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Killercatchers... Go!
Killercatchers... Go!
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Livre électronique333 pages4 heures

Killercatchers... Go!

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À propos de ce livre électronique

Une jeune artiste est retrouvée morte dans une baignoire à Brooklyn, le corps tatoué d’étranges dessins. Au même moment, deux hommes sont élus grands gagnants du jeu virtuel Killercatchers... Go ! et savourent déjà leur récompense : un voyage à travers le monde aux frais du créateur anonyme. Mais quels sont les véritables mobiles dissimulés derrière son désir d’anonymat ? Et surtout, y a-t-il un lien entre cette chasse virtuelle et le cadavre de Brooklyn ?

Arrivant au pire moment de sa vie, cette enquête plongera l’inspecteur Vince Carter au cœur d’un terrible casse-tête. Et si, dans cette course contre la montre, celui qu’il traquait avait décidé de le traquer à son tour, allait-il finir comme cette artiste dans la baignoire ? L’art peut-il devenir un alibi à la monstruosité ?

Une histoire envoûtante, profondément humaine ; un suspense bien ficelé avec une fin que vous n’êtes pas près d’oublier...
LangueFrançais
Date de sortie11 févr. 2022
ISBN9782897755768
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    Aperçu du livre

    Killercatchers... Go! - Nadia Savard

    Première partie

    Chasseurs de primes

    Prologue

    Huit mois plus tôt

    « 23 h 25, Beth Randall @ Tamara Dolozel :

    Je veux ton article sur l’incendie de la Beinecke ¹. RIGHT FUCKING NOW !

    23 h 27, Tamara Dolozel @ Beth Randall : 

    Pas encore prêt. Désolée. J’ai comme l’intuition que cet incendie lors des rénovations, alors que la sécurité connaît des failles, n’est peut-être pas un accident, Beth… Et scoop : un des plus énigmatiques manuscrits de la Renaissance, le Voynich (a.k.a. MS 408), a disparu malgré le fait qu’il était abrité dans un casier ignifuge. Étrange, non ?

    23 h 33, Beth Randall @ Tamara Dolozel : 

    Épargne-moi tes intuitions à la con, cocotte, tu n’es pas dans un épisode de Dan Brown ! Et cette fois, PITIÉ : ponds-moi des faits qui n’intéressent pas seulement les milléniaux de ton espèce, O. K. ? Du style : à combien de belles devises américaines on estime les pertes ? Y a-t-il eu des morts ? des blessés ? une secrétaire brûlée à cause de son bracelet Gucci pris dans la déchiqueteuse ? une sortie d’enfants handicapés qui tourne au drame ? Bref, je veux que tu me décrives l’ambiance d’apocalypse sur le campus de l’université de Yale avec tout ce qui est possible de voir surgir des airs ou de terre SAUF des zombies miteux à la Walking Dead, des suceurs de sang du clan des Volturi ou des sorciers poudlardiens adeptes du quidditch ! Tu piges, la pigiste ? Seul LE VRAI, LE PALPABLE, – saupoudré bien sûr d’un peu de crispy – augmente le lectorat et la crédibilité du journaliste ! Oublie le Voynich ! Sur Internet, on ne parle que de vieux papiers de 600 ans remplis de gribouillis jamais déchiffrés, et ÇA, crois-moi, tout le monde s’en fout ! COMPRIS ?

    23 h 37, Tamara Dolozel @ Beth Randall : 

    Aparecium ², noble vétérante de la génération X (X comme multiplie les résistances à l’inconnu en permanence !) Tu verras apparaître comme par magie mon topo sur l’incendie dans tes courriels dans dix minutes. Mais ne compte pas sur moi pour abandonner le Voynich, la renonciation ne figure pas dans ma génétique millénariste ;) Quitte à y passer ma carrière, j’éluciderai ce mystère. En plus, je suis sur une piste. Du croustillant comme tu en raffoles… Bref, fais-moi confiance sur ce coup-ci. Rien de surnaturel (enfin, je crois…) Chose certaine, tu ne seras pas déçue !

    23 h 45, Beth Randall @ Tamara Dolozel :

    Dix minutes, pas une de plus ! Ça m’appendra à faire confiance à des têtes de mule comme toi. Et je reste au bureau… à surveiller que la promotion promise ne parte pas en fumée elle aussi… Je me sens pyromane tout à coup… Comment il disait déjà ton enfant martyr à lunettes ? Incendio, incendio, incendio ! 2 »

    1

    22 juillet, 23 h 00

    Cimetière de Green-Wood, Brooklyn

    GPS : 40° 39′ 08″ N, 73° 59′ 28″ O

    Un soir de pleine lune. Autour d’une pierre tombale sur laquelle une pleureuse en marbre s’était endormie pour l’éternité, des dizaines de jeunes gens armés de leur téléphone portable projetaient de la lumière en pleine nuit, tels des lucioles, éclairant au passage le visage de deux hommes aux aguets : un grand efflanqué à la coupe militaire ‒ Geoffrey Dolan ‒ et un petit rondelet à la barbe disséminée qui lui donnait l’air sévère ‒ Brad Ferreira. La moiteur de la nuit et leur course folle avaient transpercé de sueur leur tee-shirt au logo de leur groupe rock préféré des années 80 ; un sourire mesquin arrondissait leurs joues rougies par un effort soutenu ; dans leurs yeux affolés, ce regard gamin de l’amusement en présence d’un nouveau jeu vidéo qui, aussitôt après sa sortie, avait enflammé des millions de fans à travers le monde entier. Et pour cause ! À l’instar des autres joueurs, Brad Ferreira et Geoffrey Dolan désiraient plus que tout remporter la partie et l’alléchante récompense destinée aux vainqueurs qui y était rattachée : le fameux Grand Prix ! Soit leur seule chance de se détacher un moment du prolétariat et de la misère, leur seule chance d’échapper à leur destin de fauchés chroniques, leur seule chance de goûter enfin au luxe : un voyage à travers le monde où le duo hétéroclite pourrait séjourner dans les plus somptueux hôtels et y vivre les plus enivrantes expériences, et ce, aux frais du créateur anonyme. Deux personnes seulement auraient le privilège de s’envoler pour le Grand Tour³, nom officiel du Grand Prix inscrit dans les règlements du concours. Les destinations choisies, qui demeuraient pour l’heure un mystère, seraient révélées aux vainqueurs par message texte uniquement deux heures avant chaque départ. Et cerise sur le gâteau : la dernière épreuve du Grand Tour serait couronnée par la mirobolante somme de cinq cent mille dollars à gagner. Alors pour y arriver, Geoffrey et Brad n’avaient pas intérêt à lambiner.

    Après une gymnastique de corps plutôt musclée, le plus grand des deux se mit à sautiller sur place à la manière d’un joueur de foot après un but, sur une petite musique teintée d’horreur sortant du haut-parleur de son mobile, musique que semblait bien connaître le principal intéressé : 

    — J’ai un Catch, yahooou ! Pourri derrière les barreaux Billy Joe !

    — Eille, j’étais à deux doigts de l’épingler et tu me l’as chipé ! C’est de la triche, Geoff ! vitupéra le plus petit en frappant le sol poussiéreux avec le bout de ses semelles usées.

    D’un ton un tantinet prétentieux, le plus grand se pencha vers son ami et tenta avec son plus beau sourire de le ramener à la raison :

    — Capturer ce fumier t’aurait servi à quoi, Brad ? T’as moins de trente-cinq mille points au compteur tandis que moi…

    — Ah ouais, t’as combien, toi ? grogna le petit sur la pointe des pieds, la main au collet de son copain, plongeant son regard furieux dans le sien.

    Le plus grand se remit aussitôt à sautiller.

    — Quatre-vingt-quinze mille deux cent cinquante-cinq points, bro ! Carrément dans l’top 10 des Killercatchers les plus actifs de la soirée ! À moi le jackpot, mon pote !

    Frustré, le rondouillet laissa tomber le col du tee-shirt de son copain pour lui taper l’épaule, ce qui lui fit presque perdre l’équilibre. 

    — T’oublies qu’il reste encore LaGoule à coffrer, articula-t-il avec dégoût, imitant avec sa bouche tordue et ses yeux ronds le personnage démoniaque de la série Web dont leur jeu était inspiré. Elle SEULE, accentua-t-il d’une voix tout droit sortie d’outre-tombe, avec ses dix mille points en boni peut te faire remporter la partie ! (Brad s’éclaircit la gorge et plaqua sur son visage fermé un sourire en coin.) Alors juste comme ça, double moustique : tu la vois où sur ton radar cette sadique ?

    Geoffrey fit trois pas vers la gauche, puis vers la droite, fit un tour sur lui-même avant d’examiner la carte virtuelle du cimetière s’affichant sur l’écran de son cellulaire. Son copain avait raison : aucune trace de LaGoule dans les environs et sans elle, inutile d’espérer l’ascension vers le Grand Prix. Refusant de céder à la pression grandissante qui l’assaillait de toutes parts, il adopta la posture repoussante de la sorcière qu’il accompagna d’une voix stridente et se mit à tourner autour d’un monument funéraire en pierres grises très sobres. Sous les assauts de lumière que projetait son téléphone portable, les pots de grès surmontés de chrysanthèmes ressemblaient à de minuscules champignons nucléaires sortant de terre.

    — Pssst ! Pssst ! LaGoule… Pssst ! LaGoule… Viens par ici, ma chérie… J’ai une belle surprise pour toi !

    — Tu crois vraiment l’attirer comme les poulets à l’usine, triple idiot ? répliqua Brad les bras croisés.

    — Que si ! Et si j’lui mets le grappin dessus, c’est toi qui payes la tournée à l’El Sombrero, quadruple radin !

    — Dans tes rêves, quintuple crétin !

    Et les deux hommes dans la vingtaine, deux amis de longue date, se remirent à courir à travers le cimetière en rigolant. Pour les Killercatchers Brad Ferreira et Geoffrey Dolan, se tirer la pipe avait toujours été leur activité favorite, surtout lorsqu’ils avaient la chance d’être en compétition comme ce soir-là.

    Au pied de l’imposante stèle cuivrée de DeWitt Clinton, une vibration du cellulaire de Geoffrey les fit de nouveau s’immobiliser. Leur front ruisselait sous la chaleur que la tombée de la nuit avait à peine estompée.

    — Ouffff, t’as vu ça, vieux ?! souffla Geoffrey, surpris.

    — Beurk, il est vraiment dégueu… C’est qui ? ronchonna Brad en relevant le bas de son tee-shirt pour s’essuyer le visage.

    — Le remplaçant de LaGoule : Ghiribizzi !

    — On dirait qu’il a pris une double pepperoni dans la tronche. Tu l’as déjà vu dans la série, toi ?

    Geoffrey haussa les épaules.

    — J’me rappelle pas.

    — Shit ! C’est p’t-être seulement pour ceux qui ont la version XP du jeu ! ragea le plus petit en serrant les poings sur son vieux smartphone comme pour le broyer. Oh, putain, mais qu’est-ce que j’fais encore avec ce cell-o-saure de mes deux ! Grrrr… Si ma mère avait voulu me prêter du foin aussi. Quelle vieille pingre, celle-là ! Une tueuse de rêves en série pire que LaGoule !

    Inspiré par l’ancien gouverneur de New York qui s’élevait près de lui et célèbre dans les cours d’histoire américaine pour son « mariage des eaux⁴ », Geoffrey eut une idée qui allait, pensa-t-il, les propulser vers la victoire. Ses pouces se mirent à pianoter sur l’écran de son cellulaire à la vitesse de l’éclair pendant que Brad, lui, ayant sombré de tout son poids par terre, aussi déprimé qu’affamé en raison de cette chasse virtuelle qui les avait fait galérer dans la ville depuis des heures, se perdait en jérémiades :

    — Oh, Geoff, ta mère est trop cool, ça me saoule… T’as qu’à demander et hop, c’est dans la poche ! En plus, elle fait le best Mac and Cheese ever ! Du Mac and Cheese bien gras, bien juteux… Miam-miam, le repas des dieux ! saliva-t-il en se frottant l’estomac remué de borborygmes avant de supplier son ami d’un regard insistant : Eh mec, ça fait combien de temps que ta veuve de mère a pas niqué ? Elle se cherche quelqu’un, dis ? Si c’est le cas, fais-lui le message que j’suis dispo. Disons que pour l’instant, mon carnet de réservation est plutôt en mode basse saison et que… enfin… j’aimerais bien… enfin, tu comprends, hein ?

    Geoffrey lui tourna le dos sans s’arrêter de pianoter, comme si ses paroles n’atteignaient pas ses oreilles. Les plaintes du plus gros s’accentuèrent : 

    — Sans déconner, j’serais prêt à tout pour avoir la chance que t’as ! Même à partager ses draps ! En plus pour son âge, ta mère est carrément canon : des nibards bien droits, bien ronds, de beaux cheveux longs, une vraie héroïne de manga⁵, miam-miam… roucoula-t-il en se mordant les lèvres tellement la comparaison avait attisé ses désirs.

    Geoffrey se retourna alors vers lui. Un sourire passa sur son visage maigre et anguleux, un sourire espiègle, comme si les propos épineux de Brad venaient de dénouer le nœud gordien dans lequel il était empêtré, nœud qui lui refusait le sésame d’une expérience rêvée. Il courba sa longue échine vers son camarade accroupi et fit mine de l’embrasser sur la bouche avec une moue sexy.

    — Oublie ma mère, car à présent on est unis… Pour le meilleur et pour le pire…

    — Tu déconnes ou quoi ?! rugit Brad en se levant d’un bond, ébranlé par l’annonce que son meilleur copain venait de lui faire. T’aurais pas pu choisir un autre soir pour sortir du placard ! Sérieux, j’étais fucking pas préparé à…

    Brad ne put continuer tellement l’image de lui et de Geoffrey en train de s’embrasser le fit se sentir mal, du moins jusqu’à ce que son copain pouffe de rire et lui glisse ceci :

    — La face que t’as faite, sextuple nain de jardin, ça valait cent balles !

    Le plus petit haussa devant son visage hilare son plus gracieux doigt d’honneur, avant que Geoffrey ne brandisse vers lui l’écran de son portable.

    — N’empêche, c’est la vérité, regarde. Notre mariage « d’intérêt » a fait en sorte que nos points à chacun se sont additionnés dans une seule et même cagnotte. Comme une dot. (Il rit en reniflant avant de prendre un air plus sérieux.) Conséquence numéro 1 : on a illico été parachutés en deuxième position, à deux cheveux du podium. Conséquence numéro 2 : on n’a pas intérêt à merder, car l’alliance qu’on vient de faire, seul le créateur du jeu peut la défaire, pigé ? (Brad, les yeux ronds, opina du chef trois fois.) Conséquence numéro 3 : on vient de nous retrancher cinq minutes du compte à rebours final. C’est pas banal. Ça fait qu’arrête de râler et embraye en cinquième vitesse si tu veux qu’on finisse premiers, O. K. ?!

    Leur alliance se scella d’un « High five ! » accompagné d’un cri qui aurait réveillé un mort. Brad se mit aussitôt à suivre Geoffrey au pas de course à travers les sentiers sinueux et mal éclairés du cimetière, emballé par la perspective de la victoire qu’il savourait déjà en se frottant les mains, jetant sans réfléchir son smartphone antédiluvien dans la première poubelle qu’il rencontra.

    Au même instant, dans le coin gauche du téléphone de Geoffrey, un chronomètre gigantesque s’afficha, égrainant les cinquante-trois minutes restantes à une vitesse déroutante. Dans le coin droit, la représentation peu ragoûtante du prisonnier en cavale et désormais leur unique chance de remporter la partie : Ghiribizzi. Au centre et surplombant les données GPS : les points cumulés, l’itinéraire du fugitif à capturer signalé par un point rouge clignotant sur une carte virtuelle ainsi que le rang des participants. Geoffrey gardait espoir, car le pointage des meilleurs Killercatchers avait comme le leur stagné, les laissant toujours en deuxième place, mille points désormais derrière les meneurs.

    129 815 points et deuxième au classement sur plus de 280 millions de joueurs…

    Désormais, la première place n’était qu’à un jet de pierre et de peines aussi impossibles à prévoir qu’à imaginer. Car si le jeu avait revêtu l’aguichante apparence d’une simplicité désarmante, la prétendue facilité des captures avait négligé un détail d’importance qui avait ralenti ‒ pour ne pas dire blessé ‒ plus d’un concurrent : les crapules sanguinaires avaient la fâcheuse manie de se cacher dans des endroits insolites où le joueur s’y attendait le moins : au cœur de buissons de ronces, sous des voitures garées, flottant tels des spectres au-dessus d’une canalisation brisée ou sur la plus haute marche de l’échelle d’une tour d’eau à l’abandon, légion dans la cité. Mais rien n’avait encore affaibli la ténacité olympique de Brad et Geoffrey. Ils avaient jusque-là bravé tous les obstacles rencontrés.

    Ils bifurquèrent au pas de course vers l’allée du cimetière nommée Syringa. Puis tournèrent sur Battle Avenue, capturant au passage un meurtrier de moindre envergure que le défiguré sans trop de difficultés.

    131 510 points et toujours deuxième au classement…

    Mais ils étaient suivis de huit cents points, aussi bien dire une broutille, par deux féroces compétiteurs taïwanais. Et ils ignoraient quel fugitif de leur côté de la planète le duo taïwanais poursuivait et à combien il était chiffré. Malgré tout, plus la distance entre eux et Ghiribizzi s’amenuisait, plus le sourire de Geoffrey s’illuminait, enivré d’une vigueur surhumaine, d’une détermination invincible couplée à une espérance infinie. Brad, lui, se contentait de talonner son coéquipier de près, haletant.

    Rapidement, les deux amis traversèrent l’entrée principale du cimetière reconnaissable à ses arches gothiques dominant la nuit comme trois flambeaux monumentaux montant la garde. Il ne restait plus que quarante-huit minutes pour clore la compétition, quarante-huit minutes pour devenir les grands gagnants, quarante-huit minutes pour se faire couronner sur le podium de la tribune virtuelle et de la célébrité. Quarante-huit minutes aussi où tout pouvait arriver : alliance entre participants, mutinerie, accidents de parcours et bien plus en imprévus comme ces canulars de serial killers vedettes qui pouvaient apparaître à tout moment à un endroit précis de la planète puis disparaître sans laisser de traces ni de points aux poursuivants.

    Geoffrey Dolan et Brad Ferreira avaient absolument besoin de capturer Ghiribizzi et vite, le temps était compté, mais ce dernier, fronçant le nez et tirant la langue, s’amusait à les faire tourner en rond autour des arches mythiques de Green-Wood depuis au moins cinq précieuses minutes. Ce qui réveilla les perroquets ‒ des Quakers vert lime, intrigués devant cette inhabituelle ruée nocturne, avaient sorti leur tête des nids de branches solidement fixés aux hautes parois de pierre et poussaient des cris perçants en direction des visiteurs bruyants, tels des gardiens aguerris requérant pour la nuit la quiétude méritée des résidents du cimetière.

    — Attends que j’t’attrape, sale fils de pute ! s’énerva Geoffrey en secouant son cellulaire comme le ferait un enfant avec une boule à neige en verre, espérant capturer Ghiribizzi plus par accident que par adresse.

    Brad se posta près de Geoffrey à bout de souffle, essuyant avec le dos de sa main potelée l’excès de sueur ruisselant sur son front et ses tempes. Un concurrent à l’écran lumineux s’approcha d’eux au même instant. Brad le fit fuir par un feulement agressif avant qu’un perroquet, exaspéré, ne fonce sur lui et lui intime par un coup de bec sur la tête de déguerpir. Ce que le duo fit sur-le-champ, faisant crisser le pavé sous le caoutchouc de leurs chaussures de sport usées, quittant les oiseaux de malheur et leur précieux sanctuaire, n’ayant d’yeux que pour Ghiribizzi qui se trouvait à présent à seulement quelques mètres d’eux, à l’intersection de la Cinquième Avenue et de la Vingt-cinquième Rue.

    Plus que quarante-et-une minutes et des poussières avant le couronnement des grands gagnants…

    Bien qu’il aurait dû laisser place dans son esprit à une pensée plus urgente, Geoffrey se demanda, tout en louvoyant à travers les nombreux participants comme un chercheur de trésors intrépide, s’il avait bien fait de promettre à son copain le partage du Grand Prix ; qu’en dirait Charlotte, sa petite amie, à qui il avait également promis la grande virée s’il arrivait premier ?

    — Si on gagne, on laisse Charlotte nous accompagner, O. K. ? Crois-moi, c’est dans notre intérêt de pas l’oublier…

    Geoffrey savait qu’il s’aventurait sur un terrain glissant. Brad était son meilleur ami, certes, mais son caractère aussi irascible que volcanique lui foutait parfois les boules, notamment lorsque quelqu’un osait changer ses plans.

    — Fau… faudrait… avant… qu’elle… qu’elle crache son… son p’tit secret, expira Brad près de l’asphyxie.

    — Quel p’tit secret ? s’enquit Geoffrey sans ralentir le pas, chevauchant un banc de parc inoccupé tandis que Brad se contenta de le contourner.

    — Oh putain… on pourrait… on pourrait pas… ra… ra… ralentir… un… peu !

    — NON ! se choqua le plus grand, aussi inquiet qu’intrigué. De quel secret tu parles, quadruple idiot !?

    — Char… Charlotte… t’a… t’a… trompé… avec Gusto, le serveur… le serveur d’El Sombrero… On pourrait pas…

    — Quoi ?! Et tu comptais me le dire quand, octuple traître ? s’emporta Geoffrey en lui giflant l’arrière de la tête.

    — Aille ! J’a… j’a… j’attendais le bon… moment… Et j’crois… que… que… que c’est maintenant !

    Arrivés aux abords de la Cinquième Avenue, une voiture sport à la carrosserie rouge métallisée qui filait à toute allure les fit s’immobiliser sur le trottoir de la large voie bétonnée. Un peu plus et Geoffrey se faisait happer de plein fouet, n’eût été les réflexes aiguisés de son coéquipier.

    — Centuple con ! Chauffard ! cria Geoffrey en montrant les poings avant de traverser.

    Un crissement de pneus se fit entendre à une intersection plus loin, suivi d’un jappement de chien.

    Brad attira d’un geste brusque Geoffrey à l’abri, dans la pénombre d’un portique, en espérant que le « chauffard » en question ne rebrousse pas chemin pour mettre un poing dans la figure à son copain parce qu’il avait osé lui crier dessus. Brad en avait déjà vu se faire tabasser pour moins dans le coin. Et une bagarre à ce moment critique de leur vie n’était nullement à souhaiter. À son grand bonheur, le chauffard semblait les avoir ignorés.

    Plus que trente-huit minutes…

    Dans la rue partiellement éclairée où Ghiribizzi les avait conduits, les deux comparses abandonnèrent le pas de course pour celui d’une marche rapide. Plus les participants du jeu virtuel s’enfonçaient dans le quartier, moins ils appréciaient le décor : des brownstones⁶ qui jouxtaient, dans une logique urbanistique non conformiste, des façades de commerces taguées, des entrepôts désaffectés et des édifices abandonnés truffés de graffitis obscènes et de carreaux cassés. Malgré la peur que lui provoquait ce secteur à cette heure et les minutes sur le chronomètre qui dégringolaient à une vitesse folle, Geoffrey ne pouvait cesser de penser à ce que venait de lui annoncer son coéquipier. À chaque caillou qu’il rencontrait, il le bottait avec rage comme s’il s’agissait du visage du beau Gusto. Brad fit de son mieux pour le consoler :

    — T’en fais pas vieux, une de perdue dix de retrouvées comme on dit ! Et multiplie cette prédiction par dix si on gagne : aucune nana pourra résister à ton terrible charme ! s’esclaffa Brad avant d’être cloué sur place, envahi par une grande frayeur…

    Son rire avait apporté avec lui un écho sinistre dans la ruelle étroite où le duo avait abouti, comme si des centaines d’êtres microscopiques et douteux, dissimulés partout où se portait leur regard, les épiaient en ricanant à leur tour sous une brume naissante s’élevant du bitume. Poussés par Ghiribizzi et la peur, les Killercatchers se remirent à courir. Et courir. Et courir…

    — Il est plan… planqué où là… le rabiboché ? haleta Brad accablé d’un doute au milieu d’un cul-de-sac mal éclairé, impatient d’en finir avec cette torture.

    — Sous le Gowanus Expy. Vite, allons faire la peau à ce Ghiribizzi ! s’enragea Geoffrey de nouveau complètement investi par sa mission virtuelle.

    — Ouais, on va… on va… le massacrer ! l’encouragea Brad le visage rougeaud, le poing droit dans les airs, comme si le fait de crier l’avait miraculeusement requinqué.

    Lorsque les jeunes hommes parvinrent sous le viaduc verdâtre et rouillé qui, sous les réverbères, projetait dans la nuit sombre son profil de monstre métallique aux longues pattes sous lesquelles des rangées de voitures attendaient sagement qu’on les libère, Ghiribizzi avait déjà filé…

    Plus que trente-trois minutes…

    Arrivés près d’une épicerie aux immenses fruits peints sur ses vitrines pour camoufler le mauvais état des murs en crépi qui les surmontaient, les Killercatchers se trouvèrent de nouveau devant une impasse : Ghiribizzi avait disparu. Si le signal ne revenait pas dans les trois minutes, c’était qu’il avait été capturé par un rival ou tout simplement, leur avait posé un lapin ‒ ce qui revenait à dire qu’ils n’étaient pas les grands gagnants et que leur travail aussi monotone que déprimant à l’usine de dépeçage de poulets les attendrait aux premières lueurs de l’aube.

    Brad survola les lieux du regard. À moins de cinq mètres d’eux se trouvait une minicentrale électrique entourée de barrières et de barbelés qui devait brouiller les ondes, en déduit-il en s’éloignant avec Geoffrey de quelques pas, assez en tout cas pour que le signal lumineux revienne se loger au milieu de l’écran. Ils poussèrent une fois de plus leur cri trivial de guerriers à l’affût : la partie n’était pas encore perdue !

    Plus de vingt-neuf minutes…

    Dans le sillage du meurtrier défiguré, les Killercatchers parcoururent un nombre incalculable

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