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Keldor Tome 3: La poursuite
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Keldor Tome 3: La poursuite
Livre électronique572 pages8 heures

Keldor Tome 3: La poursuite

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À propos de ce livre électronique

Après deux mois d’intensives recherches, Garin et ses hommes ont finalement retrouvé Mennderik. À peine ont-ils quitté la prison de Bagul que, déjà, un défi de taille se dresse devant eux. Sur le chemin du retour parsemé d’obstacles aussi dangereux qu’inattendus, le jeune prince se consacre à un long et éreintant entrainement. Épaulé par Glodaar, il travaille d’arrachepied pour sceller la faille présente dans son esprit. Pendant ce temps, Jayras déploie ses tentacules sur le royaume de Keldor…

Drents et hommes du Nord s’allient pour mener une course contre la montre dans laquelle le trône est en jeu. Une ultime confrontation se dessine, mais une question pointe à l’horizon : qui sera en mesure de défier le puissant Jayras ? Le bras de Garin et l’esprit de Mennderik leur permettront-ils de recouvrer la couronne keldorienne ?
LangueFrançais
Date de sortie5 nov. 2021
ISBN9782897755522
Keldor Tome 3: La poursuite

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    Aperçu du livre

    Keldor Tome 3 - Bruno Mercille

    Prologue

    L

    es saisons s’étaient succédé à la suite de cette fameuse rencontre fortuite entre les jeunes héritiers keldoriens et Jayras, ce mystérieux homme au visage balafré. Mennderik, qui vivait son douzième hiver, tentait toujours de comprendre ce qui s’était passé et il faisait les cent pas dans sa chambre. Sentant une brise pénétrer par la fenêtre peu étanche, il enfila des vêtements chauds et s’avança vers la lucarne. Les traces apparentes de glace à son pourtour lui rappelaient que le froid sévissait à Keldor.

    Dans le but de trouver des réponses à ses questions, il saisit son chandelier par son manche et franchit le seuil de la porte. Le cadet des princes s’engagea dans le long corridor lui permettant de quitter ses quartiers et se dirigea vers la grande bibliothèque du château.

    En cette rude soirée hivernale, des torches allumées étaient fixées sur les murs, réchauffant au passage les marcheurs frigorifiés. Les foyers étaient tous actifs et fonctionnaient à plein rendement. Malgré cela, une brouée était tout de même perceptible quand les hommes expiraient. Une odeur réconfortante de bois brulé embaumait les recoins de la bâtisse.

    Lorsqu’il fut à destination, Mennderik salua Viodin de la tête et s’engagea dans le grand escalier en colimaçon menant dans les profondeurs de la bibliothèque. Au niveau inférieur, il longea les premières allées, qui contenaient de vieux parchemins. Il accéda ensuite à la section dans laquelle se trouvaient les grimoires écrits par son ancêtre, le roi Eraomyr.

    Tandis qu’il tenait son chandelier de la main gauche, il s’empara d’un tome poussiéreux de la droite, en l’agrippant à l’aide de son chétif bras d’enfant. S’assurant de ne pas laisser tomber le bouquin, le prince se rendit dans la salle où il avait l’habitude de s’installer des heures durant. Emmitouflé dans d’épaisses couvertures, Mennderik dévora du regard les pages qui faisaient l’objet de sa lecture. Au moment où il allait se lever pour regagner sa chambre, un passage du manuscrit attira son attention.

    « Longue fut ma quête vers le savoir absolu et ardu fut le chemin. Étant désireux de mener mes recherches à terme, je partis à l’insu de mes fidèles sujets et je camouflai les traces de ma venue. Seulement dans la forêt, je révélai mes pas et trouvai réponse à ma question. »

    Le jeune prince était dorénavant captivé par la suite du texte. Il s’abandonna au récit d’Eraomyr et en perdit ainsi la notion du temps. Lorsqu’il acheva la lecture des dernières pages, il se leva, alla reporter le grimoire à son emplacement d’origine et prit la direction de l’escalier pour remonter à l’étage principal.

    Tout juste avant d’entamer son ascension, il passa devant un énorme miroir, qui avait été installé jadis pour y réfléchir la lumière du jour. Plutôt que de retourner dans ses quartiers, Mennderik avait maintenant une tout autre idée en tête. Il s’immobilisa au pied des marches et se tourna de façon à s’observer de la tête aux pieds. Comme mentionné dans le récit d’Eraomyr, le prince se concentra et suivit les indications. Le résultat de son action fut quelque peu décevant. De son regard avide de découvertes, il voyait toujours le gamin qu’il était. Il entremêla grossièrement ses doigts avec sa courte chevelure brune, puis finit par hausser les épaules.

    « Peut-être cela prend-il un certain temps avant d’être effectif ? », se dit-il.

    Mennderik se remit en route et tout en maintenant l’enchantement qu’il espérait réaliser, il gravit chacune des marches qui composaient le grand escalier. Arrivé au sommet, Viodin était blotti dans son fauteuil, un livre à la main. Le mestre, qui avait l’habitude de gratifier l’héritier lors de ses nombreux allers-retours, demeura muet. Intrigué par ce silence, le garçon s’avança et salua le vieil homme, qui ignora l’appel.

    Tout sourire à la suite de sa réussite, il rentra dans ses quartiers et prépara quelques couvertures chaudes additionnelles, qu’il installa sur ses épaules et sa tête. Il enfila ses bottes et se dirigea, confiant, vers l’entrée principale du château, près des écuries.

    Mennderik avait toujours aimé aller marcher dans les bois adjacents. Peu importe ce que les éléments lui réservaient, il s’y baladait dès qu’il en avait l’occasion. Daryuk avait cependant émis une restriction de promenade pour les jeunes héritiers, car le froid et la neige pouvaient venir à bout même du plus puissant des guerriers.

    Mennderik se déplaçait discrètement grâce à son nouveau pouvoir et fit son chemin jusqu’à la sortie. À sa grande surprise, il ne ressentait pas la fatigue cérébrale qui accompagnait d’ordinaire les enchantements de longue durée. Cette technique, acquise à la suite de la lecture du récit de son ancêtre, relatait, en outre, une focalisation particulière permettant d’économiser la quantité d’énergie déployée par les praticiens.

    Le cadet de la famille royale franchit les limites des écuries, mais il se buta à la massive porte en bois, qui était surveillée par des soldats, autant de l’intérieur que de l’extérieur. Constatant qu’il était invisible aux yeux des combattants sur place, il s’installa dans un coin et patienta dans le froid.

    Quelques instants suffirent pour que l’attente tire à sa fin. L’homme posté à la vigie annonça le retour d’une patrouille de cavaliers et aussitôt, une ouverture apparut dans l’enceinte du château. En moins de deux, le garçon décampa et se faufila à travers les montures. Le garde ordonna de fermer la porte, mais le prince était déjà rendu de l’autre côté. Le grincement produit par les maillons des chaines résonna dans toute la région. Lorsque Mennderik pivota sur lui-même, il était seul. Il avait réussi. Il se mit aussitôt en route et profita de ce moment pour aller se balader dans les sentiers.

    La lueur de la lune perçait les ramures des arbres et faisait étinceler les quelques flocons qui dégringolaient du ciel. Cette légère averse se déposait sur l’épaisse couche déjà accumulée depuis le début de l’hiver. Une fine poudrerie mue par le vent rampait en toute liberté et se laissait bercer au gré des rafales. Malgré la dominance de la noirceur dans la forêt, la virginité de la couleur des dunes était sans appel.

    La région était calme et aucun son n’était audible, à l’exception des quelques bourrasques qui venaient fouetter le corps de Mennderik ici et là. Chacune des foulées exécutées par le prince faisait craquer la croute glacée qui s’était formée à la surface du sol. Il captait le bruit de ses propres pas, mais l’enchantement qu’il maintenait masquait sa présence dans son environnement.

    Mennderik remarqua les traces d’un passage laissées par des animaux. Ayant retenu les leçons enseignées par son père, il comprit qu’il s’agissait d’un ravage de chevreuils. Curieux, il emprunta l’un des sentiers permettant leur va-et-vient et s’enfonça au cœur d’une section bondée de conifères. Au loin, il aperçut des mouvements. Les mâles étaient disposés de manière à former une barrière servant à protéger leurs petits. Le prince poursuivit sa route et passa tout près des bêtes, qui ne bronchèrent pas. Il bifurqua alors vers l’est et s’éloigna du groupe de cervidés.

    Le garçon était chaudement habillé, mais la température glaciale, jumelée au vent et à l’humidité, lui procurait un vif inconfort. Il sentait que ses os se crispaient et les frissons qu’il ressentait étaient de plus en plus fréquents. Quand il expirait, Mennderik était en mesure d’apercevoir un nuage de vapeur. Le froid était tel que ses narines collaient sur le cartilage central lors de chaque inspiration réalisée par le nez. Voulant éviter de se changer en glaçon, il se mit à l’œuvre.

    Le prince s’arrêta, puis ferma les yeux quelques instants. Il se remémora cette fameuse altercation avec Jayras et ses hommes, venus du royaume des Pics, quelque temps auparavant. Aussitôt, une légère chaleur intérieure se produisit, réchauffant son corps dans sa totalité. Mennderik sentit alors un picotement dans ses doigts, signe que sa température se stabilisait.

    Avant de rentrer au château, il voulut tester quelques-uns des pouvoirs appris récemment. Il s’installa donc au pied d’un sapin et se blottit contre une lame de neige forgée par le vent. Après avoir pris place, l’héritier fut traversé par un frisson qui l’amena à se questionner.

    « Pourquoi la chaleur ne me suffit-elle pas ? »

    Il avait consulté maints manuscrits expliquant que les conditions météorologiques extrêmes pouvaient nuire à l’efficacité des enchantements. Toutefois, jamais il n’avait été confronté à ce phénomène.

    Les écrits mentionnaient, entre autres, que le froid intense de l’hiver semblait agir à titre de barrière entre son instigateur et sa propre pensée. Il en serait de même lors d’une exposition prolongée à une très haute température. Était-ce le cas, à présent, pour le prince ? Désireux d’élucider ces énigmes, il se concentra davantage pour raviver sa chaleur corporelle.

    L’idée de se mettre à l’épreuve faisait toujours son chemin. Certes, il souhaitait rentrer, mais sa curiosité l’emporta sur sa raison. Il observa autour de lui et à quelques pas de distance, il distingua une branche d’arbre, à peine plus longue que son avant-bras. Sans bouger, il y dirigea son esprit et la fit léviter pour la dégager de la neige qui la recouvrait en partie. Il fixa du regard l’objet flottant et tenta de le rapprocher de lui. Voyant que l’opération était plus ardue qu’à l’habitude, il fronça les sourcils et redoubla d’ardeur. Après moult efforts, il réussit enfin à amorcer le déplacement de la branche. Il arrêta son mouvement lorsque celle-ci se trouvait au-dessus de ses jambes, puis la laissa tomber sur le sol.

    Mennderik saisit le morceau de bois dans ses mains et appuya son index sur l’une de ces extrémités. Il concentra ses pensées sur une flamme, qui jaillit gracieusement du bout de son doigt. En raison du froid qui avait étendu son emprise dans la région, le prince eut de la difficulté à déployer l’énergie nécessaire pour augmenter sa chaleur. Ainsi, quelques instants plus tard, le feu disparut sans même avoir noirci la brindille. En moins de deux, il la fracassa contre son genou et la lança au loin.

    Constatant que ses pouvoirs s’amenuisaient, le garçon opta pour rentrer au château. Il se leva et coupa dans les bois pour gagner le sentier principal. À peine s’était-il mis en mouvement, qu’il entendit un puissant grognement. Ce cri bestial ne s’apparentait à rien de ce que le jeune hériter connaissait. Bien qu’il se disait à l’abri, protégé par son enchantement, il pressa le pas en jetant un coup d’œil fréquemment derrière lui. Puis, le bruit retentit à nouveau. Cette fois, il semblait venir de l’ouest. Ou de l’est ? Il n’était pas certain.

    Sentant son cœur s’emballer, Mennderik augmenta la cadence et la longueur de ses foulées, mais il trébucha sur une racine masquée par la neige. En se relevant, il aperçut des ombres rôdant dans la nuit. Sans perdre de temps, il retint son souffle et décampa sans se secouer. Il fit quelques pas, tout au plus, et s’arrêta net. Une créature d’une imposante taille se tenait debout devant lui.

    Le garçon prit alors la fuite vers l’est, mais quand il vit une seconde silhouette se dresser devant lui, il s’immobilisa à nouveau. Une brève bourrasque déplaça les branches dégarnies de feuilles, laissant la brillance de la lune pénétrer jusqu’au sol. Mennderik n’en croyait pas ses yeux. Jamais il n’avait imaginé pareils monstres. De toute évidence, l’enchantement qui devait masquer sa présence avait cessé de fonctionner.

    Une bête, mi-homme, mi-loup, lui barrait la route. Elle devait faire au moins trois fois sa taille. Sa mâchoire ornée de crocs acérés laissait couler de longs filets de bave. En serrant sa grosse hache de guerre dans ses pattes, le drent était prêt à entrer en scène. Tout à coup, une créature sortit de l’ombre derrière lui, suivie d’une autre à sa gauche. En moins de deux, le prince fut encerclé et la fuite devenait de plus en plus improbable. Il observa les environs pour constater que tous les sentiers étaient obstrués. Sa seule option était de courir dans la haute neige, mais la longueur de ses jambes ne lui permettait pas de se déplacer à grande vitesse. Il serait aisément rattrapé et réduit en bouillie.

    Hormis les drents, un autre individu était dissimulé non loin de leur position. Jayras, cet homme au visage cicatrisé qui fomentait son plan depuis un bon moment, se réjouissait à l’idée de voir l’héritier en action. Bien enfoui dans une lame de neige, il observait la scène avec attention.

    Armés de leur meurtrière hache de guerre, les monstres avançaient lentement, ce qui différait de leurs habituelles attaques. En enchainant les pas, ils resserraient l’étau autour du garçon. Mennderik tenta de faire jaillir une flamme de son doigt, mais il en fut incapable. Il essaya d’activer à nouveau l’enchantement de camouflage, mais lorsqu’il s’aperçut que les drents le fixaient toujours, il comprit qu’il avait échoué. Encore. Les créatures se rapprochèrent et se trouvaient désormais à quelques longueurs de bras du prince.

    « Mon frère, viens me chercher », se risqua-t-il à communiquer à Garin, par la pensée.

    Mais la distance à couvrir et la température hivernale excessive embrouillaient ses pouvoirs. Mennderik grelottait à la fois de froid et d’effroi. Son langage corporel ne livrait aucun message. La panique s’empara de lui. Jayras, qui était un témoin attentif, remarqua que le jeune héritier tardait à se mettre en action.

    « Il suffit que tu le veuilles vraiment », lui souffla une voix par la pensée.

    Le prince entendit ces paroles, et tout en ignorant leur provenance, il répondit sans prononcer de mots.

    « Je ne peux pas. Je suis tout gelé. »

    « Puise au plus profond de ton être et tu y arriveras. »

    Mennderik ressassa plusieurs souvenirs dans sa tête, et en moins de deux, son esprit s’emballa. Il sentit son corps bouillir. Une nouvelle vague d’énergie venait de le gagner. Il ferma les paupières pour mieux la canaliser. Ses globes oculaires s’activèrent et bougèrent très vite et dans toutes les directions. En un instant, il eut chaud. Très chaud. De minuscules gouttes de sueur perlaient désormais sur son front. Il fronça les sourcils et pencha un tant soit peu le visage vers l’avant.

    Quand il rouvrit les yeux, les drents pouvaient presque l’atteindre avec leur immense hache. Ses iris, habituellement d’un vert clair, étaient maintenant teintés de la couleur des flammes. Il redressa la tête et, confiant, tendit les bras de chaque côté tout en prenant soin d’orienter ses doigts vers le ciel. Une pâle lueur rougeâtre apparut dans la paume de ses mains et en l’instant d’une inspiration, Mennderik relâcha toute l’énergie qu’il venait de canaliser. Telle une onde de choc, une vague de chaleur intense se propagea autour du prince, affectant d’emblée les monstres qui l’encerclaient.

    Les drents encaissèrent le coup. La couleur des parties métalliques des haches passa de l’argent éclatant à l’orange vif. Avant même de comprendre ce qui leur arrivait, ils avaient déjà échappé leurs armes sur le sol. Leurs redoutables grognements se changèrent en couinements de douleur. Ils n’étaient cependant pas encore au bout de leur peine.

    Leur armure se mit à scintiller à leur tour. Étant dorénavant incapables de les supporter, les créatures se laissèrent choir par terre, avec l’espoir de refroidir leur chair brulante. Dès qu’ils se retrouvèrent sur le sol, la température élevée de leur équipement fit instantanément fondre la neige, produisant un épais brouillard dû à la sublimation des flocons.

    Le prince profita de ce moment pour contourner les corps meurtris et fuir la scène de combat. Après avoir exécuté quelques enjambées, il s’arrêta pour observer ses assaillants. Les pauvres drents étaient toujours sous l’effet de l’enchantement et leur peau brulée commençait à dégager une odeur désagréable.

    — Mais qu’ai-je fait ? prononça le garçon, la voix emplie de remords.

    Spectateur embusqué à l’opposé de l’emplacement du prince, Jayras était stupéfié par la force psychique du jeune héritier. Il s’était encore sorti d’une fâcheuse situation en utilisant ses pouvoirs. Cette fois-ci, de surcroit, il avait triomphé malgré l’inhibition causée par le froid extrême.

    Mennderik se retourna et prit ses jambes à son cou. Il gagna le sentier principal, puis courut le plus vite qu’il le put en tentant tant bien que mal de déposer ses pieds aux endroits où la neige avait été durcie par les passages répétés. Lorsqu’il vit, au loin, l’enceinte du château, il adopta à nouveau la marche, épuisé.

    Après avoir additionné les pas, le prince sentit sa tête tourner. L’image de la splendide bâtisse éclairée par les reflets de la lune se dédoubla. Le froid l’avait rattrapé et son énergie s’apprêtait à quitter son corps. Il n’avait maintenant plus envie de passer inaperçu.

    Les jambes de Mennderik cessèrent de le supporter quelques foulées plus loin. Ainsi, il s’écrasa en bordure de la route, sous le poids de ses couvertures. Dénué de force, il ferma les yeux et se laissa emporter dans un profond sommeil, long de plus de trois jours. Lorsqu’il revint à lui, l’héritier se trouvait dans ses quartiers, au château. Glodaar et Adromar veillaient sur lui, à sa gauche. Pour leur part, Daryuk et Garin se tenaient à sa droite.

    — Père ! affirma l’ainé des princes. Il s’est réveillé !

    Cette voix familière lui apporta un brin de réconfort. C’était celle de son frère, avec qui il passait la majeure partie de son temps. Le corpulent roi se précipita aussitôt près du lit de son fils pour s’enquérir de son état de santé.

    — Par Solterra, tu vas bien !

    — Père ! articula le cadet, visiblement ému. Je suis navré.

    — Nous en parlerons plus tard, mon garçon. Pour l’instant, nous devons nous assurer que tu sois hors de danger.

    Affichant un regard moins dur que celui du monarque, Adromar s’avança et demanda l’autorisation d’examiner le corps de l’enfant. Daryuk fit quelques pas en arrière et céda la place au mestre, qui s’exécuta durant un bon moment. Pendant ce temps, Glodaar se tenait debout, en retrait, et avait les yeux fermés. Il maintint longuement sa position et ne prononça aucun mot. Lui aussi tentait de comprendre ce qui avait poussé Mennderik à sortir, seul, en pleine nuit.

    Adromar compléta son analyse et ne décela rien d’anormal dans la physionomie de l’héritier, ce qui rassura Daryuk.

    — Veux-tu bien me dire ce qui t’a pris d’agir ainsi ? rabroua le souverain, pendant que le mestre quittait la pièce.

    Le garçon demeura sans mot devant la furie de son père. Il essayait de lui répondre, mais en était incapable.

    — Jusqu’où es-tu allé par un froid pareil ? gronda Daryuk, les yeux empreints d’une vive colère.

    Mennderik sentit sa gorge se nouer. Il ferma les paupières et laissa quelques larmes glisser le long de ses joues.

    — Tu aurais pu te faire tuer !

    Tel le grand frère protecteur qu’il avait toujours été, Garin, qui venait d’être promu soldat de la garde royale par Fraygor, se retira de quelques pas, en invitant Daryuk à se joindre à lui.

    — Père ! Accordez-lui un moment de répit. Mennderik ne semble pas en état de comprendre l’ampleur de la situation.

    À cet instant, Glodaar porta sa main droite à son crâne et vacilla quelque peu tout en émettant de faibles gémissements. Comme il était sur le point de s’effondrer, Daryuk intervint et le rattrapa in extremis avant de le guider vers un siège. L’humeur du roi venait de basculer. La colère subite qu’il avait exprimée à l’égard de son fils fit place à la bienveillance envers l’enchanteur.

    — Oh là ! Doucement, vieil homme ! s’exclama Daryuk. Que se passe-t-il ?

    — Permettez-moi de reprendre mes esprits, Votre Majesté, répondit Glodaar. Je vous expliquerai.

    Mennderik parut intrigué par le comportement de son mentor. Selon le jeune garçon, nul ne pouvait terrasser le grand Glodaar. Pourtant, il venait d’être témoin d’une rare faiblesse de sa part.

    « Se peut-il que son état ait un lien avec ma sortie ? »

    Quoi qu’il en fut, les deux héritiers étaient tout ouïe et attendaient impatiemment les explications de l’enchanteur.

    — Pendant qu’Adromar auscultait votre fils, je me suis permis de m’introduire au cœur de ses pensées, développa Glodaar. Seul un gamin espiègle aurait pu tromper la vigilance des gardes de la grande porte. Or, Mennderik ne répond pas à ce critère. Du moins, lorsqu’il se garde d’utiliser ses pouvoirs.

    — Vous voulez dire que…

    — Tout à fait, Majesté. Mennderik est l’hôte d’un énorme potentiel. Je l’ai constaté lors de mon introspection. Toutefois, j’ai également vu une anomalie, de laquelle pourrait émaner un éventuel danger.

    Les deux princes se dévisagèrent, intrigués et inquiets à la fois.

    — Quelle sorte de danger ? questionna Garin.

    — Je l’ignore pour le moment, répliqua le vieil homme. Je tâcherai de le découvrir, aussitôt que votre fils sera de retour sur pieds.

    — Que pouvons-nous faire en cet instant ? demanda le roi tout en jetant un regard mécontent vers Mennderik. Doit-on le confiner dans ses appartements pour prévenir qu’il s’éclipse à nouveau ?

    — Sans vouloir vous offenser, Votre Majesté, j’éviterais de faire cela.

    — Et pourquoi donc ?

    — Le petit a besoin de connaitre ses limites, enchaina Glodaar. Il devra poursuivre son développement, sans pour autant mettre sa vie en danger. Sa pensée doit absolument être renforcée.

    Daryuk était perplexe. Il observa ses deux fils, qui se tenaient par la main, puis il détourna son regard vers l’enchanteur, avant de revenir vers Mennderik.

    — Qu’est-ce que je vais faire avec toi ?

    Le cadet des héritiers esquissa un sourire timide, puis tendit les bras vers son père pour demander une accolade. Le roi s’avança et enlaça le garçon. À cet instant précis, Mennderik comprit qu’il avait été pardonné.

    — Je partage l’avis de Glodaar, articula Daryuk tout en desserrant graduellement l’emprise qu’il maintenait sur le corps frêle de Mennderik. Je lui permettrai de poursuivre ses lectures à la bibliothèque et je ne ferai aucune obstruction au développement de ses talents. Mais je lui impose une ultime condition.

    — Laquelle ? demanda le jeune tout en fixant le souverain des yeux.

    — Je t’interdis de sortir seul, le jour comme le soir. Si tu veux aller tester de nouveaux enchantements, fais-toi accompagner par des gardes du château.

    — Merci, père ! conclut Mennderik.

    Les deux héritiers serrèrent leur poing et le frappèrent l’un contre l’autre victorieusement, ce qui allégea l’ambiance et redonna le sourire au monarque.

    — Mais avant toute chose, tu dois te reposer, mon fils.

    Tandis que Mennderik acquiesça de la tête, Daryuk, Glodaar et Garin sortirent de la pièce pour permettre au prince de se remettre de sa mésaventure.

    Chapitre premier

    La fuite

    J

    ayras venait d’essuyer un cuisant revers. Moras, son fidèle serviteur qui endossait la réputation de traverser les âges, n’était plus. Tel un sauveur, Garin avait dévalé les marches de la prison de Bagul, son frère suspendu à son dos. Les archers de la tour avaient tenté de les arrêter, en vain. Les Keldoriens prenaient la fuite et chevauchaient ferme vers l’est.

    Les montures galopaient sur le sable granuleux de la péninsule septentrionale du royaume de Beldar. Garin maintenait en selle un Mennderik faible et dénudé de toute énergie. Jeredric, lui, transportait la dépouille de Dweric, tué par Moras le mécréant. Quant à Drogor, il se voyait encombré de Sevarin, dont le corps meurtri avait été percé d’un trait de flèche près de l’omoplate. Jalik s’était amourachée du jeune combattant et entretenait l’espoir d’atteindre la forteresse d’Eowang avant que la mort ne vienne le chercher.

    Constatant l’échec de son homme de main, le chef suprême du Glacier fut empreint d’une forte colère. Dans un premier temps, il déploya une énergie considérable pour envoyer une suggestion aux drents de l’ile nordique. Ceux-ci se mirent dès lors en route, à la poursuite du groupe de Keldoriens. Ensuite, il déchaina les éléments en attisant des bourrasques tourbillonnantes dans la région. Accompagnées d’une incessante pluie glaciale, elles ralentirent grandement la course des soldats de Garin. Les foulées se multiplièrent malgré tout et les guerriers menèrent leur monture, ignorant les effets que cette subite vague de froid leur procurait.

    Les nuages crevèrent, de sorte que l’eau amassée au sol transformait le sable en une boue épaisse et glissante. De peur de chuter et blesser les destriers, les cavaliers réduisirent la cadence. Orientés vers le sud, ils contournaient la baie de la mer des Vents. Les rafales se faisaient de plus en plus insistantes.

    Promu apprenti grand gardien du royaume et du col d’Unederi, Drogor affichait une vive inquiétude dans ses yeux marron. Celui qui se faisait appeler « le colosse » voyait les trois cordelettes qui maintenaient sa tignasse noire en place virevolter dans la tempête. Il laissait la plupart du temps paraitre un sourire franc, mais en cet instant crucial, il demeurait de glace face aux intempéries.

    — Nous devrions nous éloigner de la plage ! hurla-t-il. Nous nous enliserons si nous conservons la même trajectoire.

    Jalik le regarda, hésitante. Le fait de diverger de la côte retarderait de façon considérable l’arrivée du groupe à la forteresse, amenuisant les chances de survie de Sevarin. Constatant que les éléments se dressaient contre eux et que leurs vies étaient menacées, elle acquiesça de la tête et bifurqua quelque peu vers l’est pour longer les montagnes nordiques. La pluie tombait toujours à tout rompre, mais les violentes bourrasques semblaient s’atténuer au fur et à mesure que les cavaliers se distançaient de l’étendue d’eau. Voyant que le sol retrouvait un soupçon de fermeté, Jalik reprit le galop en direction d’Eowang.

    L’étroite chevelure noire de la jeune femme subissait les effets de cette nouvelle allure, se laissant flotter telle une trainée derrière elle. De son regard d’un vert étincelant comme l’émeraude, Jalik scrutait l’horizon, à l’affût d’une éventuelle menace. Ses sourcils discrets et ses lèvres minces se fondaient sur son visage sali par la boue et la crasse.

    Les cavaliers keldoriens, menés par l’archère beldarienne, chevauchèrent longuement et s’arrêtèrent lorsqu’ils furent envahis par les ténèbres de la nuit. La chaleur des grains de sable exposés aux puissants rayons du soleil contrastait avec la soudaine fraicheur imposée par la volonté de Jayras. Une nappe de brouillard s’installa au crépuscule, réduisant d’un coup la visibilité dans les environs. Les montures soufflaient bruyamment et une épaisse brouée s’échappait de leurs naseaux.

    — Nous nous arrêterons ici, initia Jalik tout en mettant pied à terre. Nos chevaux ont besoin de repos.

    — Sommes-nous encore loin de la forteresse ? s’enquit Drogor, tout en quittant sa selle à son tour.

    — Environ dix lieues nous séparent d’Eowang. Si nous repartons avant l’aube, nous rentrerons vers la fin de l’après-midi.

    Le colosse opina de la tête et s’empressa de demander l’aide de Jeredric pour allonger le corps estropié de Sevarin sur le sable. Les deux guerriers le saisirent avec soin, puis déposèrent le Keldorien sur le côté gauche. De faibles gémissements étaient audibles durant ce court transport. Les combattants se réunirent autour du jeune homme et quand ils captèrent un léger sifflement lors de chacune de ses respirations, ils comprirent la gravité de son état. Galadri et Jeredric s’éclipsèrent en maintenant le silence et s’affairèrent à rassembler les montures. Pour sa part, Glodaar produisit un enchantement de protection destiné à sécuriser les environs. Ainsi, tous devinrent imperceptibles de l’extérieur de cette bulle réconfortante.

    Coiffé d’une courte chevelure dorée, Galadri s’approcha du cheval sur lequel reposait le corps inerte de Dweric et saisit les rênes. Il sentit une main s’appuyer sur son épaule. En se tournant, il aperçut de ses yeux bleu clair son ami Jeredric, qui était affublé d’un air mélancolique. Sans mot dire, il le questionna du regard en fronçant les sourcils.

    Jeredric, dont le visage et les longs cheveux bruns étaient encore souillés par la récente bataille, secoua la tête tout en fermant momentanément les paupières. Lorsque ses iris captèrent à nouveau les lueurs de la lune, il agrippa le poignet de Dweric et enroula son bras autour de son cou. À l’aide d’une subtile traction, il hissa la dépouille du jeune guerrier sur ses trapèzes, avant de faire quelques pas pour l’installer sur le sol sablonneux.

    Toujours silencieux, il s’accroupit et positionna les avant-bras de Dweric en croix, sur son abdomen, de manière à masquer l’importante blessure qui avait mis fin à ses jours, quelques heures auparavant. L’armure que le Keldorien portait était encore humidifiée par le sang et son cuir, empreint d’une teinte carmin.

    Le soldat se déplaça vers les épaules de Dweric et appuya sa main sur sa tignasse ébouriffée. Les traits de son visage laissaient paraitre sa fougue et sa combativité, alors qu’il venait à peine de rejoindre le monde des hommes. La forte pluie, qui se tarissait enfin, perlait sur sa peau, le nettoyant de la poussière et la saleté accumulée durant son ultime bataille.

    — Il était si jeune… marmonna Jeredric à voix basse.

    Par son âge et son caractère, Dweric présentait plusieurs similitudes avec Padric, le défunt cadet de Jeredric. Ce dernier ne put s’empêcher de sombrer dans un chagrin passager en ressassant certains souvenirs emmagasinés en compagnie des deux recrues. Il le disait lui-même, ces deux combattants étaient voués à un brillant avenir. La gorge nouée et les jambes lourdes, Jeredric s’expliquait mal ces décès brutaux. Malgré les efforts de Fraygor pour l’aider à mettre de la lumière dans ses idées, il ressentait toujours une forme de culpabilité. En tant qu’ainé, c’était son rôle de protéger son frangin. Or, l’inverse s’était produit, menant au trépas du jeune. Il prit place sur le sol détrempé et fixa du regard la blessure mortelle de son frère d’armes.

    Certaines gouttes de pluie venaient terminer leur course dans les yeux immobiles du guerrier, qui s’abstint toutefois de fermer les paupières. Enfoui dans de profondes pensées, il n’était plus réceptif à ce qui se passait dans la zone sécurisée. Galadri, qui avait rassemblé les montures, revint près de la dépouille de Dweric et s’assit en face de Jeredric, qui ne broncha pas. En le regardant de plus près, il remarqua que l’eau qui s’abattait sur son visage fusionnait avec des larmes nouvellement apparues. Après un court moment, Jeredric cligna enfin des yeux, chassant le liquide qui s’y était accumulé.

    — Quand cela va-t-il s’arrêter ? demanda-t-il avec peine. Padric, Malikin et maintenant, Dweric. Pourquoi tant de haine envers les hommes ?

    Galadri se leva, contourna le corps de Dweric et vint s’installer à la gauche de Jeredric. Il s’assit et bascula vers son camarade afin que leur épaule entre en contact.

    — C’est une question que je me pose souvent. Depuis que le monde est monde, des individus tentent de s’affranchir des terres, du bétail et parfois même, nos semblables. C’est pour cette raison que nous sommes là, mon ami. Pour empêcher ces viles personnes de détruire ce que nous avons mis tant d’années à bâtir.

    Jeredric se tourna en direction de son acolyte et aussitôt, leur regard se croisa. Il opina du bonnet tout en clignant longuement des yeux. Galadri serra l’avant-bras de Jeredric et lui répondit d’un signe de la tête.

    — Ça va aller ?

    — Je pense que oui, rassura Jeredric. Je veux dire, je vais devoir m’y faire. Je sais que la guerre attire les morts, mais c’est toujours difficile de voir nos camarades tomber au combat.

    — Il ne tient qu’à nous d’arrêter cette folie. Faisons en sorte de minimiser les pertes et rentrons tous à la maison.

    Jeredric acquiesça derechef et les deux hommes s’offrirent une poignée de main empreinte de la grande amitié qu’ils entretenaient. Après avoir maintenu un bref moment de silence, Galadri prononça ces quelques mots :

    — Ne prends pas tout ce blâme sur tes épaules. Si tu sens le besoin de parler, je te prêterai mon oreille.

    — Merci, répondit Jeredric en soutenant le regard sincère initié par son frère d’armes.

    Pendant ce temps, Jalik et les Keldoriens étaient rassemblés autour de Sevarin, qui agonisait sur le sol. Garin et Mennderik s’accroupirent près de lui et constatèrent à leur tour l’ampleur de sa blessure.

    — Que pouvons-nous faire ? demanda le cadet des héritiers, qui se trouvait dans une telle situation pour la première fois de son existence.

    Habituellement étincelants, les yeux verts du prince trahissaient son inquiétude grandissante. Ses cheveux, courts et lisses, paraissaient anormalement défraichis. La tunique sale et en lambeaux qui recouvrait son corps frêle ne lui conférait en rien l’apparence d’un membre de la famille royale.

    — Nous devons retirer la flèche de sa plaie avant que l’infection s’y propage, répondit Garin.

    — Y a-t-il un risque d’aggraver la blessure ? La pointe affutée semble s’être logée profondément sous sa peau.

    — Il ne devrait pas y avoir trop de dégâts si nous enlevons le projectile dans son angle d’entrée, expliqua l’ainé, qui avait l’habitude de prendre soin de ses hommes. Mettons-nous au travail. Apportez-moi de l’eau et des bandages.

    Le costaud meneur savait qu’il devait faire preuve d’une grande prudence dans ses prochaines actions. De ses iris couleur noisette, il observa le corps du combattant avec attention. Les quatre tresses fixées près de ses tempes se berçaient au gré de son inspection. Sa longue chevelure brunâtre tombait de ses épaules vers le bas. Sa barbe, de taille moyenne, encadrait parfaitement son visage rond et sa mâchoire carrée.

    L’ainé des princes se mit à l’œuvre. Tous s’éloignèrent pour lui laisser de l’espace. Seuls Drogor et Jalik l’assistaient. Positionnée près du corps de Sevarin, l’archère supportait sa tête de ses douces mains. Pour sa part, Drogor se chargeait de maintenir le soldat en place durant l’opération.

    Sous les yeux attentifs de Mennderik, Garin empoigna le tube de la flèche et amorça son retrait dans un geste continu. Même s’il avait le souffle court, Sevarin essayait de remplir ses poumons d’air, mais chaque tentative d’inspiration lui procurait un vif sentiment de brulure dans la cage thoracique. La pointe affutée qui s’activait sous sa chair faisait gémir le soldat et il grommelait des paroles indéchiffrables. L’opération dura un bref moment et, rapidement, le projectile logé près de son omoplate fut enlevé. Aussitôt la plaie pansée, Garin retourna le jeune homme sur le dos pour le laisser récupérer.

    — Qu’en pensez-vous ? questionna Drogor à l’endroit du chirurgien de l’heure. A-t-il de réelles chances de revoir le jour ?

    — Il est encore trop tôt pour se prononcer sur le sujet. Toutefois, je refuse d’abdiquer sur le sort de notre ami. Nous ferons l’impossible pour le ramener en vie à Eowang.

    — Dès que nos montures auront retrouvé leur fougue, nous reprendrons la route, affirma Jalik. D’ici là, vous devriez tous vous reposer. Je veillerai sur Sevarin jusqu’à notre départ.

    — Merci, Jalik, prononça le prince en affichant un air dépouillé de vigueur.

    Garin et Drogor s’éloignèrent un brin et rejoignirent leurs frères d’armes, qui s’étaient confectionné des sièges à même le sable mouillé. Pour sa part, l’archère était restée auprès de Sevarin et le réchauffait en caressant la peau de son torse. Son regard affligé par le chagrin était rivé sur le corps meurtri du combattant et elle entretenait l’espoir qu’il revienne à lui. Elle avait l’habitude d’afficher ses plus charmants sourires, mais pas cette fois-ci. Jalik demeura en silence, attendant patiemment que le groupe reparte vers la forteresse d’Eowang. Pendant ce long moment, elle écoutait d’une oreille peu attentive les Keldoriens discuter de la condition du jeune prince.

    — Comment vas-tu, mon frère ? demanda d’entrée Garin.

    Mennderik, qui s’était assoupi, rouvrit les yeux progressivement. Il constata que tous les soldats regardaient en sa direction, attendant avec impatience qu’il formule une réponse à cette question. Il adopta une position assise confortable et engagea la conversation avec ceux qui venaient de le sortir des griffes de leur ennemi.

    — Pour être franc, ça ne va pas très bien. Je suis empreint de vertiges, comme si je marchais sur le rebord d’une très haute falaise escarpée.

    — C’est normal, Majesté, déclara Drogor. Vous avez flotté au-dessus de nos têtes durant un très long moment. Votre équilibre en a souffert, mais heureusement, vous êtes de retour sur la terre ferme.

    — Drogor a raison, reprit Glodaar. Il vous faudra quelques jours avant de recouvrer vos sensations corporelles.

    Le vieil enchanteur parut troublé à la suite de son propre commentaire. Malgré le fait que son visage était partiellement dissimulé sous le capuchon de sa tunique brune et laineuse, son sourire, couramment espiègle, brillait par son absence. Ses longs cheveux cendrés étaient, à l’instar de sa grande barbe, ébouriffés. Son front aux allures plissées masquait les quelques taches sur sa peau usée par le temps. Quant à ses yeux, d’un noir profond, ils soulevaient maintes interrogations.

    — Le plan physique de Mennderik ne m’inquiète pas outre mesure, poursuivit-il. C’est la faille dans sa tête qui me tracasse au plus haut point.

    — Ma… faille ? l’interrogea Mennderik, l’air visiblement troublé.

    — En quoi cela consiste-t-il ? demanda Galadri.

    — Comme je vous le disais précédemment, avant que nous quittions la prison de Bagul, le surdéveloppement de ses capacités a ouvert une brèche dans son esprit. Jayras avait anticipé cette faille depuis fort longtemps et il en a aussitôt profité pour s’introduire dans les pensées de notre prince.

    — Est-ce que Jayras peut étendre à nouveau son emprise sur mon frère ? interrogea Garin, visiblement inquiet.

    — Tant que je m’emploierai à produire un brouillard mental, il en sera incapable. Cependant, cela requerra toute ma concentration et de ce fait, je serai dans l’impossibilité d’utiliser mes pouvoirs pour vous servir. De plus, je ne pourrai veiller sur lui indéfiniment. Lorsque Solterra éteindra ma lumière et que je retournerai à la terre, Mennderik sera toujours vulnérable.

    — Que pouvons-nous faire alors ?

    — Il ne s’agit pas de nous, Majesté, mais uniquement de lui ! mentionna Glodaar tout en pointant le jeune héritier du menton.

    Mennderik ajusta sa position en se redressant un tant soit peu, puis, intrigué, demanda à son mentor de préciser le fond de sa pensée.

    — La clé de ce conflit réside dans la capacité de Mennderik à prévenir et bloquer les intrusions répétées de Jayras. Je croyais pouvoir colmater la brèche, mais à la lueur de mes dernières recherches, lui seul est en mesure d’y arriver.

    Faisant généralement preuve d’une certaine vivacité d’esprit, Mennderik pataugeait en terrain inconnu. Pour lui, les champs de bataille, les morts, les victoires et les défaites étaient réservés aux guerriers du royaume. Jamais il n’avait songé à se mêler à toutes ces histoires. Encore moins en être le protagoniste. Il sentait son cœur s’emballer et il peinait à aligner ses idées. Le corps tremblant de façon imperceptible, il répondit à son maitre par une simple question.

    — Et comment devrais-je m’y prendre ?

    — Grâce à un entrainement rigoureux, Altesse. Mais ne vous en faites pas avec cela, je vous guiderai sur la bonne voie.

    En s’apprêtant à fournir quelques explications supplémentaires, Glodaar remarqua que Jalik s’activait près de Sevarin. Elle le caressait de plus en plus vite, mais ses mouvements ne produisaient pas l’effet escompté.

    — Y a-t-il un problème, Jalik ? lui demanda le vieil homme.

    — C’est Sevarin ! Il tremble de froid. J’ai beau essayer de le réchauffer avec mes mains, rien n’y fait.

    Sevarin, qui portait une courte tignasse brune, était en partie appuyé contre Jalik. Ses paupières closes masquaient ses yeux pers, qui lui procuraient une dose de charme. La douleur était perceptible sur son visage au teint très pâle, en raison de la valse qu’il effectuait entre le monde des vivants et celui des morts.

    — Il est impératif qu’il demeure au chaud, expliqua Garin. Son corps doit déjà batailler pour guérir ses blessures. Un second combat de la sorte pourrait lui être fatal.

    — Nous n’avons rien pour faire un feu, nota Drogor. Et les couvertures dans nos sacoches de transport sont transies par cette pluie.

    Mennderik se leva et s’approcha du soldat qui luttait pour sa vie. Il s’accroupit près de lui et apposa sa main sur son front.

    — Il est complètement frigorifié.

    Le cadet des héritiers s’assit à proximité de Jalik et leur regard se croisa momentanément. À cet instant, l’archère reconnut l’ampleur de la bonté qui émanait de cet être. Il en avait été de même lors de leur première rencontre, quelques jours auparavant. Mennderik était resté en retrait, passif, pendant que ses compagnons de voyage molestaient les parents de la Beldarienne.

    Le prince ferma les yeux et superposa ses mains sur le torse de Sevarin. Il maintint ainsi cette position durant un bref instant, qui fut orné d’un profond silence.

    — Que fait-il, à ton avis ? demanda Galadri, intrigué, en se penchant vers Drogor.

    Le colosse haussa les épaules pour signifier son incompréhension de la situation. Toujours en conservant ses paupières rabattues, Mennderik prit la parole.

    — Vous pouvez continuer votre discussion, maitre Glodaar. Je suis apte à faire plus d’une chose à la fois !

    Glodaar parut amusé par les prouesses de son pupille. Il reconnut l’héritage qu’il lui avait laissé durant ces nombreuses années d’enseignement. Étant tout de même inquiet pour la sécurité de Mennderik, l’enchanteur poursuivit la conversation avec les soldats keldoriens.

    — Je pense que votre frère sera en mesure de sceller la faille dans son esprit, Majesté. Néanmoins, cela l’amènera sur un parcours long et sinueux.

    — Nous agirons selon vos recommandations, Glodaar.

    Après un bref moment, Mennderik rouvrit les yeux et prononça quelques paroles.

    — Voilà qui devrait suffire.

    Jalik sentit instantanément une vague de chaleur qui sembla émaner du corps du jeune prince. Dubitative, elle le questionna sur ce soudain changement de température.

    — Ce n’est que provisoire, dit-il. J’ai concentré la zone d’effets sur Sevarin afin de lui donner une chance

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