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Révélations sur 50 ans d'humour
Révélations sur 50 ans d'humour
Révélations sur 50 ans d'humour
Livre électronique519 pages6 heures

Révélations sur 50 ans d'humour

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À propos de ce livre électronique

En 1974, René-Marc Guedj a 11 ans quand Coluche passe pour la première fois à la Télévision. C’est le choc. Sa vocation est née, il va y consacrer sa vie, et va découvrir quasiment tous les humoristes français de ces 50 dernières années.
Dès les années 80, il dirige la première scène ouverte sur Paris, « la Timbale », où il découvre Laurent Violet, Anne Roumanoff, Pierre Palmade, Chantal Ladesou au Tintamarre, là-même où débutent à ses côtés Laspales-Chevallier, Smain et Alain Bernard, Buffo, Muriel Robin… Puis « le Sunscène » qui révèle Gilles Detroit, Virginie Lemoine ou encore Pierre Aucaigne…
Dans les années 90, il crée le célèbre « Trempoint » du Point-Virgule qui lancera Elie Kakou, Jean-Marie Bigard, Gustave Parking, Jean-Luc Lemoine, Jean-Jacques Vanier, Sophie Forte, Christophe Alévêque, Dany Boon, Jamel Debbouze, Tex, Albert Meslay…
Dans les années 2000, il amène l’humour à Avignon en ouvrant le théâtre Pittchoun qui fait naître notamment Olivier de Benoist, Garnier et Sentou.
Dans les années 2010, il lance le concours « Kandidator » qui révèle une nouvelle génération d’humoristes : Max Bird, Laura Laune, Cécile Djunga, Laura Domenge, Biscotte, Alexandra Pizzagali, Desgars, Jim, Jean-Baptiste, Thaïs Vauquieres, Elodie Arnould, Timothé Poissonnet, Fabien Olicard, Alex Ramires, Geremy Credeville, etc.
Enfin en 2016, il fonde l’EHAS, École de l’Humour et des Arts Scéniques, d’où sortent les talents de demain : Benjamin Pays, Achref, Isabelle Arnaud, Valentin Reinher…
Bref, René-Marc Guedj est à l’humour en France ce qu’était Jean Vilar au Théâtre, ou Paul Bocuse à la gastronomie. Avec ce livre il a décidé de tout révéler sur les coulisses de ces 50 dernières années.
LangueFrançais
Date de sortie14 nov. 2019
ISBN9782411000664
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    Aperçu du livre

    Révélations sur 50 ans d'humour - René-Marc Guedj

    978-2-411-00066-4

    Première partie

    Enfance et adolescence

    « Les années 70 »

    Avant-propos

    Je suis né au printemps 1963, mais je vous propose de débuter mon récit en 1974, j’avais alors onze ans. Jusque-là, j’avais été un enfant plutôt sans histoires. Cependant, contrairement à des millions d’autres foyers français, ma famille possédait une particularité qui me pesait. Comme nous vivions au cœur du Vaucluse, au pied des mille neuf cent douze mètres du mont Ventoux, ce n’était pas toujours facile de recevoir les programmes de télévision. L’antenne avait beau être très élevée sur le toit de notre maison en pierres de Provence, la météo et son foutu mistral empêchaient parfois la diffusion des émissions ou des films que nous regardions dans le salon familial, mes parents, mon frère et moi. J’avais un peu le sentiment que la télévision était notre unique connexion au monde. De chacune des fenêtres de notre bâtisse, nous ne distinguions à perte de vue que des champs de melons, de lavande, de pommiers, de ceps et de vignes. Entre deux rosées bien fraîches, les odeurs matinales réveillaient nos narines dès le saut du lit. Tout ça me manque terriblement aujourd’hui. Il y avait aussi quelques voisins éparpillés de-ci, de-là, autour de chez nous. Quatre ou cinq autres maisons visibles à l’œil nu. Ce n’était donc pas le désert total, n’exagérons pas.

    Préado, j’avais la bougeotte, je voulais découvrir la vie, me nourrir de tout, me cultiver. Or, pour nous rendre ne serait-ce qu’un soir au théâtre ou au cinéma, cela relevait de l’expédition. Il fallait sortir la voiture et rouler une petite heure jusqu’en Avignon. Du coup, c’était plutôt rare. En solution de remplacement, nous avions le petit écran soigneusement installé sur un gros meuble en bois dans la plus grande pièce de notre demeure. Bien que mes parents décidassent seuls de ce que nous regardions, la télévision participait pleinement aux plaisirs partagés tous ensemble sous notre toit. Elle s’est installée triomphalement dans le rôle de l’ami d’accompagnement, prenant au fil des années la place d’une cinquième personne au sein du foyer, au risque d’éviter les conversations ou les sujets qui fâchaient. Oui, certains soirs, ça arrangeait bien tout le monde que la télé soit en marche et qu’on ne se dise rien !

    Un soir de 1974, miracle : tout fonctionne ! Il n’existait à ce moment-là que trois chaînes. La couleur avait fait sa première apparition sur les ondes hertziennes sept ans plus tôt, mais n’était arrivée chez nous que depuis peu. Je ne soupçonnais pas un seul instant qu’un événement, a priori anodin, allait bouleverser mon existence, et offrir un sens à ma vie. J’allais rejoindre un destin que j’ignorais encore, quelque chose que vous allez sentir s’éveiller et s’imposer au fil des pages qui suivent.

    ***

    Si mes souvenirs sont exacts, il était à peu près dix-neuf heures quinze. Comme c’était souvent le cas avant de passer à table pour le repas du soir, nous nous sommes tranquillement installés devant la deuxième chaîne. Je crois bien que c’était Guy

    Lux

    en personne qui s’adressait à nous. De toute façon, ça ne pouvait être que lui. Ce Guy

    Lux

    , je le croisais quasiment chaque jour depuis que j’étais né. Producteur, animateur de jeux et de divertissements radiophoniques ou télévisés, il aura finalement créé au cours de son existence plus de cinquante émissions. C’était le Roi. Que dis-je, l’Empereur. Monsieur Tube cathodique. Je ne pouvais même pas concevoir un seul instant une heure de programmes sans qu’il s’invite chez nous, sans que l’on cite son nom pile avant le dîner du soir. En immense professionnel, il a su installer l’habitude, pour que plus rien ne puisse exister sans lui, que dans l’inconscient des ardents téléspectateurs que nous formions, rien ne puisse s’envisager sans sa présence, sans sa voix si particulière et son savoir-faire indiscutable. J’ai le sentiment innocent que tout ce qui faisait la télévision lui appartenait, qu’il dormait à l’intérieur du cadre et n’en sortait jamais. Pour moi, la télévision : c’était Guy

    Lux

    . C’était peut-être même lui qui l’avait inventée, allez savoir !

    Et ce soir-là, avec beaucoup de suspense dans ses paroles, il présentait l’humoriste de demain, celui en passe de devenir une immense vedette. En tout cas, c’est vraiment ainsi qu’il l’avait annoncé, en grande pompe. Tel un futur grand. Ce comique allait s’imposer dans le paysage médiatique des années à venir. Et comme Guy

    Lux

    le disait, nous le croyions forcément. Nous étions bouche bée, réceptifs à deux cents pour cent, écoutilles ouvertes comme jamais. À cet instant-là, la plupart des Français découvraient pour la première fois la star comique du futur. Notre curiosité était au summum, nos sens attisés, notre écoute en éveil. Nous étions préparés, alléchés, hypnotisés. Bien joué ! Bravo, Guy

    Lux

     !

    Apparut alors sur un fond vert assez repoussant, un drôle de bonhomme tout timide derrière un pied de micro, vêtu d’une salopette par-dessus un tee-shirt jaune. Il possédait une tête bizarre, pas très beau, pas sexy du tout. Il portait des petites lunettes rondes, avait l’air gêné, maladroit, pas à l’aise, hésitant. Il scandait sur un ton éraillé avec une voix parfois très aiguë, un peu désagréable, perchée, limite agressive par moments :

    « C’est l’histoire d’un mec… heu…¹ »

    Il tentait visiblement de raconter une blague, mais il se trompait, bafouillait, il oubliait.

    « Le mec… heu… »

    Il reprit.

    « Bon, le mec… normal, quoi. Blanc.

    Il est français, le mec… »

    Un silence de mort s’installa immédiatement dans notre maison, comme une chape de plomb s’abattant sur nous. Nous étions tous rivés sur le petit écran, happés par ce qui se passait, connectés à l’instant présent. Toujours à l’écoute, les oreilles bien attentives, les sens ultra développés, affûtés comme des radars. J’avais l’impression que mes parents étaient médusés, consternés. Je ressentais surtout qu’intérieurement, je bouillonnais. J’avais une furieuse envie d’éclater de rire, très vite. Je n’osais pas. Je me retenais, comme si Papa-Maman devaient d’abord valider.

    Et l’artiste continuait.

    « Bon, c’est l’histoire d’un mec, normal,

    qu’est sur le pont de l’Alma, ok ?

    Mais il regarde dans l’eau, le mec ! Pas con ! »

    Ce qui me frappait le plus, c’était que le sketch ne se déroulait pas en public. En fond sonore, il y avait des rires enregistrés qui paraissaient exagérés et fusaient en pagaille à chacune des phrases prononcées, alors que l’humoriste ne parvenait pas à raconter son histoire en entier. L’image était celle, un peu fade, d’un scopitone, vous savez, ce vieil ancêtre du vidéo-clip. Pour être franc, c’était visuellement assez dérangeant. Je n’avais encore jamais vu une telle image. Je ne la trouvais pas esthétique. La scène dura à peu près cinq ou six minutes. Ça peut paraître long. Et l’artiste balbutiait, revenait au point de départ, coupait son texte par des :

    « Non, mais c’est pas là qu’il faut rire, j’vous dirai ! »

    « Non, mais prenez des notes, parce que je vais pas répéter, merde ! »

    « Parce que là, l’histoire, elle est pas finite. Attends, on va se fendre la gueule, tu vas voir. »

    Alors qu’il n’était même pas sur un plateau de théâtre, mais enregistré en studio, l’humoriste nous parlait à travers le poste. Il nous tutoyait. Il utilisait des expressions familières, inventait des termes, donnait l’impression de faire des fautes de français, osait des gros mots. Et il surenchérissait :

    « Alors, le mec, il est suisse, mais bon…

    Faut pas prendre les Suisses que pour des cons.

    Non, y a des Belges dans l’tas. »

    Et puis, la chute de la blague arriva. Totalement naze. Complètement nulle. Mais volontairement. Et le comique partit presque en courant, tel qu’il était apparu, comme un gamin venu juste dire une grosse bêtise. Il sortait de l’écran de télévision en pouffant sans la moindre chute, sans saluer. Mais je saisissais au plus profond de moi que c’était justement tout cela qui était drôle, incroyablement drôle. Dans la façon de faire. C’était fugace. Comme si cet homme était passé pour rien. Comme s’il avait eu accès à la télévision pour proposer quelque chose n’ayant pas vraiment d’intérêt. Cela donnait l’image d’un bras d’honneur effrontément effectué envers les autres programmes de divertissements, dits culturels ou de haute gamme. Et tout cela, à une heure de grande écoute. Pile avant de manger. C’était culotté. Presque fou. Nous venions de voir un extra-terrestre.

    À la fin du sketch en question, mon père, simple facteur à la Poste, et ma mère, respectable femme au foyer, ne disaient rien. Ils se regardaient. Vides. Fades. Je les observais à mon tour, avec au fond du ventre cette peur étrange d’avouer mon envie de rire tout du long. Je pensais même secrètement, et c’était plutôt jouissif, que l’humoriste que nous venions d’écouter presque religieusement était vraiment dérangé. Curieusement en s’adressant à moi, mon père, non sans une réelle certitude enveloppée d’une inexplicable once de colère, lâcha en premier la phrase devenue pour moi inoubliable :

    « Tu as vu ce gars ? Eh bien, tu ne le verras plus jamais.

    Parce que je peux te dire que ça ne marchera jamais pour lui.

    C’est nul, c’est vulgaire, sans aucun intérêt

    et il n’est même pas drôle. »

    Ben oui, Papa. Peut-être. Mais pourtant, un certain

    Coluche

    venait de naître sous nos yeux. Oui,

    Coluche

    . Et il allait guider toute ma vie, la guider mieux que toi. Point. À la ligne.

    Avant Coluche

    Avant Coluche, telle une passation de pouvoir, les humoristes tenant le haut de l’affiche et remplissant le cœur des Français nous ont quasiment quittés au compte-gouttes, presque en même temps, lui traçant une voie directe vers le succès.

    En 1973, Fernand Raynaud, roulant un poil trop vite avec sa Rolls-Royce, s’écrasait contre le mur d’un cimetière. Dernier gag du comique, sans doute. Mourir contre un cimetière !!! Ses célèbres sketchs, comme Le 22 à Asnières, Le plombier ou Tonton, pourquoi tu tousses ? occupaient encore une bonne partie des programmes proposés sur les ondes.

    Je garde avant tout en mémoire Le Défilé militaire². Sans doute son chef-d’œuvre. Sur une musique de défilé du Quatorze Juillet, Fernand Raynaud interprétait une multitude de personnages en changeant les expressions de son visage à la vitesse grand V. L’ensemble était entièrement visuel. Seul son béret permettait de passer d’un militaire à l’autre, en marchant au pas sur la musique. Il y avait le gradé, le timide, le paumé, et même l’homosexuel. Il jouait tout un régiment à lui tout seul. La performance était incroyable. Elle affichait un talent comique indéniable. Historiquement, Fernand Raynaud serait à l’origine du premier one man show d’humour en 1959 au Théâtre des Variétés.

    Des suites d’une longue maladie, Fernandel nous quittait juste avant lui, en 1971. Sa célèbre Félicie aussi est inscrite au panthéon de la chanson humoristique. S’il débuta en vrai comique troupier, Fernand Contendin, de son vrai nom – dit Fernandel selon le pseudonyme que lui aurait attribué sa propre mère – fut surtout une immense vedette de cinéma. Véritable champion du box-office, il a réuni plus de deux cents millions de spectateurs dans les salles obscures. Rien que ça ! Ses succès comme Le Schpountz, La Cuisine au beurre, Ali-Baba et les quarante voleurs, La Vache et le Prisonnier, L’Auberge rouge et, bien sûr, la série des Don Camillo, figurent en haute place dans l’histoire du septième art français. J’ai pour ma part un faible, une scène du film François Ier se situant à mon sens parmi les grands moments de notre patrimoine comique. C’était le supplice de la chèvre³. Nous y voyions Fernandel allongé, puis attaché sur la table d’une salle de torture. On lui mouillait les pieds avec de l’eau salée et une chèvre venait alors lui lécher les orteils en le faisant hurler de rire tellement les chatouilles étaient insupportables. Le rire de l’acteur était si communicatif que ce moment de cinéma en noir et blanc est entré rapidement dans les annales. Je ne peux m’empêcher d’en rire encore rien que d’y penser. C’était très bête, mais qu’est-ce que c’est drôle !

    En 1974, nous quittait également Francis Blanche, l’inventeur des canulars téléphoniques, bien avant les délires de Jean-Yves Lafesse qui n’aura en fait rien inventé. Indépendamment de son importante carrière cinématographique, dont Les Tontons flingueurs forme la référence suprême, Francis Blanche, auteur de chansons, de poèmes, de billets d’humeur et de textes tout aussi farfelus les uns que les autres, fut le complice de son ami Pierre Dac. Leur duo défraya plus d’une fois la chronique. Leur amour du non-sens, de la dérision toujours bienvenue, réfléchie, bien placée, leur permit de nous offrir des chefs-d’œuvre du genre. On raconte d’ailleurs que la création de leur plus célèbre sketch s’est faite dans une soirée de gala au cours de laquelle ils étaient tous les deux complètement ivres, à force d’avoir un peu trop profité du buffet. On leur demanda d’aller sur scène devant les convives, et sans se faire prier une seule seconde, les deux compères se sont alors lancés dans une improvisation qui sera filmée, entrant elle aussi dans les annales. Le Sâr Rabindranath Duval⁴ était né. Il est inscrit au panthéon des sommets de l’humour. Si vous observez bien cette vidéo sur le web, vous constaterez qu’à de nombreux moments, nous pouvons penser que cette version est plausible. Les yeux des deux complices pétillent de malice et de joie dans le plaisir de la déconne. Dépassés par les fous rires, ils s’amusaient comme des gosses en totale liberté.

    Pierre Dac disparut en 1975, un an après le départ de son ami. L’inventeur de la célèbre revue satirique L’Os à moelle, des grands feuilletons radiophoniques tels que Signé Furax, ou encore Bons baisers de partout qui connut sept cent quarante épisodes entre 1965 et 1974 sur France Inter, n’a sans doute pas supporté de ne plus pouvoir délirer avec Francis. Enclin à des tendances suicidaires, le vieil âge arrivant, le Roi de l’Absurde s’envola à jamais en nous laissant des citations historiques telles que :

    « Parler pour ne rien dire et ne rien dire pour parler

    sont les deux principes majeurs et rigoureux

    de tous ceux qui feraient mieux de la fermer avant de l’ouvrir. »

    Je connais par cœur l’œuvre de Pierre Dac. Adolescent, je lisais ses ouvrages, ses Pensées, ses petites annonces absurdes. Tenez, je ne résiste pas. En voici une que je n’ai jamais oubliée :

    « Cherche deux hommes de paille, un grand et un petit,

    pour tirage au sort. »

    Par la suite, j’aurai l’occasion de beaucoup jouer au café-théâtre Phèdre à repasser, sa parodie référence du Phèdre de Racine dans laquelle les tirades comme « Il y a longtemps que Théramène sa fraise » fusent de toutes parts. J’aurai aussi l’opportunité de chanter plus d’une fois en public Le Parti d’en rire⁵, créé par Pierre Dac et Francis Blanche sur la musique du Boléro de Ravel. Ce sera l’un des exercices les plus difficiles que j’aurai à répéter. Et puis, j’aurai surtout l’honneur d’être l’un des rares comédiens à pouvoir jouer longtemps, et sans la moindre accroche – je peux m’en vanter –, l’intégrale du fameux Schmilblick⁶, un texte quasi impossible à apprendre dont voici un court extrait pour vous donner une idée de l’exercice :

    « Le Schmilblick des frères Fauderche est,

    il convient de le souligner, rigoureusement intégral,

    c’est-à-dire qu’il peut à la fois servir de Schmilblick d’intérieur,

    grâce à la taille réduite de ses gorgomoches,

    et de Schmilblick de campagne grâce à sa mostiblase

    et ses deux plotosifres qui lui permettent ainsi d’urnapouiller

    les istioplocks même par les plus basses températures… »

    Et c’est comme ça pendant sept minutes. Eh oui. Sept minutes totales de non-sens, de mots inventés, jamais entendus, tarabiscotés, géniaux, à la phonétique irrésistible. Créé en 1949, par Pierre Dac en personne, le mot Schmilblick est entré dans le langage courant en 1975, grâce à Coluche qui le reprit pour titre⁷, lors de son célèbre sketch parodiant un jeu télévisé de Guy Lux, dans lequel chacun doit deviner, puis définir un objet qui ne sert absolument à rien et peut donc servir à tout.

    Je suis le spécialiste de Pierre Dac. Suffisamment pour déplorer amèrement aujourd’hui que les nouvelles générations ne le connaissent pas et l’ignorent totalement. J’ai mon explication. Elle n’engage que moi, mais je la livre ici avec une certaine colère. C’est la faute aux ayants droit, sa propre famille qui, après le décès de l’humoriste, ont nommé Jacques Pessis, journaliste et écrivain (ex-collaborateur de Philippe Bouvard), comme l’unique porte-parole des œuvres du cher disparu. Il est ainsi devenu le seul autorisé à véhiculer la mémoire du maître incontesté de l’Absurde. Je prétends que le dénommé Jacques Pessis enfermera Pierre Dac dans une bibliothèque.

    Je m’explique.

    Sans doute aveuglé par l’admiration qu’il lui porte, plutôt que de le réhabiliter sans cesse, Jacques Pessis a organisé avec les textes de l’humoriste des spectacles et des événements poussiéreux, jamais en connexion avec le monde qui avance. Pour moi, il n’a pas réussi à prouver, ni à démontrer que cet humour est toujours résolument moderne, nouveau, intemporel. Il a transformé le tout en encyclopédie, en s’octroyant le droit de ranger Pierre Dac presque du côté de la Pléiade. Mais à bien caler les auteurs dans les étagères, on finit par n’en faire que des ouvrages coincés entre des milliers d’autres, condamnés à l’oubli. J’accuse donc ici même le dénommé Jacques Pessis d’avoir empêché l’humour de Pierre Dac de trouver un second souffle, un nouveau public, de se l’être inconsciemment approprié pour l’étouffer au lieu de le faire vivre, respirer, ressusciter. Il a ainsi privé les nouvelles générations de spectateurs d’accéder à ce monument du rire. Preuve en sont les nombreux procès d’intention qu’il a commis lorsque la moindre personne a demandé des autorisations d’exploitation aux ayants droit de Pierre Dac afin de monter tel ou tel événement. Jacques Pessis s’est toujours imposé en refusant tout projet autour de l’humoriste, préférant les réaliser seul, les mettre en scène (alors que ce n’est pas son métier) et les produire seul aussi (alors que ce n’était pas son argent). En vase clos, comme si en n’appartenant qu’à lui, la mémoire de l’auteur serait respectée et protégée.

    Je suis d’autant mieux placé pour affirmer tout cela, que pour jouer et interpréter Pierre Dac sur scène, je suis passé par les adaptations de mon ami Jean-Baptiste Plait, autre passionné de l’humoriste. Cet ami – qui m’a laissé sans voix lors de sa mort brutale due à une terrible chute d’hélicoptère – a réussi dans les années 1980 à obtenir le droit de continuer à jouer les textes de Pierre Dac. Il s’est permis de les adapter en les rendant totalement ouverts aux jeunes générations. Ses mises en scène du Schmilblick, de Phèdre à repasser ou de Les Pensées de Pierre Dac sont celles que j’ai interprétées puis suivies à ses côtés. Je les ai reprises au Café-Théâtre des Blancs Manteaux à Paris en 2009 pour les réhabiliter. Et c’est là que je me suis rendu compte à quel point le mal a été fait, à quel point le public de la fin des années 2000 a ignoré l’existence même de feu Pierre Dac, l’un des géants de l’humour français. Ils se sont coupés de l’absurde et du non-sens. La transmission n’a pas eu lieu. Ils ne sauront même pas qui c’est. Merci, Monsieur Jacques Pessis !!!

    ***

    En règle générale, avant 1974, les humoristes ne faisaient pas de vagues. Ils pratiquaient un humour sain, bien français, bien de chez nous. Robert Lamoureux, connu pour son célèbre Papa, Maman, la bonne et moi⁸, a rencontré un succès colossal avec son sketch de La Chasse au canard. Il s’est orienté lui aussi rapidement vers le cinéma. Il y a réalisé la trilogie de La 7e compagnie, puis s’est imposé comme un auteur de comédies de boulevard très efficace.

    Les duos étaient très à la mode. Roger Pierre et Jean-Marc Thibault tenaient encore le haut de l’affiche avant de mener chacun une carrière en solitaire. Jean Poiret et Michel Serrault, avec leurs sketchs délirants, décalés, étaient dans tous les esprits. Mais c’étaient surtout Les Branquignols, créés par le génial Robert Dhery dès 1948, qui restaient la troupe vedette par excellence. Vingt ans de succès !!! Pratiquement tous les artistes comiques, même les plus célèbres par la suite, ont débuté avec ces fameux Branquignols. Après sept ans de triomphe sur Paris, la troupe est même allée faire rire l’Angleterre pendant deux ans. On notera toutefois que les spectacles des Branquignols avaient la particularité de tous posséder un parfum de scandale avant l’heure. Car on y croisait systématiquement des filles dévêtues dans des tableaux ou interludes façon Revue du Lido. Ah, les belles bacchantes⁹, le plus célèbre de leurs opus, fut joué huit cent quatre-vingt-trois fois et devint en 1954 un célèbre film sur grand écran. Le cinéma permit alors à Robert Dhery et à sa bande d’enflammer le box-office français pendant plus de dix ans, jusqu’au célèbre Petit baigneur dans lequel Louis De Funès tient l’un de ses meilleurs rôles. On y voit surtout Jacques Legras (le créateur de La Caméra invisible, une émission phare de la télévision), offrir l’un des sketchs les plus performants de notre cinéma comique. Il s’agit du sermon du curé dans une église le temps d’un sketch de trois minutes, surnommé Notre-Dame des courants d’air¹⁰. Les éléments, micro, toit et porte de l’autel, étaient tous contre lui, tant l’état du monument était déplorable. L’enchaînement de gags dégageait un rythme soutenu, s’accélérant au fur et à mesure que le discours du prêtre avançait. Cette scène demeure une référence dans le domaine de l’humour. Combien de fois me la suis-je visionnée en vidéo pour en observer la mécanique, la rigueur, la précision du travail ? Je serai, je crois, capable de la dessiner plan par plan.

    Tous ces acteurs et toutes ces actrices de comédie, irremplaçables, talentueux, si drôles, formaient ce que l’on a finalement étiqueté l’humour de Papa, véhiculant une certaine idée de la France. C’était une France s’esclaffant devant des choses faciles, se nourrissant de gags ou de décalages absurdes, de clichés basés sur cet humour dit rabelaisien, les bonnes valeurs faisant les bons Français, le tout estampillé sans vagues, sans débordements.

    Ces humoristes-ci, tous venus des cabarets d’antan, auxquels je souhaite ajouter l’inénarrable Darry Cowl, dont les bégaiements et la tête de benêt faisaient aussi partie intégrante de notre histoire de la comédie, ont été fort justement happés par le cinéma ou le théâtre, devenant de vraies vedettes populaires, médiatisées par la radio, par les journaux, puis, bien sûr, par la télévision.

    Sur les chaînes hertziennes, seul Henri Salvador tenait le haut du panier. Ses émissions restent sans doute celles qui me faisaient le plus éclater de rire. Pour mes parents, elles formaient la distraction familiale par excellence. Nous ne manquions jamais la moindre apparition du Sieur Salvador sur le petit écran. L’artiste était très malin. Il savait y faire, susciter l’intérêt, créant toujours l’événement lors de ses célèbres Show Salvador essentiellement programmés aux grandes occasions, en prime time, lors des fêtes de fin d’année par exemple. Ses chansons telles que Zorro est arrivé¹¹ ou Juanita Banana circulaient en clips vidéo un peu partout. Il y interprétait tous les personnages sous des déguisements déjantés (ah, les couettes de Juanita Banana montant chaque fois qu’il pousse ses vocalises !!!). Les sketchs, créés parfois exprès pour ses émissions de télévision, nous réjouissaient chaque fois. Son plus célèbre restant cet homme avalant un verre d’une boisson alcoolisée pour en vanter les mérites lors du tournage d’un spot de pub. Comme il devait refaire sans arrêt la prise de vue, et donc reboire le verre qu’il remplissait systématiquement, il était de plus en plus saoul chaque fois qu’il reprenait. Là aussi, nous sommes face à un enchaînement hyper rythmé d’une situation posée au départ puis dégénérant au fil de son déroulement. La progression était orchestrée de main de maître, un modèle du genre. Salvador titubait, bafouillait, grimaçait comme personne. Je connaissais aussi ce délire par cœur.

    En revanche, du côté des salles de théâtre, parmi les solos sur scène, seul Raymond Devos¹² imposait le respect. À travers lui, le duo barge des Frères Ennemis, ou l’incroyable Pierre Repp¹³, étaient des dérivés assez délirants et terriblement infaillibles sur les différentes astuces employées à user de la langue française, à torturer les mots, à faire rire de calembours ou de lapsus tous plus inventifs les uns que les autres. Un certain Pierre Péchin se montrait toutefois fort drôle en étant le premier en 1975 à prendre l’accent arabe pour réciter La Cigale et la Fourmi¹⁴ de Jean de La Fontaine, transformant la fable en La Cèggal et la Foôrmi. Alex Métayer¹⁵ s’imposait aussi. Son premier spectacle en 1975 se fit énormément remarquer. On prétendait carrément qu’il donnait au one man show ses lettres de noblesse. Ce compliment venait surtout du fait que le regard de cet humoriste sur la société était particulièrement pointu, acide. Ses observations aiguës sur les personnages qu’il interprétait avec un vrai sens de la dérision le classent parmi les comiques pertinents.

    Il est à noter que peu de femmes faisaient rire à ce moment-là. Si l’on excepte les excellentes Jacqueline Maillan et Maria Pacôme, stars indiscutables du théâtre de boulevard, considérées à juste titre comme d’extraordinaires comédiennes, seule Sylvie Joly¹⁶ demeurait la Reine, saluée unanimement comme la première femme humoriste à faire du seule-en-scène. Avec elle, en 1972, naquît le terme one woman show. Elle connaîtra plus de vingt ans de succès.

    Et puis, il y avait Zouc¹⁷, artiste suisse passée par le théâtre et le mime. Mais l’univers de cette dernière baignait dans un humour si sombre, névrotique et anxiogène, que seuls les adeptes de recherche artistique purement atypique savaient l’apprécier. J’en ferai partie plus tard, lorsque passé ma maturité puis nourri par mes études théâtrales, le cas Zouc saura me convaincre. J’ai mis du temps, car pour rire avec cette femme tout habillée de noir, il fallait se préparer. Mais aujourd’hui, je suis réellement fan. Quel talent !!!

    Je ne souhaite toutefois nullement omettre la délirante Marianne Sergent, dont le sketch sur La Fellation¹⁸ fut un tel scandale en étant diffusé à une heure de grande écoute sur la deuxième chaîne de la télévision française, qu’elle fut immédiatement interdite d’antenne, puis censurée dans tous les médias. Pourtant, Marianne, que je connais fort bien, est aussi une grande dame du one woman show. Elle l’a toujours été. Et plus que jamais en activité de nos jours, elle continue de jouer son solo qui tourne avec succès depuis plusieurs années : Trente ans de succès sans jamais passer chez Drucker.

    ***

    Pendant ma préadolescence, je constatais qu’au fur et à mesure, mes centres d’intérêt se dirigeaient plus vers Guy Bedos. À ce moment-là, il s’installait tout doucement en vedette de solo. Pourtant, en 1973, le public encore marqué par ses années de duo aux côtés de Sophie Daumier applaudissait à tout rompre le fameux sketch de La Drague¹⁹ devenu un classique du genre. J’en achetais d’ailleurs le 45-tours que je me régalais à faire tourner sur mon pick-up. Mais si ses sketchs en solitaire, signés pour la plupart Jean-Loup Dabadie – tels que Paulette, pour ne citer que celui-là –, ne me faisaient pas particulièrement monter au rideau, je dois avouer que la façon dont Bedos parlait de l’actualité, osait des improvisations sur les événements en critiquant souvent violemment le système, me fascinait grandement. C’étaient là les débuts de ses fameuses revues de presse qu’il intégrera progressivement dans ses futurs rendez-vous avec le public, imposant ainsi sa marque de fabrique.

    Disons que mon éducation, si tant est qu’elle soit passée par une transmission de l’humour, se situe pleinement vers tous les artistes que je viens de vous citer. Je les respecte infiniment, car ils ont, chacun à leur façon, su imprégner leur époque, trouver leur propre style. Ils ont chacun ce truc qui n’appartient qu’à eux.

    Seulement, en ce début des années 1970, juste avant Coluche, Les Branquignols étaient en fin de course. Il faut avouer que leur humour prenait un coup de vieux. Il existait bien Les Charlots, mais ils ne réussissaient pas vraiment à renouveler leurs sketchs. Leurs chansons et leurs films restaient très au ras des pâquerettes. Les Fous du stade ou Les Quatre Charlots mousquetaires ne suscitaient que des rires d’écoliers. Ils n’ont jamais vraiment ambitionné de révolutionner le cinéma comique sur notre territoire. Mai 68 venait de passer par là. Nous nous trouvions en pleine liberté des mœurs. La révolution culturelle et sexuelle battait son plein. Un certain humour de Papa n’était plus à la mode. C’est la vie. Il fallait avancer, passer à autre chose.

    ***

    Les vedettes du rire, indétrônables jusque-là, nous quittaient donc au compte-gouttes, les unes derrière les autres, disparaissant brutalement parce que la vie s’arrêtait ou que le public n’en voulait plus. Mais certains grands professionnels résistaient en sachant renouveler leur art, inventer, repérer puis suivre les tendances, toujours remettre du corps à l’ouvrage.

    Alors que Bourvil et Louis De Funès venaient de faire un triomphe historique au cinéma avec La Grande Vadrouille, La Cage aux folles avec Poiret et Serrault révolutionnait au théâtre la comédie de boulevard (dont Robert Lamoureux aussi s’apprêtait à créer de futurs classiques avant d’imposer sur grand écran sa célèbre 7e compagnie en trois opus). La distraction était plus que jamais populaire, au sens noble du terme. Nous rions des homos sans aucune homophobie, nous nous moquions gentiment des Allemands pour exorciser une occupation toujours pas digérée, et si nous tapions sur quelques ministres ou politiques influents, c’était toujours fait dans le respect de la personne, dans l’irrévérence classieuse servie par une écriture fouillée, travaillée, une construction scénaristique solide, embellie d’idées chaque fois plus originales les unes que les autres, héritage direct des chansonniers de la Belle Époque. L’imitateur Thierry Le Luron l’avait bien compris. Ses chansons rappelaient les meilleurs refrains de feu les comiques troupiers, et ses textes, écrits au cordeau, massacraient à tout va les célébrités de l’instant en utilisant la caricature, voire l’exagération, pour mieux se protéger d’une certaine censure.

    Raymond Devos était donc bien le seul humoriste à occuper finalement la scène en affichant ce respect qui rend intouchable. C’est le Patron, le Boss, le Parrain. Il donnait ses lettres de noblesse à la définition même du mot humoriste – « qui a de l’humour », dixit Le Petit Robert. Car en face du mot Humour, notre dictionnaire de la langue française est très limpide. Il le souligne ainsi :

    « Forme d’esprit qui consiste à dégager les aspects plaisants

    et insolites de la réalité avec un certain détachement. »

    Alors, en la matière, Raymond Devos était un pur homme d’esprit. Imbattable. Chacune de ses apparitions télévisées constituait un événement. On préférait de loin l’inviter sur le plateau du Grand Échiquier²⁰, la célèbre émission culturelle de Jacques Chancel, plutôt que le voir dans les émissions de variétés des Maritie et Gilbert Carpentier ou de Guy Lux. C’était ce qui faisait la différence. Pendant toute mon enfance, Raymond Devos et Charles Aznavour pour la chanson étaient traités à juste titre comme des monuments, des maîtres dans leur art. Et je leur reconnais cette force, ce talent, ces choix astucieusement calculés dans leurs apparitions médiatiques. En cet âge prépubère, je baignais avec délectation dans les jeux de mots de Devos au même titre que je me perdais ou me noyais dans les jeux de maux d’Aznavour.

    Coluche

    Ce que l’on a surnommé fort justement l’humour de Papa ne correspondait plus totalement à mes goûts, à mes envies. Les choix des parents ne comblent pas forcément ceux de leurs enfants. En ce qui me concerne, deux générations nous séparaient déjà. Et comme tout adolescent qui se respecte, mes centres d’intérêt allaient diverger parce que les propositions humoristiques fusaient de tous côtés.

    La première apparition de Coluche à la télévision en 1974 a été un choc. L’artiste m’interpellait, m’intriguait. Il m’attirait d’autant plus que mon père ne l’avait pas aimé et prétendait, sûr de lui, qu’on ne le verrait plus. Alors, un peu pour le contredire, avec ce vague sentiment de rébellion, d’interdit, je décidais d’oser m’aventurer vers les délires de l’homme à la salopette. Mais je ne percevais pas encore au fond de moi que c’est avant tout la nouveauté, le culot, la franchise et sans doute un côté antisystème qui me guidaient. D’entrée, Coluche représentait tout cela. Je l’ai senti. Cet extra-terrestre, à l’opposé de tout ce qui s’est fait avant lui, m’a pleinement séduit. Je flairais peut-être tout bêtement le non-conformisme, ce mec-là savait être infiniment libre dans un monde où tout me paraissait cloisonné, étriqué, cadré. Eh oui ! Je suis né sous De Gaulle, moi. Je passais mes années d’enfance entre un Pompidou que je me souviens voir filer comme un éclair, et un Giscard d’Estaing évoquant sans cesse le bourgeois coincé du cul. Ah, ses apparitions télévisées avec son Anémone d’épouse faisant si Versailles-catho ! C’était quelque chose !!! Je suis un enfant de la droite, moi. Une droite bien-pensante. Et même si mes parents seraient les premiers à voter Mitterrand en 1981, il n’empêche que les années 1970 ont été menées par une politique bien à droite. Alors, comme les événements de Mai 68 n’arrivaient pas jusqu’à nous, au fin fond du Vaucluse, que nous vivions tout cela de loin, uniquement via ce que nous en montraient les chaînes de télé, il est évident que l’arrivée d’un Coluche, sa liberté de ton, son autre regard sur la vie, la politique et l’humain en général, me fascinaient au plus haut point.

    J’apprendrai plus tard qu’il se nommait Michel Colucci, né en 1944 dans le XIVe arrondissement de Paris. Il avait donc trente ans quand il croisa ma route. Il était un enfant du Café de la Gare, ce lieu créé en juin 1969 rue Mouffetard au cœur de Paris. Coluche et Romain Bouteille en étaient les instigateurs. À leurs côtés figuraient déjà Sotha, Miou-Miou, Patrick Dewaere ou encore Henri Guybet. Obligé de changer d’adresse parce que l’endroit se montrait trop petit face à la demande grandissante du public, le Café de la Gare développa en réalité sa notoriété dès avril 1972, entre les Halles et le Marais, où il existe d’ailleurs toujours aujourd’hui. Je vais souvent fréquenter cet endroit. Je vais même avoir la chance d’y jouer, de fouler sa scène mythique, d’y monter quelques projets. Non sans, vous vous en doutez, certains frissons me parcourant l’échine.

    À l’époque, la bande s’agrandit rapidement. Un certain Gérard Depardieu vint même un temps la rejoindre. C’est ainsi que Bertrand Blier a trouvé son casting parfait pour le novateur et irrévérencieux scénario des Valseuses²¹ : Dewaere/Depardieu/Miou-Miou. Le film est sorti en mars 1974 et s’est vu salué par un véritable tollé. Il a fait scandale, a écopé d’une interdiction aux moins de dix-huit ans. Il a même été accusé de pornographie. Pourtant, il n’en est rien. Aucun plan dit pornographique ne s’est immiscé dans cette écriture neuve, libérée, éclatée. Ce deuxième film de Blier demeure l’exemple parfait d’une liberté de ton enfin installée,

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