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Tonitruances: Roman
Tonitruances: Roman
Tonitruances: Roman
Livre électronique163 pages2 heures

Tonitruances: Roman

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À propos de ce livre électronique

Tonitruances est l’histoire d’une femme issue d’une famille empoisonnée par les non-dits et la contrariété.

Elle grandit dans un climat tendu, avec un don certain pour l’autodestruction. Toute cette fureur encaissée dans son enfance ressort avec la même véhémence une génération plus tard, comme un ouragan.

Passant de l’anorexie à la toxicomanie, tout en poursuivant une quête éperdue de sexe et de tendresse, elle découvre que ces dysfonctionnements sont les divers symptômes d’une maladie affectant tous les domaines de la vie. C’est alors qu’elle décide d’expérimenter le pouvoir guérisseur des mots et de s’appuyer sur cette béquille pour tenter de reconstruire autrement ce qu’elle a passé sa vie à détruire. 

À PROPOS DE L'AUTEUR

À la suite d’une enfance en dents de scie et d’une jeunesse chaotique, Marie Marga pousse la porte des narcotiques anonymes et découvre le pouvoir guérisseur des mots échangés dans un climat de bienveillance et de sincérité. Le champ des possibles se redéploie. Un jour à la fois. Elle réalise alors son rêve d’écrire des livres et apprend peu à peu à vivre des relations intimes moins destructrices. 


LangueFrançais
Date de sortie22 oct. 2021
ISBN9791037735102
Tonitruances: Roman

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    Aperçu du livre

    Tonitruances - Marie Marga

    Première partie

    La dépendance est une maladie insidieuse, progressive et mortelle. Héréditaire aussi, ai-je envie d’ajouter, non pour accabler mes ascendants, mais au contraire pour relever qu’ils ne sont pas plus responsables que moi du bagage qui leur a été transmis. Nous ne sommes pas responsables de notre maladie, mais nous sommes responsables de notre rétablissement.

    On ne choisit pas d’être qui on est. Mais avec de bons outils, on a une certaine prise sur qui on devient.

    L’un d’eux consiste à conserver sa pire image. À la garder précieusement sous le coude, afin de pouvoir la convoquer chaque fois qu’on serait tentée de flancher. Pour se rappeler d’où on vient et où on n’a pas envie de retourner. Ma pire image peut me sauver la vie. J’ai de la chance : il y en a deux qui me viennent immédiatement à l’esprit.

    2000

    Ma main serrée sur celle de Romain, j’essaie d’imprimer un rythme. Il tricote de ses petites jambes pour suivre la cadence. J’ai l’impression d’avancer avec le frein à main serré. C’est l’impatience plus que l’effort qui me fait transpirer. Dommage que le type n’ait pas été disponible avant la sortie des classes. Il a dit seize heures. Nous voilà enfin dans son quartier. Un peu en avance. Moi qui ne suis pas physionomiste des lieux pour un sou, j’ai pris mes repères. Un grand bâtiment hideux en bordure de voie, stores délavés, déchirés, la deuxième entrée.

    Sur l’interphone, je sélectionne le bouton où il n’y a pas de nom. Aucune réaction. Je presse tous les autres et quelqu’un finit par déverrouiller la porte d’entrée de l’immeuble. On s’engouffre, on monte au premier. Je sonne, j’attends, je frappe, j’attends, je secoue la poignée.

    En collant l’oreille contre la porte, j’entends pourtant des bruits de pas et de conversation. Je tambourine de plus belle, finis par sonner en continu jusqu’à ce que quelqu’un, enfin, daigne ouvrir. Une fille. Je lui demande où est son mec ; elle prétend être seule. S’apprête à refermer. J’ai tout juste le temps de glisser mon pied dans l’entrebâillement. Puis je repousse la porte avec la force que me confère toute la rage accumulée. « Ça va pas ? », crie la fille qui a failli se la prendre dans le front. « Qu’est-ce qui se passe ? » La voix du type me guide vers le salon. Il est là. Planqué. Sans rien à vendre. Lui qui m’a fait miroiter une beuh de première qualité, des quantités astronomiques pour une bouchée de pain, n’a pas la moindre boulette à me proposer en guise de dédommagement. Je me suis stressée pour rien. Si j’avais su que j’aurais affaire à un tel branleur, j’aurais pris mes dispositions. Ça m’apprendra à faire confiance. Je parle de plus en plus fort, je hurle, ma frustration se déverse en un flot d’insultes, une éruption de dépit. Je menace de m’incruster jusqu’à la livraison.

    Le type réussit à me virer. Je décoche un violent coup de pied dans la porte avant de repartir bredouille. Mon petit Romain me regarde effaré. « Il t’a fait quoi le Monsieur ? »

    Je lui explique que ce sinistre individu n’a pas tenu promesse : « C’est très vilain. » En effet, le respect de la parole donnée est une valeur que Paps et Mams ont enracinée en moi. Par des exemples plus constructifs.

    2003

    Un bus bondé. L’heure qui file. Les tâches qui s’accumulent. Et les devoirs de Romain. À caser quelque part entre la séance chez la psychomotricienne, la préparation du souper, puis le souper lui-même et les rangements. Sauf que les devoirs, c’est pas une mince affaire. Il faut compter d’abord une demi-heure de négociation, une demi-heure d’argumentation avec l’agacement qui monte de minute en minute, qui monte en même temps que la voix, et Romain qui se cabre et ma maigre patience qui s’érode pour qu’enfin, il accepte de s’y mettre, accepter est d’ailleurs un bien grand mot, c’est plutôt qu’il s’y résigne en désespoir de cause. Quand enfin il a le livre en main et moi la boule au ventre, les mots lui résistent, les lettres valsent, c’est parti pour durer des heures, sauf que les heures, on ne les a pas, il faut manger, il faut laver les enfants, il faut se dépêcher de les coucher pour pouvoir les lever assez tôt le lendemain et en remettre une couche avant de les amener à l’école, alors je m’exaspère, et je lui réexplique, sans comprendre ce qu’il ne comprend pas, ni où réside la difficulté. Ça, c’est les jours sans rendez-vous.

    Romain est dyslexique. Une enseignante nous l’avait signalé dès l’école maternelle avec beaucoup de délicatesse : « Âge mental, deux ans ». Depuis, on consulte à tour de bras : logopédiste, psychologue, allergologue, toute une kyrielle de spécialistes, autant de solutions miracles qui se dérobent à nous. Romain se laisse trimballer de l’un à l’autre : « C’est quand qu’on va chez le vétérinaire ? »

    Le jour du rendez-vous, je l’ai donc cueilli à la sortie des classes. La psychomotricienne, trajet inclus, va nous manger près de deux heures et je ne vois plus comment caser le reste. Pour essayer de glaner des secondes où je peux, je décide de mettre le trajet à profit. L’idée d’expédier le problème de math dans le bus n’emballe pas, mais alors pas du tout Romain. J’insiste. Je hausse le ton, sans du tout me soucier des gens qui nous entourent. Il n’y a plus que mon idée qui compte et la furie de ne rien maîtriser. Romain se braque. Sa résistance fait sauter ma dernière digue. Je lui brandis le cahier sous le nez en le sommant de lire l’énoncé de la question. Plus je le presse, moins il en est capable. Brusquement, je lui saisis le doigt et l’écrase sous la ligne en lui intimant de lire enfin cette putain de consigne de merde. Quelques passagers volent au secours de mon fils.

    Quand on arrive chez la psychomotricienne, on n’a pas avancé d’une ligne. Mais je me suis mis tout un bus à dos.

    Romain a pourtant été l’enfant le plus désiré de la terre. Un désir qui commence par Pierre.

    1993

    Fraîchement embauchée chez Caritas Suisse à Lucerne, je suis la seule employée de cette grande organisation à ne pas comprendre le suisse allemand. Mes collègues ont le respect des minorités. Dès que je m’assieds à leur table, le français… fédéral s’impose comme langue officielle. Ils échangent quelques banalités, puis l’envie de communiquer l’emporte et la conversation se germanise. Je m’accroche à des bribes, rate toujours les moments où l’on rit. Le « surchargé de la communication pour la Suisse romande » passe quant à lui d’une langue à l’autre comme un amphibie. J’admire cette dextérité mentale. Et ce n’est pas la seule chose que j’admire en lui. Pierre dégage un mélange de tristesse et de bonté qui me va droit au cœur. Un jour, le hasard m’a accordé la faveur de le rencontrer dans le train. Ce jeune père séparé rentrait de Genève. Quatre heures de trajet aller et quatre heures retour pour voir sa fille. Sauf qu’il avait trouvé porte close. Faute de pouvoir joindre la mère, il s’était résigné, après une demi-heure d’attente, à repartir bredouille. Sa détresse m’avait chavirée.

    Voilà des semaines que je gamberge sur la manière de donner à notre relation une tournure plus personnelle. Il me tend la perche en affirmant qu’à Lausanne, on ne trouve plus aucun établissement ouvert passé une certaine heure. Il a raison. Au début des années 90, Lausanne est encore qu’une bourgade champêtre bien loin de la festive noctambule des années 2000. Entre quatre et cinq heures du matin, elle dort sur l’ensemble de son territoire.

    Je le sais, mais exclu de l’admettre. Piquée au vif, je concocte donc un plan qui poursuit deux visées : passer une nuit entière avec lui et le convaincre de l’incessante vie nocturne de la capitale vaudoise. Le second point implique une solide dose de mauvaise foi, un timing bien précis et des choix d’établissement assez contestables, mais qu’à cela ne tienne, je lance le pari qu’on peut s’y éclater toute la nuit.

    La Tomate, boîte déjà ringarde à l’époque, présente l’indéniable avantage de se situer tout en haut de la ville. En y dansant jusqu’à la fermeture, on peut, selon mes calculs, gagner ensuite le buffet de la gare à pied et, pour peu que la balade prenne une tournure suffisamment romantique, occulter l’heure morte en arrivant juste après l’ouverture...

    Chemin faisant, une aubaine me sourit. Par le plus grand des hasards, notre tournée des grands ducs coïncide avec la Nuit du cinéma et l’Athénée projette un film à quatre heures du matin. L’événement doit se produire une fois tous les dix ans. Sur le ton blasé de celle qui a l’embarras du choix, je lui demande s’il ne préférerait pas un arrêt cinéma. Cette nuit-là, je gagne ainsi mon pari et bien plus encore. Pierre est impressionné par la vie nocturne lausannoise. Et moi par la chance que j’ai de serrer sa main dans la mienne.

    ***

    Le bonheur, ça ne se raconte pas. Tout au plus puis-je essayer de l’esquisser par quelques touches qui donneront une idée de la couleur générale.

    Mon amoureux cumule toutes les qualités. Altruisme et générosité. Humour et sensibilité. Un bagage de cinq langues, une encyclopédie sur pied. Un corps de karatéka, normal, il fait du karaté. Sans oublier la créativité. Des idéaux, des rêves. Une place pour moi dans ses projets. Une oasis de français dans ma ville d’adoption.

    De temps en temps, il me demande quand on va se marier et avoir des enfants. Je ne sais pas s’il plaisante ou s’il est sérieux. J’ai une nette préférence pour la seconde option, surtout en ce qui concerne l’idée de procréer. Nos fibres sociales entrelacées en une jolie bouture.

    Mais je n’ose pas le lui dire, de peur d’être déçue. Ce qu’il a vécu dans son ancienne relation, la confiscation de son premier enfant, l’impunité avec laquelle la mère de sa fille bafoue les décisions de justice, le chagrin dont je suis témoin,

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