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Le grand écart: ou les 51 nouvelles de la joie de vivre
Le grand écart: ou les 51 nouvelles de la joie de vivre
Le grand écart: ou les 51 nouvelles de la joie de vivre
Livre électronique184 pages1 heure

Le grand écart: ou les 51 nouvelles de la joie de vivre

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À propos de ce livre électronique

51 récits drôles et émouvants d’une vie à hauteur d’homme...

Ces 51 « nouvelles du front » constituent un objet littéraire non identifié. Pierre Debauche y pratique le grand écart entre constat de l’absurde folie des hommes et exercice de la joie de vivre. Il se livre dans un cheminement narratif fulgurant qui nous conduit, des anecdotes de l’enfance, d’une vie d’homme sans regrets, à l’universalité de la condition humaine.
L’homme fuit les formes figées comme les étiquettes : le poème s’invite, surgit au détour d’un récit, manière d’aphorisme. Sans cesse à l’affût d’expressions singulières, Pierre Debauche défriche de nouveaux sentiers qu’il arpente en homme libre. C’est en faux naïf – il faut être un petit peu dupe, se plaît-il à rappeler – qu’il accueille l’altérité comme une chance sans cesse renouvelée de créer du sens.

Héritier d’une éducation paternelle déterminante, Pierre Debauche écrit comme il joue ou met en scène, dans une invitation permanente à l’apprentissage du désir. Il nous mouille jusqu’au cou : ces 51 nouvelles, souvent initiatiques, sont autant de petites vagues qui nous portent et nous jettent dans la vie, éveillant singulièrement, parfois brutalement, le désir de s’échapper, de fuir le conformisme et la bien-pensance.

Au fil des textes, on entre en belgitude comme en humanité : Pierre Debauche nous entraîne dans cette quête farouche de liberté dont il faut bien payer le prix... Et de reprendre en chœur, avec lui : « Mais qui m’accueillera bordel ? »

Un témoignage incontournable sur l’histoire du théâtre de 1950 à aujourd’hui.

EXTRAIT de LA DEUXIÈME HUMILIATION - ÉTÉ 1944

Nous attendions les américains avec leurs chars étoilés et leurs kilos d’oranges. Nous nous étions réfugiés dans le petit village de Lustin. Dans une grotte voisine ensuite. En plein milieu des champs et en suivant un petit oiseau qui sautillait nous indiquant le chemin. Et maman qui prétendait que le moineau était notre père venu à la rescousse. La grotte était profonde. Nous y étions bien trente-cinq personnes de tous les âges dont l’humour s’était dissous dans l’humidité et la froidure. Le plus lucide d’entre tous a dit : « Et si un allemand jetait une grenade dans la grotte ? Juste pour voir. » Je me suis racrapoté un peu plus.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Acteur, metteur en scène, professeur d’art dramatique, dramaturge et poète, Pierre Debauche est né à Namur en 1930.
Pionnier de la décentralisation théâtrale, il a fondé, dirigé ou aidé à la création de dix-sept théâtres, Maisons de la Culture et festivals, parmi lesquels le théâtre Daniel Sorano à Vincennes, les Amandiers à Nanterre, le festival des Francophonies à Limoges, le CDN du Limousin, le Grand Huit à Rennes...
Après avoir enseigné de 1971 à 1982 au Conservatoire national de Paris, puis au Mexique et à Fort-de-France, il crée à Paris, en 1990, avec Françoise Danell une École supérieure d’art dramatique.
En 1994, il s’installe à Agen et fonde le Théâtre du jour qui réunit en son lieu : l’École supérieure d’art dramatique et de comédie musicale (Théâtre École d’Aquitaine) et la Compagnie Pierre Debauche.
Il signe chaque année de nouvelles mises en scène.
LangueFrançais
Date de sortie22 déc. 2017
ISBN9791092173376
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    Le grand écart - Pierre Debauche

    Couverture : Pierre Debauche Le grand écart ou les 51 nouvelles de la joie de vivre Avant-propos de Daniel Mesguich L'IRE DES MARGESPage de titre : Le grand écart ou les 51 nouvelles de la joie de vivre Pierre Debauche L'IRE DES MARGES

    … peut-être le dernier mot, celui qu’on voulait toujours avoir, prend-il la peine d’encore voltiger un moment comme une feuille morte un peu têtue.

    Avant-propos

    de Daniel Mesguich

    Pierre Debauche est un homme de théâtre. Comme on dirait : un bonhomme de neige. Oui, il est essentiellement fait de cela. Sans aucun doute, et depuis longtemps, l’un des plus importants de notre époque.

    Peut-être, pourtant, ne le connaissez-vous pas ? Peut-être n’avez-vous fait qu’entendre prononcer son nom – et dans ce cas, souvent, n’est-ce pas ? – par tel ou tel acteur, spectateur, que, lui, vous connaissez ?

    C’est probablement, d’abord, parce que le théâtre – art vivant, petit village irréductible au cœur d’un territoire colonisé par mille pratiques du « différé », voire du « duplicata » – ne rend plus célèbre aujourd’hui comme il le faisait encore au temps de Sarah Bernhardt, ou même à celui de Louis Jouvet…

    Mais c’est, surtout – s’agissant de Pierre Debauche –, parce qu’il marche.

    Parce qu’il est en marche (qu’il l’a toujours été, nous le savons maintenant par ce recueil) et qu’il faut bien, pour « identifier » un artiste, pour le reconnaître, l’arrêter, momentanément au moins, le confondre à son « œuvre », le figer en un lieu d’où l’on pourra le circonscrire, le nommer. Le tenir

    Or, Pierre Debauche est intenable. Son « œuvre » à lui n’est que flux et irrigation. Dix idées par jour. Et parfois onze. Son œuvre ressemble à l’aube, à l’enfance, au désir, à l’écoute du grand silence. À la promesse.

    En lançant aujourd’hui – comme depuis quelque halte, quelque retour en arrière, (mais ne vous laissez pas prendre, tout cela est du présent) – ses 51 nouvelles de la joie de vivre, comme 51 instantanés de secrets, tantôt simplement émouvants, beaux à pleurer (oui, j’ai pleuré), tantôt (presque toujours, en vérité) drôles (oui, j’ai ri aussi) et toujours, sous ce qui semble la confidence de quelque passé, un véritable clin d’œil analytique pour l’à-venir – Pierre Debauche fait encore du théâtre.

    S’il ouvre ici – et nous donne à lire – ces 51 scènes qui-ne-se-jouent-pas, ces 51 scènes à lire sous la scène, c’est pour mieux jouer, pour mieux lire, pour mieux donner toutes les autres scènes.

    Ce n’est pas là, pourtant, quelque voie royale qui mènerait au théâtre mais, humblement quoique superbement, quelques chemins de traverse qui l’y ont mené, lui, qui l’y mènent, comme pour nous dire : à vous d’épouser, de dévoiler ou d’inventer les vôtres. 51 nouvelles, comme, indirectement, l’éloge le plus flamboyant du discours indirect.

    Pierre Debauche n’est fait que de théâtre, mais ce mot, chez lui, excède de loin ce qui ne désignerait qu’une profession (même si elle en est une aussi, et des plus précises). C’est l’art même de vivre.

    Si nous tous qui faisons aujourd’hui du théâtre lui devons tant – et cette dette est infinie, « irremboursable » – c’est surtout parce que s’il sait ce qu’il donne, et à qui il donne, il ne sait pas qu’il donne. Et c’est – cela – parce qu’il a confiance en l’autre.

    C’est de ce qu’il sait que l’autre, même celui qui en semblerait au premier abord le moins digne, est capable de tous les dépassements de lui-même, pourra faire éclore en lui le don le plus précis, le plus difficile, en apparence le moins « donnable » – qu’il donne sans compter, sans savoir. Pierre Debauche n’a pas peur de l’autre.

    Nous qui lui devons tant, donc, nous l’avons toujours connu jeune. Même si l’on peut dire qu’il ne l’est plus autant aujourd’hui, nous savons bien, nous avons toujours su, qu’il était le plus jeune d’entre nous.

    Et voici qu’aujourd’hui ce jeune homme nous dit qu’il a été jeune. Eh bien, c’est là l’étrange et délicieuse saveur de ce recueil : ce passé qu’il relate si bien ne lui est pas arrivé. Il lui arrive. Il lui arrive chaque jour, à chaque seconde.

    Et voici – c’est 51 fois une bonne nouvelle – qu’il nous arrive à présent.

    Certes, nous n’avons pas forcément tous eu un père magnifique comme le sien, nous ne sommes pas tous semblables à ce grand Flandrin, fils naturel de Crommelynck, Ghelderode, Michaux, Magritte ou Delvaux, nous n’avons pas tous éprouvé directement la chaleur des fulgurances bonhommes, des fusées sentimentales ou intellectuelles, que ces petits poèmes en prose lancent vers nous, mais tout se passe ici comme si de se « recueillir » momentanément – et ludiquement – sur son « passé », de se rassembler sur un Pierre Debauche singulier que lui seul connait, un autre Pierre Debauche, universel, naissait, qui grandit encore celui que nous connaissions, ou croyions connaître.

    Mais, nous le savons, tous les avant-propos du monde ne diront jamais – car ici, comme au théâtre, nous sommes dans l’irrésumable (il faut y aller, c’est tout, et tout commentaire, parce qu’après coup, perd le « coup », précisément, qu’il prétend nommer) – tout l’humour de ces 51 petites pépites malicieuses, ni le style impeccable de ce poète qui joue d’une langue française aussi parfaite toujours qu’inattendue souvent.

    Disons donc simplement qu’écrivant ces 51 « lettres à ton âme », lecteur, Pierre Debauche, comme le geste de tel grand peintre menant son pinceau de la palette à la toile, a fait « quelque chose de bien ».

    Quelque chose, je te le dis, qui te fera du bien.

    À Jean Vilar,

    qui nous a restitué la virilité dans le romantisme.

    1 - Le fou Rousseau - 1939

    Monsieur Rousseau à chaque équinoxe chantait encadré par son chien assis des chansons de corps de garde ou de subtile grivoiserie. Et on voyait même dans la pénombre la tache blanche de son marcel. Il pilotait derrière notre magasin de tissus une échoppe où il était entouré de montres pas très modernes, pas très anciennes, des montres.

    Plus loin, les commerçants du marché aux légumes avaient mis dix-sept signatures sous une pétition souhaitant qu’on exporte à Dave le fou Rousseau.

    Dave c’est là qu’on parquait les dingues.

    Le marchand de légumes, Monsieur Pirotte (qui vendait des carottes) est venu voir mon père (115 kg de père) pour qu’il signe à son tour cette pétition humaniste.

    Mon père :

    – Toi tu as signé ça ?

    Acquiescement.

    La scène se passe à Namur en Wallonie en 1939.

    – Oui, dit Pirotte les carottes.

    – Tu barres ta signature là tout de suite devant moi ou tu prends mon poing dans la gueule.

    Et Monsieur Carotte s’est aussitôt soumis.

    Il ne faisait pas le poids.

    Mon père a joué le même scénario aux seize autres signataires.

    Maintenant nous sommes fin juin 1940. Nous revenons d’évacuation.

    Salut les Stukas, salut la femme morte enroulée dans un tapis sur la galerie de la voiture qui nous précède, notre auto confisquée à Lons-le-Saunier, notre cousin qui pour éblouir ma sœur qui avait peur des guêpes tirait au revolver (un vrai) sur les guêpes qu’il manquait, le train de première classe pour Sète, des wagons à ciel ouvert (avec des religieuses qui pissaient dans des casques). Puis le train longea, bien alignés sur un talus une centaine de cadavres du train précédant bombardé par l’aviation italienne, et enfin Luchon, Saint-Mamet dont les confitures m’ont poursuivi ensuite ; le marché triplait le prix des fruits pour les belges, tolérés à partir de midi.

    On est remontés. Le premier feldwebel à la démarcation.

    Puis la Beauce et puis la Picardie puis la Meuse et Namur la belle.

    Toute la rue commerçante pillée, à sac, par les chars de Guderian crachés par les Ardennes.

    Toute la rue pillée sauf un magasin dont les longues vitrines étaient intactes. Celui à nous. C’est que quand des guerriers devenus des pillards s’approchaient, le fou Rousseau sorti d’un conte à la Dracula leur foutait la pétoche avec des cris cruels capables de faire fuir tous les petits bourgeois du monde. C’était Béhémoth, c’était un dragon à sept bras, c’était tuez-moi si vous voulez. Et eux sortis de leurs chars, des jeunes gens dont l’avidité n’avait pas occulté le bon sens, ils s’en allaient.

    Nous sommes entrés par la porte de derrière (marché au chanvre) et au deuxième étage dans la cuisine nous avons retrouvé mon père qui s’était évadé du train qui l’emmenait en Silésie. Il avait mis par dérision son grand uniforme d’officier, l’épée au côté et toutes ses décorations : avec des grandes bassines et des pelles de plage, il nous faisait des confitures pour toute la guerre (on n’a jamais pu les finir).

    Le 12 juin 1942 il

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