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Pearl St.: Polar
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Livre électronique320 pages5 heures

Pearl St.: Polar

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À propos de ce livre électronique

Pearl St. s’apprécie pour sa tranquillité et sa pénombre. Venir s’y établir ce n’est pas juste se chercher un pas de porte confortable pour claquer comme le font les chats. Dormir sous l’éclat de La Perle, c’est prendre une route. Un sentier escarpé au bout duquel se trouve forcément une vérité. Sinon pourquoi vouloir faire tout ce chemin ? La Perle aiguise tes sens et les confond. Elle t’invite à te questionner et te donnera peut-être la réponse. Les certitudes sont rares en ce bas monde, Pearl St. te donne l’occasion d’en apprendre une bonne : on n’y traine pas longtemps !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à la fin des années 80 à Villeurbanne, Paul Rudzki est un jeune romancier influencé par Frédéric Dard et les mauvais films de gangsters. Dans un décor sordide, il s’amuse à donner vie à des personnages hauts en couleur, à l’humour noir, et aux répliques cinglantes. Il signe avec Pearl St. son premier roman.
LangueFrançais
Date de sortie18 déc. 2020
ISBN9782889492251
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    Aperçu du livre

    Pearl St. - Paul Rudzki

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    Paul Rudzki

    Pearl St.

    PROLOGUE

    Avant qu’elle ne disparaisse, laisse-moi te raconter Pearl Street.

    *

    Si les rats y pullulent si joyeusement c’est parce que les résidus humains en décomposition ravissent leurs papilles et que l’odeur qui imprègne les murs de brique les rappelle à leur belle jeunesse. Pearl St. est dégueulasse. Elle l’a toujours été d’ailleurs, se complaisant dans sa crasse, comme atteinte du syndrome de Diogène. Elle ressemble au fond d’un seau où de l’eau sale et boueuse aurait croupi depuis vingt ans. Une odeur plus que nauséabonde s’en échappe et la qualifier d’insalubre serait lui faire là un bien aimable compliment. Si seulement elle ne pouvait irriter que votre odorat… Non ! La Perle agresse vos cinq sens.

    Même si elle s’apparente à de la fange, Pearl St. a toujours su conserver son standing. Les camés et les immondices ont toujours fait partie de ce décor de publicité pour antibactérien et tout le beau monde qui la peuple s’en accoutume pour le meilleur. Si les routes du bon Dieu vous ont menés jusqu’à elle, c’est que vous n’êtes pas du genre à vous offusquer de dormir dans vos excréments ou à rechigner à manger ce que les rats ont bien voulu vous laisser. La Perle a éclairé plus d’une sorte de vermines. Si tu fouilles dans ses ordures, c’est que d’une, la tâche ne te répugne pas et que de deux, t’es un rapide ! Certains habitants, ou le peu qu’il reste d’eux-mêmes, aiment parfois laisser trainer une mitaine dans les poubelles espérant ainsi découvrir un trésor. Ils veillent tous cependant à ne pas enfreindre la règle des trente secondes. Règle on ne peut plus sérieuse, tirée du folklore de la ruelle. Un homme de mauvaise condition, mais avec un fort appétit, aurait un jour perdu quelques phalanges alors qu’il tentait de récupérer un morceau de poulet abandonné dans un des conteneurs à ordures qui égayent Pearl St.… Si tu veux arpenter son décor, apprends le credo : « Ne jamais aller plus loin que là d’où personne ne revient ! » C’est une sage philosophie à laquelle tous les habitants de Pearl St. s’emploient. Ils vont tous, tous les jours un peu plus loin, mais s’empressent de revenir. Personne ne veut aller jusque-. , c’est la mort pour certains, la délivrance pour la grande majorité. Et pour un nombre restreint de privilégiés ; , c’est être las entre deux eaux à attendre que l’éclat de La Perle s’estompe.

    Pearl St. a pris place sur terre entre Merker St. et Saint-Paul Boulevard. Elle croise également de manière désinvolte, la non moins désinvolte Jefferson Av.. Si elle s’est vue affublée du qualificatif de rue, elle n’en reste pas moins dans la définition véridique de sa situation qu’un cul-de-sac ! Un mur, une porte, une lumière et voilà le fond de Pearl St. ! Entourée et cachée du soleil par deux immeubles, on pourrait aisément la prendre pour un vulgaire coupe-gorge. Cependant, ne vous y trompez pas, La Perle vaut bien mieux qu’une de ces ruelles de mégalopole désignées pour l’arrachage de portefeuilles de touristes pressés. À Pearl St., il n’y a qu’une seule entrée et qu’une seule sortie. On ne peut y entrer sans être vu et on ne peut en ressortir sans être mort.

    Le bloc résidentiel qui encadre La Perle fut imaginé durant les années sombres de l’architecture. Les fenêtres sont les cousines des barreaux de prison mais dans le quartier, on les prendrait plutôt pour des frères et sœurs. Déserté, puis réhabilité, puis déserté à nouveau. Les rats y ont planté le drapeau de la colonisation de masse et se réinventent la vie au château de Versailles.

    Si les deux immeubles qui encerclent Pearl St. sont quasiment vides et que le quartier a perdu la plus grande majorité de ses habitants, Pearl St. a un taux de population assez stable. Elle s’apprécie pour sa tranquillité et sa pénombre. Venir s’y établir ce n’est pas juste se chercher un pas de porte confortable pour claquer comme le font les chats. Dormir sous l’éclat de La Perle, c’est prendre une route. Un sentier escarpé au bout duquel se trouve forcément une vérité. Sinon pourquoi vouloir faire tout ce chemin ? La Perle aiguise vos sens et les confond. Elle vous invite à vous questionner et vous donnera peut-être la réponse. Les certitudes sont rares en ce bas monde, Pearl St. te donne l’occasion d’en apprendre une bonne : on n’y traine pas longtemps ! Elle est l’entre-jambe profonde de deux ex-fiertés de l’architecture entrelacées. Le tout formant un amas opaque de briques, de fenêtres brisées et de ferrailles. Elle est une faille étincelante dans un bloc de misère. Pour parcourir cette impasse d’une largeur à peu près égale à six grandes enjambées, il vous en coûte une trentaine de mètres depuis son croisement avec Jefferson Av. jusqu’au mur de brique dans lequel se trouve encastrée sa seule porte. Cette dernière agit comme un aimant sur ses occupants. Elle est en fer, surplombée d’un immense mur de briques sombres. À bien y regarder, Pearl St. a des allures de tunnel. Tenter sa traversée, c’est se jeter dans les ténèbres. Si vous avez le malheur de vous rendre jusque sur le seuil de sa porte, la première remarque que vous fera votre inconscient est tout le chemin que vous venez de parcourir. Et à ce moment précis, vous ne penserez pas à vous retourner. Ensuite, vous réaliserez l’étrange conception de la lourde : deux serrures, pas de poignée… C’est seulement après avoir compris qu’il n’existe qu’une seule « exit » à Pearl St. que l’on se retourne et que l’on regarde autour de soi. Le soleil lui, de Pearl St., en a autant à foutre que de son premier coucher. Sur une journée de vingt-quatre heures, il ne lui consacre que 666 secondes et 66 centièmes. L’opacité des murs de briques absorbant la clarté du jour, certains dérangés de La Perle, dans cette obscurité, voient un quelconque présage à connotation satanique. Pour tout vous avouer, ses habitants ne sont pas vraiment des premiers choix de casting pour l’interprétation de catholiques enthousiastes. Durant cet instant d’ensoleillement si court mais qui, pour les habitants de la ruelle, parait si insupportablement long, un étrange phénomène se produit : tout le monde, gens importants ou pas, gens impotents ou pas, tout le monde dirige son regard vers elle. À chaque tentative d’illuminer l’impasse, le bel astre se fait voler la vedette par une lampe à incandescence. La Perle ! C’est le nom que l’on a donné à cette lumière véhiculée par une ampoule électrique de 220 volts accrochée à une équerre de bois fixée dans le mur de brique à quatre mètres au-dessus de la porte. C’est elle qui a fait de cet endroit abject la rue de La Perle. Il semblerait qu’elle n’ait jamais cessé de briller, pas un instant, pas une seconde. Personne n’a jamais vu quelqu’un la remplacer et personne ne l’a jamais vu s’éteindre. Goûter à sa lumière, c’est se résigner. Elle vous tombe dessus en un instant et il vous sera très difficile de vous en défaire. Elle s’imprégnera dans les plis de votre âme, dans les cernes qui cerclent vos yeux, dans vos défauts. C’est peut-être parce qu’elle brille dans les ténèbres les plus répugnantes qu’elle éclaire votre personne d’une si brûlante manière.

    À Pearl St., on y vient pour toutes sortes d’affaires. Des plus courantes, comme la consommation ou la défécation de produits hautement déconseillés pour la bonne forme de votre santé mentale. Aux plus démentielles, comme la consommation ou la défécation de produits que le corps et l’esprit se recommandent mutuellement ! Si tu pointes le bout de ta seringue dans l’impasse, t’as de grandes chances pour être l’un des heureux gagnants de la grande tombola organisée par sa majesté la Mort. Le premier prix étant une croisière sur le styx, sans réservation, ni problème de surbooking. Et pourtant, le nombre de participants est affolant dans cette fausse à purin ! Les squatteurs de Pearl St. ne portent pas vraiment d’appellation officielle. Le peu de gens qu’ils croisent ne leur donnent pas l’once d’une seconde d’attention. À force de passer tous les jours devant la même épicerie, on en oublie de regarder le prix des légumes… Légumes ! En voilà une dénomination parfaite pour les occupants de Pearl St. ! Attention toutefois, ces derniers ne sont pas comestibles, et ne poussent que sur des champs labourés par la déchéance et arrosés par l’indifférence générale. Ce qui sévit à Pearl St., ce n’est pas de la came de boite de nuit qu’on sniffe pour rester éveillé et pour ne pas subir les affres de l’alcool. C’est davantage celle qui te fait pioncer dans ta merde durant deux jours, trois nuits alors que tu rêves d’une balade avec le mahatma Gandhi dans ta jungle d’idées aux proportions célestes. Le Nirvana qu’ils l’appellent. Un condensé du meilleur et de l’horrible en un sens. Les réflexions philosophiques les plus développées émises par des cadavres marginaux en marge d’eux-mêmes. Ceux qui ont le courage de perdre leur vie à Pearl St. au nom de la recherche philosophique restent environ un peu moins de trente-six heures, éclairés par La Perle avant d’être délogés par un voisin envieux et dérangé par l’odeur. Les poubelles, c’est le mardi. C’est chacun son tour. Le but étant d’essayer de crever plus loin que son prédécesseur et le plus près de la porte pour enfin essayer d’attraper cette vérité qui brille là-haut.

    Benjamin Herald Junior, alias Ben, est toujours resté loin de l’onde de vice qui se propage depuis Pearl St.. Il l’évite du regard, sur le trottoir d’en face et ce depuis qu’il est pensionnaire de l’établissement scolaire public de son quartier. Le même trajet tous les jours. La même peur chérie et entretenue avec fascination chaque matin. À l’âge de neuf ans, celui qu’on surnommera plus tard BigBen a peur d’une ruelle sombre. Sa motivation pour les études, il l’a tirée de sa rencontre quotidienne avec sa plus grande crainte. Aujourd’hui, il est l’élève le plus assidu de la faculté de droit. Avec Marcus, ils sont passés plus de mille fois devant cette ruelle. Tous les jours ils avançaient fièrement, pressés de faire un clin d’œil à la peur. Le challenge constituait à ne pas baisser le regard face à cette lumière brillante. Chacun d’eux savait que l’autre flancherait au moment fatidique. Ce n’était pas véritablement une compétition, davantage un jeu où l’amitié l’emportait systématiquement. Cette histoire, je m’apprête à vous la raconter au passé, Ben et Marcus, c’est de l’histoire ancienne.

    Chapitre I : Mardi

    Le réveille-matin ne sonna pas plus d’un millième de seconde ce jour-là. Cela faisait plus d’une minute qu’il était réveillé et ce n’était pas du fait du chant des oiseaux. Ce fut la vibration de son téléphone puis la chute de celui-ci depuis le sommet de la table de chevet qui eut raison de ses douces rêveries. Il se fit la promesse d’essayer de mieux dormir la nuit prochaine. Si seulement ses visions d’horreur pouvaient cesser de le tourmenter. Le coup de fil n’était même pas urgent. Il lui avait juste fait perdre la dernière minute d’une nuit de sommeil qui n’en comptait jusqu’alors qu’une douzaine. Ce que son collègue lui avait appris à l’autre bout du fil n’avait rien pour l’exciter plus que d’habitude mais il y avait peut-être quelque chose à gratter. Il l’avait remercié. En même temps, il lui devait bien ça. On avait découvert un cadavre dans une benne à ordure. Ce genre de nouvelles n’avait rien d’extraordinaire et ne contribuait aucunement à l’augmentation du taux d’adrénaline chez l’inspecteur Robert Ziani. Découverte d’outre-tombe faite au fond d’une impasse peuplée de toxicomanes. Le commencement d’une journée banale pour un flic banal. Il se demanda même si ce n’était pas l’un des scénarios étudiés il y avait déjà de ça une vingtaine d’années alors qu’il n’était qu’un simple étudiant aspirant à devenir inspecteur. Ce n’était d’ordinaire pas les cas d’école qui faisaient sortir l’Inspecteur Z de son lit, mais ce matin-là, son tarin d’enquêteur hors pair frétillait d’impatience.

    Dans les faits, l’Inspecteur Z se faisait appeler Bob par tous ses collègues. Ces derniers s’en torchaient le cul de sa vie et ça lui convenait très bien ainsi. L’entretien de ses relations sociales n’étant pas son sport favori, il préférait rester seul. Il préférait également ne pas écouter ce qui se disait à son sujet. Il emmerdait son monde et envoyait balader quiconque s’y invitait. Il portait la dépression comme il portait son imper de cuir élimé aux manches ; tous les jours. La boisson aidant à s’inventer des histoires, Robert s’imaginait en inspecteur intrépide pour échapper à la caricature du flic maussade qu’il était devenu. Rongé par la mort, celle de sa femme. Tous les matins, il se la rappelait en commençant par du scotch dès le petit déjeuner pour l’oublier ; sa femme. La seule personne digne d’intérêt était partie pour toujours. Depuis, il s’était juré de ne poser ses lèvres que sur le goulot d’une bouteille de scotch. Lui qui n’avait jamais autrefois été attiré par l’alcool, s’adonnait dorénavant à la biture quotidienne. Lui qui autrefois avait la belle gueule de l’inspecteur, se trainait à présent une tronche de soiffard. Il avait beau se rincer le visage à l’eau de feu, il arrivait à garder ses idées claires et une part de dignité. Il aurait dû succomber ce jour-là lui aussi, à la place il en gardait une cicatrice à la joue droite. Ses collègues le savaient et le disaient volontiers : « Bob, c’est pas un mauvais flic mais c’est pas une excuse non plus ! » Son année de service en cours n’était pas la plus belle de sa carrière mais il irait au bout et avec des résultats ! Des enquêtes assignées à son département, l’Inspecteur Z en faisait des avions de papier et toutes sortes d’autres réalisations d’origami. À présent il menait son enquête et ne rendait de comptes à plus personne. La dernière fois que son supérieur hiérarchique avait essayé de le rappeler à l’ordre, celui-ci avait mangé la plus grande mandale jamais servie dans un commissariat de police. Il en avait passé des années à jouer au flic valeureux, sans peur et sans reproche. Maintenant, il se faisait dessus à chaque claquement de porte et détruisait son foie au scotch pour amoindrir son sentiment de culpabilité. L’Inspecteur Z était peut-être un soulard mais il était loin d’être con. Il savait ce que disaient ses collègues dans son dos. Que lui seul était véritablement responsable de la mort de sa femme. Ils avaient raison, c’était en grande partie pour cela qu’il les méprisait.

    Quelques mois auparavant, l’Inspecteur Z avait été la cible d’un assassinat commandité par un grand ponte de la mafia locale. Comment oublier cette triste journée ? Il était sous la douche quand il entendit des bruits de verre brisé au rez-de-chaussée. Il eut beau se précipiter le plus vite possible dans la cuisine, le mal était déjà fait. Sa tendre et douce gisait sur le carrelage, une large tache de sang sur l’abdomen. Les assassins avaient arrosé la maison de balles de gros calibre depuis le trottoir d’en face. Alors qu’il essayait d’apercevoir ses assaillants, une balle vint lui caresser la joue. La mort ne l’emporta pas ce jour-là. Peut-être que rassasiée, elle remit le destin de l’Inspecteur Z entre les mains du chagrin. L’attentat avait fait les gros titres des éditions locales et régionales, mais comme tout fait divers qui se respecte, il avait su laisser sa place dès le lendemain à une autre tragédie. Il est consternant de voir comment la mort d’un inconnu n’affecte que ceux qui le connaissent. L’Inspecteur Z n’arrivait pas à tourner la page. C’était son sens étriqué du devoir qui l’avait conduit jusque-là. Cela faisait des mois qu’il menait une enquête sur le trafic d’une drogue de synthèse qui ravageait la jeunesse de la ville. Il avait réussi à amasser assez de preuves de collusion entre la mafia locale et le plus puissant laboratoire pharmaceutique de l’état pour stopper ce trafic. Le matin de l’attentat, c’était le procureur général de l’état lui-même qui avait mis en garde l’Inspecteur Z contre d’éventuelles représailles. S’il ne mettait pas un terme à son enquête de son gré quelqu’un allait s’occuper de lui. L’Inspecteur Z fit alors ce qu’il est préférable de faire si vous êtes sous le joug d’une menace de mort. Il gratifia le magistrat de son plus beau coup de boule. Il avait la ferme intention de tout balancer. Mettre au trou les pourris de ce monde avait toujours été son plus grand rêve, mais à la place malheureusement, il dut endurer l’assassinat de sa femme et la transformation de sa maison en scène de crime. Les preuves récoltées et égrainées avaient toutes disparu. L’Inspecteur Z n’était pas au meilleur de sa vie. On le prenait pour un sombre fou-alcoolique-revanchard s’imaginant au centre d’un complot dirigé par des multinationales. S’il y avait un seul adjectif à garder de cette description peu flatteuse de sa personne, l’Inspecteur Z retiendrait « revanchard ». Le désir de vengeance s’était installé dans ses songes et avec le titre de résident permanent. La vendetta pour tout horizon. C’est ce qui l’empêchait de se servir un dernier repas aux pruneaux. Après avoir vidé le fond de sa flasque l’Inspecteur Z enfila son imper, chercha ses clefs de voiture, les trouva, puis claqua la porte fatiguée de sa chambre d’hôtel. Il s’alluma une cigarette et monta dans sa tire. Il mit le contact, desserra le frein à main, ajusta ses rétroviseurs et enfin démarra à toute vitesse. Direction Pearl St.. Il n’avait jamais entendu parler de cette rue mais c’était bien là qu’il devait se rendre. C’était là qu’un jeune drogué avait découvert la tête d’un homme. Un autre junky probablement. Sauf qu’en règle générale, les camés, on les retrouve d’ordinaire dans une flaque de gerbe et rarement décapité. C’était la première fois que l’Inspecteur Z se rendait dans ce quartier. En vingt années de service, il n’y avait jamais pointé le bout de son colt. Depuis toutes ces années, il était persuadé que le quartier nord de sa ville avait été complètement évacué du fait de son insalubrité. L’Inspecteur Z gara sa voiture sur le trottoir de Jefferson, il descendit en jetant un regard froid au monde qui l’entourait. Un cordon de sécurité avait été mis en place, barrant ainsi l’accès à l’impasse. Le temps de l’investigation, les occupants de La Perle avait été relogés sur le trottoir d’à côté. Ils déambulaient comme des morts vivants, tous à la recherche d’un bout de carton confortable. L’Inspecteur Z ne pénétra pas dans la ruelle. Il préférait rester derrière le ruban de plastique jaune. L’odeur émanant de ce cul-de-sac était bien trop virulente pour ses narines habituées aux douces vapeurs d’alcool. Il scruta un long moment La Perle et s’étonna de cette lumière si brillante dans cet endroit si lugubre.

    – Y a quoi au fond de cette impasse ? demanda l’Inspecteur Z à un officier de police qui se trouvait là.

    – Qu’est-ce que ça peut te foutre Bob ! beugla l’officier qui aussitôt se prit une manchette en pleine face.

    – J’ai sûrement plus la gueule de l’emploi mais je connais encore les ficelles du métier alors accouche si tu veux pas prendre le revers, insista poliment l’Inspecteur Z.

    – Mais t’es con ou quoi ! C’est le junky là-bas ! dit-il la main malaxant sa mâchoire. Il fouinait pour un casse-dalle dans une poubelle quand il a trouvé la tronche du macchabée.

    Z contempla l’ahuri que l’officier venait de désigner, soit un jeune homme à l’élégance douteuse endormi dans le caniveau.

    – Quoi ? C’est cette épave qui nous a passé le coup de bigot ? C’est lui le chasseur de trésor ?

    – T’as vu l’état dans lequel il est ? ! s’exclama l’officier. C’est l’épicier au coin de Jefferson Av. qui nous a prévenus. Le camé voulait lui échanger la tête contre deux barres au chocolat croquant et une bière.

    – Et où se trouve le corps ? Puis-je le voir ? s’enquit l’inspecteur.

    – Pour le voir, faut l’assembler, pour l’assembler, faut le trouver et pour le trouver, faudrait peut-être commencer par le chercher ! Personne n’a envie de fouiller dans cette merde, c’est pas parce que l’autre camé a mis la main sur la tête qu’on sait où se trouve le corps.

    – Attends un peu ! T’es en train de me dire que sur les deux patrouilles de police, y en a pas un seul de vous qui s’est sorti les doigts du beigne et qui ait cherché quoi que ce soit ! ? questionna l’inspecteur.

    – Va te faire foutre Bob ! Tu nous prends pour qui ? s’offusqua le poulet. On a bien cherché pour un café mais il reste plus rien dans ce quartier pourri.

    L’Inspecteur Z détourna son regard de cette pièce de gras et le posa sur La Perle. Il resta un instant captivé par cette lumière si hautement perchée, destinée à éclairer les âmes venues se perdre ici. Il s’arracha de son emprise et retourna à sa réalité.

    Son tête à tête avec la tête de la victime lui en apprit une bonne. Il en était presque sûr. Comment oublier ce visage ? Il l’avait aperçu, caché derrière son évier, monter dans une berline le jour du meurtre de sa femme. Cette tête coupée appartenait à un des deux types qui avaient fait irruption chez lui. La tête avait été sectionnée proprement à l’aide d’un objet extrêmement tranchant. Un hachoir de boucher, un katana, un sabre, une épée, une chachka, un cimeterre, un daisho ou peut-être même une guillotine ? Le médecin légiste décréta que le décès de la victime remontait à moins de vingt-quatre heures et pour ce qui était de la cause du décès, elle semblait évidente. Lorsque l’Inspecteur Z interrogea le légiste à propos des circonstances de la mort, ce dernier les lui expliqua en ces termes : « Mais merde Bob ! Faut vraiment être le dernier des connards pour pas savoir que si on te coupe la tête, tu meurs ! » Propos auxquels l’Inspecteur Z répondit par un crachat sévère aux saveurs cigarette et whisky dans l’œil. Il ne pouvait décidément pas compter sur ses collègues pour lui faciliter la tâche. Il allait devoir se débrouiller seul. Peu lui importait de savoir comment la victime avait été tuée, en revanche il mourait d’envie de connaître son identité. À la vue de cette caboche solitaire en mal d’épaules, il ne put refréner l’envahissement de sa personne par une douce joie intérieure. Il était persuadé d’avoir reconnu ce visage, il ne lui manquait qu’un nom.

    Chapitre II : Voir

    Peu importe où il se rendait, à chaque fois, il ne passait pas inaperçu. C’est tout le problème quand vous avoisinez les deux mètres de haut et êtes large comme l’encablure d’une porte de chambre froide. Les gens se retournent constamment sur votre passage. Ben s’en fichait du regard des autres et les autres captaient tout de suite que l’on ne se moquait pas d’un type taillé dans un bloc de granit. Enfant, il comprit rapidement les avantages que lui conférait sa stature. Pour autant, Ben n’avait jamais joué les gros bras. Même si son quartier lui apporta son lot de colère, il n’eut jamais recours à la violence physique. Il n’était pas non plus un de ces géants imbéciles aux bras ballants mais un pacifiste persuadé que la parole constituait la plus puissante des armes. Ben était juste un type aux proportions hors normes issu d’un bout de terre délabré. Il avait grandi de la même façon que son quartier ; trop vite, trop haut. Il y était né et n’y avait jamais vu s’améliorer les choses. Il occupait un appartement au onzième étage d’une tour, situé un bloc à l’est de Pearl St.. Son habitat, Ben composait avec depuis vingt ans maintenant. Il n’y avait jamais vu les choses s’embellir, comme si toute existence ici était vouée à l’autodestruction. En autant de temps, Ben eut tout le loisir d’assimiler les concepts de misère sociale, d’exclusion et de pauvreté. L’apprentissage le plus efficace restant l’exposition quotidienne à ces trois phénomènes. À peine cinq années après leur construction, les blocs d’habitations, soi-disant de « standing », ressemblaient à des éponges géantes imbibées de pollution. La bonne idée avait été de construire un quartier, rapidement, non loin de la rivière sur une des anciennes décharges de la ville. On nettoyait le paysage sans se soucier vraiment du confort des futurs occupants. Comme de partout, l’humidité aussi avait son standing. Le choix des matériaux d’isolation et de protection des façades était la cause principale de la dégradation du quartier. Les promoteurs immobiliers n’eurent jamais commandé d’expertise. Une fois le projet terminé, ravi de leur succès, ils mirent les voiles vers une autre ville à la recherche d’un autre business juteux. Les heureux propriétaires, eux, restèrent dans l’obligation de payer leur achat, et ce malgré leurs protestations auprès des compagnies immobilières. La gronde gagna le quartier. Les locataires désertèrent rapidement et les échoppes baissèrent pour une dernière fois leur rideau de fer. Ceux qui habitaient encore le quartier se résignèrent ; et à partir du moment où la classe ouvrière baisse les bras, c’est la mafia qui fait main basse. Et sans un bruit, la drogue s’est pointée à la fiesta. À qui la faute, demandèrent les riverains ? Était-ce la faute de l’armada d’avocats qui protégèrent une escouade de promoteurs véreux ? Ou bien celle de l’ouvrier qui avait posé l’isolant bas de gamme ? Ou celle du prolétaire, trop con pour savoir que l’accès à la propriété dans des prix raisonnables n’était qu’une illusion qu’il lui était donné ? Ou bien était-ce la faute de l’État spectateur ? Du spectacle, Ben, lui n’en

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