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« Picasso et sa femme » : Eva Gouel, cette inconnue effacée
« Picasso et sa femme » : Eva Gouel, cette inconnue effacée
« Picasso et sa femme » : Eva Gouel, cette inconnue effacée
Livre électronique527 pages6 heures

« Picasso et sa femme » : Eva Gouel, cette inconnue effacée

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À propos de ce livre électronique

Eva Gouel a été la deuxième compagne de Picasso. Ils vécurent ensemble pendant quatre années, de 1912 à fin 1915, lorsqu’elle mourut d’un cancer. Peu de choses étaient connues d’elle.
Durant quatre années, une recherche minutieuse et passionnée, a permis de retrouver beaucoup d’informations, très souvent inédites, sur sa vie avant Picasso, et sur sa vie avec Picasso. Les drames qu’elle a vécus. Les rencontres qu’ils ont faites et ce qui en est dit d’elle. Eva est atypique parmi les compagnes du peintre car, de son aveu même, il n’en a jamais fait le portrait. Pourquoi, alors qu’il a toujours fait de nombreux portraits de ses rencontres amoureuses, y compris lorsque celles-ci étaient éphémères ?
Beaucoup de traces de la vie d’Eva, jusqu’à sa tombe, ont été effacées, par le destin, par négligence, par indifférence, ou intentionnellement. Cela a été l’ambition de l’auteur de les retrouver, pour comprendre, et redonner à Eva la place qu’elle mérite. D’autant que la période où ils furent ensemble est une période clé dans l’histoire foisonnante et mouvante du début du vingtième siècle, dans l’histoire de l’art où Picasso a eu une place prépondérante, et dans l’histoire de la France embarquée dans une guerre qui fit tant de blessés et de morts.
Parler aussi de Fernande, qui précéda Eva, et des quatre femmes qui lui succédèrent, avant de rencontrer Olga, à Rome, qui deviendra sa première épouse.
LangueFrançais
Date de sortie8 nov. 2022
ISBN9782312128863
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    Aperçu du livre

    « Picasso et sa femme » - Yves Brocard

    cover.jpg

    « Picasso et sa femme » : Eva Gouel, cette inconnue effacée

    Yves Brocard

    « Picasso et sa femme » :

    Eva Gouel, cette inconnue effacée

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2022

    ISBN : 978-2-312-12886-3

    Préambule

    COMMENT J’Y SUIS VENU ?

    « J’écris mes livres par curiosité, pour savoir davantage sur un sujet que j’ignore » Stefan Zweig{1}

    « L’invisibilité n’est pas une fatalité. Si ce livre eut une ambition, ce fut de mettre deux femmes de l’ombre en pleine lumière, au risque de contredire leur volonté. » Laure Murat{2}

    « Sans doute avais-je envie de rendre un hommage à Lucile, de lui offrir un cercueil de papier – car, de tous, il me semble que ce sont les plus beaux – et un destin de personnage. » Delphine de Vigan{3}

    Je suis « entré » en Picasso, en 1991, à la lecture du livre sulfureux, bien documenté et assez racoleur d’Arianna Stassinopoulos Huffington, Picasso, créateur et destructeur{4}. Mais son œuvre m’avait déjà intéressé bien avant, vers 18 ans, j’avais alors décoré ma chambre d’étudiant avec trois reproductions de dessins de tauromachies de Picasso. Cela tranchait un peu avec les posters de mes camarades de mon école d’ingénieur.

    Le livre à charge de Huffington répondait à celui du biographe et ami de Picasso, Pierre Daix, Picasso créateur, la vie intime et l’œuvre{5}, beaucoup plus déférent, paru deux ans plus tôt, en 1987. Pierre Daix avait connu Picasso à la faveur de leur adhésion au Parti communiste. Picasso y avait adhéré, poussé par son ami le poète Paul Éluard, pensant y trouver une famille susceptible de s’opposer aux guerres, aux dictatures et aux persécutions, d’abord en Espagne en 1936, qui donna le célébrissime tableau Guernica, à laquelle succéda celle qui embrasa le monde en 1939.

    Je devins alors intéressé, puis passionné, puis fasciné par la vie de cet homme, son parcours insolite, exceptionnel, hors normes, ses amis, ses compagnes, son œuvre titanesque et multiforme, sa boulimie de travail, ses traits d’esprit, sa vie frugale malgré sa renommée et sa fortune. Un aspect qui m’interpellait était les multiples rencontres féminines qu’on lui attribuait, et dont le nombre augmentait à chaque nouvelle biographie. Étant, comme lui, de signe zodiacal scorpion, je me sentais une certaine affinité avec sa manière d’être mais je n’arrivais pas à concevoir ces conquêtes féminines multiples et l’esprit volage qu’on lui attribuait.

    Pour y voir clair dans cette multitude, je constituais rapidement un tableau XL où je consignais toutes les informations que je découvrais sur ces rencontres, dans les livres de plus en plus nombreux que je lisais sur lui, préférant les livres s’intéressant à sa vie, autant sinon plus qu’à son œuvre. J’y recueillais toutes les données clés et contradictoires sur ces avérées et supposées compagnes, de long cours ou éphémères : prénoms et noms (certaines en ayant parfois plusieurs, soit pour se donner un nom d’emprunt, soit suite à leurs mariages successifs), dates clés de leurs vies et dates supposées de leur rencontre avec Picasso, ce qu’elles faisaient dans la vie, leurs parcours, les éléments saillants de leur relation à Picasso, et toute autre information intéressante, ainsi que la références des livres dans lesquelles j’avais trouvé ces informations. En plus des compagnes, j’avais ajouté quelques femmes, amies de Picasso, que je jugeais intéressant de faire figurer dans cette liste. J’aboutis ainsi à 31 compagnes d’un côté et 6 amies de l’autre.

    J’aime échanger, avec mes amis et personnes de rencontre, sur beaucoup de choses, et sur mon intérêt pour Picasso en particulier. Le peintre étant célèbre et faisant l’objet de moult livres, articles, expositions, films documentaires ou de fiction, tout le monde connait Picasso. Si les avis sont partagés sur son œuvre, dont certaines parties, un peu hermétiques, violentes ou érotiques ne font pas l’unanimité, ceux sur l’homme et sa vie sont le plus souvent négatifs, voir haineux. Je m’amuse alors à interroger mes interlocuteurs sur les raisons de cette aversion et je découvre le plus souvent les idées fausses, exagérées qu’ils et elles ont de l’homme Picasso et de sa vie. Si je dois reconnaître que l’homme est loin d’être un enfant de cœur, il n’en reste pas moins que je ne pense pas qu’il ait eu des aventures intimes avec toutes les femmes qu’il croisait, ni qu’il leur faisait de « nombreux » enfants, comme je l’ai souvent entendu. Il en a eu quatre.

    Un jour, visitant le Musée Rodin, je vis dans la boutique, un livre intitulé Mes sœurs divines – Rodin et 99 femmes de son entourage écrit par Christina Buley-Uribe{6}. Ce livre « trace le portrait » des « amantes, amoureuses, amies, admiratrices désintéressées ou intéressées, modèles, élèves, voire simples connaissances », bref des femmes ayant compté dans la vie de Rodin. Je montrai ce livre à l’amie qui m’accompagnait, en lui disant que c’est ce livre qu’il faudrait écrire sur Picasso. Elle me lança alors : « Et bien, tu n’as qu’à l’écrire, toi qui te passionne pour Picasso et ses femmes. »

    Je fus honoré qu’elle puisse m’en croire capable, ou était-ce une boutade pour m’exprimer qu’elle en avait assez de m’entendre en parler ? Toujours est-il que l’idée commença à faire son chemin. Je fis une recherche exhaustive sur le net pour voir s’il n’y avait déjà le livre que j’imaginais. Les livres sur « les femmes de Picasso » ou « Picasso et les femmes » sont souvent des catalogues d’expositions et font une large place aux œuvres de Picasso liées à ses compagnes. D’autres sont des livres faisant une synthèse hâtive de ce qu’on trouve dans les biographies de Picasso, avec des titres un peu racoleurs et rajoutant souvent des anecdotes ou commentaires savoureux, mais sans aucune authenticité.

    Généralement ils se limitent à ses « six femmes » : Fernande Olivier, sa première compagne, du temps du « Bateau Lavoir », qui fut modèle, Olga Khokhlova, danseuse des balais russes qui deviendra la première Madame Picasso, Marie-Thérèse Walter, la jeune blonde, Dora Maar, photographe de grand talent, Françoise Gilot, peintre elle-même et Jacqueline Roque, qui deviendra la deuxième Madame Picasso et l’accompagnera dans la dernière partie de sa vie. Parfois Eva Gouel, voire Geneviève Laporte, sont mentionnées.

    Le plus exhaustif est Picasso et les femmes{7} édité en 2002 à l’occasion d’une exposition au musée de Chemnitz, en Allemagne. Il est très beau et bien fait, avec de belles illustrations, les textes sont un peu inégaux. Il couvre un ensemble de 34 femmes, y compris la sœur de Picasso, Lola, des amies et mécènes telles que Gertrude Stein, Eugenia Errazuriz ou encore Angela Rosengart.

    Un autre livre, intitulé Picasso et les femmes – Grandeurs et faiblesses d’un homme, dont l’auteure est Christiane Duparc{8}, ancienne journaliste au Nouvel Observateur, ne semble exister que sous la forme de sa couverture. Bien que présent sur certains sites de vente de livres, il est introuvable. Les éditions Plon, que l’ai interrogées sur sa disponibilité, m’ont répondu que « malheureusement ce titre n’est plus disponible actuellement », mais il semble bel et bien n’avoir jamais existé, car on ne le trouve nulle part. Mystère…

    J’entrepris alors, avec enthousiasme, de rassembler toutes les informations que je pouvais trouver sur les 37 femmes que j’avais listées, voire d’autres qui arrivaient en chemin. Mon but était de rédiger sur chacune d’elles un chapitre de mon futur livre, en expliquant qui elles étaient avant Picasso, pendant Picasso et après Picasso. Sur « pendant Picasso », on trouve assez facilement des informations dans les biographies de Picasso, encore faut-il vérifier que ce qui est dit est « vrai », avant c’est moins nourri, après c’est très ténu. C’est un peu normal car ces livres traitent de Picasso, et ses femmes n’intéressent l’auteur que du temps où elles sont avec Picasso. Mais moi je voulais aller plus loin, et surtout essayer d’approcher la vérité, une vérité, en remontant aux sources d’informations les plus fiables possibles, les témoignages directs et de l’époque, par les témoins et les amis, remonter à leurs écrits, mémoires, correspondances, et ne pas seulement me fier aux citations sans cesses reprises, extraites de leurs contextes, tronquées, traduites et retraduites. À la fin, on est souvent surpris de voir l’écart entre ce qui est rapporté et ce que l’auteur originel avait voulu exprimer.

    Je constituais ainsi des dossiers pour chacune de ses femmes, avec la copie annotée de tous les extraits de livres, articles, documents que je pouvais trouver sur chacune d’elles. Après avoir rassemblé une petite collection des principaux livres sur Picasso (environ 300 titres), j’essayais d’aller plus loin, vers des œuvres moins connues, parlant indirectement de Picasso, des articles de journaux grand public ou plus confidentiels, des thèses (une source volumineuse par le nombre de pages mais passionnante), et ce dans toutes les langues : français, anglais, espagnol bien sûr (d’Espagne ainsi que du Chili, du Mexique), catalan, allemand, suédois, russe. Et aussi et surtout, les archives détenues en France par les musées, aux États-Unis par les universités, où sont conservés les manuscrits, les correspondances des personnes ayant de près ou de loin côtoyé Picasso.

    POURQUOI JE ME SUIS INTÉRESSÉ À EVA GOUEL ?

    Chemin faisant, recherchant des informations sur la deuxième compagne de Picasso, Eva Gouel, je tombai sur un site au nom un peu improbable : picabraq. com. Il s’agit d’un site, créé et animé par Christine Deloffre, habitante de Sorgues, petite ville du Vaucluse située à une dizaine de kilomètres d’Avignon. C’est dans cette ville que Picasso et Eva se retrouvèrent durant l’été 1912. Ils y furent bientôt rejoints par Georges Braque et sa compagne, Marcelle Lapré, qui deviendra plus tard, beaucoup plus tard, Marcelle Braque.

    Et Christine Deloffre, native de cette ville, l’a rejointe, après une carrière l’ayant amenée à Paris, Rio de Janeiro, Moscou ; elle travaille actuellement dans une entreprise locale. Elle s’est intéressée et attachée à l’histoire de cet été 1912. Pas que cet été d’ailleurs, puisque Braque, sans Picasso, y reviendra quasiment chaque année jusqu’en 1927{9}, pour ensuite s’installer à Varengeville, près de Dieppe, où il y fit construire une maison et un atelier. C’est dans le cimetière marin de cette ville qu’il repose avec son épouse, à l’ombre de l’église qu’il décora d’un grand vitrail.

    Christine Deloffre a créé et anime l’association PicaBraq et cherche à faire revivre l’histoire de Picasso et Braque à Sorgues. Je découvre ainsi qu’elle prévoit de faire revenir une fresque que Picasso a faite à Sorgues et de bâtir une exposition autour d’elle. Cette fresque a une histoire peu ordinaire. Picasso avait coutume de décorer les murs des habitations et ateliers qu’il occupait, ou ceux de ses amis peintres ou collectionneurs, de fresques. Alors qu’il n’était pas encore très connu et que certains de ses dessins et tableaux effrayaient les gens peu habitués, les propriétaires, avant qu’il ne parte, lui demandaient d’un air dédaigneux, de bien vouloir remettre les lieux en état, en effaçant ces horribles dessins sur les murs. Nul doute que certains s’en mordirent les doigts quelques années plus tard, quand le peintre fut devenu célèbre et que ses œuvres commencèrent à se négocier très cher.

    À Sorgues, le propriétaire n’eut pas à s’en offusquer car, avant de quitter les lieux, Picasso écrivit à son galeriste, Daniel-Henry Kahnweiler, avec lequel il allait signer un contrat d’exclusivité trois mois plus tard, qu’il avait peint une fresque qui n’était pas mal et lui suggérait de faire démonter le mur. Opération qui n’est pas à la portée de tout le monde mais Braque, dont le père était entrepreneur de peinture en bâtiment, et qui s’y entendait un peu, fit déposer la fresque et la fit envoyer à Paris. Il dédommageât le propriétaire, qui dut réparer le mur.

    La fresque représente une nature morte cubiste, figurant une guitare, une bouteille de Pernod et des partitions, l’une d’elle étant titrée Ma Jolie, nom censé faire allusion à sa nouvelle chérie, Eva Gouel.

    L’arrivée de la fresque fit du bruit à Paris et Picasso écrivit à Braque, resté à Sorgues, qu’il était très content. La guerre survint, les stocks du galeriste, de nationalité allemande et réfugié en Suisse, furent saisis et séquestrés comme biens appartenant à l’ennemi. Et on n’entendit plus parler de cette fresque. Mais Christine Deloffre était bien décidée à la faire revenir sur son lieu de création en 1912, soit un peu plus de cent ans après et, qui plus est, la première fois qu’elle serait exposée au public, en France. Opiniâtre, elle avait tracé la fresque qui se trouve à la Fondation Langen, musée créé par le couple de collectionneurs Viktor et Marianne Langen, en Allemagne, dans l’État de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Et le musée a accepté de prêter à Christine Deloffre, le temps d’une exposition, la fresque qui, depuis 1912, a subi plusieurs restaurations pour l’alléger et la consolider.

    J’avais repéré, dans un petit livre – The Sorcerer’s Apprentice{10} – écrit par le plus grand biographe de Picasso, John Richardson, décédé en mars 2019, un chapitre où celui-ci racontait comment il était tombé sur la fresque, alors en piteux état. Cela se passe en 1961, Picasso rend visite à Douglas Cooper, un collectionneur et historien d’art, grand spécialiste du cubisme, avec qui vit alors John Richardson, dans son château d’Argilliers, près d’Uzès. Douglas Cooper venait de se faire attaquer à Nîmes et dérobé une forte somme d’argent. Picasso venait prendre de ses nouvelles mais aussi pour revoir un tableau que Cooper venait d’acheter et qui n’était autre que la fresque Ma Jolie. Richardson assistait à ces retrouvailles par Picasso avec cette fresque, 49 ans après l’avoir peinte à Sorgues. Richardson nous raconte que Picasso, pour fêter l’évènement, avait apporté du caviar !

    Cooper fit amener la lourde caisse qui contenait Ma Jolie. « Un bruit de cliquetis inquiétant venait de l’intérieur, comme si un puzzle géant avait été jeté dedans. » Lorsque la caisse fut ouverte, ils constatèrent que « le plâtre s’était détaché de son support et s’était désintégré en des centaines de petits morceaux et beaucoup de poussière. » Picasso, avec sa verve habituelle, constata alors : « Hélas, il ne reste plus rien de moi{11}. » On s’en doute, Cooper devint livide à la vue de ce désastre, un nouveau malheur venant à la suite de son agression. Picasso, superstitieux comme on le sait, enjoignit son épouse Jacqueline de partir rapidement.

    Sans trop de scrupules, Cooper fit recoller les morceaux et vendit la fresque à un certain « Baron X », collectionneur Belge.

    Lui ayant parlé de mon livre et de mon intérêt pour les femmes de Picasso, et notamment d’Eva Gouel, Christine me dit que, si mon chapitre sur cette dernière était prêt d’ici six mois, elle serait ravie de l’inclure dans le catalogue qu’elle allait préparer pour cette exposition. C’était une chance inespérée de me faire les dents sur l’écriture de mon livre, d’être publié et de commencer à faire mon chemin dans le monde assez fermé des historiens et conservateurs. Tâche d’autant plus facile qu’il y a très peu d’informations sur Eva dans la littérature picassienne, et qu’en faire la synthèse serait assez facile. Cela se passait début 2017.

    Je m’attelai gaillardement à la tâche en rassemblant toutes les informations disponibles. Je constatai qu’effectivement il y en avait peu, parfois contradictoires. Certains disaient qu’elle s’appelait en vrai Marcelle Humbert, tous disaient qu’elle était née en 1855 à Vincennes, avait vécu avec le peintre Louis Marcoussis, était morte le 14 décembre 1915, d’un cancer ou de la tuberculose, était enterrée au cimetière Montparnasse. Certains dessins et tableaux de Picasso sont censés la représenter et l’inscription « Ma Jolie » est un signe amoureux à son égard.

    Chemin faisant, je réussis à rassembler pas mal d’informations inédites sur Eva et sa vie. Je trouvai son acte de naissance et son acte de décès. J’y appris qu’elle avait été mariée, avait eu un enfant, découvris peu à peu sa vie avec Picasso, et aussi avec Louis Marcoussis, ses amitiés. Mais cela me paraissait assez faible, il manquait des témoignages d’amis de Picasso l’ayant rencontrée, ayant assisté à son enterrement. Celui-ci n’eut pas lieu à Montparnasse, j’avais été sur place voir les registres des enterrements de l’époque, et ni Gouel Eva ni Humbert Marcelle n’y figuraient.

    Je commençai alors mon enquête, qui, deux ans après, au moment où j’écris ces lignes, n’est toujours pas bouclée. Entre temps, l’exposition de la Fresque à Sorgues a été annulée par la municipalité. Christine Deloffre est bien introduite dans le réseau Picasso Méditerranée constitué par le Musée Picasso de Paris, avec à sa tête son président à l’époque, Laurent Le Bon (président du Centre Pompidou depuis juin 2021), pour réaliser une série d’expositions sur Picasso, dont celle de Sorgues faisait partie. Elle trouva un point de chute à Marseille, à la Vieille Charité, dans le cadre de l’exposition Picasso, Voyages imaginaires, qui eut lieu mi-2018. La Fresque fut un des moments phares de l’exposition, l’œuvre, comme dit plus haut, n’ayant jamais été présentée au public en France. Christine eut l’occasion d’en parler à la presse et à la télévision.

    Mais il n’y avait plus de place pour moi dans le catalogue, qui était déjà bien avancé.

    Voyant qu’il y avait de quoi écrire plus qu’un simple chapitre sur Eva, et que retracer la vie, même succinctement, de 36 femmes serait une tâche bien ardue, je décidai alors d’entreprendre un livre sur la vie d’Eva et de Picasso, « seulement ». Je dis « seulement » car en fait je réalisai, au fur et à mesure que j’avançais, que je ne pouvais aucunement me contenter d’eux deux, et que je devais aussi explorer la vie de toutes les personnes de leur entourage, proches et moins proches, et Dieu sait s’il y en a, au moins du côté de Picasso.

    Naissance et mort d’Eva

    Je décidai de commencer par le début : la naissance d’Eva. Toutes les biographies, tous les livres d’art, y compris l’excellent dictionnaire Picasso de Pierre Daix{12}, indiquent qu’Eva est née à Vincennes en 1885, d’Adrien Gouel et de Marie-Louise Ghérouze. Ces dernières informations, je l’apprendrai par la suite, sont issues de l’acte de décès d’Eva, lui assez facilement accessible, car on connaît la date exacte de sa mort : le 14 décembre 1915, et le lieu, la Villa Molière, clinique privée du quartier d’Auteuil, située au 57 boulevard de Montmorency, dans le XVIe arrondissement. Nous y reviendrons car le décès et les obsèques sont l’acmé tragique de la vie d’Eva.

    Il suffit donc d’aller dans les archives des actes d’état civil de Paris – numérisées et accessibles sur Internet – au lieu et à la date du décès, pour trouver l’acte où il est écrit « Le quatorze décembre mil neuf cent quinze trois heures du matin, Eva Gouel née à Vincennes (Seine) le vingt sept février mil neuf cent quatre vingt cinq, sans profession, fille de Adrien Gouel et de Marie Louise Chirouze, époux décédés […] » On apprend ainsi la date précise de sa naissance, le 27 février 1885, et que sa maman n’est pas Ghérouze, mais Chirouze. Mais dans les archives des actes de naissance de Vincennes, à la date indiquée, nulle trace d’une Gouel, Eva.

    Mes recherches sur « les femmes de Picasso », m’avaient conduit à un livre de Claude Berthier qui, épris de numérologie, a voulu montrer que les rencontres et amitiés de Picasso, notamment avec les femmes, n’étaient pas le fruit de coïncidences ou de hasards, mais pouvaient s’expliquer par la numérologie, les biorythmes, les signes du zodiaque ou l’astrologie chinoise croisés de Picasso et des personnes de son entourage. Pour ceux qui sont intéressés, je leur recommande la lecture de son livre écrit en 2005, dont le titre donne le ton : Picasso mis à nu avec les femmes de sa vie{13}. Il est néanmoins difficile à trouver. Disons tout de suite que ses démonstrations sont un peu ardues à suivre pour les non-initiés, et qu’assez peu de conclusions en ressortent, parfois assez contradictoires par rapport à ce que l’on peut connaître de la relation de Picasso avec ses femmes. En tout cas, un livre original, qui sort du lot des études picassiennes.

    Pour pouvoir faire ses cogitations astrologiques et numérologiques, Claude Berthier avait besoin de données très précises sur les dates, heures et lieux des évènements clés – naissance, mariage, divorce, décès – de la vie des protagonistes. Cela lui prit pas moins de « onze années de recherche pour obtenir et corriger orthographe, dates, lieux de naissance » et corriger ainsi les « sottisiers » des biographies, nous dit-il dans son introduction. On trouve, dans ce livre, les copies des actes de naissance, de mariage, de décès de sept compagnes de Picasso et, pour une fois, Eva y figure en bonne place.

    On y apprend ainsi que Eva Céleste Gouel est née le 27 février 1885, à 8 h du matin, non pas à Vincennes mais au domicile de ses parents au 88 cours Vincennes dans le XIIe arrondissement de Paris. Le cours Vincennes est une grande avenue qui relie la place de la Nation à la porte de Vincennes. Son père est un dénommé Paul Emile Adrien Gouel, 32 ans, ébéniste, et sa mère est Marie Louise Chirouse (et non Chirouze comme marqué dans l’acte de décès), 26 ans, passementière ; ils sont mariés.

    Comme tout registre des naissances bien tenu, sont rapportés, dans la marge, les évènements importants – mariages, divorces, décès – qui vont émailler la vie du bébé qui vient de naître. Nous y reviendrons.

    Au moment de la naissance d’Eva, sa maman, Marie Chirouse, est âgée de 26 ans, elle était alors journalière, née à Coublanc en Haute-Marne le 17 avril 1858. Nous apprendrons par la suite qu’elle décède, le 27 octobre 1894, alors qu’Eva a 9 ans. Paul Gouel, est alors déclaré « disparu sans nouvelles ».

    Paul Emile Gouel est né à Eu (à l’époque Seine Inférieure) le 23 octobre 1852. Il se remarie, 7 ans après le décès de sa première épouse, le 26 janvier 1901 (XVIIIe arr.). À l’enterrement d’Eva il est déclaré décédé mais cette mention n’est malheureusement pas indiquée en marge de son acte de naissance.

    Il est bon ici de tordre le cou à une légende tenace, qu’on lit encore dans des ouvrages édités récemment, que c’est Picasso qui a donné à Eva le nom d’Eve, « la première femme », et l’a hispanisé en Eva. Ainsi que l’autre légende, qui elle aussi est encore rapportée, que son vrai nom était Marcelle Humbert.

    Cette légende est due à Jaime Sabartès, ami de l’époque barcelonaise de Picasso, qui eut une vie un peu tumultueuse et, après avoir passé quelques années comme journaliste en Uruguay, revint en Europe, en 1935. Picasso venait de se séparer, de façon assez difficile, de son épouse Olga, la ballerine des Balais russes qu’il avait épousée en 1918. Olga sera la femme qui succèdera (en tout cas dans la durée) à Eva dans la vie de Picasso. Elle sera la mère de leur fils Paulo, le premier des quatre enfants de Picasso{14}.

    Incapable de vivre seul et de gérer l’intendance, Picasso proposa à Sabartès de devenir son secrétaire. Il le restera avec des hauts et des bas jusqu’à sa mort en 1968. C’est lui qui, par le don à la ville de Barcelone des œuvres que lui a données Picasso tout au long de leur relation, sera à l’origine du Musée Picasso de Barcelone. Si Sabartès fit office de secrétaire, il fut aussi le gardien fidèle et scrupuleux, chargé de trier les courriers et filtrer les nombreux visiteurs qui assaillaient l’atelier de Picasso, son souffre-douleur aussi. Comme il s’ennuyait un peu, et sous la suggestion de Picasso lui-même, il se mit à rédiger des livres de souvenir sur son Maître.

    C’est donc dans l’un d’eux, Picasso – Documents iconographiques, édité à Genève en 1954, qu’il écrit en commentaire d’une photographie d’Eva en kimono (Illustration 6) :

    « Ce fut Picasso qui l’appela Eve [avec accent sur le E], en guise de compliment, comme s’il voulait montrer par là qu’il la tenait pour sa première femme. Le nom est bref et, traduit en espagnol, prend plus de force. Il dit d’une façon plus sonore et plus précise tout le sens que veut y mettre celui qui l’emploie. Picasso s’acharna à le proclamer, à le produire avec lui devant la postérité, à le rendre public, malgré les règles de l’art du qu’en dira-t-on et, peut-être, avec le désir exprès de le faire savoir à qui de droit […]{15}

    Picasso et tous ses amis connaissaient Eva [avec accent sur le E] sous le nom de Marcelle Humbert, mais semble-t-il que son véritable nom ait été Gouel. Peu importe. Il est plus intéressant, ne fût-ce que pour l’histoire de Picasso, de l’appeler du nom qu’il lui donna puisque c’était le seul qui eût un sens à ses yeux. »

    On voit là tout le lyrisme hagiographique de Sabartès, qui ne s’encombre pas de la vérité pour clamer la grandeur de son héros.

    Cela paraît d’autant plus étonnant que, si Sabartès n’a pas connu Eva, il avait sous la main un témoin des plus précieux, Picasso lui-même, qui pouvait donc établir ou rétablir la vérité. Mais Picasso le voulait-il vraiment ? C’est fort douteux. Toute sa vie il a aimé brouiller les pistes, il n’aimait pas répondre aux questions que ses biographes lui posaient, il était évasif et leur interdisait de prendre des notes devant lui et encore plus de l’enregistrer.

    Mais cette légende, pour aussi belle et crédible qu’elle soit, est bien une légende. La vérité est parfois moins belle, c’est ce qu’ont bien compris des auteurs comme Romain Gary, qui s’évertua à se façonner sa propre légende, que ses biographes ont ensuite dû démêler, après force recherches.

    GEORGES ET MADELEINE : FRÈRE ET SŒUR D’EVA

    Des recherches menées par Christine Deloffre ont permis de découvrir que, contrairement à ce que l’on avait imaginé, Eva n’était pas seule, mais avait – au moins – un frère, et une sœur. Son frère, de onze mois son aîné, Georges Robert, est né le 6 janvier 1884. Ses parents, Paul Gouel et Marie Chirouse habitent alors 16 rue Titon, dans le XIe arrondissement. C’est actuellement une École Communale Maternelle. Il se mariera le 30 octobre 1907 ; il est alors garçon de café. Il sera appelé sous les drapeaux le 1er août 1914, mais sera fait prisonnier dès le 11 novembre en Allemagne, et ne sera libéré que le 8 janvier 1919 : quatre ans et demi de captivité. Il ne pourra donc assister aux obsèques d’Eva le 16 décembre 1915. Il décède le 13 mars 1932. Il a alors 48 ans et est garçon de magasin.

    La sœur d’Eva, Madeleine Emilienne, est née le 10 septembre 1887, soit d’un an et huit mois sa cadette. Elle nait chez ses parents Paul et Marie qui habitent alors 16 rue Letort dans le XVIIIe arrondissement. Nous n’avons pas trouvé plus d’information sur la vie de Madeleine. L’acte de naissance montre que les parents Gouel changeaient souvent de logements. Mais on rencontre cela assez souvent sur les généalogies, à cette époque.

    Aucun indice à ce jour n’a permis de mettre en évidence la relation que pouvait avoir Eva avec son frère Georges et sa sœur Madeleine.

    EVA MÈRE ET MARIÉE

    Comme dit plus haut, les marges des registres d’actes de naissance sont riches d’informations sur les évènements de la vie ultérieure du bébé. Ainsi je découvre, car nul ne l’a mentionné auparavant, qu’Eva s’est mariée le 7 décembre 1901 dans le XVIIe arrondissement, avec un dénommé Fernand Fix. L’acte de mariage est facile à trouver. Petit étonnement, cet acte remplit tout une page du registre, ce qui n’est pas courant pour un mariage simple de gens du peuple.

    Eva, qui n’a alors que 16 ans, y est présentée comme dactylographe. Fernand Fix, lui, est fumiste et a 18 ans. Les époux étant tous deux mineurs, « […] ils ont le consentement des parents de Fernand et du père d’Eva qui habite rue d’Ordener, au 94, dans le XVIIIe arrondissement. » On peut supposer qu’Eva, ayant perdu sa maman, avec un père s’occupant sans doute peu d’elle, a trouvé en Fernand, bien jeune lui aussi, l’épaule dont elle avait besoin. Néanmoins, elle avait sans doute reçu un début d’éducation, lui permettant de devenir dactylographe. On notera, dans les lettres qu’elle écrira plus tard aux amis de Picasso et à son amie Fifine, qu’elle a une belle écriture et qu’elle écrit des textes dénotant une bonne éducation.

    Eva et Fernand habitent au 8 rue Davy, maison aujourd’hui démolie et laissant un terrain béant.

    Mais ce que je découvre aussi, en lisant l’acte de mariage jusqu’au bout, c’est que Fernand et Eva ont une fille, Fernande, née onze mois auparavant, le 5 novembre 1900. Eva n’avait alors que 15 ans et 8 mois. Il est en outre précisé que cette petite fille est en cours de légitimation. On peut donc penser que le mariage a été provoqué par cette naissance. L’acte de naissance de Fernande indique qu’elle est née au 2 rue Ambroise Paré, dans le Xe arrondissement, adresse de l’hôpital Lariboisière, fille de Eva Gouel, 16 ans, employée de bureau rue Cardinet, et de père non dénommé. Il est écrit ensuite que l’enfant a été présenté et déclaré par Emile Morin, 41 ans, employé « au domicile duquel l’accouchement a eu lieu […] ». Emile Morin était sans doute un employé de l’hôpital.

    Il est un peu surprenant que la naissance ait eu lieu à l’hôpital car, à cette époque, les femmes accouchaient le plus souvent à domicile. Eva a-t-elle besoin d’une assistance médicale, ou est-elle déjà en rupture de ban d’avec ses parents, et n’a nulle part où accoucher.

    En marge de l’acte de naissance de Fernande, est rapportée la reconnaissance faite le 23 mars 1901, par Eva Gouel et Fernand Fix, de Fernande comme leur fille. En dessous, difficilement lisible, il est rapporté que, par suite de leur mariage le 27 décembre 1901, les époux ont légitimé cet enfant. La reconnaissance acte de la filiation (reconnaissance de maternité ou de paternité) de l’enfant naturel (hors mariage) à un ou ses deux parents, la légitimation, elle, confère à l’enfant naturel la qualité d’enfant légitime lorsque les parents sont mariés légitimement, impliquant, pour l’enfant, le port du nom du père et le droit d’hériter. Fernande Gouel devient ainsi Fernande Fix.

    Dans l’acte de reconnaissance, Eva est dactylographe et Fernand machiniste. Ils sont domiciliés au 25 rue Nollet, dans le XVIIe. On note que, huit mois plus tard, lors de leur mariage, Eva et Fernand se rapprochent du père de ce dernier, qui habite 17 rue Lacroix, une rue perpendiculaire à la rue Nollet. L’immeuble est de belle allure. Cette proximité put être un peu lourde pour Eva, qui, comme la suite le montrera, aime une certaine liberté et indépendance.

    Quant à Fernand Fix, que l’on connaît maintenant, il est né le 30 décembre 1882 à Auxerre, dans l’Yonne. Il est le fils d’un employé de chemin de fer, Georges Fix, et d’une couturière, née Louise Albertine Besson. Lors du mariage avec Eva, il a 18 ans et est fumiste : il répare et installe des conduits de cheminées.

    Dans la marge de l’acte de mariage, j’apprends aussi que le mariage n’a duré que neuf années et qu’un divorce a été prononcé le 21 avril 1909, « à la requête et au profit du mari ». Fernand a progressé dans l’échelle sociale puisqu’il est devenu comptable. Eva pour sa part est déclarée « sans domicile ni résidence connus ». Visiblement Eva a quitté le domicile du couple sans donner de nouvelles. Le divorce résulte d’une procédure judicaire, initiée par Fernand, tout juste un an auparavant, les publicités faites de ce jugement n’ayant pas été opposées par Eva, qui n’a pas réapparu.

    Cette procédure de divorce correspond au « divorce pour altération définitive du lien conjugal », où l’un des deux époux atteste que son conjoint a quitté le domicile conjoint depuis au moins deux ans et, dans le cas présent, ne donne plus signe de vie. On considère alors qu’il y a manquement aux devoirs du mariage et que le couple a cessé la vie commune. Le divorce est alors prononcé de droit par le juge, sans avoir besoin de l’accord du conjoint disparu.

    QU’EST DEVENUE FERNANDE ?

    Les recherches que nous avons menées, ne nous avaient pas permis de trouver trace du destin de la petite Fernande Fix. Aucune mention, autre que celles de la reconnaissance et de la légitimation, ne figure en marge de l’acte de naissance de Fernande. Et aucun élément n’indique qu’Eva continuera de s’occuper de Fernande par la suite.

    C’est Laurence Madeline{16} qui nous a mis sur la piste du destin tragique de Fernande. Le 4 mai 1901, son père Fernand Fix la conduit à l’Assistance publique de Paris. Le bébé a alors tout juste six mois. Dans le Bulletin de renseignements{17}, à la rubrique : « Explication détaillée des motifs qui ont amené à l’abandon de l’Enfant… » il est indiqué : « La mère est malade et le père sans travail dans l’impossibilité de continuer à payer les mois de nourrice il se voit forcé d’abandonner leur enfant à l’AP jusqu’à ce que sa situation se soit améliorer [sic]. ». En fait il ne s’agit pas à proprement parler d’un abandon, car ils souhaitent reprendre la fillette lorsque leur situation sera améliorée.

    Eva Celeste Gouel, la maman, qui ne semble pas avoir été présente lors de la remise de l’enfant, est déclarée journalière ; Fernand le père est machiniste ; ils habitent tous les deux 29 rue Boulets dans le XIIIe arrondissement. (Il existe de nos jours une rue des Boulets à Paris mais située dans le XIe arrondissement). Un Bulletin de naissance est joint au dossier, où figure en marge la reconnaissance de l’enfant par Fernand Fix et Eva Gouel le 23 mars 1901.

    Le lendemain de l’« abandon », un certificat du médecin de l’Hospice des enfants-assistés indique que « … l’enfant Fix Fernande… ne prend pas le sein et doit être envoyé à la campagne pour être élevé au biberon. » L’enfant est alors envoyée à la Direction de Toucy dans l’Yonne du Service des enfants assistés. Elle décède moins d’un mois après, le 2 juin dans le village de Saints (rebaptisé Saints-en-Puisaye). La cause du décès : convulsions. L’acte de décès indique que c’est Alfred Chambard, âgé de trente-neuf ans, charron, nourricier de l’enfant, qui est venu faire la déclaration. Le bébé est mort à son domicile. Fernande est déclarée « âgée de six mois, née le cinq novembre 1900, Élève de l’Administration générale de l’Assistance publique de la Seine, sans autre renseignement. »

    Il est curieux alors de lire six mois plus tard, sur l’acte de mariage d’Eva et Fernand du 7 décembre 1901, que les mariés, par ce mariage et la reconnaissance qu’ils ont faite de Fernande en mars, légitiment l’enfant, qui est alors mort. Mais, curieusement aussi, alors que l’Assistance publique a tous les éléments pour le faire, les parents n’ont visiblement pas été informés du décès de Fernande, et ce décès n’a pas été porté non plus sur l’acte de naissance de Fernande. La Mairie de Saints ne pouvait non plus transmettre cette information à la Mairie du Xe arrondissement de Paris, car elle n’en avait visiblement pas connaissance.

    Peut-être était-ce la règle qu’un enfant « abandonné » perdait tout lien avec ses géniteurs. Le lieu de naissance permettant de retrouver ce lien en consultant l’acte de naissance, n’est pas mentionné. Cela au moins, sans doute, tant que les parents, ayant retrouvé meilleure fortune, ne viennent rechercher leur enfant. Eva et Fernand, peu après leur mariage, ont-ils fait cette démarche auprès de l’Assistance publique de Paris ? Pour y apprendre que leur fille est morte depuis six mois. Cela a dû être effrayant pour tous les deux, et ne pas faciliter la

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