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Le monde selon Flambeau: Récit chaleureux
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Le monde selon Flambeau: Récit chaleureux
Livre électronique227 pages3 heures

Le monde selon Flambeau: Récit chaleureux

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À propos de ce livre électronique

Et si un radiateur racontait ce qu'il avait vu et entendu durant un siècle d'existence ?

Nul ne saura pourquoi Flambeau, majestueux radiateur de fonte, est sorti de sa condition d’objet inerte pour emprunter la pensée des humains ! En un siècle d’existence à Paris, il aura accumulé de multiples vécus, des plus heureux aux plus terrifiants. D’abord éveillé aux sentiments par Momo Cavetoux, un aimable plombier qui l’installe et le met en eau, il partage la vie du jeune Joseph Poulait et de sa mère jusqu’à la fin de la guerre. À leur départ, l’appartement est transformé en cabinet de psychanalyste. Flambeau découvre alors Edmée Missoufle qui exerce devant lui et il passe plusieurs décennies à l’écoute des patients. Au décès de celle qui est devenue son mentor, il entre dans un état d’isolement et d’errance mentale. Dans le bureau abandonné puis saccagé par des marginaux, il affronte la violence et la destruction. Remis à neuf, devenu un quasi objet d’art, ce Penseur de fonte se penche avec sensibilité et humour sur ses cent années d’amours, de souffrances et de rêves : Flambeau nous dit tout sur l’enfance, le doute, le destin, le corps, la folie, le deuil, la solitude et la mort.

Découvrez le témoignage étonnant d'un majestueux radiateur de fonte qui se penche avec sensibilité et humour sur ses cent années d'amours, de souffrances et de rêves.

EXTRAIT

C’est là que Missoufle apparut. Elle faisait mine de ne pas me voir, s’asseyait derrière son bureau, se contentant de répéter ses gestes habituels. A peine étais-je surpris de ne pas avoir entendu le bruit des clés, de ne pas l’avoir vu passer la porte et accrocher son vêtement au porte-manteau. Rien ni personne dans la pièce et d’un seul coup, elle était là, au milieu de ses objets familiers. A sa table, le dos à demi tourné, elle travaillait à son livre inachevé… Je guettais le moment où elle tendrait la main pour chercher les reliefs qu’elle aimait. Là, sur le haut de mes épaules, les petites courbures ciselées qu’elle suivait de son index. Mais juste sa présence silencieuse…
Elle disparaissait aussi vite qu’elle était venue. Deux heures plus tard ou le lendemain, Edmée était là de nouveau. Combien de fois ai-je essayé, par la seule force de ma pensée, de la conserver sous mes yeux ! Je ne suis jamais parvenu à la moindre maîtrise de ses apparitions. Les premières fois que cela arriva, je ne sus pas que c’était le fruit de mon trouble. Les années passées auprès d’elle m’avaient tout appris sur les capacités de l’âme humaine à se forger des illusions, mais je savais Edmée trop rigoureuse pour singer sa présence auprès de moi.
Alors je cessai de me poser des questions, j’acceptai simplement qu’elle soit là. J’avais bien eu dans le passé, des croquemitaines buvant goulument mon eau. Pourquoi pas l’irruption externe, de l’ectoplasme de mon Edmée ?

A PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Dantan vit à Niort où il a travaillé comme psychologue clinicien dans des établissements d’accueil et de soins pour enfants. Son goût pour la créativité l’a conduit, entre autres, aux plaisirs de l’écriture. Le monde selon Flambeau est son premier roman.
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie6 juil. 2018
ISBN9782378734275
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    Aperçu du livre

    Le monde selon Flambeau - Claude Dantan

    cover.jpg

    Table des matières

    Résumé

    Préface

    Avertissement et remerciements

    I

    II

    III

    IV

    V

    Épilogue

    Au générique

    Dans la même collection

    Résumé

    Nul ne saura pourquoi Flambeau, majestueux radiateur de fonte, est sorti de sa condition d’objet inerte pour emprunter la pensée des humains ! En un siècle d’existence à Paris, il aura accumulé de multiples vécus, des plus heureux aux plus terrifiants. D’abord éveillé aux sentiments par Momo Cavetoux, un aimable plombier qui l’installe et le met en eau, il partage la vie du jeune Joseph Poulait et de sa mère jusqu’à la fin de la guerre. À leur départ, l’appartement est transformé en cabinet de psychanalyste. Flambeau découvre alors Edmée Missoufle qui exerce devant lui et il passe plusieurs décennies à l’écoute des patients. Au décès de celle qui est devenue son mentor, il entre dans un état d’isolement et d’errance mentale. Dans le bureau abandonné puis saccagé par des marginaux, il affronte la violence et la destruction.

    Remis à neuf, devenu un quasi objet d’art, ce Penseur de fonte se penche avec sensibilité et humour sur ses cent années d’amours, de souffrances et de rêves : Flambeau nous dit tout sur l’enfance, le doute, le destin, le corps, la folie, le deuil, la solitude et la mort.

    Claude Dantan vit à Niort où il a travaillé comme psychologue clinicien dans des établissements d’accueil et de soins pour enfants. Son goût pour la créativité l’a conduit, entre autres, aux plaisirs de l’écriture. Le monde selon Flambeau est son premier roman.

    Claude Dantan

    Le monde selon Flambeau

    Roman

    ISBN : 978-2-37873-427-5

    Collection Blanche : 2416-4259

    Dépôt légal juin 2018

    © couverture Ex Aequo

    Illustration de couverture :

     « Radiateur en fonte « Belle époque »

    avec l’aimable autorisation des Ets Cinier

    © 2018 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de

    traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

    Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    Préface

    Entre fable, conte et roman, il est bien original de choisir pour narrateur un radiateur en fonte du début du siècle ! Dans une salle à manger qui deviendra l’antre d’une psychanalyste, ce bel engin plein de chaleur, sera au fil des pages instruit de l’espèce humaine en mouvement et un fin observateur des tribulations de l’âme. D’une belle écriture imagée, ciselée au scalpel de son imagination, avec précision et humour, l’auteur nous conte les aventures cocasses d’une famille bourgeoise, celles d’êtres désemparés par leurs angoisses exprimées sur un divan, mais aussi celles de marginaux prêts à tout pour leur commerce illicite. Grâce au stratagème d’un objet pensant, l’auteur aborde sans retenue la foi, la mort, l’amour, la solitude, l’art, la violence et la vie en société. Il se faufile dans les interstices de l’inconscient humain en manipulant les rêves avec dextérité et en se jouant des tabous. Rien ne lui est interdit. C’est un régal !

    Jean-François Rottier

    Avertissement et remerciements

    Toute ressemblance de Flambeau avec un radiateur ayant déjà existé est hautement improbable et les personnages humains de cette histoire sont le fruit de mon imagination.

    Le penseur de fonte que je suis sait ce qu’il doit à ses années de divan.

    J’adresse un salut amical aux animateurs, animatrices et amis des ateliers avec qui j’ai muri mon écriture.

    Mes chaleureux remerciements aux personnes qui ont permis l’aboutissement de cette fable romanesque par leurs encouragements, relectures et critiques.

    C. D.

    Quand monsieur Hitchcock

    m’expliquera d’où vient la caméra,

    je lui dirai d’où sort la musique.

    David Raksin

    Compositeur de musiques de films

    I

    Croquemitaines gargouilleurs,

    nobles vertus du crucifix

    et avènement d’un chauffeur central

    1

    Il me reste peu d’images du début de ma vie.

    D’abord, la conscience du jour. Une lumière voilée mais qui crée un effet vivifiant, comme si je n’avais connu jusque-là que des lieux sombres. Puis la clarté se fait et je me vois à plat sur ce qui devait être un chariot muni de brancards, avec de chaque côté de moi de grandes roues cerclées de fer. Devant, un homme en bleu de chauffe, une casquette sur la tête. Je sens qu’il me tire, mais c’est étrange, tout s’arrête. L’horizontale sur laquelle je suis vacille. La silhouette s’agite. Il parle à quelqu’un ou bien il fait une pause sur un trajet trop long. Une fine pellicule m’enveloppe. Je ne sais pas encore que c’est de l’eau. Le liquide inconnu s’étale entre mes interstices, puis crépite sur tout mon corps. Il me rince des poussières de métal. C’est de la pluie, mais dans ce premier moment de lucidité, j’ignore encore ce qu’est la pluie.

    Une autre scène me revient : une grande pièce bruyante, une usine ou un atelier. Je ne perçois rien à l’entour, sinon une impression d’espace et des chocs métalliques. Non, pas sur moi ! On ne me touche pas, on m’ignore. Suis-je en attente de quelque destination ? Est-ce avant, est-ce après le transport sur le chariot de bois ? Je ne sais… Peu à peu, je discerne des personnes qui s’affairent. Est-ce là qu’on m’a préparé pour la vie ?

    L’image qui surgit maintenant est celle de quatre mains qui me cramponnent. J’entends des sons diffus, des exclamations, j’imagine aujourd’hui des jurons. Ça transpire, ça ahane autour de moi. L’une des étreintes est ferme, des doigts rêches qui ne me lâchent pas. L’autre est plus hésitante. Sous les gants de cuir épais, la prise est moins assurée. Je risque d’échapper à ces mains. Oui, c’est ça, nous montons. Le parcours est rythmé par des haltes. Je devine sous moi un billot de bois sur lequel on me pose à intervalles réguliers, le temps de reprendre haleine. Quelques mots, mais que disent-ils ? Parlent-ils du mal que je leur donne ? C’est l’escalier qui conduit à l’appartement des Poulait. Il ne peut pas s’agir d’un autre lieu. Le même que montait Missoufle, celui qu’empruntaient ses patients. Dans cette aurore blafarde de mes sens, que puis-je saisir de cette scène ? Quand j’ai quitté ce petit immeuble sur le diable de Marius Leconfort, je n’ai pas revu l’escalier. Le hall, les quatre marches qui débouchent sur la courette, rien ne réveilla la moindre image de ce que fut ma montée chez Poulait.

    Encore un autre souvenir : une pièce lumineuse et le soleil qui m’inonde. Une brise légère passe par les grandes ouvertures. Elles me tiendront compagnie, ces deux fenêtres verticales. La vie y entrait tranquille, sous forme de vue sur Paris. On m’a mis sur mes pieds et on m’a approché du mur. La diapositive s’anime, des personnes passent et c’est la première fois que je distingue avec autant d’acuité que l’on parle. Les sons m’attirent. Et pour cause, il s’agit de moi ! La douceur dans les mots, les égards dans le moindre geste m’enveloppent. Qui donc a décidé que je devais être là, à équidistance entre la porte et l’angle de la pièce ? Pourquoi contre cette cloison et pas sur le mur d’en face ? Ces personnes ont-elles choisi seules ? Sont-elles les mêmes qui m’ont porté dans l’escalier, deux ouvriers chargés de mon installation ? On me tire, on me pousse, on me soulève encore un peu. Puis, on me pose à cet endroit précis où mes pieds marqueront le parquet d’une empreinte indélébile. Quelques centimètres plus loin, aurais-je développé le même regard sur les humains ? Une belle position confortable, idéale pour apprendre la vie de Joseph et plus tard pour doubler Missoufle. Elle m’a si bien convenu que j’y fus heureux des lustres. Dans les quatre-vingts ans sans doute.

    Ensuite, les images s’estompent. Les hommes ont dû me laisser seul. Qui resta là autour de moi ? Meubles, tapis, êtres humains, je n’en sais rien. Une lourde chape de silence. Les autres souvenirs de cette époque sont morts. Encore aujourd'hui je les cherche du haut de mes cent années d’existence. Un monde à peine entrouvert, juste l’esquisse d’une conscience.

    2

    Et puis il y eut Momo. Son vrai nom était Maurice Cavetoux. Un jeune homme qui vint s’occuper de moi et m’insuffler un peu de vie avant que je m’éveille pour de bon. Il m’apparut en même temps qu’il ouvrait les volets de la pièce. D’un seul coup, arrivaient la lumière et la belle sensation de l’air qui m’avaient déjà intrigué. Sa main vint me flatter le dos et je perçus ce drôle de mot : quelque chose comme salumapoul. Oui, ce salumapoul m’est resté. Je mis du temps à le comprendre et Momo l’a souvent répété.

    Suivent des choses inconnues qu’on heurte, des crissements. Et des mains qui m’effleurent ou me tiennent, parfois prolongées d’un outil. Momo travaille vite et bien. Il commente chacun de ses gestes, mais je ne saisis pas ce qu’il dit. Des exclamations, des petits cris. Une sorte de bien-être me gagne. Momo Cavetoux continue son manège, braque une vive chaleur près de moi, associée à une lumière jaune et bleue pâle qui resta longtemps une énigme. Une lueur étrange, hypnotique, une brûlure vive. Il soude les tuyaux qui arrivent de dieu-sait-où et vont me relier au circuit.

    Pendant qu’il s’affaire, il continue à bavarder. D’un coup ses paroles s’envolent, claires et hautes, chaudes et rythmées. Il s’interrompt de temps en temps pour faire un tour sur lui-même, frappant de son pied le plancher, avant de se pencher sur moi. Momo chante son plaisir et me le transmet en cadeau.

    Un autre personnage apparait. Aujourd’hui je dirais qu’il était plus âgé. En tout cas moins enjoué. Le même homme qui m’avait porté dans l’escalier le jour de mon arrivée chez Poulait.

    Je revis cet homme après la guerre. Nous étions au cœur de l’hiver. Je gargouillais inconsidérément. D’habitude, c’était Momo qui venait pour me délester des bulles qui me donnaient des gaz. Missoufle accueillit le vieil homme. J’appris qu’il s’appelait Pontu.

    — J’attendais monsieur Cavetoux. Il ne vous a pas quitté au moins ?

    — Ah, ça, madame Missoufle, je ne crois pas que cela arrivera. Je vais partir en retraite bientôt et Momo est tout désigné pour prendre la direction des établissements Parador. Figurez-vous qu’il a fait un valdingue de son escabeau et s’est bien abimé le poignet. Faut dire qu’avec sa jambe esquintée à la guerre, il est moins agile qu’autrefois.

    — J’espère qu’il va se remettre. Vous lui transmettrez mes vœux de prompt rétablissement. Un homme charmant ce monsieur Cavetoux.

    — Vous ne le savez peut-être pas, mais c’est lui qui a installé ce gros radiateur, du temps des propriétaires précédents. Il était juste apprenti et il savait déjà tout faire. Une perle rare mon petit Momo ! Votre radiateur aussi, une pièce rare. On n’en voit plus beaucoup des comme ça.

    — En attendant, si vous pouviez y regarder. Il gargouille tant qu’il peut depuis le début de l’hiver. Au point d’intriguer un peu trop mes patients…

    L’année suivante, j’appris de Momo Cavetoux comment il avait fait son apprentissage chez Pontu. Il arriva pour une révision annuelle, secondé d’un jeune garçon. Il me le présenta à sa façon, habitué qu’il était à me parler depuis toujours :

    — Voici Momo-II. Son vrai nom c’est Mohamed. Mais à l’atelier c’est Momo-II, pour pas qu’il y ait d’embrouille. Tu sais que maintenant c’est moi le patron ? Momo Premier, pour te servir…

    Puis à son apprenti :

    — N’aie pas peur de leur causer. Un mot gentil, une caresse, un coup de chiffon avant de partir… Tu verras, ça les rend heureux et ils te posent beaucoup moins de problèmes ensuite…

    Momo Premier, roi des plombiers, raconta alors son histoire à Momo II. Une façon de lui donner le goût du métier. Monsieur Cavetoux-père recherchait un débouché fiable et moderne pour son fils. Monsieur Pontu, patron de la maison Parador – Plomberie Générale et Chauffage Moderne – les reçut. Le petit Maurice, quatorze ans et demi, fut immédiatement baptisé Momo. Comme ça tu continues la tradition des Momo, entendit Mohamed.

    Puis il évoqua son contrat, signé au milieu de l’atelier Parador. J’étais à plat sur une charrette, prêt à partir chez les Poulait. Monsieur Cavetoux père signa l’engagement de son fils sur une chemise cartonnée, posée à même mes éléments.

    Momo était là, sa main gauche au fond de la poche de sa salopette bleue marine, la droite posée sur mon rebord, en train de palper mes nervures. Il serait un tendre, un amoureux des belles fontes, poêles à charbon, chaudières et radiateurs.

    3

    Mais tout cela fut bien plus tard. Pour l’instant j’étais encore en demi-sommeil. Ma perception des évènements en ces temps d’obscure conscience était bien maigre. Pontu et Momo prirent quelques repères, les marquèrent de traits de crayon, puis avec douceur et précision me couchèrent sur deux madriers. Ils s’affairèrent le long du mur, prirent le temps de fignoler chaque soudure, chaque collier scellé dans le plâtre.

    Quand mes doigts de pieds retrouvèrent les quatre petits creux que j’avais déjà imprimés dans le bois je poussais un ouf intérieur. Il n’y eut rien à retoucher. Hauteur, distance, écartement, j’étais pile au bon endroit.

    J’avais pourtant des mesures bien atypiques. Le multiple de mes sections, additionné d’un té sur lequel allait prendre place mon robinet faisait une longueur peu aisée : 1 mètre 365. L’axe de mon entrée à gauche était à 94 centimètres et demi du sol et celui de ma sortie à 15 centimètres et demi. De quoi y perdre son latin. Un vrai casse-tête pour intégrer ces mesures et faire arriver les tuyaux. Les ouvriers de Parador maitrisèrent cela en spécialistes. J’eus un instant de répit. Le recul et l’œil satisfait sur leur œuvre :

    — Parfait, parfait ! a dit Pontu. T’en dis quoi, mon petit Momo ?

    — On peut pas mieux ! Du beau boulot, patron, lui a répondu l’apprenti.

    Ils ont fumé une cigarette, enfin, c’est ce que j’imagine, le temps de me laisser contempler ce que serait mon panorama, que je sente derrière moi la cloison qui allait devenir ma compagne. A droite, à gauche, les obstacles qui limiteraient ma vision. Devant moi, par les deux fenêtres, les toits environnants.

    D’une boîte de carton ils sortirent un accessoire jaune, couleur cuivre. Roro, mon ami, mon frère, Roro mon fidèle robinet de toujours. Nous fûmes liés corps à corps, à la vie, à la mort. Un être qui me compléta à merveille. Orné, fleuri comme une pâquerette, que dis-je, comme une marguerite, j’enviais la belle rondeur de sa poignée. Huit feuilles végétales stylisées, des nervures creuses, ombrées d’une teinte grise cuivre-oxydé. Le reste de son corps rutilait, couleur or. Rose Morteau l’aimait beaucoup. Elle eut pour lui des privautés excessives, l’enduisant d’une crème spéciale destinée à le faire briller. Quasi des soins d’esthéticienne.

    Non ! Pas de de jalousie de ma part, pour sa beauté, pour les caresses qu’on lui adressait au prétexte de régler la chaleur de la pièce. Pas de rivalité entre nous. Nous étions deux, nous étions un. Flambeau, Roro, même combat, celui des jeunots découvrant les vicissitudes de leur tâche, avant de devenir les anciens, rôdés à fignoler la température idéale par un savoir-faire de vrais pros.

    Quelques tours d’une grosse clé anglaise. Les écrous se refermèrent pour nous raccorder au circuit. Un coup de chiffon sur le travail, aux endroits qu’ils avaient touché. Puis avant de me laisser seul, un baiser de Momo sur mon angle, près de mon compère Roro. Un petit bécot d’amoureux, une façon de me dire : ça va être à toi de jouer.

    4

    Momo disparut longuement. Des mois peut-être, je ne sais pas. A l’instant où il revint, je sortis de ma léthargie : il venait forcément pour me voir. Jusqu’alors, une heure, un jour, ce n’était rien. Je ne m’étais pas encore forgé une véritable expérience du temps. Son retour permit l’émergence d’un de mes tout premiers sentiments conscients : il n’y avait pas rien ou quelque chose, mais toujours quelque chose après ! Enfin je sentais le manque. L’absence éveillait l’attente. Ce charmant jeune homme s’était juste absenté pour mieux revenir vers moi.

    Il vérifia que Roro était bien ouvert. Sa belle mine ouvragée donnait envie de le toucher et moi-même je resplendissais de toute ma fonte sous l’effet de nos retrouvailles. Le temps de s’assurer que Chaudière était paré pour le combat et Momo allait nous faire comprendre la noblesse

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