Virnutcya
Par Francis Taft
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Aperçu du livre
Virnutcya - Francis Taft
Virnutcya
Francis Taft
Virnutcya
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2019
ISBN : 978-2-312-06671-4
:
Année 2084
Chapitre I
La petite lampe cessa de clignoter et s’éteignit. Aussitôt, Vincent sut que l’expérience avait échoué. C’était désespérant. Impossible de déterminer la nature de ce nuage vers lequel le Système Solaire se précipitait. Ce filament, ténu selon les normes galactiques, se situait en plein sur la route du Soleil. Personne n’expliquait sa présence. Consistant par rapport au vide cosmique, mais incroyablement moins dense que le meilleur vide utilisé dans les laboratoires, sa masse représentait des milliards de tonnes. Mais de quoi ? On avait trouvé de l’hydrogène, en faible quantité, d’autres gaz connus sous forme de traces mais la plus grande partie échappait aux analyses. On pensait matière noire car on ne savait pas ce que c’était. L’expérience de Vincent portait l’espoir de le déterminer. C’était raté. L’arrivée prochaine de la Terre dans ce milieu différent inquiétait. Y aurait-il un échauffement de la thermosphère, là où se formaient les aurores solaires ? Ou une diminution de la protection qu’elle apportait vis à vis des particules trop énergétiques ? Il n’en savait rien et personne ne pouvait lui souffler la réponse. Une seule chose était sûre, la traversée du nuage commencerait dans vingt-cinq ans, à peu près et elle durerait trois siècles environ. Il y aurait peu d’influence pendant les premières années, ensuite, c’était l’inconnu. Quid des familles, des enfants ? Quid des institutions humaines qui ne croyaient absolument pas à un péril ? Quid de la nature ? Agacé, il se rappela que les politiques raisonnent à court terme pour leur réélection ou celle de leurs partisans. Là, le danger s’annonçait pour des siècles !
Vincent coupa l’alimentation et sécurisa ses appareils. Il récupéra les données enregistrées et se tourna vers Nadine, une de ses assistantes :
– Nous avons fait chou-blanc. Je ne sais pas si nous arriverons un jour à en trouver la nature.
– Je suis persuadée que si ! Ah ! Monsieur Lebert a cherché à vous joindre.
– Je n’ai pas de temps à perdre.
– Il a dit que vous seriez intéressé par ses informations.
– Merci, Nadine. Je verrai.
Vincent réunit quelques documents qu’il plaça dans une sacoche et se prépara à sortir. Il n’avait pas plutôt franchi le seuil de l’établissement qu’un homme entre deux âges se dressa devant lui :
– Docteur Fredrick Vincent ? Pardonnez cette irruption brutale. Je suis Pierre Lebert. J’ai cherché à vous joindre.
– Pour les rendez-vous, adressez-vous à mon secrétariat !
– Mais je l’ai fait. Ils m’ont assuré que vous vous accepteriez de me parler si votre expérience échouait. C’est le cas, n’est-ce pas ?
– Que voulez-vous ?
– Moi ? Je ne veux rien pour moi. C’est vous qui voulez quelque chose.
– Ce que je veux n’a rien à voir avec vous.
– Non ? Mais ce que je vais vous dire concerne votre recherche.
– Suivez-moi.
Vincent fit demi-tour et conduisit son hôte dans un petit bureau réservé aux visiteurs, près de la réception.
– Je vous écoute, fit Vincent.
– Le nuage que la Terre va traverser occultera pendant longtemps l’observation des astres. Il ne sera plus possible aux astrologues comme moi de travailler, ni aux astronomes non plus, d’ailleurs.
– Nous avons toutefois des tables qui déterminent la position des astres sur de longues périodes.
– Avec une incertitude de plus en plus grande ! Ce qui veut dire qu’à la sortie du nuage, il faudra tout recalculer.
– Nos successeurs s’y emploieront.
– Non, monsieur. Il ne se passera rien, car il n’y aura plus rien. La traversée du nuage veut dire la mort de la planète.
– Cessez de jouer les Cassandre !
– Je ne joue pas. J’ai étudié à travers les astres l’avenir de l’Humanité. Elle n’en a pas. Bien entendu, il y a aussi une incertitude liée à la précision des observations mais pour moi, c’est clair. L’espèce humaine est pratiquement condamnée.
– Et c’est pour me dire cela que vous êtes venu me voir ?
– Oui. Et aussi pour vous dire que si vous lanciez un projet de protection du savoir scientifique, celui-ci durerait et serait un grand succès.
– Ce qui veut dire ?
– Cela pourrait changer le cours des choses. Le moment est favorable pour développer une assistance artificielle intelligente ! Sans elle, l’Humanité périra. Avec elle, elle a une petite chance de survie.
– Sortez, monsieur. Je n’ai pas de temps à perdre avec ces balivernes !
– C’est ce que je vais faire.
Pierre Lebert se leva. Il eut un long regard de pitié vers Vincent qui le regardait ardemment et contenait sa colère avec peine.
Trois semaines plus tard, Rachelle, son amie, trouvait en Vincent, un homme complètement différent. Ce n’était plus le débonnaire scientifique qu’elle connaissait, mais un personnage agacé. Hanté par une sorte de vision, il était devenu insupportable.
– Que se passe-t-il, Vincent ? Je ne te reconnais plus. Tu as changé.
– Tu crois que la situation que ton père m’impose est facile ? Je me retrouve complètement discrédité, avec un nouveau chef. Il m’a rétrogradé.
– C’est peut-être vrai sur le plan du travail, mais tu n’es pas rétrogradé dans mon cœur.
– Oui, Rachelle. Je t’aime et je ne pourrai jamais cesser de t’aimer. Mais je me trouve dans une situation incroyable : je dois mendier l’autorisation d’aimer la femme que j’aime à mon ennemi professionnel.
– Mon père n’est pas ton « ennemi » professionnel.
– Il est quoi alors ? Mon ami ? Drôle d’ami que celui qui vous complique la tâche, ne vous écoute jamais et quand il le fait, c’est pour vous mettre en difficulté devant les collègues. Il n’a rien fait pour me soutenir.
– Es-tu certain que tes idées sont toutes valables ?
– Bien évidemment. Autrement je les remplacerais par d’autres.
– Il peut y en avoir auxquelles tu n’as pas pensé.
– Tu vois. Tu défends ton père.
– Non. Je ne le défends pas. Il est assez grand pour faire cela tout seul. J’essaye seulement de te faire admettre qu’une défaite provisoire sur le plan professionnel n’est pas une catastrophe qui mette notre amour en péril.
– Tu trouves que j’exagère ?
– Je trouve qu’en ce moment, tu penses seulement à toi et pas à moi ni à notre amour.
– Tu as raison je pense. Mais j’ai du mal à l’admettre.
– Oublie un peu tout ça.
– Et si on tentait une nouvelle expérience ? Imaginons deux petits astronefs avec des êtres vivants. L’un lancé vers le nuage et l’autre qui l’éviterait. Au bout d’un certain temps, on compare les deux populations et on en déduit si un effet significatif s’est manifesté. Qu’en dis-tu ?
– Je dis que la mise en place d’un tel procédé prendrait au moins dix ans. Il attendrait le nuage en cinq ans minimum. Cinq ans pour le faire revenir, il resterait en gros cinq ans. C’est court pour préparer l’Humanité à ce danger potentiel.
– Tu as une meilleure idée ?
– Non.
– Alors, on s’y colle ?
– On y pense. Mais tous les deux. Et que Papa aille au diable s’il s’oppose à nous.
***
Au même moment, dans un laboratoire de Kyoto, Hano, un jeune ingénieur en robotique tentait une expérience inédite : utiliser d’autres particules que les électrons sur un cerveau synthétique. Il voulait absolument réaliser le robot parfait, celui qui pourrait réfléchir et dire « je » car il aurait conscience de lui-même. Son créateur, le professeur Tako Hata, assistait au réglage ultime :
– C’est un grand honneur pour moi, Professeur, de vous voir assister à cette expérience.
– Le sujet m’intéresse. Si les résultats sont positifs, cela ouvrira la porte à de considérables progrès techniques dans la robotique. Si elle échoue, nous saurons où ne pas nous engager. Dans les deux cas nous aurons appris.
Hano s’approcha d’un montage caché par un tissu épais. Il fit d’abord fermer la lumière du labo et retira le voile. Il découvrit ainsi un ensemble électronique composé de pièces mécaniques montées sur deux jambes artificielles articulées. Il n’y avait pas de bras mais un gros cube ouvert montrant des connexions complexes reliées à un câble massif :
– L’inconvénient de ce modèle, dit-il, c’est l’alimentation. Les muons sont plus efficaces que les électrons dans ce montage mais ils durent moins longtemps. C’est la raison de ce gros appareillage.
– Et au point de vue fonctionnel ?
– Nous maîtrisons assez bien l’intelligence logique mais pas encore la langagière pour communiquer.
– Tout est entièrement minéral dans votre prototype ?
– Oui, Professeur.
– Vous aurez peut-être intérêt à booster votre modèle avec du biologique. Vous savez, ces fameuses cellules chandelier.
– Bien, Professeur. Je vais voir ce que je peux faire.
– Nous avons une importante avance sur nos collègues occidentaux à ce sujet. Mais si les dangers se précisent avec ce nuage inconnu, il faudra être prêt à partager nos savoirs et à travailler avec eux.
– Vous êtes inquiet, Professeur ?
– Je préfère travailler avec eux, même si le risque est écarté que l’inverse. Nous faillirions à notre devoir. Je ne veux pas penser à cela sans tenter quelque chose à mon niveau.
– Avez-vous reçu des nouvelles d’autres laboratoires ?
– La plupart de nos compatriotes pensent comme moi. Mais il faudra convaincre les sceptiques, surtout financiers.
– Professeur, il y a une chose que je ne vous ai pas dite.
– Oui ?
– Voici ce qui est sorti de l’imprimante quand nous avons effectué des tests sur la mémoire.
Hano sortit de sa poche un petit papier extrait d’un rouleau. Il tendit à Tako qui le prit d’un air interrogatif.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Ce papier s’est imprimé tout seul. Je veux dire que personne n’avait lancé l’opération. Ça s’est passé tout de suite après avoir relié le prototype à nos appareillages pour le charger en énergie et enregistrer les différents paramètres.
Tako regarda la petite feuille de papier avec incrédulité.
– Vos essais, en quelle langue les avez-vous conduits ?
– En anglais. Nous avons de nombreux étrangers qui travaillent ici. Beaucoup d’appareils et de protocoles utilisent cette langue.
– Hano San, vous venez de faire une découverte fondamentale. Votre prototype est plus qu’une machine. Il pense et subit. Vous avez créé le premier être artificiel autonome par la pensée. C’est formidable. Mais les conséquences sont imprévisibles. Le danger pour l’espèce humaine vient maintenant de l’intérieur.
Il rendit le papier à Hano qui le regardait sans comprendre. Dessus, l’imprimante n’avait écrit qu’un seul mot : « pain ». Douleur en anglais.
***
Le Président de l’Assemblée des Etats Réunis prit une profonde inspiration avant de se lancer :
– Excellences, Mesdames et Messieurs les Chefs de gouvernements, c’est une situation exceptionnelle qu’il convient d’évoquer devant vous. L’Humanité tout entière n’a jamais connu une pareille circonstance. Elle menace nos vies et naturellement celles de nos enfants et descendants, s’il y en a. Je veux parler du nuage que le Système solaire va devoir bientôt traverser.
Il n’est pas en notre pouvoir de modifier la course du Soleil autour de la Voie Lactée et cet obstacle qui se trouve sur notre chemin, nous ne pouvons l’éviter. Cette tête d’épingle, venue d’on ne sait où, de nature inconnue, fait peser sur nous un péril. Les astronomes les plus brillants et les mieux équipés se sont penchés sur sa nature. Ils n’ont rien pu déterminer, même en utilisant des données provenant de la Lune et les télescopes spatiaux. C’est à dire que ce nuage, même s’il est dilué par rapport à notre atmosphère, est dense par rapport au vide qui l’entoure. Autre singularité, cet objet se déplace sans respecter, semble-t-il, les lois de la gravitation. Nous ne savons pas d’où il vient. Nous pensons seulement que sa traversée durera environ trois cents ou trois cent cinquante ans. Mais cette nature inconnue inquiète. Sa masse aussi. Que deviendront l’exosphère et nos satellites artificiels ? Nous devons déterminer tout cela pour prendre toutes les mesures de sécurité nécessaires. Pour ma part, j’inclinerais à penser d’ores et déjà à la protection de la nature dont nous sommes tributaires. C’est une priorité. Je veux parler de notre agriculture. Si celle-ci est atteinte, nous le serons aussi. Et c’est précisément l’objet de la réunion d’aujourd’hui : mobiliser nos forces pour faire face à cette conjoncture. Ce n’est pas un groupe de savants isolés, quels que soient leurs talents, ni même un pays tout seul, aussi avancé soit-il, qui peut résoudre cela pour nous les Terriens, c’est à dire pour tous les Habitants de la planète. C’est nous tous, réunis, travaillant ensemble, qui le pourrons peut-être. Nous sommes nombreux, nos ressources sont importantes. Nous sommes ouverts à toutes les idées…
Le discours dura encore un bon quart d’heure. Puis différents orateurs prirent la parole. Il n’y eut qu’une seule décision à l’issue de cette réunion quasi planétaire : les opinions publiques ne décideraient pas. Il n’était pas question de troubler les ressources de financement par des agités aveugles et incapables de comprendre les enjeux. Tous les tenants et aboutissants seraient classés « secret défense ». Les journalistes trop entreprenants seraient systématiquement envoyés vers de fausses pistes. Sur ce point la coopération se faisait. Les Gouvernants disposaient d’une arme silencieuse mais redoutable d’efficacité pour contrer les trop curieux éventuels : l’administration et ses procédures.
Le colloque prit fin dans une grande agitation ; des clivages, des groupes de pensées se coagulaient, se défaisaient. Beaucoup étaient tentés de profiter de la situation pour se pousser en avant, que ce soit au niveau individuel ou collectif. Il semblait que personne n’avait envie de suivre la méthode du voisin. Mais l’ensemble du message était passé. L’Humanité était menacée et il convenait non seulement d’en prendre conscience mais aussi d’envisager des parades. On avait un peu de temps devant soi, environ un quart de siècle, l’éternité pour un politique.
Chapitre II
Vincent rangea l’hybride le long du trottoir. Il y avait de la place maintenant, ce n’était pas comme autrefois, quand tout le monde utilisait son véhicule personnel pour un oui ou pour un non. La crise économique était passée par-là, l’écologie aussi et les gouvernements avaient pris des mesures. Le véhicule ne lui appartenait pas. Il était la propriété des chercheurs. Vincent avait le droit de l’utiliser en raison de ses horaires discontinus. Il ne pouvait pas profiter des transports en communs, souvent arrêtés à ces moments là.
La maison n’était pas vide. Clara devait être couchée. Sa mère ne l’attendait jamais. Vincent était bien trop vieux pour cela. Elle estimait qu’il avait passé l’âge d’être materné mais regrettait qu’il mène encore une vie de célibataire. Son père était décédé depuis longtemps. Ils vivaient donc ensemble pour le moment. Mais cette association ne pourrait durer si Vincent se décidait pour une vie en couple. Alors Clara garderait la maison. Elle pourrait même éventuellement refaire sa vie. Vincent l’y encourageait. Mais Clara n’avait pas envie de se mettre au service d’un homme ni de s’occuper de son linge. Elle préférait cette situation.
Sans faire de bruit, il gagna son cabinet pour répondre à son courrier. Rien d’important sauf un message du bureau. Intrigué, il l’ouvrit et lut :
« Je viens d’apprendre que la liaison s’éternise entre ma fille et vous. Bien que celle-ci soit majeure et puisse décider librement de ses relations, je vous mets en garde. Une officialisation de vos relations conduirait à des conflits d’intérêts qui seraient inacceptables, surtout que les résultats de votre travail ne sont pas conformes aux résultats attendus. Ou bien vous quittez cet établissement ou bien vous renoncez à fréquenter ma fille.
Signé : Georges de La Treille
Directeur du CERNA{1}. »
Agacé par ce ton, Vincent ferma son ordinateur.
C’était quand même curieux, ce message ! Si le patron avait quelque chose de personnel à lui dire, pourquoi ne le convoquait-il pas dans son bureau pour lui parler face à face ?
Cela faisait bien longtemps qu’ils ne s’étaient pas rencontrés. Au travail, c’était toujours des notes de service, des mails, une voix au téléphone. Finalement, il ne l’avait pas revu depuis… Il n’arrivait pas à se souvenir. Rachelle ne parlait jamais de son père. En tout cas, pas à lui. Il se la représenta, grande, belle, désirable, désirée aussi, avec son regard profond, son courage, son intelligence, sa bonne humeur communicante, son rire clair, son sourire, sa gentillesse. Les adjectifs venaient spontanément à son esprit mais il ne pouvait toujours pas l’imaginer fille de ce tyran. Car son père ne pouvait pas être autre chose qu’un être impossible. C’était pour s’opposer à lui qu’elle était devenue ce qu’elle était avec son charme, son sourire. À nouveau, les adjectifs envahissaient sa pensée. Jamais il n’était allé chez eux. Jamais il n’avait entendu Rachelle esquisser le moindre mot qui fasse allusion à une vie autre que celle du bureau.
Il y avait d’autres mails. L’un d’eux attira particulièrement son attention. Il n’était pas destinataire mais quelqu’un au laboratoire le lui