Les diamants du Noratlas et autres anecdotes de ma vie
Par Jean Secret
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Ancien pilote militaire belge, Jean Secret a vécu, tout au long de sa carrière, des événements parfois peu ordinaires. Dans Les diamants du Noratlas et autres anecdotes de ma vie, il se plaît à les recenser.
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Les diamants du Noratlas et autres anecdotes de ma vie - Jean Secret
1
L’amitié du Général
Kinshasa, 07 juillet 1991. L’air chaud et humide du Bas-Congo colle déjà ma chemise d’uniforme sur ma peau. Je ne suis revenu au Zaïre que depuis la veille et le contraste avec le climat belge n’a pas encore eu le temps de s’estomper. Cela sera beaucoup plus supportable d’ici deux ou trois jours.
Je viens de prendre possession de la vieille Peugeot 504 break marron que le « Patron », Monsieur Bemba, met à ma disposition. C’est ma seconde période comme pilote de remplacement pendant les mois de congé des commandants sur Boeing 727 de sa compagnie, la « Scibe Zaïre ».
Je me gare devant la maison du Général Kikunda, chef d’état-major de l’armée de l’air zaïroise et directeur de la RVA (Régie des Voies Aériennes).
Il y a quelques mois, les nouvelles venues de l’ancien Congo Belge avaient fait état des problèmes que rencontrait le Général dans son pays. Cet homme puissant, qui a l’oreille du Président Mobutu, traverse à ce moment une période difficile. En visite à l’aéroport de N’djili, il a eu une réaction violente face à un garde dont il estimait qu’il faisait mal son travail et l’a giflé. Malheureusement, la stature puissante et râblée du général a doté ce geste d’une force telle que le pauvre militaire s’est écroulé sur place avant de décéder. À la suite de ce tragique épisode, le Général avait été momentanément écarté de toutes ses fonctions officielles, avec pour effet de limiter ses déplacements.
Pour l’avoir transporté à maintes reprises lors de mon précédent engagement par la Scibe, je n’ignorais pas qu’il possédait des plantations plus au Nord, dans la région de Géména. Il s’y rendait assez souvent. Nous avions également, lors de ces vols, pu établir entre nous une relation sympathique et respectueuse. Le Général ne manquait pas d’humour et ses qualités de pilote étaient loin d’être médiocres.
Dans le métier, cela rapproche.
Il convient de préciser ici, pour le lecteur qui ne connaîtrait pas l’Afrique, qu’un bon réseau de relations y est essentiel pour évoluer souplement, surtout comme expatrié, dans ces sociétés où les liens de famille ou d’amitié revêtent une importance primordiale.
Engagé par Monsieur Bemba Saolona, proche du président Mobutu et membre riche et influent de la société zaïroise, je n’avais bien sûr aucun problème de « protection ».
Mais, je l’ai dit, j’estimais le général Kikunda. Sans doute y avait-il aussi dans cette considération une part de respect du militaire pour un chef plus haut gradé.
J’avais décidé de lui rendre visite dès que j’en avais l’occasion.
J’ai sonné. La porte s’ouvre sur un militaire en uniforme de major. Petit mais bâti comme un roc, il dégage une impression de puissance à l’état brut qui force la déférence. Son visage est fermé, presque hostile. Je me présente et lui explique que je souhaiterais, si possible, être reçu un instant par son patron.
Du fond de la maison, j’entends aussitôt la voix plutôt fluette du général qui dit :
« Entre, Commandant, entre. » Le major me précède donc dans le salon où le général, assis dans un sofa, se lève pour m’accueillir assez chaleureusement.
Je risque alors les quelques phrases que j’ai préparées à son intention dans ma tête, en espérant ne pas le vexer.
« Mes respects, mon Général, me revoilà à Kinshasa pour 3 mois (c’était la durée prévue de mon contrat). J’ai cru comprendre, par quelques rumeurs qui sont parvenues jusqu’en Belgique, que vous aviez connu quelques petits soucis du fait d’un malheureux accident. Je tiens à vous dire que je suis à votre disposition si, lors de mes vols, je peux vous aider de quelque manière… »
Le général me regarde intensément. Je crains un instant d’avoir été maladroit et de l’avoir contrarié. C’est une perspective inconfortable.
Mais il se tourne vers le major qui se tient à côté au garde à vous et lui dit d’un ton soutenu :
« Tu vois, Elombé, le commandant, là, ça, c’est un ami. Il a entendu que j’avais des problèmes et il vient me proposer son aide… Tu vois, ça, c’est un ami blanc. »
Et, se tournant à nouveau vers moi :
« Merci, Commandant, je ne crois pas que ce sera nécessaire, mais je te remercie. »
J’étais, dès ce moment, devenu pour lui un véritable ami, comme il me le prouva par la suite…
2
La rancune du ministre
Il convient d’expliquer les raisons qui m’ont poussé à « atterrir » chez Scibe Zaïre en 1990.
Ma carrière comme officier-aviateur à la Force Aérienne belge a couru de 1972 à 1997.
Ce furent des années inoubliables tant elles furent captivantes, mouvementées et pleines de surprises. Mais elles s’avérèrent décevantes aussi par moments…
Fin 1989, le socialiste Guy Coëme est ministre de la Défense Nationale.
Les USA viennent de développer leur nouveau système de missiles de défense nommé « Patriot ».
L’état-major programme, en Boeing 727, une mission destinée à permettre au ministre de se rendre aux États-Unis pour y assister à une démonstration de ce nouveau missile à la réputation féroce.
Excellent avion, le Boeing 727 fait néanmoins partie de ce que l’on appelle en aéronautique la classe des moyens courriers. Traverser l’Atlantique nécessite plusieurs escales. Notre route classique se fait via une première escale en Islande, puis un second arrêt au Canada pour ensuite, lors d’un troisième vol, atteindre enfin les USA.
Il va de soi que c’est une longue prestation, à la limite de la durée maximale autorisée sans prise de repos.
Le planning de la mission ministérielle « Patriot » prévoit Phoenix (Arizona) comme destination finale, ce qui rallonge le trajet d’un segment de vol supplémentaire. Un seul équipage ne suffit donc plus à la tâche puisqu’il n’est pas prévu de repos intermédiaire entre Bruxelles et Phoenix.
Je fais partie des pilotes désignés pour participer à la mission. Rien d’exceptionnel si ce n’est la durée du trajet.
Les équipages sont en effet rodés au transport des passagers dits « VIP », parmi lesquels les hommes politiques ne sont pas toujours, loin de là, les plus agréables ni les plus polis.
Notre ministre de la Défense entre dans la catégorie des gens assez courtois et raisonnables.
Le problème viendra d’ailleurs.
Ce fut une mission sans problèmes particuliers.
Cependant, deux jours après notre retour, la presse, flamande si je me souviens bien, dénonce dans ce vol un abus et des dépenses inconsidérées totalement inutiles. Le ministre n’aurait-il pas pu se rendre aux USA en avion de ligne ? Était-il justifié de monopoliser un avion militaire et autant de membres d’équipage pour le déplacement du seul ministre dont on se demande d’ailleurs s’il est vraiment allé voir la démonstration du missile ; n’aurait-il pas plutôt été jouer au golf avec quelques amis du coin ?
Alors qu’il ne s’agissait sans doute là que de basses manœuvres de dénigrement aux visées politiques, on soupçonna aussitôt l’un ou l’autre des pilotes d’avoir ainsi rameuté la presse en dévoilant, contre tout devoir de réserve, les détails de la mission à quelque journaliste de ses amis.
J’ignore la vérité dans cette histoire.
Mais elle fut à l’origine de ma décision d’aller voler un moment en Afrique. En effet, dans les mois qui suivirent, les deux Boeing 727 de la Force Aérienne restèrent au sol plus souvent qu’ils ne volèrent. Le bruit courut que le budget de ces deux avions avait été restreint sur ordre du ministère. Était-ce le cas ou s’agissait-il de bruits infondés ? Je l’ignore mais le fait est que, de janvier à avril 1990, je ne pus totaliser qu’une trentaine d’heures de vol.
C’est peu, très peu, trop peu même pour conserver les automatismes et la finesse de son pilotage et se sentir vraiment à l’aise dans le cockpit.
Et c’est ainsi que, lorsque le chef pilote de Scibe Zaïre vint nous proposer un contrat temporaire pour l’été, je décidai d’accepter pour enfin revoler à un rythme « normal ».
À titre de comparaison, pendant ces trois mois de vol au Zaïre, j’ai effectué, à ma plus grande satisfaction, plus de 251 heures de vol.
Alors, qu’elle fût réelle ou inventée, la rancune du ministre m’offrit l’une des plus belles expériences de ma vie. Je l’ai d’ailleurs renouvelée l’année suivante…
3
La médiocrité d’un journaliste
À la fin des années 70, je fis ma conversion sur Hawker Siddeley HS 748.
Le « HS » comme nous l’appelions familièrement est un bimoteur turbopropulsé de fabrication britannique. Équipé de moteurs Rolls-Royce Dart, c’est un avion lent, d’une stabilité remarquable, qui peut emporter une quarantaine de passagers.
Début 80, j’ai pour mission d’aller chercher un groupe de journalistes à l’aéroport de Kassel. En ce début d’année, le temps est maussade. Kassel a la particularité, à cette époque, d’être un aéroport strictement VFR (Visual Flight Rules). Cela veut dire que les conditions météorologiques doivent répondre à certains critères minima précis permettant au pilote de faire son approche à vue. Si ces conditions ne sont pas réunies, il n’y a pas d’aides possibles de la part des contrôleurs pour permettre à l’avion d’atterrir. Il est alors forcé de se dérouter vers un autre aérodrome. C’est simple, clair et précis. Sauf pour un journaliste de mauvaise foi.
Lorsque nous approchons de Kassel, en contact avec le contrôle local, il y a sous l’avion une mer de nuages très dense. Le contrôleur nous autorise à descendre à l’altitude minimum de sa zone de contrôle, soit à cinq mille pieds (environ 1500 mètres). Nous sommes à la limite des nuages. J’effectue quelques tours pour essayer de trouver une brèche dans l’épaisse étendue vaporeuse. En vain.
J’appelle le steward et lui demande de regarder par les hublots latéraux pour essayer de repérer un « trou » par lequel nous pourrions éventuellement descendre pour trouver la piste. Peine perdue, la masse des nuages est désespérément uniforme et il n’y a aucun espoir d’atteindre Kassel à ce moment. Je décide donc finalement de nous dérouter vers Frankfurt, mieux équipé, à une bonne centaine de kilomètres de là.
Les passagers sont aussitôt