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Le Modèle: Finaliste du Prix des lecteurs Club 2016
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Livre électronique209 pages3 heures

Le Modèle: Finaliste du Prix des lecteurs Club 2016

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À propos de ce livre électronique

Plongeon au cœur de la civilisation japonaise

Jacques-san, jeune chercheur en climatologie, nous offre une percée rare dans les arcanes de la simulation climatique à Tokyo et dévoile au lecteur l’envers du décor des prédictions planétaires.
Et si le futur s’annonce en catastrophes multiples dans la chambre de notre universitaire quelque peu extravagant, les gens se bousculent à sa porte pour savoir s’il vaut mieux investir dans le vin en Chine ou cultiver des insectes sur la bande côtière de la province pakistanaise de Sind.

Le roman évolue avec humour et légèreté, posant un regard tendre et amusé sur les codes et rituels de la société japonaise. Il nous embarque aux confins de la beauté de notre Terre, nous rappelant que l’essentiel est de vivre, d’observer, de goûter au silence. Sagesse nippone.

Manuel Capouet signe avec Le Modèle un roman d’une exceptionnelle originalité et actualité.

EXTRAIT

La terre n’était maintenant plus qu’à cinquante millions de kilomètres du soleil et était irradiée d’un flux solaire ultraviolet sept fois plus puissant que d’ordinaire. L’eau des océans s’évaporait à toute allure, tandis que la proximité combinée de Mercure et du soleil provoquait des raz de marée terrifiants qui engloutissaient les mégapoles humaines. (...) Il fallait agir vite. C’est à ce moment-là qu’une secrétaire amidonnée s’est pointée à ma table en me disant que Nishimura Sensei voulait me voir.

- Ima ? Maintenant ? demandai-je.
Elle parut surprise... On ne faisait pas attendre le Sensei.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Saluons [...] les éditions Diagonale, spécialisées dans les premiers romans, pour avoir accordé son terreau à cette fiction singulière, entre dystopie, récit de voyage et réflexions philosophiques. - Anne-Lise Remacle, Le Carnet et les Instants

Synesthésies des saveurs, des odeurs, des sensations, le roman est parsemé de kaléidoscopes visuels et sonores. - Espace Livres & Création

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1974, Manuel Capouet vit à Waterloo. Expert en chimie environnementale, il a travaillé sur des super-modèles climatiques. Sa nouvelle Tokyo a été sélectionnée en 2012 parmi les meilleurs textes du concours « Crescendo » de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le Modèle est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurDiagonale
Date de sortie30 nov. 2016
ISBN9782960132175
Le Modèle: Finaliste du Prix des lecteurs Club 2016

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    Aperçu du livre

    Le Modèle - Manuel Capouet

    Emilion

    1

    Tokyo ne ressemble pas aux villes européennes. Nos villes sont profondément humaines, tandis que Tokyo paraît suspendue comme un nid de guêpes monstrueux qui n’a d’autre fin que de croître. Sur le sol asphalté, entre les parois de verres et d’acier, les flots humains se mêlent aux flots des voitures et à ceux des trains. Surgit au milieu de cette uniformité moderne une image d’Épinal que j’ai à peine le temps de capter. Une vieille femme gravit les marches d’un pont d’antan. Sa tête dépasse à peine de son épais costume trop grand pour elle. Elle a le visage sec et crevassé comme le bois du temple vermoulu qu’elle a quitté. L’image dure un instant et puis est emportée par la nuée moderne. La nouveauté s’élève, le passé disparaît et des colimaçons d’escalators se déroulent entre ces deux mondes de tradition et de modernité. Tokyo ressemble à une cité obscure de Peeters et Schuiten qui engloutit ceux qui osent s’y aventurer. Tellement présente, fourmillante au quotidien et pourtant absente, hors de portée.

    – Oh Man. That makes a bunch of pussies waiting for us.

    Il est blond, aryen, assis à ma gauche. Plus jeune que moi. Peut-être vingt ans. Un visage qui a été fin, mais qui s’arrondit déjà de fast-food et de réflexions fines sur le classement de la ligue de base-ball de la côte est. Il porte un large sweat-shirt avec un truc inscrit en relief et en grosses lettres. Un Américain sans casquette.

    Nous sommes une quinzaine d’étudiants détenteurs d’une bourse de recherche octroyée par le Monbusho¹ contre la promesse de revenir au pays sitôt notre étude terminée. « Séjour ! Pas immigration ! », avait répété le représentant de l’ambassadeur. « Mochiron ! Mochiron !² », avions-nous répondu les yeux au plafond.

    – Where from ? me demande-t-il.

    – Belgium.

    Il fronce les sourcils. Aucune envie de retaper l’éternel refrain, je corrige :

    – France.

    – Major ?

    – I am studying climate, climate modeling.

    – Oh man, conclut le Yankee, you gonna get all these japanese girls sticked to your shoes when you will tell them about the weather with your sweet French accent.

    – Well, climate and weather are not the same thing, you know, climate is more…

    – And you man, where are you from ? demande l’Américain en s’adressant au type assis à ma droite.

    Ce dernier nous dit qu’il est Allemand et qu’il vient de Berlin. Il est chercheur en philosophie. Joues creuses et regard noyé dans la ville, il se demande sans doute s’il a fait le bon choix. L’Américain ne fait aucun commentaire sur la Seconde Guerre mondiale ou sur les voitures allemandes. Il retourne à ses pensées sur la dizaine de millions de Japonaises qui l’attendent.

    Le bus roule au pas. J’ouvre une fenêtre pour avoir un peu de fraîcheur et je sens dans l’air une odeur salée et vinaigrée, une odeur de port maritime et de halles aux poissons. Pourtant la mère nourricière reste invisible, tapie dans sa baie derrière Tokyo.

    Des mélodies publicitaires pétillantes se déversent à l’intérieur du bus. Des voix aussi : appels de démarcheurs vêtus de parkas en plastique aux couleurs chimiques, couinements de gamines distribuant des prospectus et, plus haut, des maçons s’apostrophant sur des échafaudages. Leur visage est buriné par la poussière et le soleil. Ils marchent nonchalamment sur les poutres avec d’étranges semelles de caoutchouc. Leur pantalon large leur donne l’allure des samouraïs de Kurosawa.

    « Soumimasen, soumimasen, kochira desu, soumimasen³ » on me chuchote dans l’oreille en m’asticotant le bras. Le bus me jette sur un parvis et redémarre illico. Je viens sans doute d’être débarqué au logement universitaire. Je me coltine les valises jusqu’à la réception et je tombe sur le taulier, un homme d’une quarantaine d’années qui, plutôt que de me serrer la main, met le doigt sur son nez et me dit en détachant bien les mots : « I am Yuji, are you Djacque Rouan Micherou Guilin ? » Je reste planté devant lui avec mes valises et vingt-quatre heures de veille en attendant la suite. Apparemment lui aussi. Finalement, je comprends qu’il vient d’énoncer mes prénoms de baptême. Je mets la main sur ma poitrine :

    – I am Jacques ! Jacques only.

    Ma réponse le contrarie. Il répète :

    – Jacques Only ?

    – OK, yes, I am Jacques.

    Ouf ! Il paraît rassuré. La rencontre entre les deux civilisations s’engage sous les meilleurs augures. Il pointe à nouveau le nez :

    – I am 45, you are…?

    – 27.

    Il hoche la tête en répétant des : « OK, OK, OK, goodo, goodo. » Il me donne les clés de ma chambre :

    – My room is 110, your room is 230.

    Il me fait signe de le suivre dans son bureau, ouvre une armoire et me montre un aspirateur. « Sojiki ! », me dit-il. Je réponds un « Yes ! » sonore en hochant la tête. J’hésite à dire bonjour à l’appareil, mais Yujin referme la porte avant que je me décide à briser la glace. Il me sourit timidement en penchant la tête, façon reine Fabiola. Les présentations semblent finies pour aujourd’hui. Demain, on me présentera peut-être à la machine à laver. De toute façon, tout ce qui m’intéresse à l’instant, c’est de me glisser dans un lit. J’ai l’impression de marcher dans du coton.

    À peine arrivé, je sens déjà l’odeur marine et vinaigrée imprégner mes vêtements. Elle est déjà profonde et persistante. Certains prétendent que cette odeur, elle ne nous quitte plus, tout comme l’émoi unique et originel du premier jour passé dans cette ville. On n’arrive qu’une seule fois à Tokyo.

    *

    La chambre faisait quinze mètres carrés et comprenait un petit cagibi avec les toilettes et le lavabo. Le volume encore disponible était comblé par un lit occidental, un frigo, une table repliable avec ses petites étagères murales et moi. Je pouvais toucher les deux murs qui se faisaient face en écartant simplement les bras. C’est sûr, j’étais bien au Japon. Le maître d’œuvre de cette résidence universitaire avait dû freiner son ingéniosité à empiler les étudiants en imaginant des aménagements douteux. Il s’était indigné de tant de luxe d’espace. « C’est à cause des normes internationales », avait répondu l’architecte. « International ? Ça inclut le Japon ? ». On lui avait répondu par un haussement d’épaules. J’ai fait sommairement mon lit et je me suis tout de suite vautré. Le sommeil m’a gagné instantanément, mais après un laps de temps indéfiniment court, le téléphone a retenti. J’ai décroché, vaseux, avec la sale impression que c’était une manie d’empêcher les gens de dormir dans ce pays. Il y a eu le déclic d’une communication qu’on transfère et puis une voix qui appelait dans le vide :

    – Moshi moshi ?

    – Allô?

    – Moshi moshi ? I am professor Nishimura. Are you Jack Jian Micherou Guiri Guiri ?

    – Yes !

    Je me sentais si profondément ensablé dans mon sommeil, si loin de cette voix qui m’appelait, que j’ai dû crier dans le cornet.

    – You are arrived at lodging, aren’t you ?

    – Yes.

    – You come now, don’t you ?

    – …

    Je réussis à rassembler un peu de mes facultés pour éviter d’accepter et bafouillai des trucs sur l’administration, le permis de séjour, la clé de la chambre, le tout agrémenté de longs mots d’excuse, la tête inclinée pour signifier mon embarras de ne pouvoir venir le jour même (ça devait sûrement s’entendre à mon ton). Le professeur les accepta d’une voix neutre et me dit qu’il m’attendrait donc le lendemain à neuf heures à la station de métro devant l’université – un nom impossible à retenir. J’étais à peine arrivé que je maniais déjà l’art de la fausse excuse japonaise pour éviter de mettre mon interlocuteur dans l’embarras. Par honnêteté, j’ai débranché le téléphone et, cette fois, je me suis endormi pour de bon.

    Évidemment, je me suis réveillé à trois heures du matin, les yeux grands ouverts et la gorge sèche. L’appel de l’âme. Je suis sorti dans la nuit tokyoïte. Mon logement universitaire était situé dans un quartier résidentiel à l’ouest de la ville qui n’avait rien à voir avec le centre. Les immeubles ne dépassaient pas quatre étages et il y avait même de menues villas en bois entourées de jardinets cossus. J’ai fait le tour du quartier à la recherche d’une bouteille. Le contraste était total avec la journée. Les rues étaient mortes. Ni bruit, ni mouvement. Les feuilles des arbres n’osaient bouger de crainte de réveiller l’employé japonais éreinté par sa journée de labeur dans la City. J’avais l’impression d’être un intrus, alors je ne me suis pas éternisé dans le coin et je suis revenu au logement universitaire sans avoir trouvé ce que je cherchais. Près de la réception, une grande salle d’une trentaine de tables irradiées par des néons jaunes occupait presque tout le rez-de-chaussée. Une inscription en caractères latins sur la porte me signifia qu’il s’agissait du « Shokudo⁴ ». C’était désert à cette heure avancée de la nuit, mais il flottait ce parfum de tabac mouillé et de pisse houblonnée caractéristique des endroits qui refroidissent après la chaleur des beuveries estudiantines. Un vague salon avait été aménagé dans un coin avec quelques fauteuils disposés devant une large télévision clinquante. Le poste était encore allumé et diffusait des images de dunes de sable à perte de vue. La guerre s’invitait quelque part. Les tables étaient gluantes, couvertes de bouteilles et de verres, de sachets de chips et de cartons de pizza éventrés. Le vin et la bière renversés sur les tables gouttaient par terre en un mélange intéressant qui rendait le sol collant. J’aperçus un type assis par terre contre le mur du fond de la salle. Il dodelinait de la tête en gargouillant des trucs inintelligibles sortis tout droit de son rêve. À entendre sa respiration gutturale et difficile, il devait sans doute cuver pour quelques heures. Cette rencontre, certes un peu limitée, me requinqua subitement. Ah ! me dis-je, aussi loin que l’on puisse être, il reste des invariants humains dans le monde ! Des petites choses qui redonnent le goût de chez soi. Sur ces bonnes pensées, je me mis en quête d’une cigarette à crapoter parmi la centaine écrasée profondément dans le balatum. C’est alors que mon regard fut attiré par une bouteille de bière qui trônait sur l’une des tables. Elle était intacte. Le verre était glacé de gouttelettes d’humidité qui perlaient sur l’étiquette. La capsule était ronde et uniformément plane. La couronne, d’une courbure convexe parfaite, fermait l’entrée du goulot : vierge. Je regardai autour de moi à la dérobée. Personne à l’horizon des néons à part le comateux. Je me suis assis, j’ai défloré la belle et j’ai laissé glisser le liquide froid dans le fond de ma gorge. J’étais en train de me rincer le gosier quand j’ai senti une présence dans mon dos.

    – Tiens ! Un gaijin, just arrived friend ? me demanda un Arabe, superbement sapé qui faisait tourner un parapluie dans une de ses mains, façon Chaplin.

    – Yeah, It seems I missed my welcome party.

    – T’inquiète pas, il y en aura d’autres. Tu es Français ?

    – Belge. Je m’appelle Jacques.

    – Enchanté, Selim, Tunisie.

    Il poussa un soupir d’aise en s’asseyant sur la chaise en face de moi et s’appuya sur son parapluie.

    – Très cher ami, sache que tu vas vivre ton âge d’or ici, in Japan ! Drinks and girls ! Hein Victor ? dit-il en se tournant vers un grand type qui entrait dans la salle en tenant trois bouteilles de bière dans une seule main. Victor était massif et géométrique : une mâchoire carrée, des cheveux coupés au bol et un torse trapézoïdal parfait enfermé dans une parka ceinturée à la taille. Victor portait des jeans collants et de grosses chaussures de marche. Des cheveux jusqu’à ses pieds. Victor était noir brillant comme du caviar et plus noir encore était le regard qu’il m’adressa.

    – You hold my beer in your fucking hands mother, me dit-il.

    – Holà, holà, réagit l’Arabe, en frappant amicalement dans le dos de Victor. Cool down. He has just arrived. He is Belgian so he needs beer ! Beer makes his life ! dit-il en éclatant de rire. Ne t’inquiète pas mon ami ! Victor a des allures d’ours de l’Oural. À la fois facétieux et pugnace. Si tu tiens tête à l’ours russe, si tu sais le regarder dans les yeux, lui montrer que tu ne baisses pas ta garde, alors il finit par s’apaiser et il te mange dans la main. Allez, Victor, let’s drink to welcome our new friend !

    – Aaaaah ! cria Selim après s’être épanché, where are the girls ? Sa voix résonna dans la salle vide. « Aaaah, soupira-t-il encore, no more girls tonight ! Hein, Victor ? »

    Mais Victor écoutait à peine. Il vidait sa première bouteille en pensant déjà à la seconde.

    – En tout cas, bienvenue au kaikan.

    C’est sympathique ici.

    – Au quoi ?

    – Le ryo gakusei kaikan, « logement pour étudiants étrangers ». On l’appelle le kaikan entre nous. Environ trois cents résidents. Le monde entier y est représenté : une majorité de Chinois avec quelques bâtards de toute sorte. On entend beaucoup de langues ici : japonais, chinois, anglais, espagnol, arabe, russe…

    – Et le français ?

    – Oui, bien sûr, il y a des Africains et des Arabes.

    – Ah bon ?

    – Oui, la francophonie est bien représentée. En tout cas, le français a la cote auprès des Japonaises.

    – Et ils étudient quoi, tous ces étudiants, en général ?

    – Économie, littérature, technologie, informatique. Ce qu’il faut inscrire dans la petite case pour fuir son pays de malheur une fois pour toutes. Avec le renforcement des contrôles aux frontières, les bourses d’étude c’est ce qu’on fait de mieux en ce moment pour l’immigration économique. Qu’est-ce que tu étudies ?

    – Le climat.

    – Climatologue ? Tu prédis le temps ? s’esclaffa Selim, alors tu seras accueilli en hôte de marque partout où tu te rendras. Les Japonais adorent parler du temps ! C’est leur sujet de prédilection ! Nous, les Arabes, nous parlons de nos familles et de celles des autres. On a l’esprit de tribu. Faute de familles nombreuses, les Japonais placent leur instinct grégaire au niveau national. Les lignes du densha⁵ qui traversent Tokyo constituent un sujet inépuisable de conversation entre eux. Quelle ligne dessert quel coin, combien de temps ça prend, à quelle heure passe le dernier densha, s’il est encombré… De la conversation châtiée d’ambassadeur, c’est tout ce dont ils te parlent vraiment.

    – Sans doute, mais moi ce que j’étudie, c’est le climat. C’est autre chose, c’est l’étude des moyennes saisonnières qu’il fait dans une région du monde. L’ensoleillement, la luminosité, la température ou la pluviosité qu’il fait en moyenne quelque part. C’est ce qui détermine le climat, comme le climat méditerranéen, le climat continental ou le climat polaire. Tu vois ?

    – Je vois surtout que c’est large comme domaine !

    – En fait, ce qui m’intéresse c’est le déchet.

    – Quoi ? fit Selim, interloqué, mais qu’est-ce qu’il peut y avoir d’intéressant dans un déchet ?

    – C’est une question philosophique. Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal d’après toi ?

    – L’intelligence bien sûr !

    – Pas du tout, beaucoup d’animaux ont une intelligence proche de l’homme, le singe, pour ne citer qu’un exemple, et puis que fais-tu des déficients mentaux ? Non, dis-je d’un ton péremptoire, il faut un critère global qui ne souffre d’aucune ambiguïté ni exception.

    – Voyons, voyons, dit Selim en réfléchissant, la conscience d’être ? De notre finitude ?

    – Plusieurs familles de mammifères réussissent le test du miroir démontrant de cette manière qu’ils ont conscience d’eux-mêmes. Certains comme les éléphants en ont même une conscience aiguë. On a observé des rituels funéraires dans certains groupes lorsque l’un d’eux mourait.

    – La parole ?

    – Critère non pertinent assurément. Les dauphins ont un système de communication sonore extrêmement développé.

    – Ah ! J’y suis ! Homo habilis. Notre capacité à fabriquer des outils.

    – Certes, cette fois tu te rapproches, mais notre regard est biaisé. Nous nous comparons au reste de l’univers par rapport à nos qualités, mais la nature se fiche bien de notre intelligence. Il faut nous considérer d’un autre angle. Je vais te dire ce qui nous différencie du règne animal : notre capacité à produire des déchets qui échappent au recyclage naturel. De notre naissance jusqu’à notre dernier souffle, nous générons des matériaux transformés qui mettront des milliers d’années à être dégradés par l’environnement. Le singe devint homme grâce à sa capacité à fabriquer des outils. Certes. Mais surtout, il acquit la capacité de fabriquer une quantité monumentale de déchets. Nos excrétions nous définissent mieux que nos créations.

    – N’importe quelle espèce vivante produit des déchets, chaque jour, lorsqu’elle défèque.

    – La bouse de vache n’est pas un véritable déchet, il est assimilé par l’environnement en moins d’une année et fertilise les sols. Bien sûr, c’est un

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