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La vie n'est pas un long voyage tranquille
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La vie n'est pas un long voyage tranquille
Livre électronique479 pages7 heures

La vie n'est pas un long voyage tranquille

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À propos de ce livre électronique

Ce livre raconte la vie d’une famille de dix personnes, jadis aisée mais qui est subitement tombée en ruines suite à la succession de trois événements malheureux qui se sont abattus sur elle : l’insécurité générale que traverse le pays dont elle subit les conséquences, l’incendie criminel de la grande maison familiale par des éléments étrangers suivie peu de temps après de la mort du chef de la famille. Ces événements ont eu pour effet de jeter ses neuf autres membres restants dans un total désarroi et un grand désespoir. C’est la débâcle et la marche vers la ruine inexorable de la famille. Ces événements ont poussé celle-ci à émigrer vers une autre ville où, par la force des choses, elle a dû s’implanter définitivement. Après la mort précoce du chef de la famille toute la charge inhérente à celle-ci retombe sur les frêles épaules de son épouse alors âgée de 33 ans mais qui refuse, dans l’intérêt des enfants, de refaire sa vie. Ceux-ci sont au nombre de six dont deux garçons et quatre filles. L’aînée des enfants est la seule adolescente tandis que les autres sont en bas âges. Le deuxième frère, plus conscient et plus sérieux que son aîné, a toute la confiance de leur mère pour se préparer à s’acquitter de l’écrasante tâche de redresser la famille. Parfaitement conscient de la signification et de la nécessité de cette mission, il l’embrasse et l’assume à deux mains et la remplit sans faillir, étape par étape, jusqu’à la fin en surmontant tous les obstacles qui se sont dressés au cours de son long trajet devenu, à cause de ceux-ci, très tourmenté et bouleversant mais tout autant enrichissant.
LangueFrançais
Date de sortie11 sept. 2014
ISBN9782312024752
La vie n'est pas un long voyage tranquille

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    Aperçu du livre

    La vie n'est pas un long voyage tranquille - Siphal Mey

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    La vie n’est pas un long voyage tranquille

    Siphal Mey

    La vie n’est pas un long voyage tranquille

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02475-2

    Citations

    Les contacts matériels, ô fils de Kuntī

    Qui donnent le froid et le chaud,

    Le plaisir et la douleur,

    Choses éphémères qui vont et viennent,

    Apprends à les supporter, ô Bhārata !

    La Bhagavad-Gītā (II- 14)

    Si tu peux rencontrer Triomphe et Défaite

    Et recevoir ces deux menteurs d’un seul front,

    Si tu peux conserver ton courage et ta tête

    Quand tous les autres les perdront,

    Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire

    Seront à tout jamais tes esclaves soumis

    Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,

    Tu seras un homme, mon fils.

    R. Kippling

    Je dédie ce livre à toute ma famille

    et à tous ceux qui me sont chers.

    Angkor Borey, le foyer familial

    Angkor Borey est une grande commune de plusieurs milliers d’habitants située à l’extrême sud du royaume du Cambodge dans la province de Takéo limitrophe de la province vietnamienne de Chaudoc. Pour les originaires de cette commune, ce lieu-dit revêt un caractère sacré parce qu’il fut au VIe siècle de notre ère la dernière capitale du « Royaume de la Montagne » appelé « Founan » par les Chinois avant qu’il ne prît corps au sein de la Grande Unité de la période pré-angkorienne. C’est une grande cité semi-lacustre. Les vestiges de ses constructions faites du meilleur bois du pays sont encore visibles chaque fois que les eaux du fleuve qui porte son nom et qui la traverse se retirent au cours de la marée basse. Elle recèle surtout quelques sites archéologiques importants dont le plus intéressant est Phnom Da d’où proviennent les rares pièces qui sont actuellement exposées en grande partie au musée national de Phnom Penh et le reste au musée Guimet de Paris dans sa galerie consacrée à l’art khmer au rez-de-chaussée.

    Les gens du pays, bouddhistes dans leur quasi-totalité, disposent de deux pagodes séparées l’une de l’autre d’environ 500 mètres. Ces deux pagodes sont là depuis un temps immémorial. L’une d’elle a dû servir de chapelle royale puisque l’escalier de pierre qui en descend directement vers le fleuve rejoint en contrebas un petit port communément appelé « Port Royal ». Des cérémonies traditionnelles y sont célébrées tout au long de l’année, donnant ainsi autant d’occasions aux villageois pour s’y rencontrer et s’y amuser entre eux et également aux bonzes pour se rapprocher de leurs fidèles et partager ensemble avec eux tous les événements familiaux et sociaux qui y rythment leur vie quotidienne.

    Le maire de la commune est plus que son propre administrateur. Vis-à-vis de lui-même et de l’ensemble des habitants, il est plutôt le grand frère au sein de cette communauté. Celle-ci partage intimement sa vie familiale autant qu’il s’associe lui-même de tout cœur à la sienne propre.

    En 1945, Chhim était le maire d’Angkor Borey depuis 15 ans c’est-à-dire depuis qu’il avait 20 ans. Bien découplé, le teint basané, les cheveux ondulés, les grands yeux mobiles enchâssés derrière les paupières un peu lourdes, c’était un archétype khmer à l’allure sémillante, aux propos chaleureux empreints d’une petite touche d’humour pittoresque. Jovial de figure et de caractère et assez bon rhéteur - il fut bonze pendant cinq ans où il avait appris l’art de l’éloquence - ce boute-en-train qui était aussi un bon administrateur, apportait la joie, l’harmonie et le bonheur familiaux à ses habitants, ses frères. A la mort de son oncle qu’il avait secondé pendant deux ans, il fut élu pour le remplacer à la tête de la commune. Treize ans plutôt, il s’était marié avec Liang, fille unique d’un sino-cambodgien habitant Prey-Lovéa, le chef-lieu du district de Prey-Krâbas, situé à une vingtaine de kilomètres au nord d’Angkor Borey dont la commune relevait de ce district. Liang était un quadragénaire à la peau d’albâtre, au visage potelé, au regard vif et étincelant, à la démarche distinguée et aux paroles exquises. Ses parents qui avaient fixé domicile à côté du centre administratif du district connaissaient personnellement les maires du district et plus intimement la mère de Chhim à laquelle, à sa demande insistante, ils n’avaient voulu refuser la main de leur fille en dépit du grand écart d’âge entre celle-ci et Chhim. Après son mariage avec ce dernier, Liang vint s’installer chez son mari à Angkor Borey en compagnie de ses parents qui ne voulaient pas se séparer de leur fille unique, leur seul espoir.

    Angkor Borey, tout comme le reste du royaume, à cette époque, était une commune essentiellement agricole vivant pratiquement d’une économie fermée. Quelques épiceries chinoises assuraient le ravitaillement en produits de consommation courante pour les villageois. Liang avait hérité le goût commercial de ses parents. Très entreprenante et activement aidée par ces derniers, elle ne tarda pas, une fois son intégration réussie auprès de sa belle famille, à profiter des opportunités qui s’offraient à elle au plan commercial. Elle commença par produire du « prâhoc », la pâte de poisson qui, avec le riz, constituait et constitue toujours la base principale de l’alimentation des paysans khmers. Cette denrée alimentaire quotidienne incontournable des habitants, était partout demandée dans l’ensemble du pays. Elle en produisait en grandes quantités qu’elle emmagasinait dans de multiples jarres de différentes tailles. Quand la pâte, après un temps de conservation, était prête à la consommation, les villageois se pressèrent pour en acheter. Bien vite, les nouvelles se propagèrent dans les communes avoisinantes en raison de la très bonne qualité relative du produit et de ses dérivées. De cette façon, les jarres se vidèrent très rapidement de leur contenu. Avec des revenus qui s’accroissaient d’une façon stable, Liang envisagea de diversifier ses activités. Avec la même ambition et le même dynamisme, elle développa l’élevage porcin et bovin à grande échelle en engageant du personnel supplémentaire pour répondre à l’ampleur des nouvelles tâches. Bien vite ses affaires prospérèrent et permirent en l’espace de quelques années aux jeunes mariés de se faire construire une grande maison familiale.

    Cette maison que les époux veulaient être grande et de caractère et dont la construction et l’ameublement avaient été confiés à un entrepreneur local est composée de trois ensembles disposés en ligne : la maison principale qui donne sur le fleuve vers lequel descend un long escalier de pierre à partir de sa terrasse, la vaste salle de séjour couverte mais entièrement ouverte des deux côtés et le grenier à paddy dont la moitié est occupée en partie par la cuisine et en partie par les chambres des bouviers et des employés de maison. La maison principale comporte une très belle véranda ouverte par des arcades à l’espagnole. Il est surmonté de pointes coniques et son fronton est couvert de carreaux bariolés. Vu du fleuve, la maison se dresse massivement sur un terrain élevé et parfaitement dégagé de sa rive droite. Son portique est fait de deux colonnes cubiques imposantes et est chapeauté par une tresse en métal en forme d’une voûte sur laquelle grimpent des plantes au feuillage touffu qui fleurissent toute l’année. C’est de ce portique que descend l’escalier de pierre vers le fleuve en contrebas. De sa position privilégiée et avec son imposante et magnifique silhouette qui se détache nettement du rivage, elle regarde majestueusement et candidement ce doux fleuve qui coule à ses pieds et qui est chargé d’histoire du tout premier royaume khmer. Elle assiste quotidiennement au flux et reflux de ce fleuve ainsi qu’aux va-et-vient incessants des voyageurs autochtones ou étrangers et des pêcheurs au filet qui l’empruntent avec leurs embarcations variées. Elle est témoin chaque jour de la présence d’une multitude de gens de tous âges qui descendent et montent les marches de son escalier dans leurs contacts quotidiens avec le maire qui a installé la mairie de la commune au sein même de cette maison. L’escalier et le quai cimenté de la maison sont également les lieux où aiment venir jouer bruyamment les enfants du village avant de courir se jeter dans le fleuve ou après leur baignade. Les voyageurs fluviaux qui passent devant voient cette maison surgir en beauté comme par enchantement sur la berge du fleuve, tellement elle est belle et imposante. L’escalier principal en bois de la maison rejoint la grande salle de séjour qui sert également de salle à manger. C’est dans ce long et vaste dégagement aéré que la famille se détend le soir venu. C’est là où des proches parents, des amis et des habitants familiers de la famille se retrouvent régulièrement après leur rude journée de travail agricole soit pour palabrer entre eux soit pour écouter les vieux du village raconter des légendes ou des histoires, soir pour écouter le chapey, sorte de guitare khmer très long à deux ou trois cordes que des narrateurs de passage ou originaires de la commune jouent pour accompagner leurs chants sur des légendes épiques tirés en général de la mythologie hindoue. C’est là également où les habitants ont le loisir d’assister occasionnellement à des représentations théâtrales ambulantes appelées yiké et dont les pièces ont été extraites des anciennes légendes khmères ou hindoues.

    En cette année 1945, les époux Chhim ont déjà mis au monde cinq enfants dont trois filles et deux garçons. L’aînée des enfants qui est une fille se prénomme Néary et le premier fils appelé Samphon sont nés dans l’ancienne maison. Les trois autres dont le deuxième fils prénommé Samnang et la deuxième fille et la troisième fille appelées respectivement Sidéth et Sita sont nés dans la nouvelle maison. Samnang, parcequ’il est né le premier dans celle-ci a reçu de ses parents ce prénom qui signifie le chanceux. Liang racontera plus tard qu’elle l’avait accouché toute seule parce qu’il était venu tellement vite qu’elle n’eût pas eu le temps d’appeler la sage-femme du village, laquelle, à son arrivée un moment plus tard, n’avait plus qu’à couper le cordon ombilical du nourrisson.

    Néary, l’aînée des enfants, avait juste treize ans quand elle venait de terminer le cours élémentaire, la dernière classe de l’école primaire de trois classes construite il y a quelques années par la mairie dans l’enceinte de la pagode sur l’autre rive du fleuve. Dans cette commune, comme dans d’autres dans le reste du pays, l’école laïque n’était venue que très tardivement car il manquait partout non seulement d’infrastructures scolaires mais aussi et surtout d’enseignants. Ce n’est que plus tard notamment après le recouvrement de l’indépendance nationale en 1953 que l’enseignement scolaire connût un développement qui répondit réellement et concrètement aux besoins explosifs et fulgurants de la jeunesse assoiffée de connaissance.

    A Angkor Borey où l’école primaire n’avait que trois niveaux, les camarades de classes de Néary qui venaient de terminer comme elle ce mini-cycle scolaire se trouvèrent devant un dilemme quelque peu angoissant, soit poursuivre le cycle primaire complet en allant se faire inscrire à Prey lovéa, le chef-lieu du district qui se trouvait à une vingtaine de kilomètres au nord avec toutes les difficultés que comportaient leur déplacement et leur séjour dans ce lieu pendant trois années supplémentaires, ou terminer définitivement leurs études et rester à la maison pour aider leurs parents dans leurs activités agricoles et champêtres. Prey-Lovéa et Angkor Borey n’était desservis que par une voie charretière parsemée de gros nids de poule tout au long et dont certains tronçons étaient submergés dans l’eau avec de profondeurs variées allant même jusqu’à deux mètres pendant la période des crues. Bien plus la majorité des habitants qui étaient des agriculteurs étaient très pauvres et seuls quelques uns d’entre eux pouvaient se payer le luxe d’avoir un vélo. Et même avec ce moyen, il était pratiquement difficile pour un élève de faire la navette entre les deux localités afin de poursuivre ses études à Prey-Lovéa. Ainsi le seul moyen dont disposait l’élève qui voulait continuer ses études était de venir habiter à la pagode de cette ville et de se faire ravitailler périodiquement par ses parents en produits alimentaires. Néary, une adolescente, ne pouvait malheureusement pas adopter cette option ni trouver un hébergement dans une famille quelconque, loin de sa famille. En effet, les mœurs n’avait pas beaucoup évolué à l’époque dans le pays et les parents se montraient particulièrement réticents à laisser leurs filles s’absenter de leur foyer familial loin de leur emprise, ne serait-ce que pour une journée. La solution pour Néary était donc toute prête. Elle devait mettre un terme à ses études et donc rester à la maison. Après tout, étant une fille, elle ne perpétuait pas la lignée de la famille bien qu’elle fût l’aînée des enfants. Ce rôle revenait nécessairement aux garçons de la famille, en l’occurrence à Samphon, huit ans et à son jeune frère Samnang, cinq ans, lesquels ne tardèrent pas à aller à l’école à leur tour. Quant à Néary qui avait maintenant l’âge de la puberté, il était temps que ses parents organisent à son intention la cérémonie dite « cérémonie d’entrée à l’ombre ». Il s’agissait d’une cérémonie désuète qui consiste à confiner une jeune fille à l’âge de la puberté pendant quatre mois dans une chambre close, à l’abri de la lumière et des regards profanateurs des hommes. Ce confinement est destiné apparemment à neutraliser l’éveil et l’élan sexuels qu’une adolescente est susceptible d’avoir à cet âge, la tradition voulant qu’elle garde sa chasteté jusqu’à sa nuit nuptiale. Seules les femmes, à commencer par sa propre mère, sont admises à lui rendre visite. Ces femmes qui ont reçu la même expérience quand elles étaient adolescentes, le font pour la lui transmettre personnellement. Cette expérience se résume en fait à des leçons de bonne conduite sociale et conjugale. La sortie de l’ombre d’une jeune fille offre en général l’occasion pour sa famille d’organiser une grande fête en sa faveur et à laquelle participent en chœur les gens du village dans la mesure où elle constitue également pour eux un heureux événement. Au cours de la nuit qui précède cette grande fête, on fait transférer la fille dont on a voilé la tête d’une écharpe opaque de son lieu de confinement vers une tente spécialement montée pour elle au milieu de l’aire de fête. Peu de temps après les festivités commencent au signal du maître de la cérémonie et vont bon train jusqu’à tard dans la nuit. Un peu tôt avant que l’aurore ne couvre la terre de sa douce lumière, ce dernier sort la jeune fille, toujours la tête voilée, vers une salle aérée où sont exposés sur une longue table un certain nombre d’objets ayant chacun un caractère symbolique. Il appartient alors à la jeune fille, sur l’injonction du maître de la cérémonie, d’en choisir un que ce dernier interprétera par la suite en privé à l’intention de ses parents.

    Quatre mois plus tard, quand Néary sortait de sa tente, elle fut accueillie par une explosion de joie et d’admiration que partagea à plus d’un titre tous les membres de sa famille réunis autour du maître de la cérémonie vêtu de sa tenue traditionnelle. Bientôt les voix et les murmures s’éteignirent et tous les regards se braquèrent désormais sur la main tremblotante de Néary qui tâtonnait sur les objets exposés sur la table afin d’en choisir un qui dirait sur son avenir. Après bien des hésitations ses doigts s’arrêtèrent sur un objet de sa préférence qu’elle prit et tendit directement au maître de la cérémonie. C’était un morceau de cactus dont on avait pris soin d’enlever les épines. Ce n’est qu’après qu’il eût reçu ce morceau de cactus que le vieil homme consentit à lui enlever l’écharpe qui bandait ses yeux sous les hourrah de la foule surexcitée à l’idée de pouvoir découvrir la nouvelle tête de Néary. Celle-ci, papillotant sans arrêt sous la lumière aveuglante des lampes incandescentes à pétrole joignit ses deux mains pour remercier le chef de la cérémonie, toute sa famille et le public. Tout le monde s’exclama d’admiration devant la métamorphose de sa beauté, devenue maintant angélique et resplendissante et d’une pureté sans égal. Son long confinement à l’abri de la lumière lui avait donné la peau laiteuse et la candeur d’une belle enfant. Sa démarche très gracieuse, s’ajoutant à son beau sourire, à son charme naturel et à sa pudeur accentuée la rendit particulièrement adorable. La cérémonie officielle prit fin avec la bénédiction bouddhique récitée par le vénérable, chef de la pagode, en sa faveur et en celle de toute sa famille. Les réjouissances populaires continuèrent néanmoins de plus belle jusqu’au lever du soleil. Plus tard, en catimini, loin des regards et des oreilles curieux, le chef de la cérémonie confia discrètement et quelque peu péremptoirement à Liang et à Chhim que leur fille avait fait un mauvais choix en ayant pris un morceau de cactus qui ne présagerait rien de bon pour elle dans l’avenir. Il ajouta que d’après ce choix elle se marierait le moment venu avec un homme qui deviendrait plus tard un alcoolique invétéré qui lui ferait énormément souffrir. Cette brutale interprétation coupa le souffle aux époux Chhim qui sentirent le sol se dérober sous leurs pas. Les voyant ainsi aux prises avec une violente angoisse, le maître de la cérémonie chercha à les consoler en leur invoquant la loi inexorable du destin.

    Après le départ du dernier participant à la cérémonie, Liang et Chhim, se regardant d’un air triste, s’efforcèrent de se consoler mutuellement en se disant qu’il serait fort possible que le chef de la cérémonie avait tort dans son interprétation et qu’il leur conviendrait de ne pas trop se fier à celle-ci. Après tout, se dirent-ils pour s’en rassurer quelque peu, nul ne peut changer le cours de son destin qui est tracé d’avance.

    A la pagode de Prey-Lovéa

    Nous sommes en 1946. Depuis quelque temps, toute la commune d’Angkor Borey était sur le qui-vive. Des razzias de bétail se faisaient régulièrement en plein jour par des bandes de brigands vietnamiens opérant le long de la frontière. Ils étaient armés de fusils de fabrication artisanale. La nuit, les mêmes bandes montaient des hold-up meurtriers à l’encontre d’une partie relativement aisée des habitants, notamment des riches exploitants des lots de pêche. Par ailleurs parvenaient de partout dans le pays des renseignements fort alarmants faisant état de l’existence de nombreux maquis khmers opérant soit sous les ordres du Vietminh, soit contre ceux-ci, soit indépendamment d’eux. Les uns, gagnés à la cause du Vietminh, faisaient de la lutte anti-colonialiste française le leitmotiv de leur propagande. Les autres, plus sourcilleux sur la question de la liberté et de l’indépendance nationale, refusaient de se laisser manipuler par le Vietminh et s’opposaient carrément à ses endoctrinements, aux infiltrations de ses troupes et à leurs agissements sur le territoire national. Enfin un quarteron d’arrivistes, aussi cupides que sanguinaires, profitaient inconsidérément des turbulences pour pêcher en eau trouble en terrorisant et rançonnant des habitants. Chacun prenait conscience de la nature et de l’ampleur du danger multiforme qui menaçait l’existence du pays et la paix et la tranquillité de ses habitants. L’anxiété se lisait sur tous les visages.

    Chhim partageait les appréhensions des habitants de sa commune. Il pressentait des débordements possibles, voire inévitables du Vietminh sur elle en raison de la position frontalière de sa commune avec le Vietnam où ses éléments intensifiaient leurs actions contre la présence française. Suite aux fréquents razzias de bétail dont étaient victimes une partie de ses habitants, ces derniers devaient maintenant s’attendre au pire. Devant ce danger imminent, Chhim se sentait complètement désemparé car la commune n’était pas du tout préparée à y faire face. Aucun contingent armé ni aucun poste de police n’y était implanté. Quelques anciens fusils MAS 36 datant de la première guerre mondiale qu’avaient détenus certains notables de la commune venaient de leur être retirés par les autorités supérieures. Sans soutien extérieur, la commune semblait condamnée à ne plus compter désormais que sur elle-même pour se défendre contre des agressions éventuelles de la part du Vietminh. Plus d’une fois, Chhim avait saisi les instances supérieures de ce prodrome d’insécurité qui menaçait sa commune et ses habitants. Et sans attendre leur soutien hypothétique, il organisa leur défense par des moyens de bord. Des postes de garde furent dressés aux quatre coins du territoire de la commune, plus étoffés dans des endroits névralgiques, par des habitants qui s’y relayèrent jour et nuit. Ils étaient armés, faute de mieux, d’armements archaïques tels que sabres, lances, arcs, arbalètes notamment et d’armes blanches. Dans chaque poste, ils se servaient de tronçons de bambou qu’ils frappaient à intervalles réguliers pour se donner le signal de leur présence respective à leur poste et éventuellement l’alerte en cas d’intrusions suspectes dans leur zone de responsabilité respective. Dans les rizières et les champs, les paysans et les bouviers utilisaient la même méthode de communication et d’alerte. Dans l’ensemble, tout semblait se dérouler convenablement.

    Sur tout le territoire du pays les troupes Vietminhs semaient des troubles visant les représentants de l’administration nationale et une partie ciblée de la population. Ils lançaient des attaques de nuit, voire même de jour, contre des casernes militaires et des postes de police implantés dans chaque chef-lieu de district et le long des voies de communication. Aux abords de la commune d’Angkor Borey la pression du Vietminh se faisait de plus en plus persistante. Chhim songea à la sécurité de sa famille. Il suggéra à Liang de liquider sans tarder ses stocks de marchandises et ses cheptels porcins et bovins et d’envoyer les deux frères Samphon et Samnang suivre ses études primaires à Prey-Lovéa, le chef-lieu du district où la sécurité était assurée par une garnison militaire et un grand blockhaus en dur défendu par une trentaine de gendarmes suffisamment armés. En commun accord avec sa femme, Chhim confia ses deux fils à la pagode de Prey-Lovéa, rééditant ce que ses propres parents avaient fait quand, étant adolescent, ils l’envoyèrent faire ses études à la pagode d’Angkor Borey conformément à la tradition. En son temps, il n’y avait pas d’école laïque et l’éducation était essentiellement religieuse et dispensée par des bonzes à la pagode qui constituait un centre culturel du pays en même temps que le dépositaire de la mémoire de la nation. C’était, de par la tradition, un honneur pour une famille de pouvoir consacrer un de ses rejetons à cette éducation dont le but ultime était de le voir ordonné bonze. La campagne ne comprenant que peu ou prou de gens lettrés, on regardait les jeunes ayant quitté le froc avec beaucoup d’estime et de considération et la plupart des familles en faisaient même la condition incontournable pour donner la main de leurs filles en mariage. Cette considération sociale exceptionnelle accompagnait les ex-bonzes jusqu’à la fin de leur vie. ​ Généralement on les appelait « Antit » suivi de leur prénom usuel. Antit est une déformation du mot « Bandit » qui signifie « savant » pris dans le sens de « lettré ». C’est la survivance de leur vie monacale qui conférait à leur vie active une situation quelque peu privilégiée par rapport à ceux qui n’étaient pas passés par la même voie. Chhim était de ceux-là. Il avait passé cinq ans de sa vie à la pagode, la plupart du temps comme « Bhikhu », bonze de second échelon de l’ordre monacal, le premier étant celui des « Nén » ou des novices. C’est pourquoi les âgés l’appelaient « Antit Chhim » et les jeunes, « Lok bâng Chhim » qui signifie « honorable grand frère Chhim ». De la génération de ses enfants où commençaient timidement à apparaître des écoles laïques concurrentes, l’idée de faire des jeunes des bonzes était de plus en plus abandonnée par la population devenue progressivement matérialiste et désireuse de s’ouvrir au monde moderne. Cependant, en dépit de la propagation de cette idée moderniste, Chhim avait toujours chevillé à l’esprit ce désir lancinant de ne pas rompre avec la tradition bien qu’il n’envisageât pas sérieusement d’encourager ses enfants à embrasser plus tard la robe safran de bonze. Il estimait néanmoins qu’il y aurait plus d’avantages à tirer de la pagode que d’un foyer étranger où leur vie risquerait d’être influencée par le comportement familial et social imprévisible du foyer d’accueil. A la pagode, cependant, ses enfants devraient apprendre à vivre en communauté tout en se soumettant à une éducation et à une discipline rigoureuses qui ne manqueraient pas de modeler leur personnalité par la suite. Réflexion faite, Chhim en fit part à Liang qui accepta l’idée sans réticence. Il se trouvait que le chef de la pagode de Prey-Lovéa, le vénérable Hak, était l’oncle maternel de Liang. Cela ne faisait que faciliter la démarche des époux Chhim auprès de lui et renforcer leur confiance dans l’éducation de leurs enfants. Dans les jours qui suivirent, Liang, aidée de sa mère Him et de sa belle sœur You, la sœur aînée de Chhim, se dévoua pour faire des provisions nécessaires pour un séjour de longue durée des deux jeunes frères à la pagode de Prey-Lovéa et également en prévision d’un possible isolement de la commune en cas d’attaque éventuelle des forces Vietminh sur celle-ci. Les préparatifs faits, les parents accompagnèrent leurs deux enfants à la pagode de Prey-Lovéa. Le vénérable Hak, un quadragénaire corpulent, grassouillet et vigoureux, au visage lunaire et marmoréen, fut ravi de revoir sa nièce, accompagnée de son mari et de ses deux enfants. Tout souriant, il bénit les visiteurs de leur venue et également de lui avoir fait des présents en grandes quantités. Mis par la suite au courant du motif de leur présence, il accepta de gaieté de cœur de prendre en charge les deux frères et leur assura qu’il veillera personnellement à leur santé, à leur bien-être et à leur éducation. Chhim et Liang, fort émus, l’en remercièrent vivement et très profondément. Avant de prendre congé du vénérable, ils lui laissèrent pour couvrir les besoins éventuels des deux frères un peu d’argent en lui demandant de ne leur donner qu’en cas d’absolue nécessité. Puis ils embrassèrent leurs enfants qui semblèrent un peu perdus bien qu’ils eussent été préalablement sensibilisés sur la question par leurs parents.

    La pagode et la vie monacale

    La pagode de Prey-Lovéa est bâtie sur un vaste terrain d’environ 15 hectares clôturé par des grands arbres ombragés pointant vers le ciel et visibles de très loin. Elle est située en plein centre de la ville, non loin du centre administratif du district et du marché. Son implantation obéit à la tradition qui veut que la pagode se trouve au centre de gravité du village ou de la ville. Cette position centrale lui confère une puissante force centripète qui agit sur les habitants qu’elle aspire, endoctrine et modèle. Charrié par cette force irrésistible, aucun foyer khmer ne peut vivre à l’écart de ce grand centre d’attraction et de culture. C’est ce qui explique l’influence prédominante de celle-ci dans le moulage de l’esprit et du comportement familial, social et national des habitants.

    La pagode de Prey-Lovéa est formée de plusieurs bâtiments en dur comme la plupart des pagodes du royaume. Il est rare de trouver dans le pays où l’écrasante majorité des habitants est bouddhiste de pagodes mal construites. C’est pourquoi nombre de générations qui se succèdent ne connaissent dans leur village que la même pagode que chaque génération contribue à son tour à améliorer. Si les habitants, pris individuellement, n’arrivent pas à se donner de belles demeures, ils se montrent en revanche extrêmement solidaires dans leur effort commun pour faire de la pagode de leur village respectif un grand ensemble solide, imposant, harmonieux et pittoresque dont ils sont fiers et qu’ils s’attachent ensemble à agrandir et à embellir. Les bonzes obtiennent facilement des fonds auprès des fidèles soit au moyen des fêtes religieuses périodiques, le « Bôn Phkar », textuellement « fêtes de fleurs » ou le « Kathen Tien » ou « fêtes pour venir en aide aux bonzes » durant la période de l’année où ils restent confinés dans la pagode, soit à l’occasion des fêtes privées chez les fidèles.

    Quand on entre dans l’enceinte de la pagode de Prey-Lovéa en passant par le portique venant du centre administratif du district, on voit d’emblée à sa droite un grand bâtiment en brique à deux étages avec un sous-sol total où sont logés des élèves venus de loin pour suivre leurs études comme c’est maintenant le cas de Samphon et Samnang. A gauche, face à cet édifice, s’étend un grand étang aux eaux limpides qui laissent transparaître son fond sablonneux-boueux et où s’épanouissent des nénuphars et des lotus. Des poissons et des tortues dont certains sont couverts de mousse s’y côtoient paisiblement. Un peu plus loin, s’ouvre une grande cour arborée où, à l’occasion des fêtes, se retrouvent réunis villageois, musiciens et saltimbanques, lesquels exécutent leurs tours d’adresse au milieu des spectateurs passionnés, impressionnés et enthousiastes. Un peu en retrait, à droite, s’alignent les demeures des bonzes construites sur pilotis et couvertes de tuiles jaunes. A gauche de la cour centrale, se dressent côte-à-côte, une longue cuisine de plain-pied, entièrement aérée où sont aménagés plusieurs foyers disposés en ligne et un vaste réfectoire sur pilotis et également aéré où les bonzes viennent prendre ensemble leur petit déjeuner et leur déjeuner. Dans ce réfectoire, à son extrémité proche de la cour centrale s’élève un immense autel à plusieurs étages où sont rangées, face à l’Est, des statuettes de Bouddha de différentes dimensions et de différentes positions connues : assises en forme de yoga, debout tenant dans les deux mains le bol d’aumône ou allongées la tête sur l’oreiller etc. Elles sont disposées par ordre de taille, de la plus petite à la plus grande, des extrémités vers le centre et du bas vers le haut de sorte que la plus grande et la plus imposante se trouve au milieu et en haut des étages, dans une position dominante d’où, de ses regards scrutateurs et fureteurs, elle passe au crible les moindres actes et gestes ainsi que les sentiments ouverts ou dissimulés des bonzes et des fidèles. En contrebas sont installés de volumineux bougeoirs et encensoirs. Tout le plancher à partir de ceux-ci est couvert par de très longues nattes polychromes sur lesquelles prennent place des bonzes pour leurs repas quotidiens. Devant le réfectoire se dégage le grand temple au sommet doré, le « Préah Vihéar » bâti sur un monticule. Il est orienté vers l’Est et est orné avec magnificence. Ses toits superposés sont couverts de tuiles multicolores et leurs sommets sont surmontés de pointes coniques dorées. Des crochets en bois dorés auxquels sont suspendus des petits parasols bigarrés à plusieurs étages prolongent les angles de la base de chaque toit. L’ensemble de la toiture est soutenu par deux lignes de colonnes cylindriques peintes de couleurs bariolées à l’intérieur du temple et une ligne de colonnes extérieures peintes de la même façon et se séparant des murs par une allée. Les murs qui forment le corps du temple disposent de quatre portes d’entrée dont deux s’ouvrent vers l’Est et deux autres, vers l’Ouest et de huit fenêtres dont quatre font face au Nord et quatre autres au Sud. Les portes et fenêtres ainsi que leurs cadres sont sculptés avec raffinement et peints des mêmes couleurs que les toits. Chacun des escaliers qui descendent de chacun des quatre portes est gardé de part et d’autre en bas par deux génies colossaux aux traits terrifiants et tenant à la main droite une grande massue. Autour du temple s’étend une esplanade périphérique sur laquelle évoluent périodiquement des processions religieuses. En contrebas, sont érigés en bon ordre des « Chédey » ou stupas de dimensions et de qualités variées où sont déposés les restes des bonzes ou des fidèles disparus. Devant le temple s’élèvent quatre grands banians séculaires dont les frondaisons très touffues ruissèlent sous les rayons du soleil et bruissent au moindre gré des zéphyrs. Plus bas, de part et d’autre du temple, on distingue deux grands étangs symétriques de mêmes dimensions et aux eaux claires où s’épanouissent nénuphars et lotus.

    Quand on entre dans le temple, les pieds déchaussés en signe de respect de ce lieu sacré, on est irrésistiblement frappé par le vaste et somptueux autel qui se dresse sous l’immense parasol jaune où sont suspendues tout autour de multiples oriflammes multicolores. C’est sur les étages de ce bel autel que sont disposées suivant la méthode précédemment indiquée les statues de Bouddha de différentes tailles et positions et dont certaines sont en or ou en argent massifs. Le plafond tout entier ainsi que la partie supérieure des murs sont illustrées d’étapes les plus marquantes et les plus instructives de la vie du Maître. Ce sont de fort belles pièces peintes par des artistes chevronnés, spécialisés dans ce genre de peinture.

    Tout concourt à donner à Préah Vihéar, au temple, et à ses environs immédiats une atmosphère de paix et de sainteté et de faire de ces lieux un sanctuaire idéal de recueillement. C’est dans cette ambiance monastique de solennité, de self-discipline, de self-respect et de droiture que les deux frères, Samphon et Samnang, ont inauguré leur vie scolaire, loin de leur famille.

    La vie monacale obéit à un rythme quotidien immuable. Vers 7 heures du matin, tout le monde se réveille au son de la cloche. Quelques nonnes, assistées de quelques garçons assignés à tour de rôle, préparent le petit déjeuner des bonzes. Entretemps, ces derniers font leurs prières du matin dans leur demeure respective. Vers 9 heures, ils se rassemblent dans le grand réfectoire pour prendre leur petit déjeuner, précédé puis suivi de prières rituelles pour la transmission des mérites à ceux qui le leur ont préparé. Ceux dont c’est le jour de permanence se chargent par la suite de desservir, de faire la vaisselle et de la ranger. Entre 10 heures et 11 heures, bonzes et enfants font ensemble et dans la promiscuité totale la propreté générale des aires de la pagode, de ses édifices publiques ainsi que de leur demeure respective. Vers 11 heures et demi au plus tard, un certain nombre de bonzes à l’exception de ceux qui doivent rester à la pagode et qui sont tenus de suivre des études séparées en fonction de leur niveau, partent dans différentes directions, par groupes de trois ou de cinq ou isolément pour faire la quête d’aliments dans les villages d’alentour. Ils sont munis chacun d’un volumineux bol sphérique noir avec couvercle en laiton qu’ils tiennent appuyé contre leur ventre. Ils sont en général accompagnés de jeunes garçons qui tiennent chacun un « chan sarak », sorte d’ustensiles cylindriques en aluminium reliées ensemble par une poignée et qui sert à recevoir des plats offerts par des fidèles à l’exception du riz qui est normalement versé dans le grand bol sphérique tenu par les bonzes. Avant midi, tous les bonzes sont rentrés et se rassemblent avec ceux qui sont restés à la pagode dans le réfectoire. Ensemble, ils se partagent le fruit de leur quête auquel s’ajoutent parfois de complément de plats préparés par les nonnes. Comme au petit déjeuner, ils récitent leurs prières avant et après le repas pour transmettre les mérites aux fidèles. Après le déjeuner des bonzes qui sera suivi de celui des nonnes et des garçons de la pagode, le reste de la journée et de la soirée est consacrée aux études séparées, les bonzes d’un côté, les enfants de l’autre. Plus tard, dans la nuit, tout le monde, bonzes et enfants, les premiers aux premiers rangs et les seconds aux derniers rangs, participe en chœur à la prière collective devant l’autel de Bouddha se trouvant dans la salle commune de leur bâtiment respectif.

    L’enseignement des bonzes s’organise en deux niveaux correspondant à deux échelons de l’échelle monacale. Pour les « Nén », les débutants de l’ordre monacal, ils n’ont pas de classe proprement organisée. Ils étudient en général dans la salle commune de leur demeure respective sous la direction d’un « Bhikhu », un bonze de deuxième échelon connu pour ses compétences et ses expériences. Leurs études concernent principalement toutes les prières religieuses qui sont propres à leur échelon dont celles utilisées notamment pendant les repas et les diverses cérémonies religieuses publiques et privées. Ces prières ils apprennent à réciter à haute voix et en chœur avec les autres jusqu’à ce qu’elles soient totalement concordantes et harmonieuses. Il faut noter que dans ce genre de récitation collective, une petite fausse note entraîne immanquablement une cacophonie générale, entravant ainsi toute la marche de la récitation qu’il faut recommencer à chaque fois.

    Quant aux « Bhikhu », les bonzes de deuxième échelon pour qui toutes les prières sont devenues routinières, ils se réunissent dans une vraie classe de cours, deux fois par jour, le matin de 10 heures à 11 heures et l’après-midi de 14 heures à 17 heures pour apprendre le Pali (langue dérivée du sanscrit et utilisée exclusivement par les moines bouddhistes). La connaissance du Pali permet d’interpréter correctement l’enseignement du Bouddha et honore celui qui le maîtrise parfaitement à l’égard de ses pairs et des fidèles. Quand un Bhikhu termine ses cours de Pali avec d’excellents résultats, la pagode l’envoie poursuivre ses études à l’Université Bouddhique à Phnom Penh. Là, il côtoie d’autres brillants candidats venus d’autres pagodes du pays, avec lesquels il échange ses expériences linguistiques et religieuses.

    Les premières surprises de la vie

    Après le départ des époux Chhim, le vénérable Hak désigna un jeune bonze pour s’occuper personnellement des deux frères au double plan de leur séjour et de leur enseignement. Comme ils étaient venus au milieu de l’année scolaire laïque, Samphon et Samnang ne pouvaient pas se faire inscrire à l’école primaire laïque de Prey-Lovéa et étaient obligés d’attendre à la prochaine rentrée scolaire. En attendant, le vénérable Hak ordonna au jeune bonze de leur donner les rudiments de la langue et des chiffres. Aux deux frères, il leur recommanda d’obéir au jeune bonze, de bien se comporter à la pagode et de bien travailler. Au signal de ce dernier, les deux frères se prosternèrent devant le vénérable chef de la pagode et se retirèrent. Le jeune bonze les fit descendre par la suite vers le sous-sol où il leur montra leurs lits rangés en ligne côte à côte à la suite d’autres lits d’élèves qui y avaient été admis après eux.

    Le sous-sol qui sert de dortoir des élèves est un rez-de-jardin. Il prend toute la surface de la bâtisse et est haut d’environ 2 mètres et demi dont un mètre est enfoui dans le sol. On y accède par une seule porte donnant sur la cour centrale de la pagode. Les fenêtres, assez nombreuses mais sans volets sont quelque peu protégées par des balustres en ciment. Malgré l’absence des volets, la lumière du soleil n’y pénètre pas suffisamment, ce qui fait que l’humidité y est partout présente.

    Quand ils pénétraient dans le sous-sol pour prendre possession de leurs lits, les deux frères ne virent que quelques enfants de leur âge, les autres, les plus grands, étant probablement partis à l’école. Ceux-ci les regardèrent d’un air curieux sans dire mot. Après les avoir installés dans leur lit respectif, le jeune bonze disparut puis réapparut plus tard avec les accessoires de lit dont deux nattes, deux oreillers, deux moustiquaires et deux lampions à pétrole. Il les aida ensuite à installer leur moustiquaire respective et leur recommanda de bien éteindre leur lampion avant de dormir puis il s’en alla.

    Samphon et Samnang avaient mis du temps pour s’accommoder à ce nouveau cadre de vie qui leur parut si austère et inconfortable. D’emblée ils ne se sentirent pas bien l’aise. Du coup ils se rappelèrent leur douce vie dans leur maison natale à Angkor Borey. Habitués à une vie facile, agréable et

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