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Moutarde & sopalin
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Livre électronique472 pages6 heures

Moutarde & sopalin

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À propos de ce livre électronique

Sur une Terre où la religion règne en maître, trois amis décident d’accompagner un chercheur de météorites au Proche Orient. Tous sont loin de se douter qu’une rivalité a déjà opposé Zloïls et Auraéliens depuis plusieurs millénaires. Les conséquences de cet affrontement se trouvent partiellement dans la Bible où les faits ont été interprétés spirituellement par les populations locales ; mais les rivalités se poursuivent encore aujourd’hui.
Les quatre amis s’en rendront rapidement compte et vont se trouver, contre leur gré, engagés dans des aventures où ils risquent leur vie, poursuivis par les Zloïls, les Auraéliens et les populations locales des pays où ces aventures les conduisent.
LangueFrançais
Date de sortie8 août 2018
ISBN9782312060071
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    Aperçu du livre

    Moutarde & sopalin - Francis Taft

    cover.jpg

    Moutarde & sopalin

    Francis Taft

    Moutarde & sopalin

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2018

    ISBN : 978-2-312-06007-1

    PREMIÈRE PARTIE :

    Prémices

    Préambule

    ZLODA, PLANÈTE ZLOÏL

    15000 ANS AVANT J.-C

    {1}

    La voix du Maître s’éleva et l’assistance fit silence. Elle était harmonieuse cette voix, bien timbrée, claire, distincte. Ce qu’elle disait plaisait aux auditeurs. Le Maître était beau, grand, bien proportionné. Ceux qui lui faisaient face et qui écoutaient ses paroles avec attention et respect, étaient eux-mêmes grands, beaux et jeunes, garçons et filles mélangés, habillés comme il convient pour cet exposé inaugural et confidentiel. Tous les appareils d’enregistrement, de prise de notes, d’écriture, qu’ils soient mécaniques, électroniques ou autres, étaient interdits pendant cette séance. Car ce n’était pas les faits qui étaient importants pour ces futures initiés, tout le monde les connaissait, mais leur esprit. Ceux-ci devraient d’abord comprendre puis développer la civilisation à laquelle ils appartenaient.

    – Les premières manifestations de la vie eurent lieu dans les océans, dans des conditions qui défient notre imagination d’aujourd’hui, dit le Maître. Indirectement, nous sommes les héritiers de ces phénomènes qui commencèrent il y a trois milliards d’années{2} sur Sol3. Les premières cellules, disons ainsi car il n’y avait aucun témoin, tiraient leur énergie des sources de chaleur et des radiations présentes. Elles se regroupèrent en organismes pour répartir au mieux cette puissance. Elles s’en servirent pour se reproduire et au cours des nombreux échanges et maillages, l’intelligence naquit rapidement et se développa. C’est ainsi que les URS émergèrent.

    Cette planète possédait d’autres cellules vivantes mais selon des dispositions différentes et qui prirent beaucoup plus de temps pour se déployer. Les URS mirent moins de deux milliards d’années pour passer de l’état de cellules individuelles à celui d’organismes capables d’emmagasiner de grandes connaissances, de découvrir D5{3}, de maîtriser les déplacements de planète à planète dans la Galaxie. Ils élaborèrent de nombreuses et fructueuses théories. Les URS se différenciaient de tous les autres organismes connus par leur absence de tube digestif, de parties dures comme le squelette ou la carapace. Ils n’avaient pas besoin de cela. La radioactivité les protégeait et les nourrissait. Lorsque les sources d’énergie se raréfièrent, parvenus au sommet de leur puissance, ils quittèrent la Terre et vinrent s’installer chez nous, sur Zloda.

    Le Maître s’accorda une pause. Les auditeurs restaient suspendus à ses lèvres car ils découvraient un des secrets réservés aux initiés, de leur civilisation.

    – Lorsqu’ils s’établirent chez nous, nous étions déjà en devenir mais nous n’étions que des organismes incomplets et promis uniquement à un avenir animal. Les URS nous prirent en charge. Ils développèrent nos capacités et nous éduquèrent. Ils nous formèrent tout en restant eux-mêmes. Progressivement, ils nous léguèrent leurs savoirs, leurs techniques quand nous fûmes en mesure de les comprendre et de les maîtriser. Nous grandîmes ainsi pendant plus de cinq cents millions d’années. Mais le mérite des URS est d’avoir su attendre que la Nature nous épanouisse, d’avoir accompagné cette évolution sans la brusquer. Par des changements génétiques, des croisements et d’autres choses que nous ignorons par manque de documents, ils firent de nous ce que nous sommes. Ce sont les trois cents derniers milliers d’années qui virent les progrès les plus spectaculaires, nous faisant passer de l’âge de pierre à l’âge interstellaire, âge dans lequel nous sommes depuis cent cinquante mille ans. Arrivés au terme de leur évolution, les URS s’éteignirent et il ne reste rien d’eux que la connaissance léguée à notre civilisation. Nous, les Zloïls, nous en sommes les héritiers. Nous leur rendons hommage. Et la meilleure façon de le réaliser, c’est encore d’agir vis à vis des autres comme ils ont fait pour nous.

    L’assistance approuvait pendant que le Maître reprenait son souffle. Il poursuivit :

    – Nous retournâmes sur Terre. La description que nous en avaient laissée les URS n’était plus conforme à ce que nous retrouvâmes. La planète avait évolué. Le territoire que nous découvrîmes, il y a quarante-cinq mille ans, était habité par des êtres de petite taille, un mètre cinquante, très puissants, possédant une grosse tête, avec une mâchoire impressionnante. Ces créatures attirèrent notre attention car elles pratiquaient une activité inconnue de nous : l’art pariétal. Elles sont désignées sous le nom de Neandertal. Nous décidâmes alors de faire pour elles ce que les URS avaient fait pour nous. Nous ne voulions pas migrer sur Terre, nous voulions rester sur Zloda.

    Heureusement, il y avait une planète pas trop lointaine de la nôtre, AURÆ, qui elle, n’avait pas connu le développement humanoïde. Nous y transportâmes donc de nombreux Néandertaliens. Ils s’y développèrent techniquement très rapidement.

    Parallèlement, sur Terre, d’autres groupes rivaux émergeaient : Cro-Magnon, Homo Sapiens Sapiens. A quoi est due la disparition progressive des Néandertaliens sur Terre ? Plusieurs raisons sans doute : manque d’adaptabilité, diminution de la fécondité, pressions en D5 des groupes concurrents. Probablement un peu tout cela en même temps.

    Cette décadence de Neandertal était en parfaite opposition avec ce qui se passait sur AURÆ. Très vite, ils s’étaient révélés aptes à la compréhension d’idées complexes. Par croisements, anastomose et aussi d’autres techniques, nous améliorâmes le fonctionnement du cerveau, augmentant ainsi les performances intellectuelles.

    Cette évolution a un contrecoup inattendu : les Auraéliens rencontraient pour se reproduire des difficultés croissantes. Pour retarder leur dégénérescence, ils décidèrent de prolonger la vie de chaque fœtus en le clonant. L’idée était de les faire vivre l’un après l’autre en transférant la totalité de la mémoire dans le clone suivant. Après la naissance de l’original, les corps clonés restaient en hibernation pour retrouver la vie un par un, chacun à son tour, d’où une difficile gestion des jeunes. Pour préserver l’identité de chaque individu, la mémoire de l’original, intégralement conservée, vient enrichir clone-1 de son existence passée. A la mort de clone-1, clone-2 reçoit les mémoires intégrales de clone-1 plus celle de l’original et ainsi de suite jusqu’au clone final. Cette technique s’est peu à peu amplifiée et développée. Actuellement, on compte plus de cent clones pour un original. A la mort du dernier, l’individu est considéré comme décédé et l’ensemble de ses mémoires, après un délai raisonnable, vient alimenter le souvenir collectif.

    Cette technique fut rendue possible grâce aux connaissances techniques qu’ils nous volèrent et à leur habileté à travailler sur le cerveau. Chaque original nouveau-né, dès qu’il atteint l’âge de seize ans, reçoit le mémoriel qu’il portera toute sa vie et tous ses clones après lui. Ce mémoriel, vu de l’extérieur, se présente comme une large coiffure portée en permanence. En réalité, c’est un implant biologique vivant. Il n’est ôté qu’à la mort du corps pour transfert sur le clone qui doit lui succéder. Il se compose de deux parties : le mémodon qui représente la partie stockage de la mémoire, immense magasin qui se remplit peu à peu et l’infobion. C’est une plaque bionique qui intervient comme élément de sécurité. Il permet le décodage du mémodon mais seulement s’il est dans le corps du clone correspondant. Ainsi, l’intimité mais aussi le respect intégral de l’individu sont pris en compte. On peut accéder au mémodon et copier ce qu’il contient, mais cette information est inintelligible si elle n’est pas reliée à l’infobion correspondant. Ce n’est qu’après la mort du dernier clone, que l’infobion permet l’accès de tous aux souvenirs de celui qui n’est plus. Mais il y a un délai qui correspond à chaque situation particulière. L’infobion est la clé de ce système. Sans lui, il n’y a aucune possibilité d’explorer le mémodon.

    Il faut également préciser quelques points complémentaires : aucun transfert de mémoire n’est réalisé sur un clone âgé de moins de dix-huit ans ; chaque corps est capable de vivre cent ans avec tous ses moyens sauf accident ou assassinat, voire plus.

    En hibernation, un corps vieillit d’environ 0,5 % du temps écoulé à l’extérieur. Le premier clone a environ dix-huit ans et demi lorsqu’il prend son fonctionnement et le dernier plus de cinquante ans selon les conditions d’existence de ceux qui l’ont précédé.

    Quelques milliers d’années plus tard, les Néandertaliens étaient devenus des Auraéliens, fiers et ombrageux, capables de se débrouiller seuls. Ils étaient autonomes et voulaient le rester. Par contre, leur fertilité continuait à décroître régulièrement. Nous les abandonnâmes sur leur monde.

    Neuf mille ans après leur arrivée sur AURÆ, eut lieu le premier affrontement matériel entre eux et nous. Ils attaquèrent un de nos vaisseaux qui était en tournée de reconnaissance chez eux. Ils réussirent à s’en rendre maîtres et par un odieux chantage, nous imposèrent un transfert de technologies à leur profit. Nous acceptâmes.

    La différence fondamentale avec notre civilisation est que les Auraéliens sont des Humains. Pas nous, même si nous nous ressemblons. Les URS, originaires de la Terre, nous ont façonnés à leur idée. Eux non plus n’étaient pas des Humains. Ils nous ont voulus beaux, intelligents. Ils ont modelé nos esprits à l’image du Cosmos. Nous le revendiquons. Mais, au contraire d’eux, nous sommes des êtres sexués. Ils ont voulu que nous puissions jouir de tous nos sens. Ce que nous faisons. Notre philosophie est qu’il n’y a pas de mal dont on ne puisse tirer au moins un bien.

    A l’image du Cosmos, nous utilisons la force sans nous préoccuper d’altruisme. Nous l’avons fait avec les Humains de Neandertal, cela s’est retourné contre nous. Ils se sont opposés à nous. Ils veulent notre place. Mais nous ne pouvons pas nous laisser faire. Notre longévité individuelle est de dix à trente fois celle d’un Humain. Notre fertilité est stable. Nous avons été des guides dans cette partie de la Galaxie. Nous entendons le rester. Face aux prétentions auraéliennes, nous avons proposé un mode de mesure d’influence de nos deux communautés. Il s’agit des gösters. Ceux-ci sont émis en D5 par l’activité méditative, religieuse si vous préférez. Vous savez tous que quand nous branchons notre esprit vers les créatures inférieures, en cas d’activité religieuse, nous ressentons comme un arôme ce qu’elles expriment. Pour départager nos influences, nous avons codifié ces activités. Des Groupes Mixtes analysent les gösters émis par les intelligences en devenir. Les Auraéliens ont leurs critères, les nôtres sont tout à la fois différents et plus simples, basés sur le dynamisme.

    Nous tentons ainsi d’inciter les planètes inférieures à rallier notre camp. Les autres font de même de leur côté. Jusqu’à présent, jamais la force brute n’est intervenue entre Auraéliens et Zloïls. Mais il faut nous préparer à son emploi si nécessaire. Bien que ce soit contraire au Code des Tempérants que les Groupes Mixtes ont imposé, nous répliquerons si nous y sommes forcés. Nous devons nous préparer à cette éventualité et être impitoyables. Nous le serons !

    Pour le moment, les interventions sur les mondes concernés doivent se faire à l’insu des autorités locales et de leurs habitants. Seuls quelques initiés sont tolérés. Ils sont éliminés en cas de problème car aucune trace de notre existence ne doit apparaître. Vous voudrez bien vous rappeler qu’il en est de même pour notre adversaire. Mais les difficultés rencontrées peuvent nous amener dans certains cas à modifier cette approche.

    Il est de votre responsabilité de continuer ainsi et d’agir en connaissance de cause. Aucune pitié ne sera tolérée à l’égard du contrevenant.

    Notre civilisation est un héritage. Pour en être dignes, et lui permettre de progresser sur la voie déjà tracée, continuons notre travail. Je compte sur vous, vous pouvez compter sur moi.

    Chapitre 1

    SYSTÈME SOLAIRE, 5900 ANS AVANT JÉSUS-CHRIST

    {4}

    Le Commandant Joussé-76{5}, officiellement AAA-NANYCT-12, que ses personnels nommaient familièrement le Pacha ou 3A leva un doigt. Aussitôt le silence se fit dans la petite assemblée. Les lumières baissèrent, n’éclairant que lui et son pupitre. Petit et râblé, comme les autres, il arborait toujours un mémoriel éclatant avec les parements de sa charge bien visibles. Sa coiffe intégrée descendait jusqu’en bas de ses oreilles. Les Auraéliens préféraient la porter longue, mais l’adaptaient en fonction des circonstances. Sur le NANYCT-12, tous se ressemblaient, ne se dissociant les uns des autres que par leurs tenues, fonction de leur grade. On ne trouvait aucune appellation identique ni aucun parement semblable.

    Dans cette apparente complexité, 3A semblait comme un poisson dans l’eau. D’un coup d’œil, il savait si tel naute était à son poste ou non, en service ou non. Son regard infaillible lui communiquait immédiatement des informations qui éveillaient son attention sur tout écart par rapport à la règle.

    Parcourant de ses yeux aux reflets violets l’assemblée réunie en face de lui et composée uniquement des cadres supérieurs, il commença son allocution :

    – Vous connaissez tous l’objet de notre mission. Je ne vous rappellerai pas le caractère impératif de son succès. Je le résume néanmoins : dans l’exploration de la Grande Banlieue Galactique (GBG), nécessité absolue de repérer toute forme de vie et d’annexer le système à notre Confédération. Ce n’est pas la première fois que nous opérons ainsi et cela a toujours été une réussite. Pour nous, d’abord, pour les indigènes ensuite. Ils ont pu ainsi bénéficier de notre savoir.

    La lutte que nous menons contre les Zloïls doit être poursuivie et amplifiée. Ils pratiquent la chasse aux planètes habitées pour les gagner à leur cause. C’est toujours avec coercition et brutalités. Ils vont vite, mais ce n’est guère consolidé et souvent les populations se révoltent. Pourtant, même si cela leur cause des problèmes, leur nombre de planètes ralliées augmente plus rapidement que le nôtre.

    Grâce à notre technique, douce et conviviale, nous amenons les indigènes à nous et ils bénéficient réellement d’une aide adaptée à leurs besoins. Cette attitude doit être développée. Mais nous devons aller plus vite car nous perdons des planètes face à eux. Il ne sert à rien d’atteindre rapidement un monde si nous perdons du temps dans son adhésion à notre cause et à nos idées. Pour cela, nous allons procéder différemment. Ce n’est pas le NANYCT-12 qui servira de base orbitale, mais les mymonos{6} qu’il renferme. Ceux-ci rejoindront chaque système mais seuls les mnéniers atterriront. Les petits motairs pourront aussi être utilisés sur place. Vous recevrez vos ordres détaillés à ce sujet.

    Actuellement, nous patrouillons dans une zone peu dense. Un endroit idéal pour établir un poste avancé mais pas pour le défi que nous devons relever. Notre succès n’est reconnu que lorsque les gösters sont suffisamment puissants pour être quantifiés et identifiés par les détecteurs mobiles des Tempérants. Inutile de vous rappeler que tout ceci est fondamental pour le rayonnement de notre pensée. L’humilité dont nous devons faire preuve devant le Grand Tout ne veut pas dire que nous ne devons pas être fiers de notre dévouement à la Cause. La mission qui est confiée à chacun est primordiale.

    Nous sommes loin. Nous sommes en guerre. Notre mandat est triple : reconnaissance des mondes, adjonction, adhésion. Vous connaissez les enjeux, vous connaissez notre culture et les buts qu’elle poursuit. Contre les Zloïls, il n’y a que la combinaison de l’intensité des gösters et du nombre de planètes ralliées qui peut nous faire remporter la victoire. Autrement, non seulement nous périrons, mais au-delà, tout rayonnement auraélien sera éteint à jamais dans les siècles des siècles.

    Un profond silence suivit ces paroles. Il n’y avait pas de question à poser. Chaque participant savait qu’il aurait la responsabilité d’un système ou d’un groupe de systèmes. Way{7} qui débutait sa première vie, y pensait fortement. Les planètes étaient loin, distantes de plusieurs années-lumière les unes des autres. Cela représentait une gêne mais pas un handicap. Ce qu’il fallait trouver, c’était des systèmes habités par des êtres pensants et les rallier à soi. Ce dernier point était difficile et prenait du temps. Chaque responsable, isolé, devait trouver seul la technique la plus efficace pour que la détection des gösters soit plus rapide, l’émission plus puissante, plus durable. Les gösters, c’était la signature, la preuve irréfutable de l’emprise psychique des Auraéliens ou des Zloïls sur le monde concerné. C’était un travail difficile. Dans la recherche des planètes à dominer, le décalage dû au temps posait problème. On le compensait grâce à la stase qui permettait de parcourir d’énormes distances en une durée très brève. L’énergie était puisée dans le vide du continuum et on la restituait à l’arrivée.

    Non. Le vrai problème, c’était celui des populations. On ne pouvait pas jouer sur le vivant comme sur la matière inerte à moins de s’appeler Zloïls, et il n’en était question à aucun prix. Les deux conceptions qui s’affrontaient dans la Galaxie étaient complètement antinomiques. La victoire appartiendrait à celui qui pourrait revendiquer le plus grand nombre d’adeptes. L’autre serait condamné à terme et pratiquement rayé de l’histoire.

    La clé de la réussite était la conviction des peuples. A condition de trouver des peuples et celle-ci devait durer. On ne savait jamais quand les Tempérants, les Grands Juges, procéderaient à leurs contrôles. Les planètes devaient émettre en permanence, pas une bouffée puis rien ! Presque toute la Galaxie avait été explorée dans son centre. Il restait l’inconnu de la Grande Banlieue, et aussi sa voisine la plus proche, Andromède. Il existait une foule d’autres galaxies, beaucoup plus loin, elles-mêmes réunies en amas et super amas.

    Mais tout cela était trop distant. Les quantités d’énergie à mettre en œuvre étaient déjà à la limite de ce qu’on savait faire. On ne pouvait pas aller plus loin pour le moment. Il faudrait peut-être des millénaires pour trouver des techniques nouvelles et peut-être aussi ne trouverait-on pas. Des missions avaient été envoyées vers l’immense voisine. Au bout d’un certain temps, tout contact avait été perdu. Les effets relativistes trop importants ne pouvaient pas être compensés. La mort des équipages plus que probable. Un échec que les Zloïls devaient partager pour les mêmes raisons. L’immense étendue de l’Univers pour une misérable créature planétaire, une moisissure de planète, était un obstacle absolu.

    Way arrêta là sa réflexion. Il convenait maintenant de se concentrer sur la mission. Il aurait une demi-douzaine de systèmes à explorer, tous éloignés les uns des autres. Parmi ceux-ci, il savait déjà que la vie intelligente était présente sur Sol3, une planète bleue. Grande quantité d’oxygène, évidemment. Mais quelle intelligence ? Comment avait-elle évolué ? Elle était loin de tout. Il réfléchit à son plan d’exploration. 3A lui avait laissé comme aux autres, la plus grande liberté d’exécution mais il aurait un chef de mission auquel il devrait rendre compte. Il en aurait aussi sur chacun des mondes où il opérerait. Il était agent opérationnel, pas responsable de la planète, ce qu’il trouvait injuste. Il savait ce qu’il fallait faire. Il avait du temps, enfin, un peu. Il pouvait s’organiser comme il le voudrait. Les cinq autres systèmes à visiter n’étaient galactiquement pas très éloignés de celui-ci. Mais il était mal commode de passer de l’un à l’autre. Il y avait nécessité de gagner l’espace profond avant la stase et de rejoindre ensuite la zone d’influence du soleil. Ensuite, on naviguait dans le système lui-même, un autre exercice dont la technique était aussi à améliorer. Les cartes, faites de loin, étaient encore imprécises, induisant des déplacements encore trop lents. On mettrait longtemps pour aller du point de stase à Sol3. Les grosses planètes étaient plus proches mais on savait qu’aucune existence organique n’y pouvait naître. Des vies exogènes peut-être, mais alors, elles seraient forcément primitives. Elles présentaient une curiosité scientifique, pas une exploration à but politique.

    Il soupira. 3A lui laissait un peu de temps mais pas beaucoup de personnel. Il pouvait au choix explorer d’abord Sol3 ou l’une quelconque des autres planètes repérées. Le NANYCT-12, un Zir de la quatrième génération, un vaisseau de Haut Rang destiné à la conquête spirituelle des planètes où la vie apparue montrait des caractéristiques intelligentes, resterait très éloigné des systèmes planétaires à explorer trop dispersés. Ils seraient approchés par des appareils plus petits.

    Plus les civilisations seraient crédules, plus il serait facile d’influencer les indigènes contre les Zloïls. Les poisons spirituels que distillaient leurs principes étaient aux antipodes de ceux des Auraéliens. Les deux communautés s’opposaient pour le contrôle de la Galaxie. Etablies depuis longtemps près du centre galactique mais loin de l’Attraction Primordiale qui détruisait tout, elles s’étaient toujours affrontées. D’abord pour leur indépendance, puis pour la maîtrise de leurs propres planètes et de leurs ressources, enfin pour celle des influences, car ce sont ces dernières qui commandent les mondes. Opposition et antagonisme avaient grandi ensemble. Malgré des rumeurs non fondées en faveur des Zloïls, aucune des deux cultures n’avait réussi à dominer l’autre, ni l’espace intergalactique d’ailleurs. Les déplacements d’un bout à l’autre de la Voie Lactée n’étaient envisageables que grâce à plusieurs stases. Heureusement, un vaisseau Zir pouvait rester des générations sans avoir besoin de relâcher sur une planète. Les nanotechnologies permettaient une autonomie pratiquement illimitée et l’énergie principale provenait du vide lui-même.

    Le NANYCT-12 était un appareil indestructible, de la taille d’un état terrestre en trois dimensions. Sa surface extérieure couvrait environ cent quatre-vingt mille kilomètres carrés{8}. Il possédait des armes et des boucliers mais c’était un avantage plus psychologique que militaire. Zloïls et Auraéliens ne se faisaient la guerre que par population indigène interposée. L’armement était surtout destiné à contrer les intentions hostiles de populations locales ne bénéficiant que d’une technologie débutante.

    Malgré la réduction de personnel, Way ne piloterait pas lui-même le mymonos qui servirait de vaisseau-mère local mais il pourrait explorer personnellement un ou deux astres à bord d’un mnénier. Une fois le monde reconnu, il laisserait l’un d’eux en orbite. Les déplacements locaux mobiliseraient soit un motair soit le mnénier s’il fallait aller loin. Il regarda pensivement les cartes et sentit son pouls accélérer, les battements de son cœur se précipiter, prémices d’une colère qui éclaterait prochainement. Un négligeant avait saboté son travail en ne marquant pas comme il l’avait ordonné les points oméga. Il savait pourtant que c’était important !

    Way maîtrisa son irritation et donna ses instructions. Les points manquant seraient posés en cours de route. La première visite serait pour Sol3, de loin la planète la plus éloignée du centre galactique. D’abord faire un tour pour voir. Poser éventuellement des jalons, partir reconnaître les autres lieux, revenir, vérifier le développement entre temps à cause des effets relativistes, décider de l’orientation, comparer avec les autres. Au besoin, s’ingérer directement dans la vie des indigènes. S’il s’était agi d’une exploration scientifique, personne ne serait intervenu. Là, il s’agissait d’un objectif politique. Créer une colonie établirait l’appartenance de la planète. Les gösters qui s’en échapperaient en seraient la preuve irréfutable et son travail serait ainsi accompli.

    Way verrait son nom officiel modifié. Il deviendrait donc localement YwH pendant le temps de sa mission. Ses collègues lui trouveraient bien un diminutif. L’échec n’était pas acceptable car il avait carte blanche. S’il n’y avait aucune vie adaptable, ce ne serait pas un revers pour lui mais pour le Zir et ceux qui avaient choisi cette planète. Son faible rang au sein du groupe le protégeait. Il n’en était pas moins tout à fait dévoué à la lutte contre les Zloïls et parfaitement intégré au programme. Avant de reprendre son poste, il décida d’utiliser son temps de récupération officiel pour revoir les différentes étapes de son plan.

    Way ne savait pas pourquoi cette planète bleue l’attirait, les autres étant neutres. Il avait décidé de l’explorer en premier car la rouge ne pouvait abriter la vie. Trop petite, elle n’avait pas retenu son atmosphère. La deux était trop chaude et son milieu trop corrosif. Bien que l’équipement dont il disposait soit capable d’en supporter les conditions extrêmes, il n’y avait aucune chance qu’un produit organique survive. S’il en existait un, se disait-il, il serait tellement différent qu’il ne serait pas retenu par les Tempérants et il ne valait pas la peine d’aller y jeter un coup d’œil. Quelques savants, peut-être, exprimeraient des regrets, mais l’expédition n’était pas scientifique. C’était un système de combat psychologique et d’influence mentale. Tout ce qui n’était pas tourné vers la mission devait être évité. A la rigueur, on pouvait prendre des notes et signaler l’intérêt éventuel pour tel ou tel aspect. Mais ceci ne devait pas se faire au détriment de la tâche.

    Les observations lointaines ne révélaient rien de particulier si ce n’est l’existence de la vie. Les détecteurs de gösters captaient des signaux impossibles à identifier ; ce n’était pas le silence. Donc, il y avait matière à travailler. Ce dont on était certain, c’est qu’il n’y avait aucune technologie spatiale. Le premier travail serait d’aller observer, tenter de comprendre la langue locale, les mœurs, puis éventuellement décider des moyens d’agir si cela promettait d’être satisfaisant. Dans un cadre limité, il faudrait vérifier l’existence de la vie en différents endroits.

    C’était une belle planète, toute neuve pour l’intelligence, bien celle-ci existât depuis assez longtemps. Il faudrait se demander pourquoi celle-ci n’avait pas produit d’effets plus tôt. Il semblerait que, d’après les éléments en sa possession, ces indigènes soient incapables de l’utiliser pleinement. De toute façon, il entendait diriger l’exploration à sa façon. Il ne prendrait pas l’avis de ses collègues, par amour propre. Quant à consulter un Supérieur, cela reviendrait à appliquer strictement ses consignes et pratiquement à devoir mettre en pratique ses préférences, ses méthodes de travail et de pensée. Way ne voulait absolument pas de ça. Il tenait à ce que ce soit son empreinte et pas celle de la communauté à laquelle il appartenait. Il lui était tout dévoué mais il restait un élément autonome, pas un asservi.

    Le Zir était encore très loin du système solaire mais il s’en approchait rapidement. Déjà sa vitesse avait considérablement diminué depuis la fin de la stase. Dans une journée, il serait près de Neptune{9} et ayant encore diminué son allure, il se tiendrait sur cette orbite lointaine, le temps de lancer les mnéniers. AAA ne voulait pas que le NANYCT-12 rentre dans un système inconnu. A grand train, les vaisseaux de ce type sont très peu manœuvrants. Ils deviennent plus agiles quand la rapidité diminue. Malgré l’immensité des vides qui séparent les planètes les unes des autres, le danger de collision ne peut être exclu. Pour se rendre près de Sol3, il faudrait survoler une ceinture d’astéroïdes. AAA décida que seuls les astronefs concernés rallieraient la planète et dans un premier temps, il voulait une liaison permanente avec son équipage venu sur Terre. De toute façon, c’était à chaque chef de section de s’arranger. Puis le Zir irait se positionner près d’un autre système et une nouvelle approche serait mise en route avant l’observation.

    Le regard de 3A tomba sur l’information qu’il venait de recevoir de la coordination centrale. Les Zloïls s’en sortaient plutôt bien. Il faudrait que cette fois-ci, cela soit une réussite. Il devrait rallier au moins deux, voire trois systèmes. La crédibilité et la lutte permanente obligeaient. Aussitôt la mission terminée dans cette partie de la Galaxie, il remettrait en cause son aptitude corporelle. Cela voudrait dire rallier AURAE pour commencer une nouvelle vie, comme les autres Auraéliens dans la même situation que lui. Comme eux, il mourrait une fois de plus pour revivre dans une autre condition. Abandonner le poste de commandement du NANYCT-12 n’était pas pour le réjouir. Mais la mémoire de ses expériences lui servirait à nouveau. L’important, c’était surtout la lutte contre les Zloïls. Tout devait se faire en ce sens. Quant à lui, si on associait son nom et sa personne à une réussite spectaculaire, ce serait sa plus belle récompense.

    Ce changement concernait aussi tous les personnels à bord du Zir. A des périodes différentes du cycle, AAA avait déjà vécu cela comme tout le monde. Là, il abordait, en fin de cycle, le soixante-dix-septième, une dernière épreuve. Toute son expérience passée millénaire lui était accessible mais cela nécessitait de la concentration et du temps. Le clone n’apportait pas un corps jeune, seulement un organisme au vieillissement optimisé avec des organes et tissus traités. On ne touchait guère au cerveau. On évitait seulement qu’il perde des cellules. Avec ce système, tenter de modifier un esprit auraélien, c’était prendre le risque de le mutiler à jamais. La science était grande, tant en biologie qu’en astrophysique, mais elle avait ses limites. Les deux peuples antagonistes étaient sensiblement au même niveau. C’est la raison pour laquelle aucun n’avait réussi à complètement dominer l’autre. 3A savait que ses ennemis n’avaient aucun respect de la souffrance des autres. Quant à celui de la vie, ils étaient bien trop intelligents pour gaspiller la leur, celle d’autrui, c’était moins évident.

    N’empêche, cela avait été une mauvaise idée de vouloir explorer cette partie éloignée de la Galaxie. Trop loin, trop peu de concentration, pas assez de densité pour utiliser au mieux les ressources du Zir. Ce type de vaisseau convenait aux concentrations planétaires importantes. Là, il était trop gros. On terminerait l’exploration commencée mais on se dispenserait d’une expédition plus lointaine. Il faudrait se rapprocher du centre ou visiter un autre bras, mais toujours plus près du centre. Cela ne voulait pas dire qu’on renoncerait à une race intelligente, mais aussitôt la détection faite, l’enregistrement terminé, on les oublierait jusqu’à la prochaine fois. Les Zloïls ne viendraient sûrement pas revendiquer une planète que les Auraéliens auraient déjà marquée. Sauf si les natifs décidaient de changer de camp. Mais qui serait assez fou pour vouloir abandonner les partisans du savoir, de la liberté et de l’humanité pour un groupe où la brutalité régnait en maître absolu avec son cortège de souffrances ?

    AAA porta les mains à sa tête. Le moment approchait où il lui faudrait passer la main. Il ne l’attendait pas si tôt. Si la malchance le poursuivait, il ne pourrait pas terminer la mission. AAB qui devrait prendre le commandement remarqua le geste de fatigue de son supérieur. Il en était lui-même à sa cinquante-deuxième réincarnation,

    – Faites préparer les hydrolyseurs. Je peux en avoir besoin d’un moment à l’autre.

    – Oui, Commandant. Comptez-vous superviser vous-même ou bien voulez-vous attendre les premiers résultats ?

    – Pour ne rien vous cacher, Commandabis, je préférerais que ce transfert se fasse après l’exploration des cinq planètes de la GBG mais j’ai peur d’être pressé par le temps.

    – Toutes vos instructions sont enregistrées et c’est moi qui personnellement aurais l’honneur de les faire appliquer.

    – Ce n’est pas de cela que je veux parler. J’aurais aimé savoir, c’est tout. Savoir si les Zloïls ont eu quelque chose à voir avec cette planète. Les gösters sont tellement différents de ce que nous connaissons.

    – Vous le saurez, de toute façon.

    – Oui, mais plus tardivement. Et puis, c’est dans le contexte de l’exploration que c’est le plus fascinant. Savoir quelque chose et vivre en temps réel sa découverte, ce sont deux actions tellement différentes.

    – Oui, Commandant. Je comprends bien.

    – Je veux revoir les plans prévus encas d’échec. Tenez-vous à ma disposition. Les senseurs vous avertiront si le processus se déclenchait trop tôt.

    Le travail des Auraéliens ne serait pas remis en cause mais 3A savait que sous ce nom et cette responsabilité, il aurait failli, enfin, presque. Dans ce jeu, le hasard intervenait quelquefois. La personnalité d’AAB n’était pas la sienne. Il fallait prévoir un scénario, donner des idées pour les cas imprévus. AAA ne voulait pas qu’on dise qu’en fin de cycle, avec son expérience, il n’avait pas prévu de plan de rattrapage. A moins qu’une combinaison subtile, élaborée par les Zloïls, les ait volontairement conduits à explorer cette partie stérile de la Galaxie pour leur faire perdre du temps et diminuer leur efficacité. Il était temps de se mettre au travail.

    Chapitre 2

    EUROPE DU SUD, TERRE, 5900 AVANT J.-C

    La planète était belle, très belle même, vue de l’espace. Elle était jeune pour une planète mais plus toute jeune. On aurait dit une belle jeune femme. Elle abritait en son sein une vie intelligente, encore peu développée. Des prétechnologiques à peine sortis de l’animalité y vivaient. Cette planète avait, paraît-il, un rapport avec l’Histoire. Laquelle ? Lequel ? YwH et ses compagnons ne le savaient pas. Ils étaient trop novices. Pour le premier commandement de sa première vie, Way, YA-YA, comme l’appelaient familièrement ses hommes, s’était vu confier des impétrants, aussi inexpérimentés que lui. Les plus aguerris n’avaient que deux réincarnations. Peut-être la hiérarchie supposait-elle qu’un faux pas serait moins grave dans un environnement nouveau. Ces néophytes possédaient un corps neuf et un esprit à peine entraîné. Deux réincarnations, qu’est-ce que cela peut bien valoir face

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