA ! Ne me fais pas répéter ! Tu sais que je hais ça !

    — Désolée, Paul. Oui, je suis ici.

    Le choc métallique de ses pas se réverbère sur les murs. Elle frissonne à l’idée de toucher la peau de quelqu’un. Il approche. La chaleur humaine, l’odeur soudain agréable… Paul est là, à quelques centimètres. Elle prend une grande inspiration.

    Sans prévenir, il la gifle du revers de la main.

    Sa joue vibre de douleur.

    Elle ressent quelque chose. Enfin.

    Mais pourquoi cette violence ? Est-ce le seau renversé, ou bien le délai de réponse ? Il trouve toujours un prétexte pour la battre.

    Ce monstre est dépourvu de douceur. Son cœur est aussi noir que le charbon.

    Paul l’agrippe, déchire son chandail usé et troué. Emma se rebiffe, dégage ses bras. Liam ! Elle baisse les yeux. Son enfant a disparu. Encore.

    — Paul, le bébé dans mon ventre… il pourrait être viable. Sois plus gentil… plus tendre.

    — Tu n’es pas enceinte, maudite folle. On est bien trop vieux pour ça. Tais-toi et laisse-toi faire, comme d’habitude.

    Pas enceinte ? Il n’a pas remarqué mon ventre énorme ? Mes seins sur le point d’éclater ? C’est lui, le fou !

    Les mains rugueuses parcourent son corps. Sans tendresse, avec animosité. Paul rassemble ses seins, y niche la tête. Puis les mord à pleines dents. Emma sent la douleur irradier dans son corps entier.

    — Tu es sale. Dégoûtante. Tu pues. J’aime ta crasse !

    Quand il glisse les doigts entre ses cuisses, Emma se déconnecte de la réalité. Elle voit la scène comme si elle en était spectatrice.

    Quand elle revient à elle, un lancinement la saisit. Son entrejambe laisse s’écouler des liquides – probablement du sperme mêlé de sang. C’est terminé. Paul se tient assez loin pour qu’elle ne ressente plus la

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