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Nothus sanguis - Tome 1: Le réveil du démon
Nothus sanguis - Tome 1: Le réveil du démon
Nothus sanguis - Tome 1: Le réveil du démon
Livre électronique834 pages8 heures

Nothus sanguis - Tome 1: Le réveil du démon

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À propos de ce livre électronique

Au cœur du duché de Montfort, une enfant équipée d'un mystérieux médaillon échappe à la destruction de son village...

À l’approche de l’an mil, tandis que l’Église étend son pouvoir, le duché de Montfort est déchiré par les plaies du Moyen Âge : raids vikings, complots, lutte de pouvoir, famine et mal des ardents… Dans ce chaos qui touche toute l’Europe occidentale, une fillette, seule rescapée de la mise à sac de son village, est confiée aux soins d’une abbesse charismatique et torturée. Celle-ci, dont la curiosité a été attisée par le médaillon celtique de l’enfant, va ouvrir une enquête qui, bien malgré elle, va avoir des conséquences désastreuses… Mais les origines de cette enfant sont-elles le seul mystère qui l’entoure ou bien un secret bien plus terrible va-t-il réveiller un vieux démon endormi depuis trop longtemps ? Foi chrétienne, mystères druidiques ou sciences occultes, des univers bien différents et bien sombres se côtoient, s’opposent, s’affrontent et se révèlent, ainsi que le poids d’un destin qui semble bien capricieux et impitoyable tant pour la fillette que pour tous ceux qui l’approchent, voire même pour le duché tout entier…

Immergez-vous dans le premier tome de cette saga historique et découvrez un univers sombre, tissé de terribles secrets, qui mêle raids viking, fois chrétiennes, mystères druidiques et sciences occultes !

EXTRAIT

Le seul élément étranger à cette merveilleuse harmonie qu’était leur vie, à elle et à Gerwald, et qui pouvait mettre à mal le processus immuable de leurs habitudes, était Azanaïs.
Avec dépit, elle dut admettre que leur protégée serait leur plus grand bonheur mais aussi leur plus terrible malédiction.
Elle avait, pour la énième fois, averti, prévenu et conseillé le Comte de Lockhaân et pour la énième fois, celui-ci avait balayé d’un geste ses avertissements.
La druidesse se résigna donc à attendre que son monde s’effondre tout autour d’elle, entraînant dans sa chute un Duché tout entier.
Dans les souterrains de RunGwadeg, Gerwald jubilait. Il avait enfin un but dans l’existence et n’avait plus l’impression de vivre en vain. Azanaïs, en élève studieuse, découvrait la symbolique de l’alchimie et s’intéressait aux vertus des différents mélanges chimiques que le Comte préparait d’une manière bien différente de celle de Nénoga.
La médecine de la Celte utilisait le feu, le pilon et le mortier, le bouillon et même l’exposition aux rayons lunaires. L’art de Gerwald avait besoin d’alambics, de coupelles, de mantras, de tubes en verre ou en cuivre, de divers récipients et outils compliqués, pour pouvoir s’accomplir. Sans parler des diverses matières minérales et métalliques aussi complexes et variées qu’elles étaient difficiles à se procurer.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

De quoi tenir en haleine pendant de longues heures les passionnés du genre. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Française d’origine bretonne, V. H. Buquet est née en Belgique. C’est très jeune qu’elle commence à écrire des histoires qui, au fur et à mesure de son développement émotionnel, prirent plus de corps, plus de profondeur. Après divers emplois dans des domaines très variés, et après d’autres formations qui le furent tout autant, elle eut l’opportunité d’être engagée chez un notaire comme assistante juridique. À présent, ayant décidé de retourner à ses racines, elle vit entre la Bretagne et la Belgique, attendant de se fixer définitivement dans les Côtes-d’Armor.
LangueFrançais
Date de sortie4 sept. 2019
ISBN9782851139146
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    Aperçu du livre

    Nothus sanguis - Tome 1 - V. H. Buquet

    V. H. Buquet

    Nothus sanguis

    Tome I

    Le réveil du démon

    Roman

    ycRfQ7XCWLAnHKAUKxt--ZgA2Tk9nR5ITn66GuqoFd_3JKqp5G702Iw2GnZDhayPX8VaxIzTUfw7T8N2cM0E-uuVpP-H6n77mQdOvpH8GM70YSMgax3FqA4SEYHI6UDg_tU85i1ASbalg068-g

    © Lys Bleu Éditions – V. H. Buquet

    ISBN : 978-2-85113-914-6

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes.

    Entrée en matière

    Dans les temps qui précédèrent l’an Mil, cette époque, où les croyances païennes apprenaient à s’intégrer dans le christianisme omnipotent, était riche de querelles, de convoitises et de complots. S’ajoutait à ce marasme féodal la menace persistante des hommes du Nord, qui, par vagues successives, avaient mis à feu et à sang les côtes européennes.

    De l’ancienne Gaule que les Francs avaient mise à genoux, il restait les Provinces que la noblesse Carolingienne s’était partagées. Le royaume de Francie quant à lui, avait vu sa couronne vaciller sur la tête de roitelets de peu d’envergure, et avait été à la merci de seigneurs aux dents longues et aux bourses pleines. Son territoire avait diminué comme peau de chagrin¹ jusqu’à ce que sur son trône, enfin, un roi à la poigne plus ferme y monte.

    Ainsi, en 987 Hugues Capet fut couronné. Il parvint à asseoir son autorité et, en associant son fils, Robert II, à la couronne, de fait, il l’imposa comme successeur au trône.

    Sur les épaules de ce fils, héritier d’un sang neuf, incombait le fardeau de consolider les bases que son illustre père avait établies et mériter ce legs. Pour ce faire, il fallait conserver le respect des puissants, mais, tout aussi important pour Robert, surnommé par la suite : « le Pieux », il fallait assurer sa descendance et garder la couronne de Francie au front des Capets…

    C’est pourquoi son père, le roi Hugues, avait arrangé le mariage de ce dernier, alors âgé de seize ans, avec Rozala D’Italie, de vingt ans son aînée et veuve d’Arnould de Flandre. Mais cette union imposée s’avéra stérile, et le jeune Robert répudia son épouse la troisième année de leurs noces. Il se consola dans d’autres bras, aimant et délaissant tour à tour ses maîtresses, jusqu’à ce qu’il s’éprenne sincèrement de Berthe de Bourgogne.

    Cet amour sincère et réciproque ne reçut pas l’approbation d’Hugues Capet, qui s’opposa farouchement à ce mariage consanguin. Et Robert dut se plier à la volonté de son père, du moins… jusqu’à ce que celui-ci meure…

    En 997, le Duché de Montfort² était un territoire indépendant depuis 845, tout comme la Bretagne, son alliée jusqu’alors.

    Son Duc, Erwan de Montfort, alors âgé de 44 ans, était un homme vindicatif et belliqueux. Il dirigeait son pays d’une main de fer. Il était plus craint que respecté.

    Depuis que son trisaïeul avait combattu à la bataille du Ballon au côté de Nominoé, Comte de Vannes, contre Charles de Chauve³, la Bretagne et Montfort étaient des alliés constants.

    Cependant, lorsque, en 994, Geoffroi avait vaincu Judicaël, le Comte de Nantes, et s’était proclamé Duc de Bretagne, il avait pour projet d’annexer le Duché de Montfort au sien⁴.

    Prenant la menace très au sérieux, Erwan de Montfort avait rappelé ses vassaux pour lui prêter main-forte et garantir l’intégrité de son territoire.

    Celui-ci se situait entre la Normandie à son Septentrion, avec à sa tête Richard II l’Irascible, homme mûr de 35 ans⁵, vassal du roi de Francie. Au Sud de Montfort était le Duché indépendant de Bretagne, dirigé par Geoffroi Ier, alors âgé d’environ 17 ans, et à l’Est, le royaume de Francie, avec, à sa tête, le fils d’Hugues Capet qui venait à peine d’en ceindre seul la couronne à 25 ans… À l’Ouest enfin, il y avait la mer…⁶

    ****

    Première époque

    Chapitre un

    Azanaïs

    Hiver 992…

    Dans le silence oppressant d’un monastère isolé, le cri de délivrance d’une femme en couche vient troubler la morgue glaciale de ce lieu imposant.

    Sans tarder, l’abbesse arrache aux bras de sa mère le nouveau-né et le confie à l’unique moniale qui a assisté à cette naissance, en plus de l’accoucheuse. Tandis que la sage-femme s’emploie à soulager la pauvre accouchée épuisée, la sœur apporte l’enfant à un prêtre qui attend patiemment depuis des heures, seul, dans le cloître.

    Étrange quatuor que ces protagonistes !

    Tout d’abord cet ecclésiastique : Le teint mat ; une barbe en pointe au crin sombre ; un regard noir, hypnotique, insondable ; parcimonieux de paroles et de sourires ; silencieux comme une ombre ; souple comme un chat ; la tête couverte par une cuculle en bure brune, comme sa coule⁷ resserrée à la taille par une cordelette garnie d’un chapelet en bois d’une taille impressionnante. Il sort les mains de sous son scapulaire qui forme deux grands pans noirs retenus, eux aussi, par la cordelette qui lui sert de ceinture. Il écarte le linge qui recouvre l’enfant. Après un bref examen, il opine de la tête à l’attention de la bénédictine, qui l’œil vif et la mine satisfaite, esquisse un sourire qui fait grimacer son visage ingrat. Cette naine, dont la démarche chaloupée lui donne une allure cocasse, l’invite, d’un signe de tête, à la suivre dans l’abbatiale.

    Tandis que l’abbesse, restée auprès de la jeune mère, se perd en conjecture sur le rôle qu’elle a accepté, à contrecœur, de jouer dans cette affaire, la jeune femme confie subrepticement un petit objet à l’accoucheuse en lui murmurant des mots qui semblent devoir n’être entendus que d’elle seule.

    Après s’être assurée que les couloirs du monastère sont toujours bien déserts, l’abbesse accompagne alors la sage-femme jusqu’au portique de l’église, sans y entrer elle-même. La curieuse mise de cette maïeuticienne⁸ détonne avec la rigueur codifiée de l’habit de la supérieure.

    Si la religieuse porte une robe de bure immaculée recouverte d’un scapulaire noir, l’autre, en revanche, est emmaillotée dans une mante⁹ écrue faite d’une étoffe de laine grossière. Les bras nus, elle ne semble pas être affectée par le froid mordant qu’un vent insidieux amplifie.

    Après un instant d’hésitation, l’accoucheuse s’engouffre enfin dans l’abbatiale et rejoint le prêtre et la moniale qui se tiennent devant les fonts baptismaux.

    L’éclat d’une lame brille entre les mains de la moinesse¹⁰. Les yeux étrangement clairs de la sage-femme, obnubilés par l’éclat froid du métal, ne peuvent se détacher de la dague affilée. Un regard suffit au prêtre pour tempérer les ardeurs criminelles de la nonne. Il dépose néanmoins une main autoritaire sur l’arme, enjoignant tacitement à cette nabote de la ranger.

    — « Le sang ne lavera pas l’affront. », déclare-t-il alors, de sa voix grave, profonde, subjuguante presque. Le laid visage de la sœur s’assombrit. Elle ne cache nullement sa désapprobation et son désappointement.

    — « Vous aviez dit que cet enfant devait disparaître ! Ceci pour le bien de tous ! » se rebelle-t-elle alors.

    — « Certes ! Mais pas ainsi ! », se contente-t-il de répondre.

    S’ensuit alors une étrange cérémonie, qui ne dure que quelques minutes. Puis, ce trio incongru s’en va rejoindre l’abbesse, dans le cloître venteux, glacial.

    — « Qu’allez-vous en faire ? » demande la supérieure, légèrement inquiète.

    — « Ne vous préoccupez point de cela. Votre rôle s’arrête ici ! » déclare le prêtre.

    D’un pas décidé, il se dirige vers le vestibule. Sur le pas de la porte, il se retourne et salue brièvement les trois femmes, visiblement frappées de mutisme. Il ouvre le lourd vantail. Une rafale de fins flocons de neige s’engouffre, opportuniste, par cette ouverture.

    Cette gifle nivale semble sortir de sa torpeur l’accoucheuse qui s’écrie :

    — « Attendez ! Je vous accompagne ! »

    L’homme ne semble pas particulièrement surpris ou ennuyé. Il accepte d’un signe de tête, et voilà les deux complices qui s’enfoncent dans la nuit.

    La lourde porte du monastère se referme sur leurs silhouettes, qui s’éloignent inexorablement, avalées, digérées, confondues dans ces ténèbres fouettées par une bourrasque blanchâtre et givrée, laissant à leur silence et à leur oubli les vieilles pierres lisses et vitreuses de cette triste abbaye…

    ***

    An de grâce 1031

    Déjà, les torches éclairent les couloirs du château de « la Joyeuse Garde »¹¹, forteresse imposante de la Forest-Landerneau et lieu symbolique des temps oubliés de la résistance bretonne face aux barbares.

    Un homme s’engage dans ce dédale d’un pas alerte. Il porte un manteau à la couleur fade, retenu par une fibule en métal grossier. À son flanc brille une épée.

    Son pas est martelé par l’usage d’un bâton qu’il tient avec assurance. Son front est ridé mais son regard est vif. Son corps et ses mains sont marqués par le temps mais sa prestance n’a rien perdu de sa superbe.

    Lorsqu’il entre dans la grande salle du château, on fait place sur son passage.

    Et le silence s’installe dès lors qu’on l’a reconnu…

    Alors il s’adresse à l’assemblée soudain aphone, après s’être campé en face du seigneur des lieux.

    « Me voici, Messire et beaux seigneurs, auprès de vous ce soir, porté par un secret dont je suis depuis trop longtemps détenteur. Maintes fois, j’ai déposé ce fardeau, et maintes fois je l’ai repris, ne sachant ni quand, ni à qui, il m’incomberait de le rendre. » Puis il se tourne subitement et s’adresse alors à un jouvenceau perdu au milieu de cette cour. « Mais aujourd’hui, je te fais face, jeune Véran ! Te voilà homme, mon beau sire ! Il est temps pour toi d’apprécier la vertu de ton sang. »

    Tous les regards se tournent alors vers un jeune homme grand, élancé, aux longs cheveux d’ébène, au nez aquilin, à la bouche mince, au large front, aux joues creuses, aux pommettes saillantes et aux yeux verts comme les prairies aux printemps.

    Vaguement mal à l’aise, le jouvenceau se retourne vers son voisin, qui dépose une main rassurante sur son épaule. Lui aussi est grand et svelte. Malgré la beauté de sa face, son regard durcit l’harmonie de ses traits. Il porte également les cheveux longs, à ce détail près : les siens sont d’une blondeur dorée entremêlée de fils d’argent. L’homme esquisse un sourire légèrement narquois. Il n’interrompt cependant pas le vieillard.

    « Tu n’as pas eu l’heur de connaître tous les bouleversements qui ont tourmenté ta maison, et ce, bien avant ta naissance. »

    Et l’orateur improvisé apostrophe à nouveau l’assemblée de courtisans.

    « Assez de mensonges et de tromperies, de feintes et de malignité. Assez de jugements, de procès, de sentences. Il est temps de rétablir la vérité dans ce qu’elle a de plus simple, de plus juste et de plus rédempteur. »

    Quelques secondes s’écoulent, interminables de silence, avant que l’étrange personnage reprenne à l’attention du dit Véran :

    « En ces temps reculés où la mémoire fait défaut, cette histoire, je me dois de te la conter, ainsi qu’à vous, bonnes gens de cette belle cité, et à vous, mes seigneurs, descendants de fières et nobles lignées. Car c’est là ma mission, à moi, humble serviteur du souvenir. »

    « À nous tous ici réunis, à l’abri de toute menace, derrière ces murs épais et solides, que savons-nous encore de notre valeur ? Depuis quand notre courage n’a-t-il plus été éprouvé ? Depuis quand notre jugement ne nous a-t-il pas conduits aux décisions les plus ultimes ? Rendons grâce au Seigneur de ne pas nous infliger ces maux, car, pour acquérir ce Savoir, il faut approcher les Démons, combattre leur péril et, Dieu nous en préserve, nous n’avons pas tous l’heur d’y être confrontés. »

    Le nouveau venu, le ton pontifiant, le geste large continue sa harangue :

    « Si je suis aujourd’hui parmi vous, c’est pour rétablir une justice trop longtemps bafouée pour servir les noirs desseins d’êtres envieux et cupides, lâches et calculateurs. Je suis là pour rendre leur honneur à ceux qui furent injustement châtiés. Je suis leur passé, leur voix, leur plaidoyer. Laissez-moi vous conter ce récit qui vous éclairera. »

    « Prêtez-moi votre attention et jugez par vous-mêmes, mes seigneurs, de la justesse de mes propos. »

    C’est ainsi que, toujours sur un ton emphatique, le « barde à l’épée » s’adresse à cette assemblée. Mais qui est-il donc ?

    Ce sobriquet, il en a été affublé pour avoir narré maints combats sanglants dans lesquels il avait lui-même pris part. Ses origines modestes ne le prédestinaient pas à une vie aussi glorieuse.

    Sa bravoure est incontestée. Il a acquis le respect par ses actes héroïques sur les champs de bataille, et un nom, celui du lieu qui l’a vu naître : Vollonge. Car il a été adoubé, de bien nombreuses années auparavant, par celui qu’il avait juré de servir : le Duc de Montfort. Mais aucun titre, aucune reconnaissance, aucune gloire n’a pu effacer le souvenir de ce qu’il a été, même si son passé demeure obscur.

    On le dit ancien brigand ou sorcier, esclave ou écorcheur. Sur le chemin de la repentance, il a choisi Dieu sans jamais abandonner totalement son ancienne foi, si tant est qu’il ait jamais appartenu à une confession. Il a le verbe fort, la critique vive. Son conseil est recherché mais jamais avoué.

    Doté de prétendus pouvoirs, il est craint et l’on veille à ne pas contrarier ce vieillard incisif et volubile.

    Ainsi, Pétrus de Vollonge a-t-il été absout pour son passé, pardonné pour son impiété et encensé pour son art, qu’il fût martial ou oral.

    ***

    Le récit, que Pétrus de Vollonge s’apprête à conter, commence alors que le décès d’Hugues Capet est survenu voici neuf mois. Nous sommes en juillet de l’an de grâce du Seigneur 997.

    Mais de cette chronique, par prudence et par pudeur, certains chapitres furent omis dans la narration de ce dévoué intercesseur. Il est des mots qu’il faut éviter de prononcer sous peine de se voir discrédité, honni, anéanti…

    Alors, même si je garde mon mystère, permettez-moi de prendre la place du conteur afin qu’aucun détail n’en soit occulté, car il n’est pas de meilleur témoin que moi pour cette entreprise…

    Voici cette histoire…

    ***

    Été de l’an de grâce 997

    Il faisait doux cette nuit-là. Dans l’unique pièce de la chaumière flottait une bonne odeur de pain frais et de soupe. La mère, au coin de l’âtre, cousait un bliaud¹² dans un bon drap de laine pour son époux.

    Sa jeune sœur, assise à la grande table familiale, fredonnait un refrain caressant en écossant des pois. Les deux enfants de la maisonnée jouaient à terre avec de petits cailloux et des morceaux de bois savamment disposés.

    Le garçon, du haut de ses onze ans, expliquait, en grand stratège, la tactique à adopter pour renforcer leur forteresse de fortune à une petite fille de la moitié de son âge. Tout était calme, tranquille.

    La plupart des hommes avaient déserté le village, appelés par le seigneur des lieux en renfort pour sécuriser la frontière avec la Bretagne. Ces paysans venaient gonfler les rangs de l’infanterie.

    Peu entraînés, ils devaient le plus souvent leur survie au fait qu’il y avait peu de batailles rangées à cette époque. Ils étaient là surtout pour faire illusion face aux Bretons, car lors de conflits, on leur préférait la cavalerie et les soldats de métier.

    Il restait donc au village les femmes, les enfants et les vieillards.

    La saison demandait de la main-d’œuvre aux champs. Et c’était double charge de travail pour ces villageois en nombre restreint. Tous étaient mis à contribution, même les jeunes enfants. C’est pourquoi l’on goûtait, après une rude journée, la douceur et la quiétude de ces nuits d’été…

    Ayant terminé de nettoyer ses légumes, la jeune fille se leva et constata que la nuit commençait à tomber. Concentrées sur leurs ouvrages, les deux femmes n’y avaient pas prêté attention. On prépara donc les enfants pour la nuit.

    Soudain, des cris retentirent au-dehors, des cris qui, en se rapprochant, enflaient, stridulaient, se transformaient en une clameur angoissée. Un son lourd, plus sourd, plus puissant, accompagnait ce tumulte et faisait trembler le sol.

    — « Restez là ! » dit la mère, Elle ouvrit légèrement la porte et passa la tête par l’entrebâillement. Elle la referma presque aussitôt et tira le verrou. Elle avait le regard affolé et répétait « Seigneur, protégez-nous ! » en se signant et regardant de tous côtés.

    « Vite, il faut bloquer la porte ! », s’affola-t-elle. Elle s’adossa à celle-ci, les mains le long du corps, à plat contre le bois. Le tocsin se mit à retentir. Aux cris s’étaient mêlés des hurlements déchirants et des bruits métalliques scandaient ce brouhaha.

    Ce grondement se rapprochait si vite, qu’on eût dit qu’il était porté par un cheval au galop. Dans la pièce, tout le monde s’était levé, et, figés par la peur palpable de la mère, ils restaient là immobiles.

    Tout à coup, la porte céda sous l’épaule de deux hommes immenses, habillés de métal et de peaux, tenant des armes impressionnantes. La mère, projetée dans la pièce sous l’effet du choc, tomba aux pieds de sa cadette.

    La jeune fille s’agenouilla pour l’aider à se relever, quand l’un des deux colosses la saisit par le bras et la jeta sur le lit.

    Comprenant le danger, le jeune garçon courut jusqu’à la fenêtre et l’ouvrit. Il s’y engouffra et disparut. Un des géants sortit aussitôt pour le rattraper.

    La fillette profita de cette diversion pour se dissimuler sous le lit, tandis que le second guerrier, sans état d’âme, transperçait de part en part la pauvre mère qui tentait de protéger sa jeune sœur. La brute maîtrisa la jeune fille et s’engouffra sous ses jupes.

    Il la violait tandis que le second barbare revenait bredouille. Il interpella son compère dans un langage incompréhensible.

    La petite, sous le lit, ne voyait que des pieds qui parcouraient la pièce de long en large.

    En cet instant, le plus cruel, pour la fillette, était de supporter, en silence, la vue du visage de sa mère dont les yeux étaient restés ouverts après le crime, et qui la regardaient avec fixité.

    Au-dehors, les cris s’entremêlaient des craquements typiques que produisent les flammes lorsqu’elles dévorent le bois. La force de l’incendie éclairait la nuit comme en plein jour, et la fumée se répandait partout, véhiculant l’horreur de son odeur infecte.

    À quatre pattes sous la couche conjugale, la petite fille ne bougeait pas, attentive à ne faire aucun bruit. Elle gardait les yeux écarquillés, comme fascinée par ce spectacle.

    Elle sentit une substance poisseuse et tiède sous sa main.

    C’était le sang de sa mère qui doucement, coulait jusqu’à elle, comme un dernier lien avant le trépas. Dans un effort surhumain, et par la logique primale que confère l’instinct de survie, elle se retint de hurler.

    Sa respiration s’accéléra. Le bruit de son souffle était couvert par les pleurs et les supplications de sa tante qui subissait tous les outrages par ces deux barbares et gémissait douloureusement sous le joug de ses agresseurs. Mais bientôt, les plaintes cessèrent.

    Dehors la clameur ne s’essoufflait pas, mais dans la chaumière, un calme inquiétant s’était installé. Les pieds des deux hommes allaient et venaient en tous sens, puis soudain, ils s’arrêtèrent.

    Tout à coup, le lit disparut d’au-dessus de la petite fille. Elle se retrouva à découvert au milieu d’une mare de sang. L’homme, qui avait poursuivi son frère, l’attrapa par les cheveux qu’elle avait longs. La fillette, tétanisée, ne se plaignit pas malgré la douleur qui lui saisissait le crâne.

    Le barbare avait maintenant son visage au niveau du sien. Il souriait. Il était encore plus impressionnant de près. Il avait la face rubiconde, les cheveux couleur de lune, les yeux aussi bleus que de l’eau. Il avait une barbe aussi claire que ses cheveux et des tresses lui encadraient le visage.

    Azanaïs le regardait fixement, comme hypnotisée par cet étranger. Il baragouina quelques mots et éclata de rire. Il la reposa sur le sol, tout en la maintenant toujours par les cheveux, et la traîna jusqu’au-dehors.

    En sortant, elle n’eut pour dernière vision de la pièce, que le corps sans vie de sa mère, baignant dans son sang. Quant à sa tante, l’autre homme, sans lui laisser le temps de se rhabiller, l’avait traînée au-dehors et livrée à d’autres mains, tout aussi perverses.

    Comme dans un cauchemar, l’extérieur parut à la fillette tout aussi étranger.

    L’odeur, les cris, les flammes redessinaient le paysage en une fresque apocalyptique. Le choc des armes, les cris de guerre, l’atmosphère étouffante ! Et les bêtes, qui, affolées, beuglaient dans une cacophonie tonitruante. Tout cela ne pouvait être que l’enfer et ces diables sortis de la nuit étaient là pour tous les y entraîner.

    Soudain, Azanaïs se retrouva à terre. En se relevant, libérée de son entrave de chair, elle se retourna et vit son frère, Pierre, campé sur ses jambes, sa fronde à la main, qui venait d’estourbir son agresseur.

    Il l’attrapa par la main et ils se mirent à courir, fragiles silhouettes dans cette nuit embrasée, vers la forêt toute proche. Ils couraient aussi vite que leurs petites jambes le leur permettaient, mais pas assez vite, non, pas assez vite…

    Pierre se retournait sans cesse. Les barbares rassemblaient quelques hommes au milieu de ce tumulte. Et les cris et les ordres se mélangeaient. Même sans rien y entendre à leur langage, on comprenait qu’ils ne voulaient pas que les enfants leur échappent.

    Pierre trébucha et s’étala de tout son long. Il lança à sa petite sœur :

    — « Cours, Azanaïs, cours ! Ne t’arrête pas ! Je te rejoindrai. Va, pour l’amour de Dieu, va ! » Mais la fillette, paralysée par la peur, ne bougeait pas, plantée là, comme un piquet, les yeux écarquillés.

    Les Barbares, coiffés de casques à lunettes ou à nasal, se rapprochaient en vociférant des sons gutturaux. Pierre se releva. Il empoigna Azanaïs et se remit à courir, mais sa chute l’avait blessé. Il boitait.

    Voyant les brutes se rapprocher dangereusement, il saisit une pierre et fit tournoyer sa fronde.

    — « Va-t’en ! Cache-toi dans le bois, là où tu sais ! Pars vite, je t’y rejoindrai ! »

    Cette fois la fillette obéit et, presque en volant, courut sans se retourner, courut jusqu’à ce que le noir de la nuit soit revenu, jusqu’à ce que les odeurs se soient dissipées, jusqu’à ce que les bruits se soient tu. Alors, dans ce silence, enfin elle s’arrêta.

    Mais dans cette nuit sans lune, comment retrouver l’arbre creux de leurs jeux d’enfants ? Pierre et elle s’y amusaient souvent, à la recherche du monde des lutins et des Korrigans, espérant y rencontrer des fées. Mais, cette fois, c’était le salut qu’elle comptait y trouver.

    Au loin, une vague lueur orangée flottait, impalpable, dans la moiteur terreuse de la forêt. La petite fille s’assit au pied d’un arbre et se mit à trembler de manière incontrôlable. Le temps semblait suspendu. Tout s’était déroulé si vite. Là, maintenant, toute la scène repassait devant ses yeux effarés : Le craquement terrible de la porte ; l’entrée de ces étrangers démesurés et patibulaires. Les cris des deux femmes devant leur terrible destin. La fuite de Pierre. Et le glaive transperçant sa mère…

    La fillette poussa un cri déchirant. Se rappeler cette scène abominable était insoutenable…

    Sa mère qui s’écroule lourdement sur le sol, ses cheveux blancs rougissant doucement au contact du sang. Sa main qui effleure sa blessure. Le regard suppliant qu’elle lui lance, comme pour lui demander de ne pas crier, de ne pas bouger, de disparaître. Le lit grinçant sous le poids du Viking. Puis le silence, encore le silence.

    Elle attendait. Le temps passait. Pierre ne venait pas et elle tremblait toujours. La peur primitive se muait en angoisse. Pierre n’était pas là ! Tous ses muscles étaient tendus. Elle ferma un moment les yeux comme pour goûter le calme rassurant de la nuit. La forêt lui offrait un asile sûr et la fillette enfonça ses doigts dans le sol tendre et odorant du sous-bois, semblant vouloir faire corps avec lui, appartenir au monde végétal, planter ses racines profondément pour ne plus en bouger.

    Un hululement lugubre brisa ce silence. En poussant un cri vite étouffé, la fillette se releva et se remit à courir sans but, mais le plus loin possible de l’endroit où elle se trouvait.

    Elle finit par s’arrêter, épuisée, dans une clairière et se laissa accueillir par la mousse généreuse de cette litière improvisée. Elle ferma les yeux pour les rouvrir aussitôt, ne pouvant soutenir l’horreur de ses visions. Alors elle fixa un point dans la nuit, et, comme hypnotisée, attendit le lever du jour.

    Elle était dans sa cinquième année, mais, cette nuit-là, l’enfance la quitta.

    ***

    « Une traînée blanchâtre s’étirait à l’Est, déchirant le voile de la nuit. Je regardais sans le voir ce faisceau de lumière annonciateur du jour. J’avais froid. Mes vêtements étaient imbibés de rosée matutinale et je me remis à trembler. Déjà, les premiers ramages des oiseaux éveillaient le sous-bois.

    C’était étrange, tout était si calme, si beau, si paisible. Était-ce le même pays que la veille ? Était-ce ce monde infernal ou des démons surgis de nulle part avaient détruit mon univers ?

    Soudain, une pensée folle me traversa l’esprit ! Avais-je rêvé ? Plus qu’une idée, c’était une prière ; l’espoir d’avoir fait un cauchemar dont je me réveillais libérée.

    Je me levai et regardai autour de moi. Je reconnus presque aussitôt l’arbre que j’avais cherché en vain cette nuit. J’étais de plus en plus sûre d’avoir rêvé. Tout était si parfait, tel que dans mon souvenir, qu’il ne pouvait qu’en être de même pour le reste.

    Forte de cette conviction, je me mis en route vers le village, courant plus que marchant malgré le froid de mon corps et les courbatures d’une nuit à la belle étoile.

    Je voulais rejoindre mon hameau et me convaincre qu’il ne s’agissait que d’un mauvais rêve.

    Hormis les bruits habituels des aubes d’été, rien ne troublait la quiétude de cette nouvelle journée. Maman et Pierre seraient là à m’attendre, et à me disputer aussi pour mon absence. Le bonheur de me revoir après une nuit d’angoisse leur ferait me pardonner mon escapade. Maman me donnerait un bain et ferait chauffer du lait pour y tremper le pain. Et nous serions réunis, et nous attendrions le retour de notre père, qui nous conterait ses exploits auprès des chevaliers et nobles seigneurs. Oui, tout serait tel que je l’avais laissé.

    Cette pensée me donnait des ailes. Je pressai donc encore le pas. Au fur et à mesure de ma progression, le bois perdait en densité et je retrouvai sans peine le chemin du village.

    Mais plus je m’approchais, plus je perdais ma belle assurance, car d’où j’étais, je pouvais voir les fumerolles qui s’échappaient des huttes incendiées, preuve qu’un feu y couvait encore. La suite me consterna.

    Une cohue indescriptible agitait l’entrée du village. Des hommes à cheval quadrillaient le terrain, d’autres rassemblaient en tas des cadavres carbonisés. Des hommes en armes fouillaient les habitations en ruine à la recherche d’improbables survivants. Des paysans des hameaux voisins arrivaient à la rescousse pour aider le seigneur de Montfort, qui était venu, en personne, porter un secours tardif à notre communauté.

    Je m’arrêtai à l’orée du bois et restai là, immobile, contemplant, incrédule, ce spectacle de désolation.

    Le seigneur de Montfort et quelques chevaliers se regroupaient, prêts à repartir, quand un jeune cavalier me remarqua et s’écria, tout excité :

    — « Là, il y a quelqu’un ! Il y a un rescapé ! ».

    Quel aspect navrant devais-je offrir à la vue de ces nobles ! Cheveux en bataille, nus pieds, la chemise imbibée de sang jusqu’à la taille, maculée de poussière, de terre et de larmes…

    Le jouvenceau s’avança et, arrivé à ma hauteur, il mit pied à terre.

    — « C’est une petite fille ! » lança-t-il à ses pairs.

    — « Je vous l’amène ! ». Il s’accroupit et me tint les épaules.

    — « N’aie pas peur, tu es sauvée ! Viens avec moi, tu n’as plus rien à craindre ! » Il me prit dans ses bras et me mit à califourchon sur son cheval. Il y monta à son tour. Nous nous dirigeâmes au petit trot vers le groupe de chevaliers.

    Apostrophant le jeune homme, le Duc s’exclama :

    — « Eh bien, tout beau ! Que voilà un glorieux sauvetage, une petite garce¹³ ! Voilà donc tout ce qui reste de ce village ! »

    « Peste soit de ces barbares ! N’ai-je donc pas assez de m’occuper de ce traître Breton, qu’il faille encore que cette plaie nordique m’asticote les flancs, tel un frelon ? Il faut sauver la récolte et il me faut trouver des bras pour s’en occuper. »

    Il donna des ordres pour que l’on nettoie le village et sauve ce qui pouvait l’être, et décida d’une stratégie pour circonscrire la menace viking. Je l’avais reconnu à son écu : un dragon d’or, pattes avant menaçantes, gueule ouverte et flamme ardente.

    Mon village n’était qu’à une lieue de la côte. Les assaillants, leur forfait accompli, avaient repris la mer, plus riches de quelques bestiaux, chevaux, esclaves et victuailles, laissant, comme à leur habitude, ruine et désolation derrière eux.

    Les hommes de Montfort les avaient pourtant poursuivis, mais sans succès, la rapidité et la surprise étant les maîtres mots de ces hordes scandinaves qui disparaissaient aussi soudainement qu’elles étaient apparues.

    Quant à moi, je n’entendais rien à cette politique. Non, pour moi, lentement, le cauchemar reprenait vie. Alors, une forme de torpeur m’envahit.

    Quand enfin le Duc de Montfort daigna m’accorder un peu d’attention, il se mit à me questionner :

    — « Comment t’appelles-tu, petite ? »

    — « Azanaïs », lui répondis-je d’une toute petite voix, très impressionnée par cet homme imposant et autoritaire.

    Il était de haute taille, bien plus grand que les autres hommes. Sur son destrier, et bien que je sois, moi aussi, à cheval, il le semblait bien plus encore. Son visage émacié était dur, ses traits marqués. Une fine barbe grisonnante soulignait cette figure pointue. Il avait le regard inquisiteur. Sa voix était grave, son ton sec.

    — « Qui sont tes parents ? Étaient-ils avec toi ? As-tu quelqu’un qui puisse te recueillir ? »

    L’émotion, en plus de ce flot de questions, paralysait mon pauvre cerveau. J’étais incapable de m’exprimer, moi qui pourtant le faisais avec aisance, à la plus grande joie de mon entourage. Et je restai là, l’air hagard, la bouche ouverte, ne sachant que répondre.

    — « Elle est stupide ! Nous perdons notre temps ! » proclama-t-il.

    Mon jeune sauveteur, qui était descendu de cheval, se tourna alors vers moi et prit la relève, mais d’un ton plus rassurant :

    — « Tu viens bien de ce village, n’est-ce pas ? »

    D’un signe de la tête, je répondis par l’affirmative.

    « Sais-tu si tes parents étaient au village quand les barbares l’ont attaqué ? »

    Je hochais encore la tête.

    « Tu sais ce que sont devenus tes parents ? »

    Je retrouvai ma voix pour lui répondre d’un « oui » chevrotant.

    « Ils ont été emmenés ? »

    Je ne répondis pas. Je revoyais ma mère, étendue sur le sol de ma maison, dans une flaque rouge à l’odeur fétide.

    Des larmes commencèrent à couler sur mes joues. Mon interlocuteur s’en émut et me prit dans ses bras, déclenchant, par ce geste affectueux, un orage dans mon cœur tourmenté. Je me mis à pleurer.

    Entre deux sanglots, et en m’accrochant à lui comme une désespérée, j’expliquai avec mes mots d’enfant :

    — « Papa est parti. Ils ont tué ma maman. J’ai perdu mon grand frère. Il m’a laissée toute seule dans la forêt. Il s’est battu contre les méchants qui ont fait du mal à maman et à tante Félyse. J’ai couru, couru, mais ils me suivaient. Et Pierre m’a dit de me cacher dans l’arbre, mais je ne l’ai pas trouvé et maintenant, j’ai perdu Pierre ! »

    Comprenant ma détresse dans ce charabia enfantin, il tenta de me rassurer.

    — « Si ton frère a réussi à se sauver aussi, il reviendra sûrement te chercher et tu ne seras plus seule. Garde espoir, petite ! En attendant, je vais m’occuper de toi ! Tu n’as plus rien à craindre, je te le promets ! »

    Fatales paroles qu’il prononçait là ! Car une promesse faite à un enfant, même par charité, doit pouvoir se tenir encore plus sûrement que toute autre faite à un adulte. Cet engagement, je l’inscrivis en lettres d’or dans mon cœur, vouant une confiance absolue dans cet être qui, après cette épreuve, cette souffrance, était comme un baume bienfaisant sur les plaies de mon âme. La première personne gentille et ayant souci de moi après cette affreuse nuit !

    J’étais toujours pendue au cou de ce jeune homme et ne voulais pas lâcher prise. Il devait avoir une quinzaine d’années, peut-être un peu plus, je n’aurais su dire, mais sa voix était déjà grave.

    Il n’était pas vraiment beau, ses lèvres étaient épaisses et bien ourlées mais sa bouche se barrait d’un trait horizontal, sans repli aux commissures. Son sourire découvrait des dents qui, bien que régulières et saines, me semblaient immenses, telles celles d’un loup.

    Ses yeux dorés, légèrement en amande, s’enfonçaient dans leurs orbites nettement marquées et soulignées par de fins sourcils sombres. Son front était haut, lisse et large. Ses cheveux mi-longs et tirés vers l’arrière lui arrivaient aux épaules. Ses larges pommettes étaient saillantes. Son nez fin et aquilin était déformé vers la gauche et faisait penser à un léger croissant de lune, vu de face. Ses joues légèrement creuses se rattachaient à un menton en pointe, conférant à son visage une physionomie triangulaire.

    À bien y regarder, son faciès faisait penser à un crâne nu et blanchi entouré d’une chevelure d’un noir de geai. Mais je n’avais pas peur, car rien en lui ne me rappelait les monstres de la veille. Et s’il était vrai qu’il n’était pas d’un profil très rassurant, son ton amical et doux achevait de me rasséréner.

    Mes pleurs avaient cessé. Il me déposa à terre et s’accroupit pour être à ma hauteur. Son long visage était empreint de bonté quand il me questionna.

    — « Quel âge as-tu ? Le sais-tu ? »

    — « J’ai quatre ans et demi ! » lui répondis-je fièrement d’un ton ferme qui tranchait avec ma misérable apparence.

    Il sembla surpris, tandis que je m’enorgueillissais de connaître mon âge. Bien des enfants au village ne savaient pas le leur et souvent même, ne savaient pas s’exprimer aussi aisément que moi. J’avoue que j’en retirais une certaine fierté, certes puérile, mais bienfaisante à ce moment de mon existence.

    Le jeune homme s’enquit de mon sort auprès du Seigneur de Montfort, lui suggérant de m’emmener en son château. Mais le maître des lieux n’était pas connu pour sa compassion ou sa générosité. Il refusa de se charger de moi, et fort de son autorité, ordonna qu’on me conduisît en la seule abbaye de femmes de ce Duché, sise à près d’une journée de cheval du village, afin d’y être remise aux sœurs qui la dirigeaient.

    Le jeune seigneur adressa quelques timides protestations au Duc qui toujours sur ce ton sec et cassant lui rétorqua :

    — « Puisque tu sembles porter grand intérêt au sort de cette gamine, tu la conduiras toi-même ! Ainsi tu seras garant de sa sécurité. Nous verrons si, après un jour entier à chevaucher en compagnie d’une pisseuse, tu seras toujours aussi prompt à secourir les gueux ! Et je veux te voir céans dès demain ! » Il sembla satisfait de sa tirade car on lui vit un sourire. Il se détourna de nous pour rejoindre les autres cavaliers prêts à retourner au castel de Roqueloup.

    Il s’agissait d’une maison forte, sur la frontière avec la Bretagne, en bord de mer, où le Duc de Montfort avait établi ses quartiers pour y gérer la crise du moment.

    Obéissant à ce seigneur, le jeune homme et moi enfourchâmes le cheval. Et bien que le Duc fût loin de nous, il me murmura, de peur d’être entendu :

    — « Ne te tourmente pas ! Il n’est pas commode parce qu’il est contrarié. Il n’a rien à ton encontre. »

    Nous prîmes donc la route, avec deux de ses compagnons, vers le couvent de l’ordre de Saint-Benoît régi par une abbesse à la poigne de fer, Mathilde de Crauw. »

    ***

    Tandis que la petite fille, bercée par le pas du cheval, somnolait en chemin, le nobliau la détailla avec intérêt.

    Elle n’était pas bien haute et semblait bien frêle. Ses longs cheveux blonds brillaient au soleil comme des milliers de fils d’or, nimbant sa tête d’un halo de lumière. Ses cils sombres tranchaient sur sa peau claire et rose. Il ne pouvait voir ses yeux, mais de son souvenir, il les imaginait clairs. Sa bouche avait des lèvres minces et pâles, ce qui durcissait un peu son petit visage. Mais on pouvait déjà la dire jolie malgré la crasse et les oripeaux qui la couvraient.

    Il remarqua à son cou un médaillon noir, assez grossier, en céramique, orné de trois motifs concentriques. Ce n’était pas là un bijou de femme et encore moins celui d’un enfant. Cela ressemblait plus à une amulette ou au talisman d’un culte païen. Ceci l’intrigua grandement.

    Mais oubliant pour un temps la curiosité suscitée par cet objet, il se promit d’attendre le réveil de la petite pour la questionner.

    Ils arrivèrent au couvent au déclin du jour. Cette abbaye autonome était assez récente et avait été bâtie sur d’anciennes ruines gallo-romaines. Mais nombre de ces divers bâtiments étaient encore en bois. Le mur d’enceinte avait été rehaussé et lui faisait atteindre des dimensions impressionnantes, surtout pour une fillette haute comme trois pommes.

    ***

    « Je me réveillais comme nous arrivions au couvent. Après nous être fait annoncer par une cloche, nous franchîmes le mur d’enceinte qui donnait sur une cour intérieure. Celle-ci offrait l’accès à l’abbaye elle-même. J’étais engourdie. J’avais faim et soif.

    Nous ne nous étions arrêtés qu’une seule fois pour nous restaurer et faire boire les chevaux. Mais à ce moment-là, je ne pouvais rien avaler, les bonnes odeurs de l’auberge me rappelant la cuisine de ma mère. Elles avaient pour effet de me faire replonger dans les larmes, au grand désarroi de mes compagnons de voyage qui rivalisaient d’imagination dans leurs tentatives de me distraire.

    Je n’étais pas habituée à être l’objet de tant d’attention de la part d’adultes. Je ne comprenais pas qu’ils fussent sensibles à ma condition et surtout à l’avenir qui m’attendait dans ce couvent triste et austère.

    L’un des cavaliers qui nous accompagnaient me fabriqua une poupée avec un morceau de toile trouvée sur place et quelques bouts de bois.

    Avec un morceau de charbon de bois, il lui fit des yeux et une bouche. Il me la tendit et je la portai contre mon cœur. Ce bout de chiffon me semblait si familier, moi qui n’avais plus de souvenirs tangibles de mon passé heureux.

    Le jeune seigneur avec qui j’avais chevauché toute la journée s’extasia soudain sur le médaillon que je portais depuis toujours au cou.

    — "Quel joli pendentif as-tu là ! D’où le tiens-tu ? »

    — ‘C’est un cadeau, je ne dois pas m’en séparer, jamais ! Je l’ai promis ! » Je pris peur tout à coup qu’il veuille me l’ôter. Mais il n’en fit rien. Il continua cependant à me questionner.

    — ‘Sais-tu ce que représente le symbole qui y est gravé ? » Ne sachant trop quoi lui répondre, vu mon ignorance, je haussai les épaules et lui dis :

    — ‘Papa m’a dit que c’était pour me rappeler. Il y a des choses écrites dessus. »

    — ‘Ton père sait lire ? » demanda-t-il, incrédule.

    ‘Était-il au village hier ? » continua-t-il.

    — ‘Non, il est parti avec des seigneurs comme toi ! Il a dit que ce ne serait pas pour longtemps, qu’il serait là pour la Saint-Jean. Mais il n’est pas revenu et ça a beaucoup fait pleurer maman ! » lui répondis-je.

    À l’évocation de ma mère et de mon père, la tristesse me revint et je me remis à sangloter. Je suppose que cela fit culpabiliser le jouvenceau qui arrêta de m’interroger et tenta de me calmer.

    — ‘Veux-tu un peu de miel ? Du lait chaud ? Un peu de fromage ? » Mais, bien qu’affamé, mon estomac semblait ne rien pouvoir digérer. Et quelques tentatives et vomissements plus tard, nous nous remîmes en route, tandis que je serrais précieusement ma poupée contre moi. »

    ***

    ‘L’entrée du couvent semblait bien petite en comparaison de ses murs imposants. Une porte de bois, à deux battants, à peine plus haute qu’un homme s’ouvrait sur une pièce assez impressionnante, d’une sobriété glaciale, sans tapisserie ni mobilier. Seul un chant sacré perçait l’atmosphère oppressante de ce vestibule.

    La tourière, qui nous avait ouvert, s’enquit de l’objet de notre visite. Le jeune chevalier demanda à parler à l’abbesse. Celle-ci devait se déplacer jusqu’à l’entrée pour le recevoir car, sauf exception, aucun homme n’appartenant pas au clergé ne pouvait pénétrer au-delà du porche. Ainsi en avait-elle décidé. Elle m’apparut telle une statue. Belle, blanche et froide. Elle était sans âge, intemporelle, extatique presque, jusqu’à ce qu’elle ouvrît la bouche…

    — "Gentil seigneur, que me vaut l’honneur d’une visite aussi tardive ? » demanda d’un ton peu avenant la religieuse.

    — ‘Très sainte femme, je désire confier à vos bons soins cette enfant. Elle est seule au monde. » répondit le jeune homme.

    — ‘Nous n’avons pas vocation d’orphelinat ! Ce lieu est dévolu à la prière et à la contemplation. En aucun cas, je ne puis tolérer que le recueillement de mes sœurs soit troublé par des cris et des piaillements d’enfants ! » déclara-t-elle sèchement.

    — ‘Ma bonne sœur, il va de soi que je ne vous confierais pas une enfant turbulente, prompte à troubler votre quiétude ! Tout au contraire, je peux vous assurer de son obéissance et de sa docilité. » insista le damoiseau.

    — ‘Puisque vous semblez si bien la connaître, pourquoi ne vous en chargez-vous pas vous-même ? » rétorqua-t-elle.

    Sans se démonter, le jeune homme insista. Il s’approcha de l’abbesse, pour lui murmurer à l’oreille :

    — ‘C’est une petite miraculée ! Le Très Haut l’a épargnée alors que tout son village a été massacré par ces mécréants venus du Nord. Ils ont frappé hier, et seule cette fillette en a réchappé ! C’est un signe du Seigneur, à n’en pas douter ! Allez-vous abandonner cette enfant que Dieu a protégée pendant cette atrocité ? Ne tendrez-vous pas une main charitable à une innocente ? »

    Il marqua un temps d’arrêt pour avancer une autre argumentation, bien qu’il fût sûr d’avoir fait mouche dans la cuirasse de cette femme ; elle qui ne fléchissait que lorsque l’on évoquait Dieu à qui elle vouait un amour sans borne. Elle pouvait alors se sentir l’âme guerrière et mener une croisade contre le Mal qu’elle voyait partout : Dans les Hommes, dans les bêtes et même dans la nature, bien qu’ils fussent tous des créations divines.

    Mais il y avait une autre faiblesse dans cette armure qu’était le cœur de Mathilde de Crauw, et il comptait bien l’exploiter. Aussi continua-t-il :

    — ‘Et je gage, chère sœur, qu’en reconnaissance de ce service, il vous sera octroyé une contribution convenable qui vous dédommagera de l’inconfort de cette situation. » Il dut susciter son intérêt, car la question qui suivit fut beaucoup plus temporelle.

    — ‘Et avez-vous une idée de l’ampleur de cet inconfort ? D’autant qu’il va perdurer ! Cette enfant étant bien jeune, il nous faudra subvenir à ses besoins pendant de nombreuses années ! Tiendra-t-on compte de ce facteur ? »

    Tenant la question de l’abbesse pour un acquiescement, le jouvenceau revint vers moi. Il me tendit une bourse où figuraient des armes que je ne connaissais pas. On y voyait, brodés avec soin, deux griffons rouge sang qui se faisaient face mais dont les têtes se détournaient l’une de l’autre.

    Il m’embrassa sur le front et me déclara :

    — ‘Voilà, petite Azanaïs, je te laisse en lieu sûr. Ces saintes femmes veilleront sur toi. Voici une bourse pour tes besoins immédiats. »

    Mais je ne voulais pas le quitter ! Cette femme me faisait peur. Cette bâtisse me

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