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Marie-Dominique Philippe, philosophe de la personne humaine
Marie-Dominique Philippe, philosophe de la personne humaine
Marie-Dominique Philippe, philosophe de la personne humaine
Livre électronique366 pages15 heures

Marie-Dominique Philippe, philosophe de la personne humaine

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À propos de ce livre électronique

Le père Marie-Dominique Philippe a fait, pour notre temps, l’effort philosophique que saint Thomas d’Aquin a fait pour le sien : sortir de la pensée ambiante pour revenir au réalisme d’Aristote. Car le sommet de la pensée d’Aristote, c’est sa philosophie de ce qui est, en tant qu’il est, ce qu’il appelle la philosophie première, la métaphysique. Et c’est ainsi que le père Marie-Dominique Philippe, ayant refait le chemin de l’analyse de l’être et de la découverte de ses causes propres, la substance et l’acte, pouvait en arriver à se poser la question de la personne, comme la réalisation la plus parfaite de ce qui est dans notre expérience et en même temps, comme ce qui, de ce fait, nous intéresse au plus haut point puisqu’il s’agit de nous ! Son œuvre philosophique est couronnée par sa philosophie de la personne et de sa manière d’exercer les deux principes propres de l’être dans son autonomie, sa recherche de vérité, sa capacité d’aimer, sa prudence, sa capacité de transformer l’univers, son corps et sa découverte de l’existence de Dieu. Faisant ainsi, le philosophe pousse jusqu’au bout sa recherche métaphysique sur ce qui est. Tant que l’homme n’est pas au centre de la réflexion philosophique, celle-ci n’atteint pas le service éminent qu’elle veut accomplir pour lui : le révéler à lui-même dans sa dignité de personne, jusque dans sa capacité de sagesse par sa découverte de la Personne Première que les religions appellent Dieu.
LangueFrançais
Date de sortie23 déc. 2014
ISBN9782312030241
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    Aperçu du livre

    Marie-Dominique Philippe, philosophe de la personne humaine - Jean D'Alançon

    cover.jpg

    Marie-Dominique Philippe

    Du même auteur :

    L’outil et l’homme au travail dans l’industrie, Éditions Saint-Paul, 1994

    Raoul Follereau, fraternités spirituelles, Le Sarment/Fayard, 1995

    Les Risques du bonheur, conversation philosophique, Brepols, 1997

    Le Compagnonnage de l’an 2000, essai sur la pensée de Jean Bernard, rénovateur du Compagnonnage, L’Harmattan, 2001

    Viens et suis-moi, un itinéraire pour découvrir la pensée de Jean-Paul II, François-Xavier de Guibert, 2002

    L’homme réconcilié, Édition des Écrivains, 2002

    Un pas vers le bonheur, Les Éditions du Net, 2013

    Pourquoi le mal ?, Les Éditions du Net, 2013

    Marie-Dominique Philippe, paroles de sagesse philosophique, Les Éditions du Net, 2013

    À l’école de la vie réelle, itinéraire philosophique, Les Éditions du Net, 2014

    Jean d’Alançon

    Marie-Dominique Philippe

    Philosophe de la personne humaine

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-03024-1

    À Delphine, ma chère épouse

    « L’homme possède de multiples ressources pour stimuler le progrès dans la connaissance de la vérité, de façon à rendre son existence toujours plus humaine.

    Parmi elles ressort la philosophie, qui contribue directement à poser la question du sens de la vie et à en ébaucher la réponse. Elle apparaît donc comme l’une des tâches les plus nobles de l’humanité.

    Forte de la compétence qui lui vient du fait qu’elle est dépositaire de la Révélation de Jésus Christ, l’Église entend réaffirmer la nécessité de la réflexion sur la vérité.

    Témoigner de la vérité est donc une tâche qui nous a été confiée à nous évêques. Nous ne pouvons y renoncer sans manquer au ministère que nous avons reçu.

    En réaffirmant la vérité de la foi, nous pouvons redonner à l’homme de notre époque une authentique confiance en ses capacités cognitives et lancer à la philosophie le défi de retrouver et de développer sa pleine dignité. »

    Encyclique Fides et ratio

    saint Jean-Paul II

    Avertissement de l’auteur

    Cet ouvrage est constitué de notes de cours prises par l’auteur dans la plus fidèle transcription.

    Les textes en caractère normal sont du père Marie-Dominique Philippe (2001-2002).

    Les textes en caractère italique et les notes de bas de page sont de l’auteur.

    Préface

    Le père Marie-Dominique Philippe a fait, pour notre temps, l’effort philosophique que saint Thomas d’Aquin a fait pour le sien : sortir de la pensée ambiante pour revenir au réalisme d’Aristote.  Car le sommet de la pensée d’Aristote, c’est sa philosophie de « ce qui est, en tant qu’il est », ce qu’il appelle la philosophie première, la métaphysique.

    Et c’est ainsi que le père Marie-Dominique Philippe, ayant refait le chemin de l’analyse de l’être et de la découverte de ses causes propres, la substance et l’acte, pouvait en arriver à se poser la question de la personne, comme la réalisation la plus parfaite de « ce qui est » dans notre expérience et en même temps comme ce qui, de ce fait, nous intéresse au plus haut point, puisqu’il s’agit de nous !

    Son œuvre philosophique est couronnée par sa philosophie de la personne et de sa manière d’exercer les deux principes propres de l’être dans son autonomie, sa recherche de vérité, sa capacité d’aimer, sa prudence, sa capacité de transformer l’univers, son corps et sa découverte de l’existence de Dieu. Faisant ainsi, le philosophe pousse jusqu’au bout sa recherche métaphysique sur « ce qui est ».

    Tant que l’homme n’est pas au centre de la réflexion philosophique, celle-ci n’atteint pas le service éminent qu’elle veut accomplir pour lui : le révéler à lui-même dans sa dignité de personne, jusque dans sa capacité de sagesse par sa découverte de la Personne Première que les religions appellent Dieu.

    un Frère

    I. Préliminaires

    S’interroger, c’est essayer de comprendre en apportant ensuite des réponses à tout ce que la vie, notre vie peut contenir de choses à faire, de problèmes à résoudre, d’éléments personnels ou familiaux de toutes sortes à gérer. Nos interrogations portent donc sur nos actions et celles de nos proches, du moins ceux ou celles qui entrent dans la préoccupation de nos vies. Ces préoccupations prennent des formes diverses, selon qu’elles tendent vers la santé, le confort, les besoins alimentaires ou matériels divers, le travail, les loisirs, l’information ou la culture. D’ailleurs qu’entendons-nous par culture ou bien quels sens lui sont attribués dans la société qui est la nôtre ?

    La culture pourrait relever de tout ce qui n’appartient pas au « faire » quelque chose pour vivre. La télévision serait-elle son porte-drapeau ? Peut-être, comme tout ce qui tourne l’homme, la femme et l’enfant vers une nourriture qui n’est pas alimentaire, donc qui n’est pas directement matérielle, outre la politique bien entendu. Cela n’empêche pas la politique d’y faire référence, de l’utiliser à ses fins si besoin. Une partie du monde de la grande distribution s’approprie ce mot pour diversifier ses ventes. Que voit-on dans ses rayons ? Des besoins certes différents de la vie quotidienne, mais toutefois des besoins qu’un imaginaire idéalisé peut faire naître ou étendre à une multitude de gens. La culture serait-elle ce qui reste quand on a tout oublié, selon les mots de Malraux ou davantage ce qui s’étend devant nous comme modus vivendi sous le contrôle des médias commandés par leurs zones d’influences idéologiques ?

    Et la philosophie ? La philosophie est-elle une culture, au même titre que la psychologie, la sociologie, la psychanalyse, et toutes les sciences inhérentes au « mental » de l’homme, dirait-on à la place de la « pensée » de l’homme ? Qu’est-ce que la pensée ? Est-ce ce qui nous « passe par la tête » ? Est-ce ce qui infuse après des heures d’incubations ou d’élucubrations ? Chacun vit dans son monde et construit son propre monde selon ses idées. Mais les influences sont nombreuses, diverses et variées, au milieu de ses ramifications, de cette toile d’araignée qui l’enveloppe, comme les ondes qui sillonnent autour de nos corps de fourmis perdues dans l’univers parsemé de satellites et de leurs champs électro-magnétiques.

    L’homme, surtout moderne, s’est laissé progressivement enfermer au fil des siècles dans le mouvement d’un univers qu’il cherche à maîtriser par la science, à « recréer par la science », pourrait-on dire. Ce mouvement qui est le propre de la vie, de toute vie, le propre du monde physique et davantage encore, son « moteur », est-il le moteur de l’homme, de sa vie et de sa pensée ? « Tout change, tout est relatif », affirmait le philosophe présocratique Héraclite (VIe siècle av. J-C), pour qui le mouvement est l’élément premier, constitutif de l’univers physique, et « la guerre, le père de toutes choses ».

    L’homme est-il donc radicalement dépendant du mouvement, donc de la génération ? Et qui dit génération, dit corruption. Qui dit corruption, dit finitude, dit impasse ou mort. La vie serait-elle une impasse ? Pour sortir de l’impasse, qui est éviter de mourir, l’homme a besoin de vivre sans mourir, de vivre au-delà de la mort, donc de survivre. Comment ? Par ses œuvres, par ce qui reste après lui, après son passage : ses écrits, ses pensées, ses œuvres d’art, artistiques ou scientifiques, son patrimoine, en quelque sorte pour « déifier » son humanité. L’homme cherche un absolu, puisant dans l’absolu du mouvement le guide pour donner sens à sa vie. Mais ce qui demeure au-delà du mouvement, l’œuvre, semble dépasser le mouvement, lui survivre, pour immortaliser son auteur. Le mouvement aurait-il une fin en lui-même ? Le mouvement infini ou l’infini dans le mouvement serait-il fin, fin de la vie, de la pensée, de l’existence, donc de l’homme ?

    Á l’école de Descartes, puis de Hegel, l’homme aurait-il découvert ce qui donne sens à sa vie, par sa pensée, par son être absolu dans le dépassement du mouvement vers l’infini, « maître et possesseur de la nature », enfin maître et possesseur de sa propre nature. L’homme-dieu en quête de foi en l’homme, d’une philosophie devenue théologie, d’une sagesse déifiant son objet, l’homme lui-même. Si Dieu existe pour l’homme, qui est-Il ? Créateur de l’univers physique, grand Architecte, Moteur de la pensée, Absolu pour donner sens au monde de la vie et pérenniser les générations humaines en quête d’une divinisation par la pensée et la science… Dieu est-il la Pensée dans la Science, déifiant l’homme lui-même et, par là-même, donnant sens à sa vie ? Pour d’autres, pris par l’efficacité économique, la rentabilité, donc le matérialisme ambiant, qu’il soit grand ou petit, Dieu n’existe pas. La matière engloutit l’être, jusqu’à la matière constitutive de l’être, selon les idées d’un Averroès. D’ailleurs, les divisions, voire même les conflits séculaires entre les religions joints aux problèmes inhérents à leurs membres, en particulier à certains de leurs clercs, détournent une partie non négligeable de l’humanité d’un Dieu Créateur, Amour, qui donne sens à la vie.

    « Un simple regard sur l’histoire ancienne montre d’ailleurs clairement qu’en diverses parties de la terre, marquées par des cultures différentes, naissent en même temps les questions de fond qui caractérisent le parcours de l’existence humaine : Qui suis-je ? D’où viens-je et où vais-je ? Pourquoi la présence du mal ? Qu’y aura-t-il après cette vie ? Ces interrogations sont présentes dans les écrits sacrés d’Israël, mais elles apparaissent également dans les Védas, ainsi que dans l’Avesta ; nous les trouvons dans les écrits de Confucius et de Lao-Tseu, comme aussi dans la prédication des Tirthankaras et de Bouddha ; ce sont encore elles que l’on peut reconnaître dans les poèmes d’Homère et dans les tragédies d’Euripide et de Sophocle, de même que dans les traités philosophiques de Platon et d’Aristote. Ces questions ont une source commune : la quête de sens qui depuis toujours est pressante dans le cœur de l’homme, car de la réponse à ces questions dépend l’orientation à donner à l’existence. »{1}

    La pensée est omniprésente dans la relation de l’homme au monde à travers l’histoire des civilisations. Au fil des siècles depuis des millénaires, en Europe depuis Socrate et son fameux « Connais-toi toi-même », l’intelligence humaine chevauche à l’aventure de la découverte du monde pour le connaître et pour le transformer. Le risque n’est-il pas de le transformer sans le connaître ? La connaissance s’arrogerait-t-elle des droits que l’homme pourrait usurper au Créateur, tel Prométhée ayant volé le feu aux dieux ? Depuis la Renaissance, à la connaissance dite « naturelle », « contemplative » à son sommet, succède la connaissance « scientifique » expérimentale, l’homme ayant quitté l’enfance et acquis progressivement l’âge de raison grâce au progrès scientifique et ses découvertes les plus élaborées sur l’univers physique et sur la nature de l’homme lui-même. L’expérimentation scientifique explore la matière pour l’étudier, afin de mieux la recréer en la sophistiquant au-delà de ses limites naturelles. L’homme scientifique cherche à rendre incorruptible ce qui ne l’est pas, afin de dépasser les conditionnements inhérents au mouvement naturel. Le propre de l’homme scientifique serait-il avant tout de dominer les éléments pour faire comprendre au Créateur que sa créature s’est elle-même immortalisée ? Mais l’homme peut-il s’arroger des droits sur les éléments, ceux que les philosophes présocratiques ont découverts et désignés comme fondateurs ou premiers dans l’ordre de l’univers : la terre, l’air, l’eau et le feu ? Les éléments n’ont jamais autant agi ou réagi malgré les inventions humaines, causes de catastrophes devant lesquelles l’homme n’a plus qu’à se taire et à plier le genou.

    Par les mathématiques, l’intelligence cherche à dépasser l’expérience naturelle, celle des sens, du sensible, donc du corruptible, pour un infini donnant à l’homme-fabricateur un pouvoir sur le créé. L’âge de l’enfance intellectuelle semblant révolu, le possible idéalisé veut alors remplacer le réel. La pensée précédant la réalité en la virtualisant, l’homme se donne une nouvelle sagesse. C’est l’homme technique, l’homme mathématique, l’homme artiste, pris dans un mouvement incessant. Est-il capable de s’arrêter, de se poser avant toute action, pour recevoir la réalité, non pas telle qu’elle pourrait devenir, mais telle qu’elle est ? Certes, s’il sort du devenir pour regarder l’être, il le peut et même il le doit. Parménide (VIe siècle av. J-C) nous livre cette parole de sagesse : « Pour comprendre la pensée, il faut regarder l’être ». Morceau choisi de la tradition hellénique, le Poème de Parménide trace la voie de la vérité :

    « Il faut que tu apprennes toutes choses,

    et le cœur fidèle de la vérité qui s’impose,

    et les opinions humaines qui sont en dehors de la vraie certitude.

    Allons, je vais te dire et tu vas entendre

    quelles sont les seules voies de recherche ouvertes à l’intelligence ;

    que l’être est, que le non-être n’est pas,

    chemin de la certitude, qui accompagne la vérité.

    Tu ne peux avoir connaissance de ce qui n’est pas. »

    L’homme, tout homme doté par nature d’intelligence (intus legere, lire de l’intérieur) peut donc découvrir une sagesse, sagesse de vie pour lui-même qu’il acquiert peu à peu en se mettant à l’école de la vérité, donc en premier lieu de « ce qui est », avant toute démarche vers « ce qui devient ». N’est-ce pas en premier lieu ce qui caractériserait la personne humaine parmi toutes les réalités animées ou inanimées ? L’homme est « personne », quand il découvre « ce qui est », en-deça et au-delà de « ce qui devient » : « ce qui demeure », telle la déesse Hestia.

    Aussi, la part de la philosophie, qui se situe au-delà du mouvement, réclame la part de l’intelligence « séparée de la matière », le noûs, pour s’élever vers « ce qui est », l’être, en quittant non pas le réel, mais le devenir{2}. C’est la philosophie première ou la métaphysique{3}.

    La métaphysique ne regarde pas le possible. Elle regarde ce qui est. C’est la grosse différence. Dans les mathématiques, on regarde le possible. Il est possible de construire tel gratte-ciel. C’est possible. On peut le réaliser. L’homme est capable de réaliser cela. Les mathématiques permettent au développement humain de fabriquer de plus en plus des choses étonnantes. C’est pour cela que c’est grisant du point de vue de la grandeur architecturale. Du point de vue de la vitesse et de la rapidité des avions, des autos, les mathématiques sont là. Elles donnent une première base. On ne peut pas échapper à cela. C’est grisant. On comprend très bien, parce que cela commande tout le facere, le ‘faire’, le ‘réaliser’.

    En tant qu’homme, mon intelligence est faite pour la métaphysique, et je pèse mes mots. Je ne dis pas que mon intelligence est faite pour les mathématiques. Mon intelligence humaine est faite pour la métaphysique. Donc j’essaie de comprendre en profondeur ma finalité, ma finalité humaine, parce que comprendre ce qui est, pour l’homme, c’est comprendre sa propre finalité. Je dois pouvoir découvrir qu’en tant qu’homme faire de la métaphysique, c’est éveiller mon intelligence, c’est réveiller mon intelligence dans ce qu’elle a de plus profond.

    Les mathématiques ne développent pas mon intelligence dans ce qu’elle a de plus profond, mais l’intelligence liée à une certaine forme d’imagination. Mon intelligence, de fait, est liée aux réalités sensibles. J’ai un corps et le corps saisit d’abord les réalités sensibles. J’ai une intelligence qui se développe à partir de l’expérience{4}. Mais mon expérience humaine peut très bien être une expérience qui demeure dans le quantitatif. La quantité joue un très grand rôle. Mon expérience humaine peut très bien rester liée à ce que l’on appelle la ‘cogitative’pour les choses pratiques. Ma connaissance humaine peut très bien rester liée à l’art. Mon intelligence humaine peut très bien rester liée à l’affectivité, ma connaissance affective humaine. Et mon intelligence humaine peut découvrir ce qu’il y a de propre à l’intelligence, à l’intelligence comme intelligence. Il y a donc de multiples façons d’être intelligent. Je suis intelligent par mes mains. Je suis intelligent comme artiste. Je suis intelligent comme aimant profondément ceux que j’aime : les hommes, d’amitié. Il faut être intelligent pour garder l’amitié. Il y a des gens qui sont trop fixés sur eux-mêmes et pas assez intelligents. Toutes les amitiés avortent.

    Jamais un homme n’est fin d’un homme. Il n’y a que Dieu qui est ma fin. C’est quelqu’un de plus grand que moi, devant lequel je m’incline. Très facilement, on se fait fin et on juge les hommes qui sont autour de nous, les personnes qui sont autour de nous en fonction de nous et non pas en fonction de la vérité. C’est là la très grande purification, le dépassement de soi. La connaissance effective est réelle. C’est sûr que la connaissance affective joue un grand rôle, mais ce n’est pas l’intelligence pure. C’est l’intelligence liée à l’affectivité. Il y a des personnes qui ne peuvent pas dépasser le niveau de la connaissance affective. Donc elles ne cherchent plus la vérité pour elle-même. C’est bon de réfléchir sur ce point de vue-là : que mon intelligence humaine est liée à mon corps. C’est terrible, mais c’est un fait. Je ne peux pas me séparer de cela. Mon intelligence est liée à mon corps. Mon intelligence est liée à ma main, à ce que je touche. Mon intelligence est liée à mon œil, à ce que je vois. Elle est liée aussi à l’odorat et surtout liée à ce que j’entends et ce que je vois.

    Mon intelligence pour elle-même, l’intelligence comme intelligence : la métaphysique c’est de découvrir que l’intelligence comme intelligence peut se développer. Il y a une possibilité d’aller plus loin que l’expérience. Toucher la table : il ne faut pas être très intelligent. Un gosse touche la table : il ne réfléchit pas beaucoup sur ce que c’est. Mais déjà y réfléchir : cette table est en bois ; elle a été faite par quelqu’un. Quand on était petit, on se demandait si les macaronis poussaient. Non, on s’aperçoit que les macaronis ne poussent pas, mais sont faits par les hommes. C’est une distinction très bête, mais qui est primitive. Qu’est-ce que l’homme peut faire ? Qu’est-ce qui pousse ? Le vivant pousse lui-même. Au fond, l’homme aujourd’hui voudrait faire des moutons artificiellement. Il voudrait faire l’homme artificiellement. Toute l’humanité a envie de cela, du moins une partie de l’humanité scientifique. Elle a envie à tout prix d’arriver à faire un homme. Cela pourrait être très touchant. Dieu doit sourire. Allez-y ! Cherchez ! Dieu doit sourire, parce que Dieu sait très bien qu’ils n’arriveront jamais à créer l’âme. Jamais un homme ne pourra créer l’âme. Il ramène l’homme au corps. Alors il croit arriver à le faire.

    L’humanité d’aujourd’hui est très intelligente, mais trop intelligente, et croit trop à ses progrès scientifiques. C’est pour cela que la métaphysique est là pour rappeler à l’homme qu’il n’est pas créateur. L’être, c’est sacré, tandis que les qualités l’homme peut arriver à les faire. Et la vie ? Ah la vie ! L’homme ne peut pas faire un vivant. Il peut singer, simuler ce qu’est la vie. Il peut faire des statues admirables, des figures merveilleuses. Et il voudrait que cela vive. Non, cela ne vit pas.

    Pour le début de la métaphysique, c’est bon de voir tout ce que l’homme peut faire et tout ce qu’il ne peut pas faire. C’est la première chose qu’il faut voir. C’est une manière merveilleuse d’entrer dans la métaphysique. Tout ce que l’homme peut faire n’est pas la métaphysique. La connaissance de cela relève des sciences. La métaphysique commence par la recherche de l’être, « ce qui est en tant qu’il est ». Cette découverte d’Aristote, qui est merveilleuse, n’a pas été plus loin : le to on ai on, « l’être en tant qu’être », « ce qui est en tant qu’il est ». C’est la connaissance de « ce qui est en tant qu’il est ». Ceci est nécessaire pour échapper au mathématicien. Quand vous vous situez dans « ce qui est en tant qu’il est », vous regardez les mathématiques en vous disant : c’est très bien les mathématiques, mais cela n’atteint pas « ce qui est en tant qu’il est ».

    Les mathématiques atteignent toujours un être possible, un être quantitatif. Elles n’atteignent pas quelque chose qui est en dehors de la quantité. Cela touche profondément l’homme, puisque l’homme par son corps est lié à la quantité. Je suis lié au monde quantitatif. C’est sûr. Je m’en aperçois. J’essaie d’aller toujours plus vite. J’essaie d’aller toujours plus loin. J’essaie de briser la quantité et on brise la quantité par la vitesse. On brise la quantité en essayant de dépasser l’histoire. Je suis un être limité, et pourtant je suis. Je peux dire : ‘je suis’. Je peux dire à mon voisin : ‘tu es et je suis’. Il y a quelque chose qui me permet de dire : ‘je suis’. Je suis un homme, un homme qui pèse tant, un homme qui a cet âge. Tout cela, ce sont les dimensions quantitatives et qualitatives. Je suis un homme intelligent, puisque j’essaie de saisir ce qu’est l’être. Mon intelligence s’éveille en posant la question : qu’est-ce que l’être ? Mais c’est vrai : elle s’éveille en se posant cette question-là et en pensant que l’être n’est pas la quantité, n’est pas le temps, n’est pas le lieu, n’est pas la qualité, que l’être : qu’est-ce que c’est que l’être ?

    Notre monde devrait être encore beaucoup plus métaphysicien qu’avant, parce que nous avons cette expérience que les Grecs n’avaient pas, qu’Aristote n’avait pas. Est-ce que la découverte de la lune augmente mon intuition métaphysique ? Non, mais elle me permet de dire : ‘je cherche l’être en dehors de la vie. ’Or une des grandes confusions constantes, c’est de confondre le vivant et l’être, ce qui est l’être vivant, parce que pour moi, dans tout ce que je touche, la vie est présente, la vie a été. Il y a le cadavre et le cadavre est encore un vivant. La preuve, c’est qu’il change, qu’il se corrompt. Il faut un miracle pour qu’il ne se corrompe pas. Cela prouve que le monde, dans lequel je suis, est dévorant. Il ne me dévore pas, parce que je lutte contre. Mais, quand je ne lutterai plus, mon pauvre corps sera dévoré. La vie est terriblement accaparante. Elle dévore. Elle est immanente. Elle prend tout. Or une des grandes distinctions métaphysiques, dès le point de départ : je ne fais pas la métaphysique de la vie, mais je fais la métaphysique de « ce qui est en tant qu’il est », le to on ai on.

    C’est le génie d’Aristote d’avoir découvert cela en face de Platon, parce que pour Platon vie et être sont difficiles à séparer. Et on est plus naturellement platonicien. Même si on a découvert l’aristotélisme, quand on était jeune, à quarante-cinq ans ou à cinquante ans on redevient platonicien, si on ne fait pas un grand effort de maintenir en nous le point de vue de la métaphysique, parce que spontanément on est platonicien. On confond être et vie. Les deux choses se tiennent. Alors c’est l’immanence de la vie qui domine. On est dans un monde d’immanence{5}. On n’arrive plus à saisir « ce qui est », « ce qui est en tant qu’il est ». C’est cela qui me fait comprendre l’autre, « ce qui est en tant qu’il est ». Celui qui vit à côté de moi, son être est propre et respecte l’autre.

    La métaphysique nous conduit à la sagesse, sommet de la recherche philosophique tournée vers le bonheur profond de l’homme. Mais ce sommet réclame un point de départ. Quand un alpiniste part à l’ascension d’un sommet, il choisit son point de départ : le camp de base, puis des étapes successives : les camps intermédiaires. Un point de départ n’est jamais pris au hasard. S’il est mal choisi, il peut conduire à l’errance, puis à l’échec. La recherche d’une sagesse implique donc un réalisme tel que rien ne peut le remettre en question.

    L’art ou l’activité du travail fait découvrir ce réalisme fondamental. L’histoire nous transmet à l’origine de l’humanité la naissance de cette activité réalisatrice de l’homme, dans les grottes de Lascaux par exemple. L’art est directement lié à la nature humaine. Á un certain niveau, l’art fait découvrir et comprendre l’homme. D’ailleurs, ne fait-on pas référence aux « Arts premiers » ? Cette dénomination est significative : là où l’art existe ou apparaît, l’homme existe et vit. Première activité humaine dans l’ordre génétique{6}, l’activité artistique, contact avec une matière à transformer en vue d’une nouvelle forme, marque le point de départ de la connaissance pratique de l’homme.

    Aristote, dans l’Éthique à Nicomaque, précise ce point de départ de la connaissance pratique dans le travail : « Tout en convenant que le bonheur est le souverain bien, désire-t-on encore avoir quelques précisions supplémentaires. On arriverait rapidement à un résultat en se rendant compte de ce qu’est l’acte propre de l’homme. Pour le joueur de flûte, le statuaire, pour toute espèce d’artisan et en un mot pour tous ceux qui pratiquent un travail et exercent une activité, le bien et la perfection résident, semble-t-il, dans le travail lui-même. »

    La première connaissance de la réalité se fait par l’art. Il ne faut pas oublier que l’aristotélisme commence par la connaissance artistique, parce que l’enfant est un artiste. Vous avez toujours vu cela au bord de la mer, quand on voit les gosses qui sont seuls, que les gens se baignent. Eux s’amusent avec le sable et font leur petit métier d’architecte. C’est très curieux de voir cela. Ils construisent des petites maisons et puis en entrant un peu dans leur jeu, on leur demande d’expliquer et ils vous expliquent. Ils font cela avec le sable. Première connaissance : la construction avec le sable. Avec des petites pièces, des cubes, on construit. C’est la première connaissance. C’est extrêmement curieux comme notre connaissance est d’abord artistique. Aujourd’hui, c’est très important de maintenir une philosophie de l’art.

    Ma connaissance humaine commence à se développer par le point de vue artistique. C’est un développement naturel. La connaissance artistique est le début de la philosophie. Si Aristote n’a pas fait de philosophie de l’art, elle est toujours présente et, pour lui, elle est première. Elle présuppose tout le reste. Notre connaissance s’éveille avec la philosophie de l’art. C’est l’intelligence et notre sensibilité. C’est l’intelligence et l’oreille : le son. C’est l’intelligence et la parole : la poésie. C’est l’intelligence et l’œil : la peinture. Tous les grands arts, c’est l’intelligence avec nos sensations, et l’art développe les sensations. Quand un artiste travaille, il sait regarder, alors que, si on n’est pas peintre du tout, on ne sait pas regarder. Le monde d’aujourd’hui ne sait plus regarder, sauf les artistes. L’artiste s’intéresse à regarder, regarder ce que c’est que le soleil, la lumière qui change tout. C’est vrai. Qu’est-ce que c’est que la lumière qui change tout du point de vue sensible ? Grâce à la lumière, vous voyez des tas de choses que vous ne voyez pas la nuit. Et quand votre regard commence à diminuer, vous sentez bien qu’il faut faire attention à regarder.

    Les mathématiques sont aussi artistiques, mais c’est un art intérieur. Quand les mathématiques vont trop loin, elles se déracinent du sensible. C’est vrai que les sensibles propres ne pénètrent pas en mathématiques. Il y a là quelque chose d’extrêmement intéressant et qui fait comprendre beaucoup de choses dans les civilisations.

    L’art et l’amitié sont les deux points de vue essentiels par où nous pouvons accrocher au plan philosophique au point de départ, parce que la grande division de la philosophie d’Aristote, c’est ce regard premier d’une philosophie pratique, pratique dans le grand sens. La philosophie de l’art est une philosophie pratique, c’est-à-dire une philosophie où la sensibilité est toujours présente. C’est le signe de la qualité d’une civilisation de voir quelles sont les expositions qui réussissent le mieux (vox populi). Vox populi, ce n’est pas toujours vox Dei. Quand le peuple est loin de Dieu, il n’y a plus que la voix du peuple. Il y a des foules par curiosité. C’est le niveau de la civilisation. Il faut en face de cela redresser cette civilisation pour montrer véritablement la grandeur de l’art et non pas le point lamentable de l’art qui se termine par l’exposition de cadavres de toutes sortes.

    Il est important de voir ces deux : l’artiste et la morale. Or aujourd’hui la morale bascule. Il ne reste plus que l’art, un art qui prend tout, qui n’est plus de l’art, mais qui garde ce mode artistique qui est que l’homme le fabrique. L’homme est le maître.

    Les deux grands aspects de la philosophie pratique sont la philosophie de l’art et la philosophie morale. Il faut le comprendre. On est là en philosophie pratique. Il n’y a pas d’abstraction. Dans la morale, c’est intérieur : l’intention de vie, l’intention avec ce qui est bon et ce qui est mauvais. La bonté, on la découvre en premier lieu en philosophie morale : ce qui est bon pour l’homme. Qu’est-ce qui est bon pour l’homme ? Ce n’est pas l’artiste qui le découvre.

    C’est curieux comme l’animal d’une certaine manière a aussi un art instinctif, mais ce n’est pas de l’art. Il construit quelque chose. Il faut comprendre que l’animal peut construire. Ce n’est pas de l’art. C’est de l’instinct. La morale n’existe que pour l’homme. L’art est déjà chez l’animal, mais c’est un art qui n’est pas un art. Il y a des animaux qui construisent leur maison, qui vivent dans leur maison et qui construisent cela naturellement, tandis que l’art proprement dit n’est pas naturel. Il provient de l’intelligence. Mais l’homme quelquefois dans les dégradations fait que l’art n’est plus l’intelligence et devient instinctif. Il y a des expositions, soit disant d’art, qui sont uniquement des trouvailles instinctives où il n’y a plus la pensée, parce que le point de vue humain se dégrade. Ce qui est typiquement humain, c’est l’apparition de la responsabilité. On est responsable de ses actes. La morale commence par cela. Quand il n’y a plus de responsabilité, il n’y a plus de morale. C’est le fait d’être en face des autres et de respecter l’autre. L’artiste comme artiste fait, réalise. C’est le facere. Avec le point de vue moral, c’est l’agere{7}, l’agir.

    En effet, autant il est important de prendre conscience de la place de l’art dans la vie humaine, autant il est nécessaire d’avoir saisi ce qui la diffère de l’éthique. Une chose est de réaliser quelque chose, une œuvre, par la transformation d’une matière, autre chose est d’aimer une personne, quelqu’un. L’art n’est pas la morale, mais ces deux activités se rencontrent, se confrontent même, quand l’activité artistique ne respecte pas la dimension éthique de l’homme et quand l’activité éthique moralise l’art.

    Il y aura cette grande distinction qui va commencer avec l’art et l’agir, c’est que l’artiste réalise quelque chose à l’extérieur. Quelqu’un qui se dit artiste et qui ne fait rien, on ne peut pas l’appeler un artiste. L’artiste fait quelque chose. Il réalise une œuvre. Tandis que l’homme moral, je ne dis pas qu’il ne fait rien, mais il commence par un point de vue intérieur : l’agir. Il y a l’intention qui commence. C’est très important de regarder le point de départ de l’artiste et le point de départ du point de vue moral, pour comprendre ces deux grandes activités humaines : le facere et l’agir, l’action morale, l’intention.

    Le facere, l’art se termine par la beauté, toujours par la manifestation, tandis que l’agere, la bonté, l’agir est intérieur. Le facere et l’agere se mêlent constamment en nous et l’examen de conscience consiste à discerner les deux. Il faut discerner entre l’agere et le facere. Notre vie est prise avant tout par l’agere. La finalité est tout de suite différente dans le facere qui consiste à réaliser une chose : il faut le faire. L’agere, il ne s’agit pas de réaliser quelque chose. Il s’agit de purifier nos intentions. Il faut donc une purification de ses intentions pour vous montrer que tout de suite la vie humaine est faite de facere et d’agere. Une culture humaine est faite du facere et de l’agere.

    Dans la culture, il y a des musées. Malraux{8} a beaucoup réfléchi sur les musées. Le musée, qu’est-ce que c’est ? C’est de l’agere ou du

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