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Les colonnes de Buren
Les colonnes de Buren
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Livre électronique293 pages3 heures

Les colonnes de Buren

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À propos de ce livre électronique

Ourdie au sein d’un établissement de crédit d’un Émirat du Golfe, une énorme escroquerie secoue la Banque Nationale, engendrant de fortes tensions et une intervention policière éruptive. Alors que les assassinats pullulent, les enquêteurs recourent à des méthodes surprenantes pour tenter de déceler la vérité. Francine et Charles, deux jeunes fonctionnaires, côtoient ces tourments qui ne les laisseront pas indemnes. Qui parviendra à élucider ces mystérieuses et cruelles affaires ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Directeur général honoraire de la Banque de France, Jean-Pierre Patat a écrit plusieurs ouvrages financiers et, plus récemment, des livres historiques parmi lesquels "La crise financière et la fin de l’Ancien Régime" et "De Gaulle, un combat contre tous – 1940-1945", publiés respectivement en 2015 et 2018 par l’éditeur Bernard Giovanangeli.
LangueFrançais
Date de sortie14 mars 2024
ISBN9791042218287
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    Aperçu du livre

    Les colonnes de Buren - Jean-Pierre Patat

    Principaux personnages de l’histoire

    Francine Montclar, haut fonctionnaire au ministère des Finances

    Charles Saint-James, Chef de cabinet du président de la Banque Nationale

    André Radcliffe, président de la Banque Nationale

    René Lajatte, vice-président de la Banque Nationale

    Hermione Saratoga, commissaire à la Brigade financière

    Mahmoud Taïeb, ancien ambassadeur de l’émirat du Quenam à Paris

    Georges Janvier, directeur des affaires extérieures à la Banque Nationale

    Alfred Latournelle, ministre des Finances

    Joseph Marianez, inspecteur à la police criminelle

    Robert Chabot, directeur de cabinet du ministre des Finances

    Pierre Dumoulin de l’Oliveraie, ministre des Affaires étrangères

    Julien Dubrulé, directeur de l’hebdomadaire, Le Zèbre à Lunettes

    Jean-Claude Tabarin, rédacteur en chef du Zèbre à Lunettes

    Julien Perthuis, meilleur ami de longue date de Charles Saint-James

    Marianne Perthuis, épouse de Julien Perthuis

    Jean Valade, commissaire de police à Saint-Germain-en-Laye

    Marie-Antoinette Radcliffe, épouse d’André Radcliffe

    Édouard Difental, Président du Conseil

    Pierre-Henri Leloup, directeur adjoint des affaires extérieures à la Banque Nationale

    Ahmed Benargi, premier secrétaire de l’ambassade du Quenam

    Marie-Thérèse Saint-James, mère de Charles Saint-James

    Paul Chapardeau, huissier à l’antichambre du président Radcliffe

    Lakdar Ben Gazaoui, ou Dugazon, terroriste

    Gisèle Salvia, employée à l’ambassade du Quenam

    Jean-Louis Pastis, expert en contrats pétroliers

    Roger Balleroy, directeur général de la Police criminelle

    Yvain, petit ami, durant quelques mois, de Francine Montclar

    Jérôme Bessières, commissaire à la Police criminelle

    Bernard-Gabriel Laplanque, ministre de l’Économie

    Joseph Baraque, ministre de la Défense nationale

    Marie-Thérèse Galiffon, secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères

    Béatrice de Matief, ancienne fiancée de Charles Saint-James

    Barberousse, surnom donné par André Radcliffe au président de la Banque Nationale germanique

    Docteur Malouf, chirurgien à l’hôpital Saint-Louis

    Florence, premier amour de Charles Saint-James

    Albert Piedharend, directeur de la comptabilité à la Banque Nationale

    Jacques Durand-Larivière, président de l’Association de Défense des chrétiens d’Orient, ADCO

    13 juin

    début de soirée, cour du Palais Royal

    — Qu’est-ce que c’est ?

    Elle me regarde fixement, la bouche légèrement entrouverte.

    Ce que les fonctionnaires du ministère des Finances, au moins ceux que l’on qualifie de « hauts », ont en commun, c’est de vouloir en toute occasion être au courant de tout. Convaincus que leur administration est le centre décisionnel du pays, ils ne supportent pas d’être à l’écart de la moindre information. Francine ne déroge pas à ce réflexe tribal. Elle a déjà tourné vivement la tête vers moi lorsque L’air du champagne de Don Giovanni, un gadget dont j’ai eu la faiblesse de doter mon téléphone portable, a retenti. Et maintenant, elle ne me quitte pas des yeux, n’attendant même pas que la conversation soit terminée pour manifester son impatience. Une impatience traduite par ce « qu’est-ce que c’est ? » plutôt trivial. Il faut dire que je ne lui facilite pas la tâche, car les seules paroles que je proférerai au cours de l’entretien sont « si tôt ? » et « d’accord ».

    Francine, une si jolie fille, prenant plaisir ou se croyant obligée, vu ses éminentes fonctions, à attrister son charmant physique par des tailleurs pantalons de teinte muraille, des chignons aux formes absconses et des lunettes dont on peut, en deux secondes, constater qu’elle n’en a pas vraiment besoin. Comme si elle craignait de ne pas être prise au sérieux, en dépit de ce prénom, un prénom que des parents patriotes donnaient à leur nourrisson durant les années d’occupation et devenu rare dans sa génération.

    Pour cette sortie que nous faisons ce soir à la Comédie française, elle s’est tout de même relâchée, avec sa robe légère bien appropriée à cette belle soirée de juin, ses cheveux souplement retenus par un catogan. Hélas, elle a conservé ses lunettes qui, heureusement, vu la minceur des verres ne voilent pas le bleu de ciel mycénien de ses yeux. Ce bleu devenu presque féroce à force de curiosité mal contenue.

    — Qu’est-ce que c’est ? répète-t-elle, la communication à peine terminée.

    — Suis-je obligé de te répondre ?

    — C’est inouï ! Nous parlons tranquillement. Ta crécelle mozartienne nous interrompt et je devrais sagement patienter en attendant que tu veuilles bien revenir à notre conversation. Monsieur Charles de Saint-James, chef de cabinet du président, aurait quelque chose à me cacher ?

    Elle a pris ce ton vipérin qu’elle emploie fréquemment dans les réunions professionnelles pour impressionner ses interlocuteurs. Un comportement souvent exaspérant, mais qu’une femme ayant quelques responsabilités est quelquefois obligée d’avoir devant la masculinité, au mieux sceptique ou ironique, au pire méprisante, voire carrément hostile.

    Dans un sens, elle n’a pas tort. Je suis le premier à pester lorsque mon vis-à-vis se croit autorisé à interrompre notre dialogue pour saisir goulûment son portable.

    — C’est peut-être privé. J’ai le droit, non ?

    — Non ! D’ailleurs je suis bien certaine que ce n’est pas privé comme tu dis. Il n’y avait qu’à voir ta tête !

    Je me demande parfois si cette amitié qui nous lie depuis près de deux ans n’est pas téléguidée par ses supérieurs. Des supérieurs plutôt avides de s’informer sur ce qui se passe à la Banque, et qui auraient imaginé ainsi pouvoir, à bonne source, s’enquérir de ce qui se trame dans une maison qui ne cultive pas l’extroversion. Oui, à la source, car mes fonctions de chef de cabinet du président de la Banque Nationale font de moi, certainement pas le plus important, mais son plus proche, son plus constant collaborateur. Il y a bien sûr des aspects opérationnels avec le rôle de filtre que j’assume pour canaliser, voire trier, commenter la marée de notes et de courriers dont il est destinataire, ce qui ne va d’ailleurs pas sans frictions avec les services concernés. Mais j’assume également les tâches logistiques devant permettre à un homme aux responsabilités énormes d’être toujours opérationnel, dégagé des contingences matérielles attachées à un emploi du temps quelquefois inhumain et grevé à plus de la moitié par des déplacements à l’étranger. Agent de voyage, nounou, confident de son patron, allant même jusqu’à dire à son épouse combien de paires de chaussettes et de chemises il faut prévoir pour le périple qu’il va entreprendre, avec des accompagnants divers, mais jamais sans moi. Des fonctions, pour certaines d’entre elles plutôt ancillaires et qui, parce qu’ancillaires, me permettent, sans que je fasse beaucoup d’efforts, d’être au courant de presque tout.

    Elle s’est assise sur une des colonnes que Buren a installées dans la cour du Palais Royal. Des colonnes qui ont déchaîné les passions, provoqué les clameurs des gardiens du temple de l’architecture à la Française et accessoirement de ceux qui garaient leur voiture à cet emplacement. Des clameurs bien oubliées aujourd’hui et qui pourraient faire place à des lamentations tant le lieu a mal vieilli. Le sol, déjà guère avenant lors de l’inauguration, est maintenant strié de traces noirâtres. La petite rivière qui faisait la joie des touristes et où on jetait des pièces est souvent tarie. Même la belle matière des colonnes a souffert des outrages du temps. Je lui en fais la remarque, mais elle ne me répond pas. Elle boude.

    — Bon ! je vais te dire ce qu’il en est et tu vas être déçue. C’est René qui me prévenait d’une réunion impromptue avec le président demain à 8 h.

    — Si tôt ?

    — Toi qui ne perdais pas une miette de l’appel, tu as pu constater que c’est la remarque que je lui ai faite.

    — Et René ne t’a pas dit pourquoi le président, qui déteste se lever avant l’heure de l’apéritif, a organisé cette réunion ?

    René ! Le vice-président. Peut-être le seul haut responsable de la finance française que toute la place de Paris appelle uniquement par son prénom. Il faut dire que ce personnage, quelque peu hypocondriaque, dont la gentillesse n’a d’égale que la légèreté professionnelle, a su attirer la sympathie générale parce qu’il est prévenant et tellement inoffensif !

    — Tu as pu constater la brièveté de la communication. Non, il ne m’a rien dit.

    Elle fait toujours sa tête des mauvais jours et moi, qui dois être dans un bon, j’ajoute :

    — Allez ! Sois tranquille, je te dirai lorsque je saurai.

    Elle me sourit enfin.

    — Si j’estime que je peux te le dire ! Allons-y. C’est l’heure.

    Athalie est la première pièce de Racine que j’ai étudiée au lycée. Une entrée en matière plutôt rude, mais c’était au programme, et qui m’avait ébloui. Plusieurs dizaines d’années après, j’avais couru voir la pièce dans un théâtre où, d’après les critiques, la mise en scène était bouleversante. On pouvait la qualifier ainsi… ou la trouver… abracadabrantesque. Voire grotesque. Athalie en mère maquerelle manouche, Joad en parrain mafioso, Abner en nervi, et Joas en jeune délinquant au grand cœur ! Alors, j’avais besoin de ce spectacle à la Comédie française dont je savais bien que la mise en scène n’était pas « bouleversante », mais qui, j’en étais sûr, me replongerait enfin dans ce souvenir magique.

    Effectivement, ce n’était pas bouleversant. C’était simplement bien, retransmettant avec justesse le caractère imposant de cette vieille reine, scélérate, mais d’une formidable grandeur, jusque dans ce moment de lucidité tardive et désormais inutile : « Impitoyable Dieu ! Toi seul as tout conduit ! »

    Francine a aimé. Nous avons beaucoup de goûts communs dont l’un, assez rare, est une certaine indifférence pour le cinéma. Indifférence quelquefois difficile à vivre avec nos entourages, plus cinéphiles, voire pour certains cinéphages qu’amateurs de théâtre ou d’opéra.

    — Il faut que je te dise quelque chose.

    Nous nous sommes assis sur la terrasse de ce joli café de la place Colette. Il est vingt-deux heures passées et la lumière du jour n’a pas encore complètement disparu. Ce lieu, dont l’atmosphère semble avoir emprunté sa couleur ambiante à celle de la pêche, avec sa palpable impression satinée, je le considère comme l’un des plus envoûtants de Paris. Il n’a rien de majestueux, de solennel. Pas de perspectives, pas de monument imposant. Ce pourrait être le point central d’une grande ville autre que la capitale, mais, alors que le vacarme de la circulation l’effleure, il dégage un irrépressible effluve d’humanisme, d’intelligence de vivre. Sur moins d’un hectare, à une heure ou à une autre on y trouve un rare concentré de vie. On y rencontre des fonctionnaires du Conseil d’État bien habillés, des agents du ministère de la Culture, affectant un comportement d’intellos relax, avec presque tous une longue écharpe rouge, des fanatiques de la planche à roulettes, des couples enamourés qui se retrouvent dans le café où nous sommes assis, le patron qui, à cette heure tardive, essaie à tout prix de refiler aux clients les tartes aux pommes qui lui restent, des touristes asiatiques pressés d’aller vers ce qui présente le moins d’intérêt, les colonnes, des habitués de la librairie qui manipulent frénétiquement les livres d’occasion présentés dans des bacs, des vieux et des vieilles qui se chauffent au soleil avec leur chien sur un banc, des vendeurs de journaux, des riches qui sortent de l’hôtel du Louvre et des chasseurs qui les accompagnent à leur voiture, des pauvres qui draguent, qui extraient des journaux des bacs dans lesquels les ont jetés des lecteurs pressés, des comédiens qui parlent fort, des amateurs de cigare qui sortent de l’une des désormais très rares boutiques où l’on en vend, des auteurs qui font des séances de signature dans les locaux de la librairie, des dames qui courent pour ne pas rater l’unique taxi qui se trouve à la station de l’autre côté de l’avenue, des mères de famille qui amènent leur progéniture au bac à sable du jardin… du sable venu tout exprès de Deauville, des Chinois qui ne savent pas par où on entre au Musée du Louvre, des pigeons. On pourrait parler des boutiques, pour beaucoup improbables, qui occupent les arcades du Palais, avec, par exemple, celles qui exposent des figurines, en se demandant qui achètera celle représentant Marie-Antoinette allongée sous la guillotine ? On pourrait s’étendre sur le théâtre permanent de l’espace qui abrite notamment les fameuses colonnes, les positions se voulant acrobatiques, comiques ou lascives dans lesquelles se font photographier les visiteurs, les filles qui se font bronzer assises sur les marches de la fontaine. On pourrait aussi se rappeler un peu d’histoire dont ces lieux regorgent, avec la brasserie Raguenau, repère de Cyrano, les jardins du Palais où le jeune Bonaparte rencontra la prostituée qui le déniaisa, et où les harangues enflammées de Camille Desmoulins frappèrent les premiers coups de la Révolution.

    Elle a allumé une cigarette.

    — Je vais entrer au cabinet de Latournelle.

    — De cet abruti !

    — Un abruti ministre des Finances…

    — On ne le sait que trop !

    Albert Latournelle. Il n’y avait pas que moi pour affubler le ministre de ce qualificatif peu flatteur. Surdiplômé et pourtant manquant souvent de bon sens, commettant des erreurs d’analyse qu’il imputait ensuite à ses collaborateurs. Moyennement cultivé au surplus, en tout cas dans certains domaines, et en dépit de ses diplômes. N’avait-il pas un jour, lors d’un voyage officiel en Russie, confondu l’opéra Carmen, il est vrai chanté en langue locale, et que ses hôtes avaient programmé pour l’honorer au cours d’une soirée au Bolchoï, avec de la musique russe ? Un vaniteux qui devait sa position ministérielle à la situation stratégique qu’occupait son parti, le Parti des Démocrates de Progrès, le PDP, une petite formation à la ligne politique plutôt ectoplasmique, mais un parti « charnière » indispensable pour former une majorité parlementaire. « Vous savez quelle est la définition de charnière Saint-James ? Espèce de gond ! » Une des gamineries du président que je ne répéterai pas à Francine pour ne pas gâcher son plaisir, tellement visible à l’idée de franchir une marche, pouvant être décisive, sur l’échelle des plus hautes fonctions.

    — Mais dis-moi, passe pour le ministre que tu ne verras peut-être qu’une fois par mois. Mais il faudra bien te payer Chabot. Celui-là ce n’est peut-être pas un crétin, encore que… mais au bal des faux-culs, il décrocherait aisément un oscar.

    — Oh là, là ! Vous tournez à l’atrabilaire dans votre boutique ! Personne ne trouve grâce à vos yeux. Ça ne vous réussit vraiment pas la solitude !

    — Bon, c’est ton affaire. Mais c’est ton chef qui ne doit pas être content. Lui qui t’apprécie autant qu’il déteste Chabot !

    — Écoute, je suis terrorisée. Je ne le lui ai pas encore dit.

    — J’apprécie la confiance dont tu me fais l’honneur, mais tu devrais te dépêcher de l’avertir, même ce soir, n’hésite pas, après tout, les portables sont faits pour ces situations, car Chabot ne va pas traîner pour le faire, s’il ne l’a déjà fait. Et alors vraiment, Guilliard sera peiné, car c’est un chic type. Oui un chic type : tu vois, on ne déteste pas tout le monde.

    — Chabot m’a dit qu’il n’en parlerait pas avant moi.

    — Tu peux compter sur lui !

    — Oui c’est vrai. Guilliard est un type bien.

    — Dont de surcroît tu es amoureuse.

    Il lui arrive rarement de rire aux éclats, mais là, elle se libère.

    — N’importe quoi !

    — Alors de moi ?

    — Dieu m’en garde !

    Ce n’était pas très fin de lancer ça. Mais je me demande combien de temps cette situation peut durer. Une situation où un homme et une femme sortent ensemble assez fréquemment, préfèrent visiblement être à deux qu’en groupe, mais ne s’écartent pas d’une relation de pure amitié. L’amitié, cette fleur rare que la nature humaine peut faire éclore au milieu d’un terreau de médiocrité, a été abondamment et souvent génialement décrite et analysée par de multiples auteurs. Encore jamais avec autant de profondeur que par les Grecs et les Romains qui avaient décelé ce qu’elle pouvait représenter de meilleur dans la nature humaine, et aussi la fragilité dont elle pouvait souffrir. Pour tous, elle est l’apanage, l’exclusivité des hommes. Pas d’amitié entre femmes. Alors, entre un homme et une femme ! L’amour sans sexe ne pourrait être à leurs yeux que mono sexiste. En tout cas, toutes nos relations, hommes et femmes, s’ils n’ont peut-être pas lu Platon, Catulle ou Caton, n’en manifestent pas moins un scepticisme, pour ne pas dire une incrédulité totale envers la nature affichée de notre relation, ce sentiment s’exprimant bien sûr avec des degrés divers de délicatesse.

    — Ce que j’en dis, moi, c’est pour toi. À ton âge, il faudrait faire une fin.

    C’est vraiment nul, surtout qu’elle est encore bien jeune. J’avance la main pour lui serrer le bras en signe de contrition. Mais elle ne se laisse pas toucher. Elle se recule sur sa chaise, devenue vipérine.

    — Parce que tu crois que ta situation de vieux garçon, valet de chambre de son président et qui reprise ses chaussettes, est à ce point normale ?

    Bon, mieux vaut arrêter là. De toute manière, il est tard et je lui suggère de rentrer dans nos domiciles respectifs.

    Elle m’embrasse, mais entre les deux bises réglementaires, trouve le temps de me rappeler :

    — Tu m’as promis que tu me dirais pour la réunion de demain !

    — Tu sens le tabac et en plus tu te jaunis les dents !

    Chez moi, j’appelle René.

    J’habite un appartement de modeste dimension, mais que je ne quitterais sous aucun prétexte, car il est situé dans l’île Saint-Louis, à un étage certes plutôt élevé, qu’il faut atteindre sans le secours d’un ascenseur, pas dans la partie la plus huppée ni la plus ensoleillée, mais qui donne tout de même sur le quai. Un appartement acquis il y a près de dix ans, grâce notamment à un petit magot issu de la rémunération assez généreuse d’un organisme international pour une mission à risques dans un pays à la dérive, et que je ne pourrais sans doute plus m’offrir aujourd’hui.

    — Je ne vous dérange pas ?

    — Pas du tout ! J’étais en train de regarder Les Cordier et ça peut facilement s’interrompre.

    Ça, c’est tout René. D’abord ne pas se formaliser qu’un subalterne le dérange à minuit passé. Ensuite, dire tout bonnement qu’il regarde une série policière. Alors qu’à une heure où la télévision a la prétention de programmer des émissions « sérieuses » ou « culturelles », tous ses congénères prétendraient évidemment être scotchés devant l’une d’entre elle,

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