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De la grippe, encore de la grippe, toujours de la grippe
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De la grippe, encore de la grippe, toujours de la grippe
Livre électronique108 pages1 heure

De la grippe, encore de la grippe, toujours de la grippe

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À propos de ce livre électronique


"L'Europe est malade, la France est malade. Je suis malade. Le monde est malade. Les peuples et les nations qui paraissaient au moins libérales s'abandonnent aux ivrogneries de la gloire militaire, se soûlent de conquêtes. La France a failli recommencer les guerres de religion,-sans avoir même la foi. Les jeunes civilisations, co

LangueFrançais
ÉditeurFV éditions
Date de sortie17 mars 2022
ISBN9791029913624
De la grippe, encore de la grippe, toujours de la grippe

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    De la grippe, encore de la grippe, toujours de la grippe - Charles Péguy

    1

    DE LA GRIPPE

    20 février 1900,

    Immobilisé par une grippe soudaine, je ne pus aller voir d'abord le docteur moraliste révolutionnaire. Aussitôt que ma tête redevint un peu saine, je résolus de compléter le recueil que j'avais commencé de documents et de renseignements sur la préparation du Congrès socialiste national. Mais au moment où j'avais en mains les ciseaux pour découper ces derniers documents et ces derniers renseignements dans la Petite République , le citoyen docteur entra dans la cuisine, où je travaillais l'hiver.

    —Bonjour, citoyen malade, allez-vous un peu mieux?

    —Je vous remercie, docteur: je vais un peu mieux.

    —J'ai su facilement que vous étiez malade; le neveu du boulanger l'avait dit au garçon boucher; celui-ci l'avait redit à la nièce de la marchande de volailles: ainsi vont les nouvelles par ce simple pays.

    —J'ai eu la grippe. Et je l'ai encore un peu.

    —Ainsi vous avez justifié par un nouvel exemple ce que vous m'avez dit à la fin de la quinzaine passée, que vous étiez un homme ordinaire: l'homme ordinaire a eu la grippe ces temps derniers.

    —Vous ne l'avez pas eue, citoyen docteur.

    —Le moraliste n'a jamais la grippe,—à condition, bien entendu, qu'il règle ponctuellement sa conduite sur les enseignements de sa morale. Je vous dirai pourquoi.

    —Je suis bien heureux, citoyen docteur, que vous soyez venu, car il m'a semblé, en y réfléchissant, que nous avions négligé une considération importante en cette question des personnalités: la considération du privé.

    —Nous en causerons, mon ami, quand vous aurez la tête un peu plus solide; aujourd'hui, et si cela ne vous fatigue pas beaucoup, voulez-vous me conter l'histoire de votre maladie.

    —Elle est peu intéressante, citoyen. Le vendredi soir j'avais donné le bon à tirer pour les trente-six premières pages du troisième cahier; les trente-six suivantes étaient pour ainsi dire prêtes; et les soixante-douze dernières étaient fort avancées; je me promettais d'avoir fini le samedi à midi et que les imprimeurs finiraient le samedi soir; j'étais content parce que les cahiers, pour la première fois de leur vie, allaient paraître ponctuellement; je me réjouissais dans mon cœur: insensé qui se réjouit avant l'heure de sa mort! Au moment que je me flattais d'un espoir insensé, tout un régiment de microbes ennemis m'envahissaient l'organisme, où, selon les lois de la guerre, ils marchaient contre moi de toutes leurs forces: non pas que ces microbes eussent des raisons de m'en vouloir; mais ils tendaient à persévérer dans leur être. Où avais-je pris ces microbes ennemis? Les avais-je empruntés au siège de ces cahiers, 19, rue des Fossés-Saint-Jacques, ou à l'imprimerie, ou aux voitures de la compagnie de l'Ouest, ou aux voitures de l'Orléans, ou aux maisons de ce village, où tout le monde est contaminé: je n'avais eu que l'embarras du choix. Le vendredi soir, de retour à la maison, je sentis que ça n'allait pas. Le samedi matin, je me harnachai volontairement. Au moment de partir, le cœur me manqua. Je m'effondrai brusquement. Je me couchai. J'étais malade. Je fis téléphoner aux imprimeurs, qui finirent le cahier à peu près sans moi.

    —Il n'en est pas plus mal.

    —Il n'en est pas plus mal. Ce sont les imprimeurs qui ont relu en tierces la deuxième tournée. J'eus à peine la force de relire pour le sens la troisième et la quatrième tournée. Ils ont relu pour la correction. Puis je devins incapable de tout travail. J'étais malade.

    —Sérieusement?

    —Sérieusement.

    —Quels furent vos sentiments?

    —J'étais sérieusement vexé parce que j'avais toujours vécu sur cette idée que je ne serais jamais malade.

    —Ainsi. Et sur quoi fondiez-vous cette idée?

    —Je ne la fondais pas; je croyais vaguement et profondément que j'étais solide.

    —Ainsi les sociétés et les partis croient vaguement et profondément qu'ils sont solides.

    —J'étais comme les sociétés et comme les partis. Je croyais.

    —C'était donc une simple hypothèse?

    —Une simple hypothèse, et que les événements ont démentie.

    —Vous avez renoncé à cette hypothèse vaine?

    —J'ai renoncé à cette vanité.

    —Vous n'avez point pensé que c'étaient les événements qui avaient tort et l'hypothèse qui avait quand même raison?

    —Je ne l'ai point pensé.

    —Vous n'avez point prétendu que vous alliez d'autant mieux que vous étiez plus douloureusement éprouvé?

    —Je ne l'ai point prétendu.

    —Voilà qui est fort heureux, et vous avez été bien bon. Ignorez-vous que ce que vous n'avez pas fait se fait communément aujourd'hui?

    —Je m'en doutais bien un peu.

    —Quels furent vos ennuis?

    —Je pensais qu'en tombant malade j'avais justifié les prophéties; mais cette justification ne me donnait aucun orgueil.

    —Quelles prophéties?

    —La prophétie qu'il arriverait malheur aux cahiers, parce que l'on ne fondait jamais une entreprise considérable sur un seul homme.

    —Ces prophètes étaient de bon conseil.

    —Ils oubliaient que je n'étais pas tout à fait seul, et que, si presque tout le travail me revenait, j'avais de solides amitiés pour me donner du courage.

    —Qu'arriva-t-il ensuite? comme on dit dans les livres élémentaires.

    —Sur la recommandation de mon ami Jean Tharaud, qui m'en avait dit le plus grand bien, je pris ma petite édition classique des Pensées de Pascal, publiées dans leur texte authentique avec un commentaire suivi par Ernest Havet, ancien élève de l'École Normale, Maître de Conférences à cette École, Agrégé de la Faculté des Lettres de Paris, et dans cette édition, qui me rappelait de bons souvenirs, je lus la Prière pour demander à Dieu le bon usage des maladies. J'admirai comme on le doit cette passion religieuse et, pour dire le mot, cette foi passionnément géométrique, géométriquement passionnée, si absolument exacte, si absolument propre, si absolument ponctuelle, si parfaite, si infiniment finie, si bien faite, si bien close et régulièrement douloureuse et consolée, enfin si utilement fidèle et si pratiquement confiante, si étrangère à nous.

    —Moins étrangère que vous ne le croyez. Mais dites-moi sincèrement pourquoi vous avez lu cette prière au commencement de votre maladie.

    —Devenu avare après plusieurs déceptions financières, j'étais heureux d'utiliser le temps de ma maladie à lire un bon texte. J'étais heureux de lire du Pascal, parce que j'ai gardé pour ce chrétien une admiration singulière inquiète. J'étais heureux de lire une prière que mon ami venait d'admirer. Enfin l'appropriation de cette prière à mon nouvel état me plaisait.

    —N'y avait-il pas un peu d'amusement dans votre cas?

    —Malade pour la première fois depuis un très long temps, je m'amusais un peu et puérilement de ma situation nouvelle. Ainsi les mauvais révolutionnaires s'amusent de la nouveauté quand les premières agitations des crises troublent la tranquillité provisoirement habitable du présent. Je jouai un peu au malade. Mais cet amusement ne dura pas. Mon corps monta rapidement jusqu'à la température de quarante centigrades. Le reste à l'avenant. Je n'en voulus rien dire. Mais j'eus peur. Et pendant trois quarts de journée, moitié par association, moitié par appropriation d'idées, je considérai l'univers sous l'aspect de la mortalité, sub specie mortalitatis, docteur, si vous permettez.

    —Je permets tout à un convalescent.

    —Cet aspect de la mortalité est pour nous mortels ce qui ressemble encore le mieux à l'aspect de l'éternité. Pendant seize ou vingt heures je formai des pensers que je n'oublierai de ma vie et que je vous dirai plus tard. Ce sont des pensées à longue échéance. Croyez que j'avais laissé tous les livres de côté. Je délirais, ce qui est d'un malade, et cependant je voyais extraordinairement clair dans certaines idées saines. Un souvenir singulièrement douloureux me hantait: au moment où j'avais formé le dessein de publier ces cahiers, je m'en étais ouvert à plusieurs personnes en qui j'avais confiance; une de ces personnes me répondit presque aussitôt: «Je vous préviens que je marcherai contre vous et de toutes mes forces.»

    —Celui qui vous parlait ainsi était sans doute quelque guesdiste.

    —Vous m'entendez mal, citoyen docteur: je n'aurais pas eu confiance en un guesdiste. Il y a plus d'un an que j'ai cessé d'avoir confiance au dernier des guesdistes en qui j'avais confiance, et qui était, vous ne l'ignorez pas, le citoyen Henri ou Henry Nivet. Non, le citoyen dont je vous parle, un citoyen bibliothécaire qui me promit de marcher contre moi de toutes ses forces, et qui tint parole, avait naguère été un excellent dreyfusard. Mais quand l'idée de l'unité catholique est entrée dans l'âme d'un moine, et quand l'idée de l'unité socialiste est entrée dans l'âme d'un citoyen, ces hommes sont

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