Le b'hasard des coïncidences: Et autres incursions dans le monde des petits entrepreneurs en Afrique de l'Ouest
Par Eric Silvestre
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À propos de ce livre électronique
Eric Silvestre
Éric Silvestre vit actuellement entre la France, à Banon, en Haute Provence, et le Sénégal, à Thiès, où il est acteur d'une expérience d'écohabitat, et à Podor, où il gère une Maison d'hôtes de caractère construite en 1864. Il a passé plus de 40 ans en Afrique, résidé dans six pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre, effectué des missions dans une vingtaine de pays jusqu'au Vietnam, en Haïti, au Rwanda et en Tunisie. Il a rédigé un premier roman récit, intitulé "La vie improbable de Julien des Faunes" dans lequel il relate la jeunesse d'un personnage qui lui ressemble, avec une première expérience africaine, au Cameroun. Puis un deuxième, intitulé "Le b'hasard des coïncidences", où il évoque son parcours professionnel dans le monde de la micro-entreprise, en même temps que sa vie d'expatrié. Dans ce troisième ouvrage, intitulé "Moins cher", en référence à cette mauvaises habitude ouest-africaine de tout vouloir acheter moins cher, et par-là, de finir par tout faire ou fabriquer moins cher, il entre de façon beaucoup plus concrète dans la problématique du développement de la microentreprise.
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Aperçu du livre
Le b'hasard des coïncidences - Eric Silvestre
Du même auteur
Roman : The Book Edition – 2019
Livres en chantier
Moins seer (Moins cher)
Vingt ans auprès des artisans et micro-entrepreneurs
Témoignage
Banon : La folle épopée des années 70
Ouvrage collectif à tirage limité
Recueil de nouvelles insolites
Nouvelles
A celles et ceux qui nous ont quittés trop vite :
Mon père Marcel Silvestre, ma sœur Marielle, mon cousin Hervé.
Mes amies Anne Jean-Bart et Rose Michaud.
Mes amis Daniel Ramet, Hervé Dubreil, Pierre Martel, Serge Devic,
Tommy Diallo, Oumar Ly, Demba Assane Sy, Seydina Insa Wade.
Mes potes, Papis, Ali, Doudou, Ousseynou.
Mes collègues Hamadou Konaté,
Babacar Niang, Yakouba Coulibaly.
A Ma mère, centenaire, qui ne pourra pas me lire !
A mes familles première et élargie,
sœur, beau-frère, nièces, neveux, fils, filleuls, et petits-enfants,
dont les deux petits Éric, devenus petits Julien le temps d’un livre
Table des matières
Préface
Chapitre 1 : Le b’hasard des coïncidences
Chapitre 2 : les années 70/80
La parenthèse mauritanienne
La parenthèse cinéma
Le film sur les apprentis mécaniciens
Le film sur les jeunes pêcheurs
Le film sur la journée de trois enfants
La parenthèse Enda
Vincent, Seydina, Christian, et les autres,
Vincent Roca
Seydina Insa Wade
Christian Rist
Les enfants de la rue
Chapitre 3 : Les traversées du désert
Chapitre 4 : début de normalité
Chapitre 5 : Le Mali
Les maîtres du feu
Les potières
Les forgerons fondeurs récupérateurs
Chapitre 6 : Première mission de consultant
Chapitre 7 : Le Burkina Faso
Chapitre 8 : Parcours de consultant
Chapitre 9 : Le Niger
Chapitre 10 : Mission éclair au Vietnam
Chapitre 11 : Le Sénégal
Chapitre 12 : Les dernières missions
Guinée Bissau : it’s not a pizza !
La cerise sur le gâteau : le Cabo verde
La der des ders
Chapitre 13 : La retraite, pour de vrai
Chapitre 14 : Histoire de terre
Clap de fin
Bibliographie
Photographies
Remerciements
Table des matières
Notes de lecture
Préface
« Hier soir, j’ai fait un rêve,
Je me suis réveillé, et le rêve m’a montré la voie.
J’ai rêvé qu’on peut avoir le même père, la même mère,
La même éducation dans la même maison,
Mais que chacun a sa voie. »
Seydina Insa Wade (Gent)
Avant d’avoir une fin, les histoires ont une suite. Ce n’est pas un proverbe, ni un dicton, juste un constat. C’est aussi un argument pour justifier l’écriture d’un second ouvrage après un premier. Ceci, par contre, est une lapalissade, diront certains !
Le présent ouvrage constitue la suite de La vie improbable de Julien des Faunes, un roman/récit qui nous a laissés dans un village de Haute Provence en 1975. Ce Tome 2 commence dans les années 70/80, après les changements sociaux, culturels et politiques des années 60, ponctuées par le LSD et Timothy Leary, en Amérique, mai 68, en Europe, quelques livres culte, de Jack Kerouac, HD Thoreau, Aldous Huxley, Carlos Castaneda, Her-man Hess, et en France Michel Lancelot, et puis la route, vers l’Inde, l’Afrique ou la campagne. Sans oublier la musique, de Jefferson Airplane à Gérard Manset, via les Beatles et Ravi Shankar.
« Il suffit d’écouter la musique des années 70 pour comprendre à quel point ces années ont été belles », dit David Crosby à la fin du documentaire Laurel canyon, diffusé par Arte fin 2020.
L’histoire se poursuit avec les années 90/2015, qui, pour Julien des Faunes, ont été plus sérieuses. Toujours improbables, ponctuées par des hasards et des coïncidences prolifiques.
« Tout ou presque, dans ce livre, est récit, donc exact », tient à préciser Julien. Contrairement au livre précédent, où la part de fiction occupait une certaine place. Ici, elle est totalement absente. Ou presque. Ce B’hasard des coïncidences est une sorte de Samaritaine où l’on trouve de tout, des moutons, des conseillers techniques, une table qui double une voiture, des esclaves, des vodkas orange corsées, un tonton macoute en furie, de la bière de mil, un bébé emmené en voyage d’étude, un système de financement abracadabrant, des musiciens, des comédiens, des maisons en terre, ... Et quelques évocations du monde de la micro-entreprise, de l’apprentissage, du micro-crédit, de l’organisation du secteur artisanal, de l’insertion des jeunes et de la formation professionnelle.
Tout est mis en scène et en ordre par Guillaume, le jeune architecte que Julien des Faunes dit avoir rencontré dans une librairie de Pushkar. Avec quelques coups de mains des petits Julien, qui ne manquent pas les occasions de tirer les vers du nez de leur improbable grand-père.
Chapitre 1 : Le b’hasard des coïncidences
« Vivre est la chose la plus rare,
la plupart des gens se contentent d’exister »
Oscar Wilde
− Avant d’en venir à notre nouveau projet, demande Guillaume, j’aimerais vous demander une faveur.
− Je t’en prie, Guillaume, à quoi penses-tu exactement ? Répond Julien des Faunes.
− J’aimerais vous appeler Julien, si cela ne vous dérange pas, ça serait plus simple !
− Evidemment que non ! D’ailleurs, à la lecture de ton livre, j’ai trouvé qu’il y avait trop de Julien des Faunes dans le texte. Tu aurais pu sauter le pas plus tôt !
− Ok. Venons-en maintenant à notre projet de tome 2, si vous le voulez bien, dit Guillaume. Nous avons du pain sur la planche, avec plus de quarante ans de vie à décrypter ! Je vois qu’il y a ici deux jeunes garçons qui trépignent d’impatience et ont, semble-t-il, une question au bout des lèvres depuis quelques minutes.
Ce sont les deux petits Julien. Leur grand-père se tourne vers eux et les invite à entrer dans la conversation.
− Papy Julien, dit l’un d’eux, nous avons une question à te poser. Tu es notre grand-père mais comment se fait-il que tu sois blanc et que nous soyons noirs ?
− C’est une bonne question, répond Julien, et je sens qu’elle vous tarabuste depuis pas mal de temps !
− Elle nous quoi, papy ? Demande l’un des enfants.
− Elle vous tarabuste, répond son grand-père. C’est un mot bizarre, en effet, cher à Boby Lapointe, un chanteur français des années 60 qui aimait jouer avec les mots. Tarabuster veut dire tourmenter, torturer. La réponse à votre question est liée à une série de hasards et de coïncidences sur lesquels je reviendrai de temps en temps.
− Mais d’ailleurs, est-ce que vous connaissez le sens de ces mots un peu compliqués ? Demande Julien.
− Bien sûr, papy. Le hasard est une chose qui arrive au moment où l’on ne s’y attend pas, répond un des petits Julien.
− Les coïncidences sont des choses qui arrivent en même temps, dit l’autre.
− Vous êtes brillants mes biquets ! S’exclame leur grand-père. Vous verrez que ma vie s’est construite au gré de hasards et de coïncidences, en effet, et que cela est également valable pour mon travail. Sans compter le fait d’avoir des petits-enfants noirs : vous. Vous savez, dit Julien, ce sont ces hasards et coïncidences qui m’ont donné des occasions de changer de travail, de statuts et de pays, et aussi de croiser les routes de vos papas que j’ai adoptés ou qui sont devenus mes filleuls. Mais vous, par contre, vous n’êtes pas le fruit d’un hasard ou d’une coïncidence. Vous êtes les fils de mes fils et filleuls, tout beaux et bien vivants : mes petits-fils donc. Noirs, il est vrai, mais là n’est pas le problème. C’est une situation à laquelle on ne peut rien changer. Alors pourquoi s’en inquiéter ? C’est comme ça. Si problème il y a, c’est plus que vous êtes tous les deux à cheval entre deux cultures, celle de vos parents africains, et la mienne, car vous avez maintenant des ancêtres noirs et des ancêtres blancs !
− Tu parles de Muti ? Demande l’un des petits Julien.
− Oui, lui répond Julien. Votre arrière-grand-mère. Cette affaire de double culture est beaucoup plus complexe que nos couleurs de peaux respectives. Nous en reparlerons tranquillement. Depuis que j’ai adopté vos papas, mes ancêtres sont un peu devenus les vôtres, et à travers eux, vous pourrez comprendre certaines choses sur la société et la culture françaises.
− Sur les gaulois ? Demande l’un des enfants.
− Mais non, pas les gaulois ! Ça c’est une histoire beaucoup plus vieille, dit Julien. Moi je vous parle de mes ancêtres proches, mon père, mes deux grands-pères, mes quatre arrière-grands-pères, à propos de qui je vous raconterai quelques petites histoires.
− On ne les a pas connus ! S’exclame un des petits Julien.
− Non, bien sûr, répond Julien. Moi non plus, d’ailleurs. Si vous connaissez un peu leur histoire, vous comprendrez un peu mieux la mienne, et celle de votre deuxième pays, la France. C’est important de connaître l’histoire et la culture du pays dans lequel on vit. Et comme je vous le disais, vous avez la chance d’avoir deux pays, donc deux histoires et deux cultures !
− Waouh ! S’exclament les enfants. Ça va faire du taf pour nous souvenir de tout ce que tu vas nous raconter !
− Oui, répond Julien, mais ça sera passionnant. Vous en saurez deux fois plus que vos copains et copines.
− Mon papa m’a dit que mon arrière-grand-père était tirailleur sénégalais, et qu’il a travaillé comme cuisinier pendant la guerre, en France. Puis au Sénégal, à son retour.
− C’est vrai, lui répond Julien. Et bien parlons-en, justement. Tu connais le métier de ton papa ?
− Oui, il est chef cuisinier, répond son petit-fils.
− Et alors, demande son grand-père, qu’est-ce que tu en conclues ? Tu ne penses pas qu’il y a un lien entre l’histoire de ton père et celle de son grand-père ! Quand j’ai commencé à m’occuper de ton papa, j’ai compris qu’il aimait faire la cuisine, je m’en suis étonné, mais quand il m’a parlé de ce grand-père cuisinier, j’ai compris qu’il avait des gènes de cuisinier ! Tu comprends que son choix de devenir cuisinier est très certainement lié à l’histoire de son grand-père.
− C’est vrai papy, je n’y avais pas pensé, lui répond le petit Julien. Mon papa m’a parlé du vieux qui lui demandait de préparer des bonnes soupes ! Maintenant je comprends pourquoi. C’était un connaisseur !
− Vous voyez que là-aussi, c’est un peu une affaire de double culture, leur dit Julien. C’est une chance d’être le fruit de deux cultures. Une belle opportunité pour comprendre le monde. Mais en même temps, c’est du travail en perspective, vous l’avez compris aussi. Mais rassurez-vous, je vais écrire un livre spécialement pour vous.
La vie de Julien évoquée dans ce livre commence, on l’a dit, en 1975, après une première tranche de vie en Afrique centrale. La deuxième nous amènera en 1990, puis suivront deux décennies, de son entrée au BIT, en 1990 donc, à sa retraite, en 2010. Et même un peu plus loin, jusqu’en 2015. Les hasards et les coïncidences se chargeront de poser sur sa route des balises et des clignotants qui l’amèneront à séjourner et voyager dans de nombreux pays, jusqu’aux Caraïbes et en Asie, à prendre de nombreuses routes de traverse, à occuper des postes inattendus, à rencontrer des personnes avec lesquelles il fera équipe, travaillera et conservera des liens d’amitié tenaces. Sans compter celles qui l’amèneront à créer cette famille plurielle dont la dimension multicolore étonne ses petits-enfants.
Chapitre 2 : les années 70/80
Les années 70/80 furent pour Julien celles du grand ménage. Il vécut cette période de façon totalement décousue, passant d’un job à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une période faste à une de vaches maigres, au fil des hasards et des coïncidences, on le sait. « La maison que nous avons achetée au retour de mon premier séjour en Afrique est immense ! Nos amis nous ont traités de fous quand ils ont vu ces deux maisons de quatre niveaux chacune, avec plus de huit cents mètres carrés habitables ! Il est vrai qu’il fallait être un peu fous pour acheter un truc pareil. »
− Vous l’avez restaurée vous-mêmes ? Dit Guillaume.
− Oui, évidemment, répond Julien. Nous n’avions pas le choix. Nous avions tout juste de quoi l’acheter et nous étions loin d’avoir les moyens de payer une entreprise pour la restaurer. Nous avons emprunté 25 000 francs (4 000 €) et attaqué les travaux dès notre arrivée.
− J’ai une belle histoire à te raconter à propos de notre première nuit dans la maison, dit encore Julien.
− Vers deux heures du matin, deux gendarmes se sont présentés devant la porte d’entrée avec un énorme berger allemand. Piba, notre chien, qui était derrière la porte, s’est mis à hurler aussi fort que l’autre et tout leur brouhahas nous a réveillés. Nous dormions au deuxième étage, dans la seule pièce habitable.
Je me suis penché à la fenêtre et j’ai demandé à ces enfoirés de gendarmes ce qu’ils voulaient. « De quel droit dormez-vous dans cette maison ? » M’ont-ils demandé. Du droit du propriétaire, leur ai-je répondu. Ce qui les calmés.
− Ils avaient le droit de vous réveiller en pleine nuit ? Demande Guillaume.
− Je ne pense pas, répond Julien, mais ils venaient de monter une traque qui avait foiré et du coup ils étaient sur le qui-vive car ils ne voulaient pas se planter une seconde fois.
La maison avait été squattée plusieurs fois par des trafiquants d’herbe, et ils venaient d’organiser quelques jours plus tôt une descente du genre commando, avec encerclement du vieux village, talkie-walkie, et toute l’armada. Mais ils firent chou blanc, car les supposés hippies avaient fui juste avant ! Il fallait qu’ils se rattrapent, raison pour laquelle ils ne laissèrent pas aux nouveaux venus le temps de disparaître avant de les interpeller. Sauf que les deux cousins étaient dans leur droit. Le lendemain, têtes quasiment rasées pour cause de connexion avec le centre thi-bétain d’Aix en Provence, ils rendirent visite au chef de la gendarmerie pour décliner leurs identités. Ce dernier en profita pour leur faire une description apocalyptique de la situation des jeunes de l’époque, cheveux longs, mal rasés, fumeurs de chanvre indien, et tutti quanti. Puis il leur demanda leurs cartes d’identité pour noter leurs noms. A la vue des photos et des cheveux de ses interlocuteurs, le chef des gendarmes faillit tomber à la renverse ! Il comprit à cet instant qu’il avait tout faux !
Les années qui suivirent furent le théâtre d’évènements passablement improbables, entre les travaux, les stages, les rencontres, les spectacles, et d’autres de tous ordres. Les banonais, leur avait dit le maire à leur arrivée, vous attendent à deux virages : d’abord la réfection du toit, et ensuite de passer l’hiver dans la maison.
« Ce que nous avons fait, conclue Julien, avec, en plus, un bébé d’un an dans la maison. Quant aux toits, nous avons refait intégralement celui de la maison de droite, puis la partie écroulée de celle de gauche ». La vie dans l’hôtel-Dieu était spartiate et dans l’air du temps. « Nous ne mangions quasiment pas de viande, mais plutôt des céréales, de la gaude, une farine de maïs grillé très prisée par les maghrébins, du riz complet, bien sûr, et il nous arrivait même de cuire notre pain ou de faire nos propres fromages avec du lait que nous achetions au village », raconte Julien. L’aménagement d’une salle de douche avec de l’eau chaude et la présence du téléphone les faisait passer, aux yeux des babas du coin, pour des bourgeois. Chacun son truc ! « Certains amis ne se firent pas prier pour venir prendre des douches chez nous, ou passer des coups fil ! » Dit Julien. C’était la grande époque du jazz rock, et la salle de musique aménagée dans l’une des grandes pièces du deuxième étage, fonctionnait à fond. « Il y faisait un froid de canard, mais enveloppés dans des couvertures chaudes nous y étions bien. Pas mal enfumés, souvent, la tête un peu dans les nuages, parfois, mais bon, ça nous donnait des idées. » La maison côté Nord était immense et ses nouveaux propriétaires s’installèrent au seul niveau habitable, le premier étage, qui est aussi le rez-de-jardin.
Les étages supérieurs étaient à ce moment-là des passoires battus par les vents et la pluie, aussi leur restauration fut elle rapidement engagée. Quand Julien et son cousin n’étaient pas sur les machines à bois, ils étaient sur le toit, ou dans les étages. Tout le monde mit la main à la pâte, les parents des uns et des autres, les amis, les cousins. Sans compter un jeune architecte qui se présenta un jour et leur reprocha d’occuper sa maison qu’il prétendit avoir achetée ! Il est vrai qu’elle trônait quelques dizaines de mètres au-dessus de la maison de ses parents et il en rêvait depuis son enfance. Il avait envoyé une lettre à la propriétaire avec une offre d’achat ambiguë qu’elle ne retint pas. Heureusement pour Julien et ses amis !
D’autres candidats y avaient pensé mais s’étaient présentés trop tôt, quand les deux maisons n’avaient pas de propriétaire officiel et ne pouvait être achetée. Une affaire d’association, à qui la bonne sœur défroquée qui avait achetée et transformée la maison en colonie de vacances pour jeunes filles de bonnes familles, l’avait cédée, avant de quitter le village. Tout rentra dans l’ordre quand son frère prit les choses en mains, organisa une assemblée générale de ladite association qui restitua la maison à sa propriétaire officielle, puis il la mit en vente. Julien et ses cousins arrivèrent au bon moment.
Ils baptisèrent Maison des sœurs la bâtisse côté Sud, au regard de son histoire. Elle avait hébergé un four banal, un atelier d’artisan et, surtout, l’hôpital public de Banon. Pendant deux siècles, aux 17e et 18e. Une longue histoire dont aujourd’hui encore, certains visiteurs un peu médiums ressentent les vibrations dans les murs. Vers 1830, l’hôpital fut transféré dans la maison d’en face, réaménagée pour la circonstance, et baptisé hôtel-Dieu car géré par des religieuses qui habitèrent donc en face. On parle aujourd’hui d’ancien hôtel-Dieu pour désigner l’ensemble de ces deux bâtisses. La menuiserie fut installée dans la Maison des sœurs, dans la pièce qui fut autrefois l’hôpital. Les deux comparses s’y chauffèrent pendant leur premier hiver avec un poêle à sciure archaïque qui leur explosa deux ou trois fois à la figure, risquant de mettre le feu à l’atelier.
Ils fabriquèrent des jouets, des planches à roulettes, qu’ils baptisèrent dirigeables, des poussettes, des camions, et des objets en bois qu’ils vendaient sur les marchés ou dans les boutiques spécialisées. Janine Levy, une amie pédiatre du Revest des Brousses, leur donna l’idée de fabriquer les jouets éducatifs dont elle préconisait l’utilisation par les crèches dans son livre « L’éveil du tout petit¹ ». A ce titre, ils créèrent des chariots de marche dont ils vendirent des exemplaires préfabriqués à des établissements spécialisés² où des jeunes handicapés en assuraient la finition.
Un ami de Julien, ancien du Cameroun et instituteur Freinet, écologiste avant l’heure devenu apiculteur, vint passer quelques jours à Banon pour fabriquer des ruches. Son passé politique au PSU leur permit d’alimenter de chaudes discussions sur la vie des deux menuisiers fraîchement installés. Jean les étonna quand il leur dit : « Si vous travaillez comme vous le faites en ce moment, vous gagnerez tout juste de quoi bouffer. Si vous voulez gagner de l’argent, il faut créer et vendre vos idées. » Cette phrase laissa des traces dans leurs têtes. De même qu’une autre, prononcée par un vieux menuisier qui vendait tout son matériel avant de partir à la retraite. Venus le voir pour acheter quelques outils, ils abordèrent la question des machines-outils, très utiles et performantes, selon le vieil homme, mais extrêmement dangereuses. Pour bien se faire comprendre, le vieux menuisier leva la main droite, trois doigts tendus vers le haut, et leur dit : « Vous savez, les menuisiers, ils ont tous cinq enfants ! »
− Waouh, s’exclame Guillaume, un conseil comme celui-là, ça ne vous laisse pas sans réaction ! En témoigne d’ailleurs l’émotion que je perçois dans votre voix.
Pendant l’été 76, ils se rendirent au Castellet avec des amis pour un concert rock qui sentait bon Woodstock ou l’Ile de Wight. Ils y virent et écoutèrent quelques grands musiciens de l’époque, dont Weather report, Joe Coker, John Mac Laughlin et Shakti, Larry Coryell.
Le lendemain à l’aube, ils furent l’objet d’une