Mortelles Hébrides: Les enquêtes de l'inspecteur Sweeney - Tome 11
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À propos de ce livre électronique
Afin de mûrir sa décision, le jeune homme a choisi de passer une semaine sur l’île de Barra, un morceau de granit oublié à la pointe sud des Hébrides. Mi-décembre, le jour y dure moins de quatre heures…
Mais l’isolement de l’Atlantique nord ne saurait tenir le destin à distance. Ed Robertson, un conteur en gaélique, disparaît mystérieusement. Puis Sweeney découvre bientôt le cadavre d’un homme, abandonné dans une tourbière. Comment cet inconnu, qui n’a pris ni l’avion ni le bateau, est-il arrivé là ? Deux trous à la base de son cou sont censés faire croire à la manifestation d’une Baobhan Sith, le vampire des Highlands… C’est alors qu’une tempête s’abat sur l’archipel. Coupés du monde extérieur, les habitants de Barra se retrouvent à la merci d’un meurtrier qui, très vite, va les frapper à nouveau.
Un huis clos oppressant au cours duquel Sweeney devra affronter cette évidence : l’un des îliens qu’il côtoie… est un assassin ! Découvrez vite cette 11e enquête !
EXTRAIT
Lorsque les roues du bimoteur touchèrent le sable, l’inspecteur fut heureux de constater la douceur avec laquelle le Twin Otter avait dominé la piste. Il en vint même à se demander pour quelle raison on ne recouvrait pas de sable tous les aéroports du monde… Le petit monoplan ralentit rapidement, tourna sur la droite, puis il alla s’immobiliser face au bâtiment solitaire d’un aérodrome aussi minuscule que désuet. La dizaine de passagers applaudit vivement le « Mesdames, Messieurs : Barra, bon séjour » du pilote puis, après avoir foulé un sable encore humide et résisté au froid mordant, tous rejoignirent le hall d’accueil.
Tandis que le jour déclinait déjà, Sweeney et quelques autres embarquèrent à bord d’un petit bus blanc à destination de Castlebay, le principal village de l’île. Après avoir suivi la mer vers le sud, sur l’unique route circulaire étroite et sinueuse, puis frôlé de rares maisons perdues, contraintes par les monts de granit vissés dans leur dos à garder le regard fixé sur l’océan, le véhicule atteignit l’entrée du village à la nuit tombée. L’autocar ne pénétra pas dans le centre mais bifurqua sur la droite. Dans une rue montante qui semblait conduire vers l’église, le chauffeur stoppa ; il se retourna aussitôt vers Sweeney et lui lança : « Craigard Hotel, là, sur la gauche. Vous êtes arrivé ! ».
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Les aventures de cet excellent inspecteur, qui ne ressemble à personne, sont passionnantes ! - Keltia
À PROPOS DE L'AUTEUR
John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).
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Aperçu du livre
Mortelles Hébrides - John-Erich Nielsen
Demain matin…
Le moteur du Broom 37(1) émit deux grognements successifs, sourds et brefs, puis le pilote cessa d’accélérer. Tous feux éteints, le bateau poursuivit alors sa glissade silencieuse sur une onde lisse.
– Laisse filer… chuchota Lewis depuis la proue, les mains accrochées au bastingage. On y est presque. Laisse filer… répéta-t-il calmement.
Éclairé par une lune aux trois quarts pleine, l’homme pouvait apercevoir les collines dénudées qui enserraient l’étroit goulet du loch. Figés dans le froid de décembre, les monts de pierre semblaient observer d’un œil bienveillant la progression de l’embarcation.
– Alors, on y est ? parut s’agacer la voix du pilote dans son dos.
Lewis se reconcentra aussitôt, cherchant à discerner la berge dorénavant proche. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de répondre, le moteur vrombit de nouveau.
– Jimmy, arrête ! protesta le guetteur, tout en s’efforçant d’étouffer sa voix. Puis, le visage tourné vers le poste de pilotage extérieur, il ajouta :
– Je t’ai dit de laisser filer… On est sur le point d’arriver. Le bout du loch doit être tout proche maintenant.
– Tu es sûr ? s’inquiéta son compagnon. Moi, je ne vois rien… Est-ce que tu as ta lampe, au moins, pour le signal ?
– Mais oui… murmura Lewis. Poursuis comme ça, tout droit.
L’homme de proue se retourna et il continua de scruter de son mieux les rives du loch. Soudain, trois éclats lumineux se succédèrent à moins de cinquante mètres devant lui.
– C’est lui, c’est le signal ! le devança le pilote. Vas-y Lewis, à toi !
Immédiatement, ce dernier empoigna sa torche électrique et il émit à son tour trois signaux brefs.
– Est-ce que tu l’as repéré ? s’inquiéta encore Jimmy. Est-ce que je suis toujours dans la bonne direction ?
– Oui oui, pas de problème… chuchota l’autre. Comme ça, oui. Continue, pas plus vite…
Quelques secondes plus tard, la coque du Broom 37 vint frotter contre le fond, avant de s’immobiliser en douceur. Presque au même instant, Lewis distingua enfin une silhouette sur la berge. Celle-ci lui fit un signe de la main, tout en lui désignant un piquet sur la gauche. Lewis comprit et jeta depuis le pont un bout dans sa direction. L’homme sur la rive s’avança dans l’eau glacée du loch, fit encore quelques pas, récupéra le cordage, puis il partit l’arrimer solidement au piquet.
Après s’être assuré qu’il avait coupé les cent-quarante-cinq chevaux de son moteur, Jimmy s’empressa de rejoindre Lewis à la proue.
– C’est lui, c’est bien lui… murmura ce dernier. On est arrivés.
L’inconnu sur la berge revenait déjà vers eux. Ses bottes plongées dans l’eau noire, il leur lança :
– Alors, qu’est-ce que vous faites ? Sautez !
Les deux marins enjambèrent avec précaution le filin du bastingage puis, encouragés par l’homme, ils bondirent sur le morceau de plage sur lequel venait de s’échouer le Broom 37.
– Ouf, elle est froide ! s’exclama Jimmy, éclaboussé jusqu’aux épaules.
– Brrr, tu l’as dit ! confirma Lewis à son tour.
– Pour un bain de minuit, décembre n’a jamais été la meilleure des saisons ! répliqua le troisième homme, la voix moqueuse.
Les deux arrivants se hâtèrent de le rejoindre sur les rochers.
Sans un mot, leur guide les serra aussitôt dans ses bras. En dépit d’un froid vif, et de manteaux épais, les trois individus prirent plaisir à rester enlacés un long moment.
C’est l’homme de la rive qui rompit le silence en premier :
– La traversée s’est bien passée ? leur demanda-t-il en chuchotant.
– Une mer d’huile, le renseigna Jimmy en observant la même discrétion. Pour un peu, je me serais cru chez moi, dans les Antilles. Et puis, ajouta-t-il, ces bateaux, ça se pilote les yeux fermés.
– On est arrivés en vue des côtes de l’île dès le milieu de l’après-midi, précisa Lewis. On a commencé par repérer l’entrée du loch aux jumelles, et…
– Tu avais raison, le coupa Jimmy en s’adressant au nouveau venu. Le début du goulet, plein nord, est très étroit.
– …et on a attendu la nuit pour approcher et pénétrer en silence, finit Lewis. Je suis persuadé que personne ne nous a vus accoster.
– Avec le GPS, reprit le pilote, aucun souci. J’ai toujours su où je me trouvais, assura-t-il. En plus, avec la lune et ce ciel dégagé, c’était vraiment du gâteau.
– N’empêche que je ne t’ai aperçu qu’au dernier moment, indiqua Lewis au troisième homme. Avant de lui avouer :
– Tu n’as pas changé, Dan.
– Si, il a changé, intervint Jimmy. Il s’est laissé pousser la barbe, comme moi.
– Et quelques cheveux blancs aussi, plaisanta leur ami.
– Où est Vince ? demanda Lewis. Il nous attend ?
– Non, le détrompa Dan. Si tout va bien, il devrait arriver par avion demain matin.
– Ah ? fit entendre le pilote. Et le chargement ? Qu’est-ce que tu as prévu ?
– Tout se trouve dans la maison, de l’autre côté de la route. Vous la voyez ? leur désigna-t-il une forme sombre dans son dos. Puis il enchaîna :
– Nous aurons besoin de deux nuits pour tout embarquer. Nous allons commencer dès maintenant et nous finirons demain soir, avec l’aide de Vince.
– Mmm… Il y a près de cent mètres, apprécia Lewis. Effectivement, ça va nous prendre un peu de temps… Est-ce que le coin est tranquille ? demanda-t-il encore.
– Nous ne serons pas dérangés, lui assura Dan. Le plus proche voisin habite à trois cents mètres – là-haut sur la colline, leur montra-t-il une bicoque dans le prolongement de la route ; c’est un vieux bonhomme qui dort à poings fermés – et l’autre maison au nord, à près d’un quart de mile, est inoccupée en cette saison. Pas de chien dans le coin non plus.
– Mais… la route ? s’inquiéta Jimmy.
– À la mi-décembre, en pleine nuit, argumenta Dan, je crois que nous aurons tout le temps de voir arriver les voitures. S’il en passe seulement une… sourit l’homme. Non, conclut-il, il faut juste veiller à ne pas faire de bruit, et surtout, à ne rien allumer.
– OK, admit Lewis. Ça ira.
– Bon, on s’y met ? insista Jimmy, toujours aussi nerveux, et il tapa dans ses gants pour s’encourager. Je ne vou…
– Les nuits sont longues à cette période de l’année, le coupa Dan ; elles durent près de vingt heures. Nous avons tout le temps… Que diriez-vous de commencer par boire un verre ? Pour fêter nos retrouvailles ? leur suggéra-t-il.
– Si tu veux, concéda son ami. Mais vite fait, hein ?
– Ne me dis pas que tu refuserais un doigt de tourbé ? s’étonna Dan. Ton séjour aux Bahamas ne t’a quand même pas changé à ce point ? le taquina-t-il.
– Pour un whisky, moi, je suis toujours partant, intervint Lewis. Ça nous réchauffera… Et puis si jamais tu as une paire de bottes dans ta maison, je ne suis pas contre non plus. Je suis trempé jusqu’aux mollets, se plaignit-il.
– Je dois avoir ce qu’il faut pour vous deux, répondit Dan. On y va ?
– C’est bon, on te suit, finit par céder Jimmy. Mais ne traînons pas, OK ? Demain matin arrivera bien assez vite…
*
Dimanche 14 décembre
Le nez penché au-dessus de son café, l’inspecteur Sweeney n’en finissait plus de tourner, et de tourner encore, sa cuillère au fond de sa tasse. La manche de son pull-over posée imprudemment le long d’un toast couvert de confiture d’abricot, le jeune homme semblait ne pas réussir à émerger d’un pesant demi-sommeil. De sa main libre, il se mit alors à passer ses doigts à travers les poils enchevêtrés de sa barbe rousse, ce qui lui permit de commencer à réfléchir…
…Une heure dix depuis Glasgow, après avoir survolé le Firth of Lorn, l’île de Mull, puis la mer des Hébrides, pour voir enfin apparaître les contours de Barra. Tout au sud de l’archipel des Hébrides extérieures, à près de vingt-sept milles marins(2) des côtes écossaises, l’île donnait l’impression depuis le ciel de n’être qu’un cœur de pierre rehaussé de teintes vert sombre, abandonné au milieu d’une mer hostile. Mais soudain, en abordant le flanc est, surgissait alors, alanguie le long d’une eau turquoise, une interminable plage de sable d’or, étincelante et totalement inattendue dans cette nature désolée. La dizaine de passagers du Twin Otter n’eut pas l’occasion de s’extasier plus longtemps sur ce superbe lagon. L’aile gauche s’inclina brusquement, et l’avion de la Flybe entama son approche. Après une courte boucle descendante, les visiteurs retrouvèrent cette fois la plage à l’avant de leur champ de vision, dans le prolongement du poste de pilotage. Indifférent aux légers soubresauts de l’appareil, Sweeney observa la mer, étonnamment proche sur sa gauche, qui, dès la prochaine marée, ne tarderait pas à recouvrir cette « plage d’atterrissage » unique au monde ; puis, sur sa droite, il découvrit les collines grisâtres de Barra, défilant à toute allure à travers le hublot, ainsi que quelques maisons blanches au toit d’ardoise ou de chaume ; puis, pour finir, une rangée de camping-cars qui venaient probablement se délecter du spectacle fascinant des posers acrobatiques sur Traigh Mhor(3).
Lorsque les roues du bimoteur touchèrent le sable, l’inspecteur fut heureux de constater la douceur avec laquelle le Twin Otter avait dominé la piste. Il en vint même à se demander pour quelle raison on ne recouvrait pas de sable tous les aéroports du monde… Le petit monoplan ralentit rapidement, tourna sur la droite, puis il alla s’immobiliser face au bâtiment solitaire d’un aérodrome aussi minuscule que désuet. La dizaine de passagers applaudit vivement le « Mesdames, Messieurs : Barra, bon séjour » du pilote puis, après avoir foulé un sable encore humide et résisté au froid mordant, tous rejoignirent le hall d’accueil.
Tandis que le jour déclinait déjà, Sweeney et quelques autres embarquèrent à bord d’un petit bus blanc à destination de Castlebay, le principal village de l’île. Après avoir suivi la mer vers le sud, sur l’unique route circulaire étroite et sinueuse, puis frôlé de rares maisons perdues, contraintes par les monts de granit vissés dans leur dos à garder le regard fixé sur l’océan, le véhicule atteignit l’entrée du village à la nuit tombée. L’autocar ne pénétra pas dans le centre mais bifurqua sur la droite. Dans une rue montante qui semblait conduire vers l’église, le chauffeur stoppa ; il se retourna aussitôt vers Sweeney et lui lança : « Craigard Hotel, là, sur la gauche. Vous êtes arrivé ! ».
Le jeune inspecteur épaula son épais sac à dos, récupéra son club de golf, puis il grimpa vers l’entrée de l’hôtel. Le froid et l’obscurité ayant envahi Castlebay, il se contenta de prendre possession de sa chambre et dîna rapidement ; enfin, fatigué par sa journée de voyage, il s’empressa d’aller se coucher…
…Tout à coup, Sweeney émergea de cet état de semi-conscience. Il cessa d’agiter sa cuillère, constata qu’il était bientôt dix heures, puis il remarqua que le jour commençait à poindre. Il se souvint alors qu’au milieu de la baie, le pittoresque château de Kisimul n’allait plus tarder à se dévoiler.
En arrivant la veille, il avait d’ailleurs regretté que la nuit dissimulât cette petite merveille. En effet, le chauffeur du bus, ravi de jouer les guides de fortune sur les derniers miles du trajet, leur avait parfaitement présenté la véritable attraction de Castlebay : bâti en 1039 en plein cœur de la baie, à une centaine de mètres du rivage, la forteresse du clan MacNeil n’était jamais tombée aux mains de l’ennemi au cours de ces dix derniers siècles. Toutefois, en 2000, l’héritier du clan avait dû se résoudre à louer cette coûteuse résidence – pour un bail de mille ans – à l’agence gouvernementale Historic Scotland. Le montant de la cession s’était élevé à une livre symbolique et… à une bouteille de Talisker(4) ! L’anecdote avait fait sourire le jeune policier. Pour finir, le conducteur n’avait pas oublié de préciser qu’au lever du jour, les visiteurs pourraient aisément constater que Kisimul avait probablement inspiré le dessinateur Hergé pour la couverture de son célèbre album « L’île noire ».
En levant de nouveau les yeux, Sweeney put enfin apercevoir les contours du prestigieux édifice. Massif, gris, robuste et rugueux, le fier château de Kisimul manifestait à l’évidence un fort caractère. Protégé par les flots, environné par les collines âpres de Barra, la demeure, juchée sur un éperon rocheux, semblait défier aussi bien le temps que les hommes. Indiscutablement, Kisimul avait une réelle force d’âme… Après un long moment de contemplation, l’inspecteur réussit à détourner le regard, mais il songea qu’avant son départ le mardi suivant, il lui faudrait absolument aller visiter cette tour de garde dans la baie. Il eut même la sensation, sans comprendre ce qui la provoquait, qu’il s’agirait là d’un acte d’importance durant son séjour.
Sweeney avala une nouvelle gorgée d’un café déjà tiède, puis il mordit dans son toast. En portant cette fois les yeux vers l’horizon, il finit par observer que de lourds et sombres nuages, chassés de la gauche vers la droite par un mauvais vent de sud-est, n’annonçaient rien de bon.
Mince, se désola le jeune Écossais, moi qui voulais partir randonner dans le nord de l’île, je crois que pour aujourd’hui, le mieux sera de me contenter du port et des collines alentour. Si le vent n’est pas trop fort… estima-t-il encore. Avant de réfléchir : Mais bon, ne te plains pas, Archie… Si tu as choisi de passer quatre jours à Barra en plein mois de décembre, c’est aussi parce qu’en cette saison l’île est la plus isolée d’Europe. Il paraît même que les journaux n’arrivent que l’après-midi, avec le ferry d’Oban. Avoue que c’est ce qui a motivé ton choix, reconnut-il. C’est vrai, je crois que j’avais besoin d’être seul, s’avoua-t-il enfin. Mais j’avais également besoin de temps, prolongea-t-il sa réflexion. Car sur Barra, j’ai déjà l’étrange sensation que les jours s’écoulent plus lentement. Ici, quatre jours doivent bien en valoir le double. Oui, comme si le temps était retenu au large ; comme si l’agitation des grandes villes l’y maintenait prisonnier, l’y consommait, le dévorait, et ne laissait plus aux îles que les dernières miettes de ce temps qui passe…
Sweeney vida sa tasse ; il finit d’ingurgiter sa tartine, puis il laissa traîner son regard à travers la salle du petit déjeuner.
Je suis apparemment le seul client de l’hôtel, remarqua-t-il pour la première fois. C’est peut-être aussi ce que je souhaitais… Pendant ces quatre jours, je me suis promis de répondre à une question capitale : dois-je demeurer inspecteur ? En effet, ces six derniers mois, je ne suis plus parvenu à élucider le moindre cas. Plus rien depuis ma reprise et la résolution du meurtre de mes parents. Plus rien depuis qu’Ilona est en prison(5) … soupira-t-il. Oui, six mois. Déjà six mois… se répéta-t-il.
Puis soudain : Quatre jours ! se ressaisit le jeune homme. Il insista : Je me suis donné quatre jours. Loin de tout, confronté à ces doutes qui m’assaillent, je me suis promis d’apporter une réponse définitive à mes interrogations. Mardi, lorsque je reprendrai l’avion, j’aurai pris ma décision : je saurai si je démissionne ou non !
Tara Watters remonta la salle du petit déjeuner avec lenteur, une cafetière pleine à la main. Sweeney sourit en la voyant s’approcher. Dévouée au service de son unique client, la propriétaire du Craigard Hotel avait certainement déjà remarqué que celui-ci ne disposait plus de café chaud.
Par réflexe, l’inspecteur l’observa : la cinquantaine, les cheveux bruns et courts comme soufflés en boule, vêtue d’une robe longue qui laissait apparaître une paire de souliers à boucle, ainsi que d’une veste traditionnelle agrémentée d’une broche qui encadrait un chemisier à jabot, l’hôtelière arborait un sourire avenant sur un visage aux traits pourtant fatigués. Parvenue devant la table, Tara inclina sa robuste ligne d’épaules et elle servit au jeune homme un café fumant.
– Merci Mrs Watters, lui dit-il simplement.
– Appelez-moi Tara, le pria-t-elle, avant de s’asseoir en face de lui.
Surpris, Sweeney laissa la propriétaire s’installer et, détournant le visage vers la baie, il attendit que celle-ci reprenne la parole.
– Vous avez tout ce qu’il vous faut ? lui demanda-t-elle. Si vous voulez, je peux…
– Non, je vous remercie Tara, la coupa son client. Je crois qu’une dernière tasse de café suffira… La confiture d’abricot est excellente, ajouta-t-il.
– Est-ce que je peux vous tenir compagnie ? le sollicita Mrs Watters. Je vous rassure, je viens rarement à la table de mes clients. Mais ce matin, comme vous êtes seul, je pen…
– Pas de souci, la devança le jeune Écossais… Vous n’aurez personne d’autre cette semaine ? la questionna-t-il.
– Si si, affirma l’hôtelière, et elle se redressa d’un coup. Deux autres clients arrivent demain, par avion je crois.
– Ah ? Très bien, dit Sweeney, poursuivant leur échange de banalités avant de goûter au café frais… Mmm, il est parfait, apprécia-t-il.
– Vous verrez, reprit Mrs Watters, l’hôtel sera beaucoup plus animé demain.
– Avec deux clients de plus ? ironisa l’insolent barbu.
– Non. Demain soir, j’organise un cèilidh(6). Tous les jeunes,