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Mâ Fatoûm et l’assassinat de l’Imam de la mosquée « Yves Rocher »: Roman
Mâ Fatoûm et l’assassinat de l’Imam de la mosquée « Yves Rocher »: Roman
Mâ Fatoûm et l’assassinat de l’Imam de la mosquée « Yves Rocher »: Roman
Livre électronique343 pages4 heures

Mâ Fatoûm et l’assassinat de l’Imam de la mosquée « Yves Rocher »: Roman

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À propos de ce livre électronique

'...Le raisonnement l’amena à conclure qu’avec un don de semence, certaines consultantes pourraient bien trouver la lumière et la joie de l’enfantement, et c’est toujours ça. Il sied, n’est-ce pas, à un guide religieux de faire preuve en toute occasion d’altruisme et de dévouement envers ses ouailles, quoiqu’il lui en coûte ? Partant de ce credo maintes fois soulevé dans ses prêches, renforcé par la conviction que le bien et le mal ne sont pas si contradictoires qu’on veut bien le dire, souvent le bien se faisant au moyen du mal et parfois le mal se faisant au moyen du bien, il se persuada que semer dans la propriété d’un autre était assurément un abus condamnable mais, mais, s’il n’y a pas un autre moyen de guérir un mal profond comme celui qui abaisse une créature de Dieu au niveau d’une terre impropre à donner des fruits, la transformant en sous-être dénué de valeur, méprisable et répudiable à merci, alors qu’à cela ne tienne la cocufication cesse d’être rédhibitoire. Mais comment faire ? Où trouver la semence ? Et comment l’appliquer ? Dans un éclair de génie, alors que sa chair moulait voluptueusement le corps souple et généreux de Llâ Zineb, se révéla à lui l’idée qu’il n’appartient à nul autre qu’à lui le vicaire d’Allah, de faire don de sa semence. Ah ! les manigances du diable…''

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hassen Bouabdellah est originaire de Biskra, surnommée la ''Reine des oasis''. Cinéaste formé à Moscou, il a réalisé plus d’une cinquantaine de documentaires dont le célèbre Barberousse, mes sœurs qui donne parole aux femmes condamnées à mort pendant la guerre d’Algérie et graciées par le Général De Gaulle, Ils sont nés le 5 juillet 1962, Le Cardinal Duval, au nom de ma foi... Parallèlement à son travail de cinéaste, il mène une activité de journaliste. Toute sa personnalité tient dans le rejet viscéral de l’injustice et condamne sans équivoque le coup d’État de Boumediene qui installa l'armée à la tête du pays... Menacé de mort il s’installa en France. Mâ Fatoum... est son troisième roman.
LangueFrançais
Date de sortie10 avr. 2020
ISBN9791037706317
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    Aperçu du livre

    Mâ Fatoûm et l’assassinat de l’Imam de la mosquée « Yves Rocher » - Hassen Bouabdellah

    Bibliographie

    L’insurrection des sauterelles. Ed. Edilivre

    Pauvre Martin, Pauvre misère. Ed. Mon petit éditeur

    À mes filles, Nedjma et Mériem,

    soleil printanier de mes jours

    « Aucune carte du monde n’est digne d’un regard si le pays de l’utopie n’y figure pas »

    Oscar Wilde

    Préface

    Au-delà de la simple recherche du mystère et du frisson, le « polar » français s’est ouvert, juste après mai 68, un espace d’expression légitime. Face à des dérives post-proustiennes d’une littérature de plus en plus éthérée, il s’est, dans la foulée des regrettés Manchette et Fajardie, fait le refuge d’un certain réalisme social mâtiné de romantisme révolutionnaire. Mais qu’en est-il sous d’autres latitudes ?  Bien que l’exotisme ne soit ni un moyen ni un objectif pour Hassen Bouabdellah, « Ma Fatoumata » ouvre une fenêtre inédite… Le difficile de l’exercice consiste évidemment, au-delà du travail sur l’ambiance, à donner corps au cadre et aux personnages sans sacrifier le rythme de l’intrigue. Dans tous ces domaines, Hassen Bouabdellah apporte un « plus » et fait la preuve de sa maîtrise. Il joue de ses personnages comme d’un clavier et son anti-Miss Marple est notamment flanquée d’un Watson en képi suffisamment falot pour rehausser l’aura de cette maîtresse femme. Homme de cinéma autant que de lettres, l’auteur maîtrise le flash-back et nous fait revivre les contrastes des « Départements français » aux dernières heures d’une colonisation qui se conciliait bien avec une société « indigène » figée dans ses traditions, entre ânes et moutons. Jeune campagnarde victime d’un trafic humain, l’héroïne deviendra une combattante de la guerre d’Algérie.

    Quant à l’enquête, elle se déroule en 1970, 4 ans après le coup d’État de Boumédiène que les protagonistes ne cessent de maudire. Comme pour leur donner raison, ex-collabos, carriéristes et mafiosi « surfent » alors, comme on ne disait pas à l’époque, sur l’appareil d’État officiellement héritier des Moudjahidines… On l’aura compris, les personnages sont profondément ancrés dans une histoire spécifique, à la charnière de deux cultures. Dans cet univers où « deux dieux valent mieux qu’un », l’école de l’indépendance « sème à tout vent » dans la plus tradition de celle de Jules Ferry aux étagères garnies de dictionnaires Larrousse. Mais des deux côtés de la Méditerranée, « tout est bon dans le potin ! ».

    Malgré un schéma on ne peut plus classique, l’intrigue tient en haleine le lecteur le plus chevronné. Elle lui ouvre également les antichambres d’un quartier d’Alger la Blanche dont les habitants cherchent à échapper à la chaleur de juin. Loin des brumes de Simenon, mais avec la même efficacité, « Mâ Fatoum » nous emmène dans un décor soigneusement peint où le grésillement des cigales n’est couvert que par les coups de klaxon des automobilistes en sueur.

    Le lecteur goûtera une langue à la fois classique et exotique qui subvertit la barrière entre écrit et oralité… Une sensualité quasi-érotique anime ce roman plein de couleurs et parfumée d’odeurs plus subtiles que celle laissée dans la mosquée par les produits « Yves Rocher » …

    Toute cette chair ne perturbe pas la logique du récit avec son lot de coups de théâtre et d’inversion des positions morales, institutionnelles et sociales. Là réside, d’ailleurs le potentiel subversif du genre. Mais à l’heure des révélations publiques sur diverses pratiques calotines, les déviances d’un Imam porté sur la chose font plutôt sourire !

    Olivier Rubens

    I

    L’Imam de la mosquée « Yves Rocher »

    Matin du mercredi 17 juin 1970.

    — Toc… ! Toc...! Toc…

    Trois coups sur la porte, frappés à brefs intervalles. 

    Mâ Fatoûm ne dormait pas. Allongée sur le lit, les pieds couverts d’un drap, elle fixait la tâche de lumière qui miroitait au plafond. Elle appréciait beaucoup ce moment de la journée qui commençait à 8 h du matin avec le départ de P’tit Omar à l’école. Elle ouvrait les yeux dès qu’il sautait du lit, relevait tant qu’elle pouvait son dos, et, avec tendresse et amusement, prêtait l’oreille pour l’écouter se laver, prendre son café au lait, préparé la veille et conservé dans un thermos, manger, vérifier son cartable puis sortir en faisant attention à ne pas faire trop de bruit. Un don du ciel cet enfant ! Il ne se passait pas un jour sans que Mâ Fatoûm n’eût à remercier Allah et son Prophète Mohammed de l’avoir guidée dans son choix du bébé. Car P’tit Omar n’était pas sorti de son ventre, mais elle l’aimait comme s’il était l’enfant de ses entrailles, et peut être même un peu plus. P’tit Omar était son trésor, la prunelle de ses yeux, une merveille qu’elle avait pour elle toute seule.

    Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Des salves de douleurs s’étaient succédé à un rythme infernal. Tantôt comme des brûlures de braises, tantôt comme des piqûres d’épines ou des coupures de tessons de verres. Afin d’essayer de surmonter sa souffrance présente, elle jouait à différencier les douleurs pour pouvoir leur attribuer une source. Mâ Fatoûm s’y connaissait bien en blessures, une grande partie de sa vie ne fut que ça. Son père lui fendait le visage pour un rien, sa mère lui crachait dessus parce qu’elle n’était qu’une fille – la troisième de la ribambelle de sœurs, la misère, la faim, la peur, les humiliations liées à sa vie de prostituée, les horreurs de la guerre, la torture et les affres d’une condamnation à mort, rien ne lui fut épargné. À raison, elle se considérait comme une experte dans le domaine des supplices. « La souffrance fait partie de mon moi profond, c’est comme ça, je n’y peux rien… » lui arrivait-il de se raisonner, résignée. C’en était devenu un besoin sinon comment expliquer son entêtement à garder son khelkhal (bracelet de cheville) qui, certains jours, lorsque sa cheville gonflait plus que de raison, la torturant pas moins que ne le ferait les mâchoires d’un piège de renard. Son médecin traitant, le docteur Salem, avait beau insister à en pleurer de rage :

    — Mais Mâ, ne vois-tu pas qu’il t’étrangle la cheville ce maudit khalkhal... Voyons donc Mâ ! une femme d’expérience comme toi, à qui la vie a appris tant de choses…

    — Il n’y a pas de « voyons » qui tienne ! Je te le dis et te le répète, ce bracelet c’est à la fois mon histoire de vie et mon talisman. Comprends-tu ça ! Et même si la religion de Mohammed s’y opposait, j’aimerais le garder avec moi dans la tombe. J’en ai prévenu tous ceux à qui il appartiendra de me mettre en terre. Alors, s’il te plaît…

    Et la fois, tout au début de sa maladie que Salem, usant de sa force d’homme, voulût distordre l’objet pour l’ôter de la jambe de l’ancienne condamnée à mort, Mâ Fatoûm n’hésita pas un seul instant, de l’autre pied, de l’envoyer, d’une ruade, aller voir combien la dalle du sol était dure et contondante pour le front.

    — Et ne refais plus ça ! Tu ne comprends pas, « y a ba… » (ô mon père, expression très usitée)

    Ce que Salem ne pouvait comprendre, c’était que ce bracelet constituait le livre de son histoire dans lequel elle pouvait, à tout moment, lire les épisodes marquants de sa vie, les meilleurs comme les pires. Avant toute chose, c’était le cadeau de son premier, de son seul amour, sacré, inoubliable. Il s’appelait Miloud, il avait dix-sept ans, elle en avait alors treize. Il l’avait vue danser à un mariage, cheveux au vent, son corps aérien de jeune pousse papillonnant comme un pétale de rose, il se désola seulement de ne rien entendre du tintement de son cœur et pour cause, elle n’avait rien à la cheville. En effet, et comme le chantaient les vieilles commères qui savent tous des choses de l’amour, Miloud croyait fermement que les bracelets de cheville avaient le pouvoir de capter et d’émettre alentour les ondes du désir lorsque la danseuse en éprouvait. Astucieux et d’une intelligence très pratique, Miloud gagnait bien sa vie en dépouillant au baby-foot les enfants des colons de la région d’Aumale¹. Les exigences de son business faisaient qu’il devait passer la plus grande partie de son temps à « L’As de cœur » qui était l’établissement le plus huppé de la ville et qui possédait une salle de jeux du dernier cri, il ne pouvait donc monter qu’à de rares occasions à la mechta de Sidi-Khaled où vivait encore sa veuve de mère, son père ayant été écrasé par le car de la compagnie le « Hoggar » qui était à l’époque de premier rang dans le transport routier. Le lendemain de son coup de foudre pour la jeune danseuse, il rejoignit très tôt le Milk Bar – son lieu de travail. En quelques heures, il amassa le prix d’un bracelet en argent massif, le plus cher et le plus beau que pouvait lui proposer le bijoutier du quartier arabe d’Aumale. Il revint l’après-midi à la mechta, attendit la prière de l’après-midi pour rencontrer l’adolescente à la lisière du bois qu’elle traversait pour puiser l’eau, lui offrit le bijou, lui enfourcha les reins, la bascula derrière un arbre et lui prit sa virginité. Il y eut d’abord une très vive douleur mais elle n’eut pas le temps d’en souffrir car, instantanément, la douleur se transforma en une sensation étourdissante qui se propagea dans tout son corps comme la lumière dans le noir. Les yeux fermés elle se crut sur un tapis volant. Depuis ce jour, le bracelet ne quitta jamais plus sa cheville.

    Non ! le docteur Salem ne pouvait savoir…

    Et voilà ce qu’elle était aujourd’hui – rien qu’une masse adipeuse, une montagne de chair flasque. N’est-ce pas cette abondance de mauvaise graisse qui était la cause de toutes ces souffrances, lesquelles se relayaient pour la torturer ainsi. La cellulite était bien l’agent de son calvaire, Salem le lui avait bien dit : le trop de graisse agit sur les os comme un étau, transformant le moindre geste en feu de l’enfer. Cent vingt-cinq kilos et demi au dernier check-up santé, fait à l’hôpital Mustapha ! Quel tralala ! rien que pour la sortir de chez elle ! La masse adipeuse d’un éléphant, oui d’un éléphant. Les pachydermes tenaient une petite place dans les événements marquants ayant jalonné son existence. Elle en avait vu pas mal dans sa jeunesse en effet, cela pour avoir visité plusieurs grandes villes d’Europe où elle se rendait pour répondre à la commande d’un riche client qui la louait pour une nuit ou deux, moyennant une forte rémunération payée à l’avance à son proxénète italo-français, alias le ″Drivo ». Parfois, elle s’y rendait seule à ces rendez-vous sexuels, et lorsqu’elle avait du temps à tuer avant de rejoindre le client, elle aimait, avant toute chose, visiter les ménageries. Elle avait gardé un très bon souvenir des éléphants du « London zoo », qui la ravirent par leur sérénité, leur bonté même, lui arrivait-il de croire et qu’on avait aucune crainte ni répugnance à caresser, tant ils étaient propres et sentaient bon. Cette visite au zoo de la capitale anglaise appartenait à la catégorie des quelques événements heureux de son lointain passé. Tout le contraire des deux éléphants du cirque « Amar » et leur éléphanteau, qui, eux, se rapportaient, hélas, à une épreuve si affligeante que Mâ Fâtoûm était tentée parfois de la mettre dans le top des dix abjections de sa vie

    Elle aurait donné cher pour gommer définitivement tout l’épisode de sa mémoire, ah ! si seulement son cerveau disposait d’une ardoise magique, comme celle qu’elle avait offerte à P’tit Omar pour ses six ans, il y a longtemps qu’elle aurait appuyé sur le curseur effaceur et ffrrrrrrr ! plus rien. Plus rien de ce dimanche 19 juin 1955². 19 juin de malheur ! Non décidément ce n’était pas une date pour elle ! Depuis celui de 1965, elle avait appris à s’en méfier.

    Lorsque les circonstances la contraignaient à penser à la famille éléphant du cirque « Amar » et aux événements de ce 19 juin 1955, tous les détails lui revenaient avec l’exactitude des faits vécus la veille. Par exemple, elle se souvenait parfaitement que la chambre d’hôtel portait le numéro 23 et que le navire avait pour nom « La ville d’Alger ». Mais bon ! là n’était pas l’essentiel, tout juste des sortes de pin’s épinglés au veston de l’homme responsable du basculement de son existence dans l’univers glauque du sexe et de la canaille, dans l’odeur moite et âcre des chalands pressés de se vider en elle en haletant, la plongeant dans la haine et le dégoût d’elle-même. L’ordure ! la vermine ! ne manquait-elle jamais de fulminer intérieurement.

    — Toc...! Toc...! Toc…

    Elle se figea. Son cœur se mit à battre très fort, ses joues se crispèrent, de la moiteur apparut sur son front. Hébétée. C’est toujours comme ça lorsque lorsqu’on frappe à sa porte par surprise. C’est ainsi depuis la « Bataille d’Alger » avec les raids incessants des paras du colonel Mathieu qui fracassaient les portes de la Casbah à grands coup de pied. Elle mit une bonne minute à retrouver son esprit. Trois coups frappés avec force. Hneïèche ! Une intuition qui devint certitude. Après tant de jours, enfin. Elle n’était pas prête à lui ouvrir celui-là… Elle arrêta à temps le cri de révolte qui allait fuser. Non ! malgré tout, il ne mérite pas que je lui crie dessus, le pauvre Hneïeche, se dit-t-elle, je devrais même le remercier de m’avoir sortie de cette remontée des scories liées à son basculement dans l’horrible, mais oh ! Dieu du ciel et de la terre, peux-tu m’expliquer pourquoi à la moindre occasion, je remets sur le tapis cette sordide histoire triste et usante. Tout à l’heure remontera la suite… Sans doute…

    Le lit craqua. Lui rappelant son poids. Le dépit l’étreignit. Pourquoi cette punition ? Comment cela s’est-il fait ? Pourquoi cette trahison de son corps ?

    Cela s’était fait imperceptiblement, son corps s’engraissait pernicieusement sans qu’elle pût s’en apercevoir, chaque jour des grammes s’ajoutant aux grammes et voici le résultat : une obésité qui fait d’elle une infirme, une handicapée, un monstre qui se répugne à lui-même. Elle avait honte de son état, un profond sentiment de dégoût l’habitait désormais. La souffrance morale la tourmentait bien plus que la souffrance physique. Est-ce une vie, lui arrivait-il de penser, lorsque la porte de votre propre demeure vous refuse le droit d’aller et venir librement ? « La porte que vous voyez – là aurait du mal à la laisser passer ». Les mots de prédilection de la marieuse du village. Il lui arrivait dans des moments d’ennui ou de tristesse, de s’égayer tant soit peu en se remémorant la scène du retour de la commère dans la famille assemblée du prétendant. Elle se revoit, enfant de six ou sept ans, assise à côté de la mère du futur époux, en train d’écouter avec la délicieuse attention qu’on accorde à un conte de fée, les paroles de l’entremetteuse, une vieille femme joufflue, lippue, ventrue, les cheveux en halfa et si grosse, et qui, revenant d’une visite, vantant les mérites de la jeune fille dégotée, disait, l’œil gauche écarquillé :

    « — Oh ! oh ! mes nobles amies, assurément, on ne peut trouver plus belle fiancée pour votre lionceau, que vous dire ? — ses yeux sont en tout comparables à deux tasses d’un limpide café chaud reposant dans un mazagran, quant à son corps, la porcelaine en pleurerait de jalousie, il est si potelé que la porte que vous voyez – là aurait du mal à la laisser passer ! » Oui à l’époque être grosse était un critère de beauté. Plus maintenant. Et pas pour autant que la masse de chair qu’elle supporte actuellement. Et d’attribuer à cette remontée de la scène à une facétie de son inconscient… Et il lui arrivait de lâcher un petit rire de dérision…

    — Toc… ! Toc...! Toc...!

    Elle s’empara de la poignée du dispositif qui, au moyen d’un câble, lui permettait de tirer le verrou de la porte sans bouger de son lit. L’actionna avec brutalité.

    — Qu’il entre ! ronchonna-t-elle.

    Ajouta :

    — M’oublier, oublier sa… sa… ! L’équivalent arabe du mot « égérie » lui vint à l’esprit mais elle ne le prononça pas.

    Ça fait combien de jours depuis sa dernière visite ? Mentalement, elle fit le compte : aujourd’hui mercredi 17 du mois de juin, 19 jours depuis le vendredi de la dernière semaine de mai où il était venu veiller P’tit Omar qui souffrait d’une méchante fièvre due à une pneumonie. Elle lui en voulait pour une si longue absence, le soupçonnait de ne plus supporter de la voir dans une telle décrépitude. Ah ! que oui, maintenant elle n’a plus rien en commun avec la belle et appétissante Fafa, comme on la surnommait à l’époque, surnom qui, il y avait encore une dizaine d’années, signifiait beauté, séduction, intelligence et finesse. Respect aussi. Et les ans avaient passé, et voilà qu’elle n’était plus qu’une affreuse femme, une éléphante plutôt, une éléphante qui de plus percluse de maladies et clouée toute la journée dans son grabat, et que même Hneïèche, l’homme qu’elle a le plus protégé, gâté, pouponné, l’homme qu’elle appelait Hânou en tirant tendrement sur le « a », s’éloignait d’elle comme on fuit le pourrissement. Elle sentit comme une vive décharge froisser sa chair si pesante et empâtée. L’amertume engendra dans son esprit l’idée qu’effectivement elle pourrissait et que désormais elle n’était plus bonne qu’à rejoindre les objets pourris de la poubelle :

    — Ah ! le temps ! le temps ! soupira-t-elle, naître, grandir, grossir, souffrir, mourir, mourir c’est la délivrance…

    La porte grinça, elle le vit avancer, toujours aussi maigre, flottant dans sa chemise blanche, bien plus grande pour lui :

    — Mon bonjour et mon respect Mâ ! Voici des friandises. Pour P’tit Omar…

    Sa main resta dans le vide. Elle ne répondit pas non plus, voulut détourner la tête, préféra plutôt se pencher sur sa jambe pour atteindre sa cheville droite qui depuis quelques jours la démangeait inexplicablement !

    — Ah, Mâ, tu souffres et moi ça me fait mal de te voir souffrir !

    — Pose sur la meïda (table basse), finit-elle par dire sèchement en tournant la tête de son côté.  Après un silence, sans s’arrêter de masser sa cheville, elle reprit sur un ton désabusé :

    — T’as une enquête sur les bras, c’est pourquoi tu es là. N’est-ce pas la vérité ? Alors, ne perdons pas de temps, dis-moi vite de quoi il s’agit. Un meurtre, j’imagine… Qui donc ?!

    — Un homme de foi, l’Imam d’El-Biar, un certain EL-Bahi, répondit Hânou d’une voix impersonnelle, montrant par là qu’il comprenait et lui pardonnait son aigreur. 

    — L’Imam de la grande Mosquée d’El-Biar place Kennedy ?! s’étonna-t-elle, changeant de physionomie et de ton.

    — Oui Mâ !

    — Hum ! la mosquée « Yves Rocher », c’est comme ça que les gens du quartier l’appellent, murmura-t-elle comme pour elle-même.

    — On l’appelle toujours comme ça ?

    — Sans doute…

    — Cela huit années entières après l’indépendance ! Quelle honte !

    — Pas la peine de prendre tes grands airs de farouche patriote !

    — Tout de même !

    — C’est souvent difficile de changer les habitudes, et surtout de trouver mieux que ce qu’on a dans la tête. Ils n’ont pas trouvé meilleure expression pour dire que c’est une mosquée propre, une mosquée sans tache ou mauvaise odeur, une maison d’Allah nickel quoi !

    — C’est vrai ça, on m’a dit que c’est la plus clean d’Algérie

    — Tu vois

    D’un commun accord, ils se turent un instant.

    — Tu connais bien le quartier…

    — On y avait une planque du temps d’Ali³, qu’Allah le tienne dans Sa miséricorde.

    — Peut-être as-tu connu l’Imam ?

    — Je l’ai vu le jour de l’inauguration de la réouverture de l’édifice après agrandissement. Le Président Ben Bella m’a demandé de l’accompagner. Je me rappelle bien car c’était la veille du coup d’État.

    — Comment l’as-tu trouvé ?

    — Un noble visage… Il m’a fait plutôt une bonne impression… Sans plus…

    — On dit de lui que c’est un homme avisé et d’une conduite irréprochable !

    — Bof ! D’une conduite irréprochable, c’est à voir. Il n’y a pas sur terre un humain parfaitement immaculé ! Les enfants de Haoua⁴ ont tous des taches, plus ou moins grandes, plus aux moins sales, plus ou moins pardonnables, dit-elle, d’une voix sentencieuse.

    Hneïèche ne sut que répondre. Décontenancé, perdu, il regardait le sol comme un enfant malheureux.

    — Mais assieds-toi donc ! 

    Regrettant tout de suite son ton cassant, elle voulut se corriger en étant compatissante et maternelle :

    — Mon pauvre Hneïèche ! Combien de fois ne te l’ai-je pas dit, cesse donc d’être si effacé, si résigné…

    Hneïèche et non Hânou, la marque de son affection pour lui, la nuance ne lui échappa pas, mais, malgré tout, il esquissa un timide sourire pour lui répondre le plus gentiment possible :

    — Ah ! Mâ, tu es bien fâchée contre moi ! Comme ça me peine !...

    — Oui ! Tu me négliges, mais nous parlerons de cela plus tard !... T’as une enquête compliquée, je suppose, sinon tu n’aurais pas eu besoin de mon aide pour la résoudre. Tu ne me laisses pas le choix. Tu as une réputation à défendre. Eh bien qu’est-ce que tu attends ? Commençons : quand et comment-a-t-on trouvé le corps ?

    — Sous la dalle qui couvre le ruisseau au niveau du deuxième rond-point de la N41. L’endroit est caché par une touffe de roseaux. Très tard dans la nuit de dimanche, un homme qui a trop bu a choisi l’endroit pour se soulager par le haut et par le bas si je puis dire ; il dit qu’étonné par l’écho que renvoyait le jet de pisse, lequel ne correspondait pas au bruit habituel fait par un ruissellement d’urine sur des feuilles sèches, a fini par s’apercevoir qu’il faisait son besoin sur la tête d’un homme.

    — Quelle lucidité pour un homme imbibé d’alcool ! interrompit Mâ sur un ton à peine teinté d’ironie. Elle poursuivit :

    — Et voir si bien par une nuit sombre, car, n’est-ce pas, la lune n’est même pas encore à son premier quartier !

    — Il se trouve que cette nuit-là le rond-point était bien éclairé, voilà, la chance, Mâ, la chance sinon le corps aurait pourri pendant des mois, c’est certain, balbutia le policier.

    — Comment ça la chance ?...

    — Il se trouve que le matin de dimanche, le service technique de la commune d’El-Biar a changé les ampoules des réverbères qui étaient toutes brisées, victimes de vandalisme. Tu connais le pays : les enfants sont pires que les sauterelles ils ne laissent rien derrière eux.

    — Ne parle pas comme ça des enfants ! Ils ne peuvent être tenus responsables de leur mauvaise éducation, le coupa-t-elle, en même temps qu’un rictus lui éraflait le visage de douleur car, en guise de protestation, elle voulut lever son pied malade.

    — Si tu le dis, Mâ, c’est que c’est vrai. Bon. Peut-être est-ce utile de te dire que c’est le vieux général, Belloum, qui, incriminant le manque d’éclairage dans son accident survenu au niveau du carrefour la nuit de samedi, est venu en personne, dimanche à la première heure, sermonner le maire qui donna l’ordre aux agents d’entretien d’aller illico remplacer toutes les ampoules endommagées !

    — Je suppose que tu n’es pas le premier sur l’enquête sinon tu serais venu hier.

    — Non bien sûr ! Le type qui a découvert le corps a commencé par rentrer tranquillement chez lui, expliquant qu’il était convaincu qu’à une heure si avancée de la nuit, il était inutile de chercher un commissariat ou une gendarmerie à qui s’adresser, et que très fatigué et choqué par sa découverte, il s’était dit que dormir un peu lui permettrait d’être dans de meilleures dispositions pour témoigner…

    — À sa place, j’aurais fait la même chose. Dans son état d’ébriété, il n’aurait pas été accueilli avec les fleurs.

    — T’as bien raison, Mâ ! L’inspecteur du commissariat d’El-Biar, qui le reçut mardi matin, ne parle de lui que comme « le mécréant alcoolique ». Sa bouche devait exhaler de forts relents. Il a mis du temps pour le croire et enfin se déplacer pour constater les faits. 

    — Ensuite…

    — Mourad— c’est comme ça qu’il s’appelle l’inspecteur…

    — Mourad comment ?

    — Je ne sais pas. Tout ce que je peux te dire que c’est un homme de petite taille au crâne un chouia allongé, rasé qu’à moitié. C’est un des plus vieux inspecteurs d’El-Biar, m’a-t-il dit en se présentant. Il n’a fait que constater qu’il s’agit bien d’un homme sans doute assassiné et caché sous la dalle qui marque l’embouchure de l’oued. Il ne toucha à rien, regagna la voiture d’où il appela une ambulance puis le commissaire. Celui-ci rappliqua immédiatement, arriva même avant l’ambulance, accompagné bien sûr de l’équipe d’investigation scientifique. D’après ce que m’en a dit ce Mourad, le commissaire reconnut dès le premier clic de l’appareil du photographe qu’il s’agissait de l’Imam d’El-Biar…

    — Procédons par ordre. La mort remonte à combien de jours...

    — D’après le

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