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Paul VI et Chiara Lubich: La prophétie d'une Eglise qui se fait dialogue
Paul VI et Chiara Lubich: La prophétie d'une Eglise qui se fait dialogue
Paul VI et Chiara Lubich: La prophétie d'une Eglise qui se fait dialogue
Livre électronique345 pages5 heures

Paul VI et Chiara Lubich: La prophétie d'une Eglise qui se fait dialogue

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À propos de ce livre électronique

Le rapport fraternel et mutuellement fécond entre un pape contemporain et l’un des nouveaux mouvements ecclésiaux.

Cet ouvrage recueille les contributions données à l’occasion d’un colloque sur Paul VI et Chiara Lubich à Rome. Elles analysent les rapports entre Mgr Montini/Paul VI, Chiara Lubich et le mouvement des Focolari. C’est une histoire qui remonte bien au-delà du concile Vatican II et qui s’est poursuivie tout au long du pontificat de Paul VI, à une période qui a vu la naissance et l’affirmation à l’intérieur de l’Église de nombreux mouvements ecclésiaux. Au travers de nombreux documents inédits, on y voit le lien étroit qui s’est créé entre Chiara Lubich et Giovanni Battista Montini, lequel, dès ses années de service à la Secrétairerie d’État du Saint Siège et durant son pontificat, sut valoriser et encourager la dimension trinitaire, fraternelle et œcuménique du mouvement des Focolari. Un exemple lumineux de rapport fraternel et mutuellement fécond entre un pape contemporain et l’un des nouveaux mouvements ecclésiaux, les Focolari, nés avant mais dans l’esprit de Vatican II.

Retrouvez les contributions données lors d'un colloque sur Paul VI et Chiara Lubich à Rome qui analysent les rapports entre Mgr Montini/Paul VI, Chiara Lubich et le mouvement des Focolari.

EXTRAIT

L’ouverture œcuménique que le pape imprima dans ses discours pendant la période conciliaire fournit sans aucun doute une contribution importante à l’engagement de l’Église catholique pour recomposer une pleine communion visible entre les chrétiens et, d’autre part, apporta un soutien efficace à Chiara Lubich pour poursuivre le dialogue commencé ces années-là avec les chrétiens de différentes Églises. Le contenu de l’encyclique Ecclesiam suam concernant le dialogue l’incita à privilégier et à promouvoir de toutes les façons possibles ce dialogue que le Mouvement mettait en place petit à petit dans des cercles toujours plus vastes : non seulement à l’intérieur de l’Église catholique et entre les Églises, mais entre les religions, avec les personnes de convictions non religieuses et avec le monde contemporain. Les contacts établis pendant le Concile lui permirent de connaître différentes personnalités du monde orthodoxe, anglican, méthodiste et réformé et d’être invitée plus tard au Conseil œcuménique des Églises, en 1967.

A PROPOS DES AUTEURS

Cet ouvrage est le résultat du travail de plusieurs auteurs : Piero Coda, thélogien, Andrea Riccardi, fondateur de Sant'Egidio, et Maria Voce, présidente des Focolari.
LangueFrançais
Date de sortie13 juin 2018
ISBN9782853139496
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    Aperçu du livre

    Paul VI et Chiara Lubich - Collectif

    INTRODUCTION

    Les rapports entre Paul VI et Chiara Lubich, auxquels sont principalement dédiés les essais publiés ici, constituent le point de vue d’où veut partir cette recherche pour illustrer, par une contribution paradigmatique, la vision de Paul VI sur les mouvements ecclésiaux et sur leur signification en relation avec la vision de l’Église proposée par le Concile.

    Je voudrais juste esquisser, en quelques traits, le rôle important que ce grand pape a joué dans l’histoire du Mouvement des Focolari. Nous lui sommes redevables pour plusieurs raisons, mais avant tout pour son lumineux magistère, qui a marqué de manière claire et forte la formation de tous ceux qui se sont approchés de notre Œuvre.

    En rappelant la première audience privée que lui avait accordée Paul VI le 31 octobre 1964, Chiara décrit par des paroles aux accents touchants l’expérience de sa rencontre avec le souverain pontife :

    Quelle sagesse, quelle ouverture, quel grand cœur ! Je représentais et je portais une Œuvre nouvelle née dans l’Église, et dont la nouveauté se trouvait aussi bien dans la spiritualité que dans la structure. Mais cela ne posait pas de problèmes.

    Dans l’exercice du ministère pétrinien, le pape Paul VI, en effet, a été déterminant pour reconnaître, promouvoir et aussi repérer les voies juridiquement praticables pour exprimer la physionomie spécifique de cette Œuvre nouvelle dans l’Église.

    Dans l’interview rapportée par Città Nuova en 1978, au lendemain de la mort du pape, Chiara définissait aussi comme « inoubliable » une autre audience, qui lui avait été accordée en 1969, « lorsque, à cause de la nouveauté de cette Œuvre, qui portait l’unité sur tous les fronts, on craignait que ne puisse être approuvé un unique centre auquel se référeraient la partie féminine et la partie masculine, les différentes vocations laïques, sacerdotales, religieuses, les différentes branches, les différents mouvements à large rayonnement ». À cette occasion, rappelait Chiara Lubich, le pape « a voulu lui-même, personnellement, prendre les choses en main et l’on est ainsi parvenu à l’approbation ».

    Il y a une consonance profonde qui se révèle de manière spéciale dans la très fine capacité spirituelle de Paul VI de saisir dans le charisme, donné par Dieu à Chiara Lubich, l’action de l’Esprit Saint au moment crucial de la célébration du concile Vatican II qui s’ouvre au dialogue à 360 degrés. En rencontrant Chiara, il écoute, il valorise, il encourage. Déjà frappé en 1964 par le caractère œcuménique du Mouvement, il l’exhorte : « Tout comme vous avez ouvert un dialogue avec les chrétiens non catholiques, faites de même avec ceux qui n’ont pas la foi. »

    Un rapport tout spécial entre Chiara et Paul VI émerge de la correspondance qu’ils ont échangée au sujet du patriarche Athénagoras de Constantinople. Chiara, en effet, de 1967 à 1972, a accompli plusieurs voyages au Phanar pour rencontrer le patriarche, étant donné l’intérêt et l’amour que ce dernier manifestait pour le Mouvement.

    À plusieurs occasions Chiara Lubich a raconté au pape la profonde proximité spirituelle qui en était née et comment le patriarche lui communiquait ses pensées et ses projets, en lui exprimant sa constante prière à Dieu pour que l’on parvienne à « l’unique calice » ; il lui parlait de son amour extraordinaire pour Paul VI et du souci qu’il avait de sa personne, au point qu’il demandait même à Chiara de lui transmettre de nombreuses recommandations pour sa santé. De tout cela Chiara informait le pape, qui lui répondait régulièrement. Dans une de ces lettres nous pouvons lire : « Disons quel réconfort, quelle édification, quelle espérance ont apportés à notre esprit les nouvelles que vous nous avez communiquées suite à votre conversation avec le vénérable patriarche Athénagoras. »

    J’ai eu moi aussi personnellement, durant les dix années – de 1978 à 1988 – où j’ai vécu à Istanbul, la grâce et la joie de percevoir les fruits de ce chemin vers la communion, qui avait commencé de manière forte et visible avec l’accolade historique entre Athénagoras et Paul VI à Jérusalem en janvier 1964. Cette rencontre avait surpris le monde et les avait révélés frères. Ce rapport a continué, ensuite, entre les successeurs de ces deux grands hommes à la tête des deux Églises qui se reconnaissent désormais comme sœurs, jusqu’aux récentes, significatives et inoubliables rencontres du pape François avec le patriarche Bartolomée.

    Un chemin auquel Paul VI, à travers des gestes tangibles et prophétiques, a ouvert la route, comme maître et témoin d’une Église qui se fait dialogue.

    « Paul VI fait un très grand honneur à la papauté » – ainsi s’exprime Chiara le 20 octobre 1977 en parlant aux délégués du Mouvement dans le monde – parce qu’il « aime tout le monde sans crainte » et qu’il « se donne à tous ».

    Et, en se référant à notre expérience, elle affirme que de nombreuses personnes, aux dénominations les plus variées, restent impressionnées « par la figure du pape, par cet amour qui le consume, par sa manière – comme le dit l’Apôtre – de se faire tout à tous. C’est peut-être aussi pour cela qu’Athénagoras l’appelait Paul II. Et ces visiteurs non catholiques avaient pour lui une estime unique ». « Par cette attitude, continue Chiara, le pape révèle la ligne de son pontificat. C’est le pape du dialogue avec le monde entier, c’est le pape qui voit potentiellement toute l’humanité comme une seule famille. »

    Je voudrais encore mettre en évidence l’attention de Paul VI pour le monde des jeunes. À la fin des années 1960 de nombreux jeunes ont connu le Mouvement des Focolari dans les différents pays du monde où il s’était diffusé. Quand ils venaient à Rome, ils se rendaient en groupes à l’audience du pape et le saluaient par de longs et bruyants applaudissements, si bien qu’une fois, en 1967, rencontrant le saint-père, Chiara lui a exprimé sa préoccupation que leur enthousiasme n’ait pu déranger quelqu’un ; mais le pape la rassura : il en était heureux.

    En ces années-là, marquées aussi par une forte contestation de la jeunesse, en les saluant dans une audience, Paul VI affirmait avec satisfaction que leur volonté de renouvellement trouvait son propre centre en Jésus, la « voie nouvelle », la « nouveauté » qui « bouleverse, si nécessaire » ce qui est « contrefait et insuffisant en notre époque » pour créer un « nouveau printemps », une « renaissance ». En 1975, à l’occasion du Genfest, aux vingt mille jeunes du monde entier qui remplissaient la basilique Saint-Pierre il redisait son appréciation de cette Génération Nouvelle (les Gen, la seconde génération du Mouvement) : « Une émouvante beauté », reconnaissait-il tout de suite après l’Angélus. Et il affirmait : « C’est un monde nouveau qui naît, le monde chrétien de la foi et de la charité. »

    Quel accord avec l’appel à la « civilisation de l’amour » lancé par le saint-père en 1970 ! Appel repris de nombreuses fois par Chiara Lubich pour soutenir chaque effort vers l’unité et pousser les Gen à être comme Jésus ces « hommes-monde » qu’aujourd’hui encore le pape François considère comme d’une « grande actualité ».

    Et qu’il me soit permis, en tant que femme, de rappeler avec reconnaissance la grande attention (directe et indirecte) dont le pape Paul VI a fait preuve vis-à-vis de l’univers féminin de l’Église.

    C’est à lui que revient la décision d’admettre la participation de femmes (dix religieuses et treize laïques) au Concile comme auditrices, ce qui aura des effets positifs, parmi lesquels le libre accès aux études de théologie.

    En 1970 c’est encore lui qui, par une décision historique, éleva au rang de docteurs de l’Église – titre qui n’avait jusque-là été accordé qu’à des hommes – les deux premières femmes : Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila.

    Nous sommes donc particulièrement heureux et reconnaissants de la collaboration entre l’Institut Paul VI et le Centre Chiara Lubich, promoteurs des Journées d’étude et de la publication présente qui pourra – nous le souhaitons tous – marquer un premier pas pour d’autres rencontres et études possibles.

    Je voudrais conclure avec les paroles que Chiara adressa aux adhérents du Mouvement des Focolari au moment de la grande douleur du passage de Paul VI à l’autre vie.

    Elle nous dit : « Soyez dignes de la confiance du pape. » Et elle continuait :

    Pour moi le pape n’est pas mort, il a changé de lieu : de la chaire de Pierre depuis laquelle il veillait aussi sur nous et nous protégeait, à la présence de Dieu où il ne peut pas ne pas continuer à nous protéger avec cet amour sensible, actif, maternel, constant dont il nous avait comblés quand il était sur cette terre. Je sens qu’il ne nous manque pas, justement parce que, si tout vient à disparaître dans l’autre vie, la charité demeure. Et nous savons que la charité est l’amour de Dieu répandu dans nos cœurs. Or le lien que Paul VI avait avec nous était « charité », cette charité qui n’est pas une bienveillance superficielle, qui est activité, qui est audace, qui se sacrifie, est patiente, vient toujours en aide, jouit de ce qu’elle trouve de bien chez les autres, le suscite, en porte témoignage devant tous.

    Maria VOCE

    – 1 –

    LA NAISSANCE DES MOUVEMENTS ECCLÉSIAUX DANS L’ÉGLISE ITALIENNE DU XXe SIÈCLE

    Un tableau historique

    Église-mouvement

    La vie actuelle a changé en profondeur le rapport entre Église et société. Depuis la Révolution française, nous sommes à l’heure de l’affirmation de la laïcité, mais aussi de la sécularisation des comportements. L’homme contemporain est différent de celui d’autres époques : on affirme maintenant la valeur de l’individu, de la liberté, on tient compte des choix du sujet, de ses sentiments. Au XIXe siècle, la restauration de l’État catholique entre en crise. La société devient pluraliste et libérale, et n’est plus complètement religieuse. Et de manière croissante. Un retour à l’ancien régime n’est plus possible. C’est là que se situe le début du mouvement catholique.

    En France l’abbé Félicité de Lamennais constate la crise de la Restauration, perçoit l’incapacité du pouvoir monarchique à promouvoir un retour au régime de la chrétienté et propose que l’Église se mette en mouvement – c’est le terme qu’il emploie – dans une société pluraliste pour défendre et diffuser sa vision des choses. Les piliers de ce projet sont : Dieu et les peuples, dans la liberté. L’Église doit accepter le défi de la liberté et, à travers la mission et la presse (comme les mouvements politiques), entrer dans l’arène de la vie sociale pour y porter son message. Pour Lamennais le vieux monde est terminé. L’Église doit se transformer en mouvement, en utilisant les outils de la modernité. Lamennais avait vu loin, même si sa pensée le conduira, finalement, en dehors de l’Église.

    C’est dans les premières décennies du XIXe siècle qu’émerge l’intuition décisive qui marquera l’Église contemporaine : les historiens parlent de mouvement catholique. Dans ce mouvement les laïcs côtoient le clergé, comme Charles de Montalembert en France ou Giuseppe Toniolo en Italie. Naît une nouvelle figure du catholique au côté du prêtre, du religieux ou de la religieuse : le militant, un laïc engagé dans l’Église, différent du simple fidèle. Il s’agit d’une figure différente de celle des laïcs qui avaient jusque-là exercé une influence dans la vie catholique : ces notables, aristocratiques pour la plupart, souvent à la tête de patronages ecclésiaux, et qui avaient été d’importants médiateurs entre l’Église et les pouvoirs. L’histoire contemporaine de l’Église marque la fin des notables catholiques et l’affirmation d’une nouvelle classe de laïcs militants.

    On trouve ici la perception d’une époque nouvelle : une intuition missionnaire. Dans l’idée du mouvement il y a la conscience d’une mission à accomplir dans la société qui, si elle reste de tradition chrétienne, est devenue un monde « sorti de Dieu », comme l’a justement soutenu Émile Poulat¹. Mission et mouvement avancent main dans la main. De l’idée de l’Église-mouvement part un faisceau de parcours différents. L’Église, surtout au XXe siècle, est en constante mobilisation. Une condition, pour utiliser une expression qui m’est chère, « agonique », c’est-à-dire de lutte, dans le sens grec du terme, et non de mort : celle que Miguel de Unamuno définit comme « l’agonie du christianisme² ». L’Église-mouvement, pendant deux siècles, engendre de nouvelles organisations religieuses, sociales, éducatives, économiques, et même politiques. C’est aussi une époque marquée par la fondation de nombreuses congrégations de vie active, aspect important de l’extroversion de l’Église. Naissent l’Action catholique, les organisations sociales et une myriade d’associations laïques. Beaucoup d’entre elles ont un caractère fonctionnel pour atteindre des buts précis. D’autres sont des syndicats ou des partis. L’Action catholique, qui présente des structures différentes selon les pays, représente le mouvement des laïcs par excellence, lié, dans un rapport particulier, au pape et à la hiérarchie, jouant presque le rôle d’un tiers ordre dans différents épiscopats.

    Avec le XIXe siècle s’affirme le catholicisme social qui a dans les mouvements son expression principale. Une figure typique du mouvement de ce siècle est Frédéric Ozanam, figure charismatique, professeur d’université et italianisant, disciple de Lamennais, fondateur de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, attentif au monde des pauvres. Ozanam lance l’idée d’une Église missionnaire qui doit passer au peuple : « Passons aux barbares ! » était son slogan. La mission consistait à « passer du côté des barbares, c’est-à-dire à abandonner le camp des rois, des hommes d’État de 1815, pour aller avec le peuple³ ». C’est la découverte du peuple : Église-mouvement et Église du peuple.

    Différents modèles

    Le catholicisme, entre le XIXe et le XXe siècle, a créé un espace pour les mouvements en son propre sein. Les tensions n’ont pas manqué. Le modèle d’Église, que les élites bourgeoises et libérales essayaient d’affirmer, à travers les lois de sécularisation et de suppression de la vie religieuse, était celui d’une communauté réduite aux dimensions paroissiales et cultuelles d’un territoire. Les pouvoirs libéraux regardaient avec méfiance les associations catholiques de laïcs ou les mouvements sociaux, les considérant souvent comme le « péril noir », à l’instar du « péril rouge » représenté par les socialistes. Pour les pouvoirs anticléricaux ou laïcards l’Église devait se contenter de garantir le service religieux par l’intermédiaire des paroisses. Ce modèle « squelettique » d’Église a été poursuivi ensuite, à partir de 1917 ou 1945, par les politiques des régimes communistes, qui se sont opposés à la vie religieuse, à la libre association des laïcs, à la charité, à l’enseignement, à toute activité qui ne soit pas le culte. Les mouvements manifestent l’un des aspects les plus clairs de la liberté de l’Église : ils vivent dans l’autonomie, au sein de laquelle se place leur créativité responsable et autonome.

    Je voudrais m’arrêter sur cette « réduction » de l’Église aux dimensions paroissiales et cultuelles (suite également à la suppression des congrégations religieuses). Ce sont souvent les dimensions « normales » de l’Église. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Mario Rosa, dans son livre récent sur Le Jansénisme dans l’Italie du XVIIIsiècle⁴, souligne combien les réformes léopoldines en Toscane, celles de Joseph II en Lombardie, et celle de l’évêque janséniste Scipion de’ Ricci à Pistoia, ont conduit à la réduction ou à la suppression des confréries, des religieux, tandis que prend de l’importance le rôle des paroisses, qui doivent prendre en charge également les activités menées précédemment par les associations ou par le clergé. La structuration complexe de l’Église (avec ses contradictions) se voit simplifiée, mettant un terme à une stratification plurielle. L’institution ecclésiastique devient un service religieux au territoire. Dans certaines visions des choses, un tel modèle a été « théologisé » et présenté comme le seul visage possible de l’Église. Mais il est le fruit d’une histoire de réductions progressives.

    Comme on l’a déjà dit, entre le XIXe et le XXe siècle, dans un monde en voie de sécularisation, l’Église a compris la nécessité d’agir au milieu du peuple, comme mouvement et mission, en se donnant une consistance autonome dans une société qui a cessé d’être complètement chrétienne. Une telle dimension populaire se présente souvent comme une alternative à la société et à ses modèles, presque en une tension eschatologique. Cela ne signifie pas pour autant la fin des structures territoriales de l’Église, comme les paroisses, mais implique l’ouverture à de nouvelles formes de vie.

    L’Église-mouvement ne s’identifie pas à la société, mais veut la changer. Elle ne subit pas la « dictature » de l’opinion publique qui, au fil des saisons, prétend agir en maîtresse, de manière quelquefois même agressive. La caractéristique principale de l’altérité est la mission, qui cherche à communiquer quelque chose que la société ne possède pas déjà en elle.

    La communauté des croyants ne s’identifie pas à la communauté civile. L’Église et le village ne coïncident plus. Le catholicisme ne se contente pas de bénir la réalité qui l’entoure, mais il veut la transformer. C’est un choix de fond : ne pas s’adapter à la société, ce que fait en revanche l’Église anglicane, qui se conçoit comme une structure d’État dans le service religieux à la société. Dans le catholicisme certains soutiennent que l’Église est essentiellement diocèse et paroisse, d’autres en soulignent au contraire la dimension charismatique. Mais il s’agit de dimensions complémentaires. La synthèse catholique consiste à tenir ensemble les fils des diverses expériences, qui s’entremêlent souvent dans la réalité vécue.

    En 1962, un anglican devenu, ensuite, prêtre catholique, Ronald A. Knox, publiait un texte, par certains côtés inégalé, sur Une histoire de l’enthousiasme religieux. Il y étudiait les mouvements spirituels, charismatiques, catholiques ou protestants. Il observait combien ces rénovateurs étaient des chrétiens et des chrétiennes (ces dernières surtout) avec une vie évangélique ouverte à l’Esprit et qui avaient pourtant suscité des réactions négatives de la part des « bons chrétiens ».

    L’Église catholique est institutionnelle plus que toutes les autres communautés chrétiennes, écrit Knox. Ses ennemis concluent alors trop facilement qu’elle est incapable d’initiatives spirituelles : David dans l’armure de Saul en quelque sorte ; le jugement en arrive trop fréquemment à de telles conclusions. L’Église conserve dans ses coffres-forts les choses nouvelles comme les anciennes […]. Pourtant sa position est tout de même dangereuse […]. Nous n’avons pas été loin de penser que nous pouvions nous passer de saint François ou de saint Ignace ! L’homme ne vit pas sans visions […]. Celui qui se contentera de la monotonie, de la médiocrité, du simple écoulement des choses, ne sera pas pardonné⁵.

    L’histoire des mouvements, depuis le XIXe siècle, a été celle d’enthousiasmes spirituels, de passions sociales et de charité, de visions pour l’Église et pour le monde. La tentation est de penser que l’on puisse se passer de cette réalité et se contenter des institutions ecclésiastiques existantes. L’histoire du catholicisme des deux derniers siècles reflète la complexité de la vie : une réelle complexio oppositorum.

    L’Église est mouvement

    L’Église-mouvement, engagée dans la mission, ne se renferme pas en une association d’êtres purs, en un cénacle de militants, en une élite de spirituels, en une avant-garde de parfaits. Elle reste l’Église du peuple avec les portes ouvertes sur le monde. Au XXe siècle on constate en outre que le christianisme se rencontre désormais en majorité dans des milieux urbains. En 2007, pour la première fois dans l’histoire, plus de la moitié de la population dans le monde vit dans des villes, si bien qu’un des grands problèmes du XXIe siècle est posé par les mégapoles. Mais on ne peut envisager la ville d’un point de vue pastoral simplement à travers sa dimension territoriale, même si la paroisse urbaine reste une réalité accessible à beaucoup de ceux qui veulent s’approcher de l’Église. On a beaucoup parlé de paroisse missionnaire et de paroisse communauté. La paroisse a avant tout une fonction historique : être une porte ouverte de l’Église sur la place où tout le monde se retrouve. Et pourtant, justement dans la ville contemporaine, les parcours du vécu chrétien sont multiples.

    L’Église-mouvement s’est beaucoup consacrée à la mission : intérêt pour ceux qui sont au dehors, dialogue avec eux, recherche de ceux qui sont absents de la vie de l’Église, capacité de saisir les humeurs de la société. Elle n’est pas une avant-garde d’élus, mais s’ancre dans le peuple. En ce sens l’Action catholique, même si elle n’est pas née d’un charisme spécifique, a représenté une réalité de militants et de peuple, devenant aussi un mouvement de masse. L’Église des deux derniers siècles se présente donc aussi comme un ensemble de mouvements, de groupes motivés et unis, de communautés religieuses : une réalité de peuple. Une telle image se retrouve dans l’enseignement des papes. À commencer par Pie XII qui promeut, avec son appel de 1952 « à un monde meilleur », un renouvellement de l’Église et du monde, sous la direction du père Riccardo Lombardi⁶. Mais c’est avec Jean-Paul II que les mouvements, non seulement trouvent leur place, mais deviennent eux-mêmes signes de l’Église-mouvement :

    L’Église elle-même, dit-il en 1981, est « un mouvement ». Et, surtout, elle est un mystère : le mystère de l’Amour éternel du Père […]. L’Église née de cette mission se trouve « in statu missionis ». Elle est un « mouvement » et pénètre dans les cœurs et dans les consciences. Elle est un « mouvement » qui s’inscrit dans l’histoire de l’homme-personne et des communautés humaines. Les « mouvements » dans l’Église doivent refléter en eux le mystère⁷.

    Le mouvement charismatique

    Jean-Paul II a donné une clef de lecture du siècle passé (que j’ai développée dans un de mes livres, paru en Italie en 2000, Le Siècle des martyrs)⁸ : l’Église au XXe siècle redevient un peuple de martyrs. On doit souligner en particulier dans ce siècle le rôle des laïcs dans ce qui a véritablement été un martyre du peuple, dans lequel ressort la décision personnelle du chrétien d’être fidèle à l’Évangile malgré les intimidations et les menaces de mort.

    Le XXe siècle, siècle de la liberté, a été celui des persécutions les plus terribles. Il a été aussi un siècle de grands choix personnels qui ont parfois conduit au martyre. Les chrétiens du XXe siècle sont, pour la plupart, chrétiens par choix et non par héritage. Ils auraient très bien pu ne pas l’être. Et parmi eux, il y a des martyrs.

    Le XXe siècle voit la maturation de la responsabilité des laïcs. On écrit sur la théologie du laïcat et pas seulement sur la spiritualité pour les fidèles. Vatican II se sent la responsabilité d’exprimer ce que les laïcs vivent déjà en partie :

    Les laïcs tiennent de leur union même avec le Christ Chef le devoir et le droit d’être apôtres […]. S’ils sont consacrés sacerdoce royal et nation sainte (cf. 1 P 2, 4-10), c’est pour faire de toutes leurs actions des offrandes spirituelles, et pour rendre témoignage au Christ sur toute la terre⁹.

    La saison post-conciliaire est une période, quelquefois même confuse, de mise en avant du laïcat, dans lequel les fidèles se redécouvrent chez eux dans l’Église. D’un autre côté, dans une interprétation partielle de Vatican II, l’après-Concile devient une période de « rationalisation » de l’Église, qui met fortement l’accent sur l’Église locale, en en soulignant avec excès la dimension territoriale comme marque identificatrice de la communauté ecclésiale. Mais il est également significatif que Vatican II marque aussi la naissance des nouveaux mouvements. Il en ressort une période d’une grande vivacité. Les mouvements qui étaient nés avant Vatican II prennent de l’importance. Des mouvements et de nouvelles communautés s’affirment, qui trouvent dans le Concile un grand encouragement. Et un fait qui caractérise ces mouvements de laïcs est leur rapport avec un charisme. C’est là un point décisif, qui constitue un tournant par rapport à la première moitié du XXe siècle, époque où dominait une idée du mouvement laïque créé en fonction d’un but caritatif ou autre, ou bien alors comme l’émanation directe de la hiérarchie, tandis que l’aspect charismatique était plutôt réservé aux mouvements des religieux et des religieuses. C’est une nouveauté aussi par rapport au mouvement catholique du XIXe siècle, souvent plus lié à des œuvres et à des buts précis. Après le Concile, les mouvements laïques naissent et se développent en lien avec un charisme.

    La croissance de ces mouvements a trouvé dans le pontificat de Jean-Paul II un point d’accroche et une reconnaissance. Ce pape, dès le début, a manifesté de l’intérêt pour les mouvements, justement pour la réception de Vatican II lui-même (il pensait à une fonction analogue à celle tenue par les ordres religieux après le concile de Trente). Une étape fondamentale a été la célébration de la Pentecôte à Saint-Pierre en 1998, précédée par un congrès. À cette occasion, le cardinal Joseph Ratzinger a établi les bases théologiques de la réalité des mouvements avec l’affirmation d’un large concept de la succession apostolique, qui, affirmait-il, « est appauvri et vraiment atrophié si on pense seulement à la structure de l’Église locale ». Les mouvements « ne peuvent être organisés ni fondés systématiquement par l’autorité. Ils doivent être donnés, et ils sont donnés¹⁰ », conclut le cardinal.

    C’est là la nouveauté après Vatican II : plus que des initiatives de mobilisation ou des courants de spiritualité, ce sont des communautés liées à un charisme. Dans ce tissu charismatique la fonction et le service de la femme se trouvent valorisés, les époux trouvent leur pleine dignité, les laïcs leur responsabilité, quelquefois même prééminente par rapport à celle des prêtres, même dans le domaine pastoral. Dans ce tissu communautaire se place l’initiative responsable qui caractérise la libre et charismatique faculté de s’associer des laïcs.

    Le charisme des Focolari dans l’Église italienne

    Je voudrais conclure avec un bref aperçu sur le Mouvement des Focolari qui, né du charisme de Chiara Lubich, rassemble, autour de l’idéal de l’unité, les différentes composantes de la vie ecclésiale, des laïcs aux évêques. Il ne prétend pas remplir une fonction spécifique à l’intérieur de l’Église, mais se situe comme sujet autonome sur les différentes scènes du monde, écrivant librement des pages importantes de l’histoire du XXe siècle. Chiara dit aux jeunes en 1990 :

    Le Mouvement a un but ambitieux et sublime, qui peut paraître utopique ; mais ce n’est pas le cas. Ses membres, dans leur grande majorité, s’appuient essentiellement sur une force qui les transcende […]. Le Mouvement croit en la possibilité de rendre le monde meilleur ; il croit qu’il est possible de faire de tous les hommes une seule famille, presque une seule patrie ; il croit à un monde solidaire, à un monde uni. Et il travaille à réaliser ce but¹¹.

    Il s’agit d’une utopie globale, au-delà des frontières d’une Église locale, dont le mouvement se fait porteur, comme sujet, tout en vivant sur un territoire et en s’insérant dans les réalités locales.

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