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Ce qu’elle a vu
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Livre électronique465 pages5 heures

Ce qu’elle a vu

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À propos de ce livre électronique

Quand un garçon de neuf ans est laissé pour mot dans une voiture en feu dans un quartier défavorisé de Peckham, l’inspecteur principal David Rosen y est appelé pour enquêter. Le jeune garçon a été gravement brûlé et il lutte à présent pour sa vie. Alors que Rosen et son équipe écument la scène de crime à la recherche de preuves médico-légales, ils découvrent quelque chose de terrifiant. Le graffiti d’un oeil à l’air sinistre, peint dans les moindres détails au-dessus du site de l’épave — et derrière lui, une série de marques mystérieuses gravées dans le mur. Les marques représenteraient-elles un code secret laissé par le meurtrier — un code qui serait la clé de l’enquête? Macy Conner, onze ans, est le seul témoin de l’incendie criminel. Macy est une enfant peu commune. Elle est très observatrice et s’exprime aisément. Mais plus Rosen analyse son témoignage, plus il commence à se poser des questions sur sa version des faits. Rapidement, Rosen commence à voir que Macy n’est pas la petite fille perdue si innocente qu’elle semble l’être. Des forces obscures oeuvrent parmi les enfants de la zone. L’inspecteur en chef Rosen doit lutter pour obtenir la vérité avant qu’une autre agression n’ait lieu… et qu’une autre âme soit prise.
LangueFrançais
Date de sortie14 déc. 2015
ISBN9782897529505
Ce qu’elle a vu
Auteur

Mark Roberts

Mark Roberts est né et a grandi à Liverpool. Il a étudié à l’Université Saint-François Xavier. Il a enseigné pendant vingt ans et au cours des dix dernières années, il a travaillé comme enseignant spécialisé. Le Manchester Evening News lui a conféré le prix de la meilleure nouvelle pièce de théâtre. La sixième âme est son premier roman pour adultes.

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    Aperçu du livre

    Ce qu’elle a vu - Mark Roberts

    PROLOGUE

    21 h 22

    Macy Conner savait que ce n’était pas bien pour une jeune fille de marcher seule par une nuit sombre.

    Comme elle atteignait le coin de son immeuble, le Claude House, elle vit de la lumière vaciller sur la sur­face des vitres d’une voiture garée dans la rue et se sentit obligée de s’en approcher.

    Une voiture brûlait sur la place Bannerman. À côté, deux individus, deux silhouettes, s’éloignèrent rapide­ment des flammes pour aller dans sa direction.

    « Si je peux les voir… » Elle tourna le coin et courut. « Ils m’ont vue. »

    Elle courut aussi vite que possible, la panique montant en elle à chaque foulée. Elle pouvait entendre l’écho de leurs pas alors qu’ils tournaient le coin derrière elle.

    Macy allongea sa foulée, serrant plus fort le billet de dix livres qu’elle tenait dans sa main moite. Mais les individus étaient comme la foudre, frappant plus près à chaque pas. Elle pouvait les sentir.

    Macy essaya de crier, mais sa voix resta captive.

    Elle trébucha, ce qui ralentit sa cadence, mais se remit à courir.

    Elle pouvait entendre leurs souffles saccadés portés par la brise.

    Personne dans les environs. Juste elle. Une fille de dix ans, seule. Et eux.

    Et maintenant, ils étaient juste derrière elle.

    Elle pouvait sentir leur colère alors qu’ils la rattrapaient et l’odeur de l’essence quand ils se rabattirent sur elle, formant une cage humaine.

    Un derrière elle. Un en face, une menace massive et suintante.

    Plus loin, sur la place Bannerman, elle entendit un enfant crier.

    Elle leva les yeux vers un visage auréolé de noirceur. Sa capuche était relevée. Et, quand elle se retourna, elle vit que l’autre individu était pareil.

    Elle baissa les yeux vers ses pieds et se mit à trembler.

    Sur la place Bannerman, il y eut une explosion.

    Deux mains plongèrent sur ses épaules, chaque doigt s’enfonçant en elle, jouissant de sa douleur.

    Un murmure à son oreille, un souffle aigre qui s’infiltrait en elle.

    — Pensais-tu vraiment que tu pourrais nous distancer, petite salope ?

    PREMIER JOUR

    28 avril

    150963.jpg

    1

    22 h 19

    Deux endroits. En même temps. Un choix impossible.

    Comme l’inspecteur principal David Rosen courait vers l’entrée éclairée de l’hôpital Lewisham, il vit son reflet dans la surface sombre des portes en verre. Fin quarantaine, trapu, les yeux foncés et les cheveux noirs épais plaqués sur la tête par la pluie, il aurait aimé être aussi en forme et mince que dans la vingtaine. Il aurait alors pu courir plus vite depuis la voiture.

    Son reflet disparut quand la porte automatique s’ouvrit et qu’il se retrouva à l’intérieur, à la recherche du panneau indiquant les urgences. L’ambulancier à qui il avait parlé au téléphone avait dit que Thomas Glass souffrait de brûlures sévères, mais qu’il était encore conscient et qu’on pouvait lui parler.

    Le gamin était un témoin oculaire. La vérité brute était que son témoignage était crucial. Voilà pourquoi Rosen, responsable de l’équipe d’enquête pour meurtre, était là et pas sur les lieux du crime place Bannerman.

    — David !

    Rosen dévia le regard au son de la voix qu’il reconnut comme étant celle de la sergente-détective Carol Bellwood.

    — Par ici ! cria-t-elle.

    Rosen rattrapa son adjointe dans un couloir sans fenêtres, éclairé par des néons fluorescents. La sergente-détective Bellwood, une grande femme noire aux cheveux tressés retenus fermement dans un ruban à l’arrière de sa tête, marcha devant lui.

    Rosen remarqua que Bellwood portait un t-shirt taché de sueur, des pantalons de jogging sous son imperméable et des chaussures de sport. Elle s’entraînait dans la salle de sport quand il avait ordonné que tout le monde soit en service.

    — Ses parents sont-ils ici ? demanda Rosen.

    Il redoutait ce qui les attendait et était rempli de tristesse et de peur pour eux. Leur vie comme parents était irrémédiablement et horriblement changée.

    — Pas encore.

    Rosen et Bellwood échangèrent un regard de reconnaissance. Dans un cauchemar bien réel, leur travail consistait à orchestrer l’ordre à partir du chaos le plus rapidement possible.

    — Tu veux que j’aille sur la scène de crime maintenant que tu es arrivé ? demanda Bellwood, aussi directe et efficace que toujours.

    — Gold et Corrigan sont déjà là. Feldman les dirige.

    Elle hocha la tête. Bien. Les trois principaux membres de l’équipe de Rosen.

    Rosen se sentit manquer de souffle. Sa poitrine l’oppressait. Vingt-trois minutes plus tôt, il était chez lui dans sa cuisine, à Islington, à donner le biberon à son fils qui résistait au sommeil ; maintenant, il se précipitait vers Thomas Glass, âgé de neuf ans, disparu de son domicile depuis huit jours.

    — Quelles sont les nouvelles de la place Bannerman ? demanda Bellwood.

    Rosen pensa entendre des pas derrière eux, mais quand il regarda par-dessus son épaule, il n’y avait personne. Sa voix baissa d’un cran.

    — Corrigan travaille avec la police scientifique. Stevie Jensen est dans la voiture de Gold ; Gold lui parle.

    Corrigan était excellent pour trouver et gérer les preuves ; Gold, très sociable, prenait soin du témoin.

    — Stevie Jensen ? demanda Bellwood.

    — L’adolescent qui a appelé les ambulanciers. Le Prof orchestre le reste des troupes.

    Bellwood avait surnommé le sergent-détective Feldman « le Prof » en raison de sa capacité à se concentrer pendant des heures et à utiliser sa mémoire photographique pour conserver les informations. Le surnom lui était resté et Feldman l’aimait.

    À l’unité des soins intensifs, ils rencontrèrent une infirmière, une blonde costaude en uniforme vert bouteille du système de santé. Pour Rosen, elle ressemblait à un videur à la porte d’une discothèque de second ordre.

    — Je suis l’inspecteur principal Rosen et voici la sergente-détective Carol Bellwood. Nous sommes ici…

    — Vous êtes ici pour Thomas Glass ? l’interrompit l’infirmière, dont le badge d’identification indiquait Stephanie Jones, et dont la photo dévoilait combien le temps ne lui avait pas fait de cadeaux.

    — Est-il encore capable de parler ? demanda Rosen.

    — Il a des bandages sur tout le corps et il est sous sédation lourde.

    — Stephanie, dit doucement Bellwood, et l’infirmière se retourna pour regarder dans sa direction. Est-ce que Thomas a dit quelque chose quand il a été transporté dans l’unité ?

    — Non. Il était sous respiration artificielle.

    Rosen vit les épaules de Bellwood s’affaisser et sentit le poids mort de sa déception.

    — Puis-je le voir ? demanda Rosen. S’il vous plaît.

    Elle le regarda fixement.

    — Vous pouvez le voir à travers la cloison de verre. Suivez-moi.

    Ils arrivèrent à une fenêtre dans l’unité de réanimation.

    Le garçon disparu était allongé sur le lit, sous respirateur et bandé. De chaque côté de lui, une infirmière et un médecin discutaient calmement, mais ils étaient visiblement concentrés.

    Rosen prit une profonde respiration pour se donner du courage.

    — Stephanie, les ambulanciers vous ont-ils dit ce qui s’est passé quand ils sont arrivés sur la place Bannerman ?

    — C’était le scénario classique d’ATLS, répondit-elle.

    — Le scénario ATLS ? demanda Bellwood.

    — Soins avancés de réanimation des polytraumatisés. Ils ont vérifié ses voies respiratoires, à vif. Ils l’ont mis sur une planche dorsale, dans l’ambulance, et l’ont placé sous respirateur artificiel. Ils lui ont enlevé ce qui restait de ses vêtements et ont vu qu’il avait soixante pour cent de brûlures au troisième degré. L’équilibre des fluides du garçon était bouleversé, alors ils l’ont hydraté avec une perfusion dans son bras gauche et l’ont enveloppé dans du film autocollant pour l’empêcher de glisser vers la mort. Ensuite, ils lui ont donné de la morphine et l’ont conduit ici. Il a trente pour cent de chances de survie. Ce n’est pas bon.

    Rosen, de plus en plus affligé, regarda à travers la vitre. Il y avait de bonnes chances que la mère et le père de Thomas soient sur le point de faire face à la peur la plus profonde de tous les parents. Et c’était une crainte que Rosen connaissait personnellement. Le souvenir de la mort subite de sa fille, huit ans plus tôt, se ravivait à la vue du jeune garçon. Pendant un instant, il resta figé par la terreur, la douleur et la perte dévastatrice. Son esprit se tourna vers sa femme Sarah, pendant cette terrible nuit, et l’image indélébile dans son esprit, l’expression dans ses yeux, alors qu’elle tenait Hannah dans ses bras, le moment où elle avait dit : « Elle est morte. »

    Rosen se força à revenir dans le présent.

    — OK, Carol. Nous devons vite aller place Bannerman. Il faut que je me mette à jour personnellement avec ce gamin, Stevie.

    Rosen se tourna vers l’infirmière, une autre idée en tête.

    — Dites à votre chef de la sécurité que je mets un garde armé à la porte ici.

    Le téléphone de Bellwood était sorti et elle composa un numéro abrégé.

    — Je m’occupe du CO19, David.

    — Le CO19 ? demanda l’infirmière.

    — Le Service central du contrôle des armes à feu, expliqua Bellwood.

    — Et nous voulons toutes vos images de vidéosur­veillance, intérieures et extérieures, le transport de Thomas dans cet hôpital… Tout ce que vous avez, insista Rosen.

    — Un garde armé ? demanda l’infirmière.

    — Celui qui a fait ça veut sa mort. Ils l’ont gardé plus d’une semaine. Si vous lui aviez fait ça, le voudriez-vous vivant et capable de parler ?

    2

    22 h 32

    Au volant de sa BMW, avant de mettre le moteur en route, Rosen fit un appel sur son iPhone. maison .

    Après la troisième sonnerie, il entendit la voix de son épouse Sarah, fatiguée mais détendue.

    — Salut, David. Ça va ?

    Il s’efforça de parler.

    — Eh bien…

    — David ?

    Sa voix était teintée d’inquiétude.

    — Comment va Joe, demanda-t-il. Il va bien ?

    — Il va bien, le rassura-t-elle. Il dort à poings fermés dans son lit.

    — Va vérifier qu’il va bien pour moi, s’il te plaît.

    — D’accord.

    Il entendit ses pas. Elle montait l’escalier.

    — Thomas Glass ? demanda-t-elle.

    — Ça augure mal.

    Rosen se demanda si les parents de Thomas étaient arrivés, s’ils avaient vu leur fils.

    Il reconnut le grincement familier de la porte de la chambre de Joe qui s’ouvrait.

    — Je suis dans sa chambre. La veilleuse est allumée. Il fronce son nez, comme quand il est content. Je baisse le téléphone.

    Rosen écouta le bruit de la respiration de son fils et sentit le poids mort de l’anxiété le quitter.

    — Ça va, maintenant, David ?

    — Merci, Sarah. Je suis désolé…

    — J’ose à peine imaginer ce que tu as vu ce soir. Je me sentirais exactement pareille si j’étais à ta place.

    Il tourna la clé de contact. Maintenant que son anxiété parentale était calmée, le temps redevenait son principal tourment.

    — Allez, chéri, dit Sarah. Fonce !

    Elle raccrocha et, quelques secondes plus tard, Rosen était en quatrième vitesse à cent kilomètres à l’heure.

    3

    22 h 47

    Quand Rosen arriva place Bannerman, il photographia la scène de crime détrempée dans son esprit. Les agents, en civil et en uniforme, étaient plus nombreux que la poignée de badauds curieux qui traînaient près du ruban de scène de crime.

    Chaque étage du Claude House, l’immeuble donnant sur la place, était allumé, et Rosen se rappela à quel point la tour d’habitation où il avait grandi à Walthamstow pouvait être sombre par une nuit humide.

    Gold — un grand Gallois corpulent, ancien joueur de rugby avec la tête rasée et les yeux bleus perçants — leva une main en guise de salut et fit un geste vers sa voiture banalisée. S’il était aussi imposant qu’il en avait l’air, il n’en était pas moins charmant.

    Rosen, qui le rejoignit, regarda l’adolescent bouger à l’arrière de la voiture de Gold en signe d’inconfort.

    — Stevie Jensen.

    La voix mélodieuse de Gold semblait menacer d’éclater en chanson à chaque syllabe.

    — Que se passe-t-il avec lui ?

    — C’est un héros local. Deux témoins distincts de l’immeuble se sont avancés pour le défendre alors qu’ils pensaient que nous l’arrêtions comme suspect. Il a sauvé Thomas Glass de ça.

    Il fit un signe de tête en direction d’une Renault Mégane carbonisée.

    Alors que Gold ouvrait la portière arrière de sa voiture, Rosen crut entendre la chemise et le pantalon bien ajustés de Gold craquer sous la densité de son corps.

    Rosen adressa un bref sourire bienveillant à l’enfant tout en se glissant sur le siège arrière à côté de lui.

    — Je suis l’inspecteur principal Rosen.

    Il ferma la porte pendant que Gold occupait le siège du conducteur juste en face du garçon.

    Stevie était beau. Les cheveux qui dépassaient à l’arrière de sa casquette de baseball étaient blond platine. De fins bandages recouvraient ses deux mains. Il était pâle et nerveux, comme si tout ce qu’il voulait, c’était aller dans un endroit tranquille et pleurer jusqu’à s’endormir. Une odeur d’essence et de fumée planait autour de lui.

    — Je te remercie pour ce que tu as fait ce soir, dit Rosen, doucement. Tes mains, ça va ? Comment sont tes brûlures ?

    — Je veux juste rentrer chez moi, maintenant. Je peux ? S’il vous plaît.

    — Nous n’allons pas te garder plus longtemps.

    — Il a pris mon téléphone, dit Stevie en montrant Gold. Je peux le récupérer ?

    — Ça vient de moi, Stevie. Je ne pouvais pas être ici parce que j’étais à l’hôpital où se trouve le jeune garçon. J’ai donc ordonné qu’on prenne tous les téléphones et je vais te dire pourquoi.

    Rosen leva le bras et ouvrit la lumière intérieure de la voiture pour pouvoir regarder le garçon dans les yeux et avoir une chance d’établir un lien. Sa première impression sur Stevie était claire. Il faisait partie de la majorité mésestimée du sud de Londres, un gamin bien, tout simplement.

    — Tout d’abord, dit Rosen, je ne sais pas ce qui va arriver à Thomas, mais je sais qu’il est toujours en vie et que c’est grâce à toi. Tu lui as donné une chance.

    Il s’arrêta et regarda au loin, laissant le silence opérer. À l’extérieur, l’attention de la sergente-détective Bellwood était rivée sur quelque chose à droite de la Mégane carbonisée, et la curiosité de Rosen fut piquée. Elle regardait un muret et la lumière de sa lampe de poche révélait un œil peint sur les briques. Il regarda de nouveau Stevie.

    — D’accord, dit Stevie nerveusement en faisant un signe vers le crâne rasé de Gold. Mais pourquoi garderait-il mon téléphone ?

    Rosen resta silencieux jusqu’à ce que Stevie le regarde directement dans les yeux.

    — Tu es un témoin sur une scène de crime grave. Tu pourrais être la clé pour attraper celui qui a fait ça. Tu restes assis dans la voiture, à attendre, à envoyer des textos, à parler, tu transmets des informations à l’extérieur, et en moins d’une heure, tout est sur Facebook, et celui qui a fait ça sait ce que tu sais. Alors que nous préfèrerions le garder pour nous.

    — Je n’avais pas vu ça comme ça.

    Rosen le laissa assimiler la portée de l’affaire.

    — Ma mère, dit Stevie. Elle est du genre inquiète. Elle va s’arracher les cheveux.

    Gold tourna la tête et regarda Stevie.

    — Sache que j’ai appelé ta mère et que je lui ai dit que tout allait bien.

    Stevie regarda tristement le Claude House, et Rosen posa doucement une main sur la manche du garçon. Voyant son regard implorant quand Stevie se tourna vers lui de nouveau, Rosen sut qu’il ferait mieux de lui parler dans sa zone de confort.

    — Je dois te parler, Stevie. Que dirais-tu que nous le fassions dans ton appartement, avec ta mère ?

    — Oh oui, s’il vous plaît, monsieur Rosen, dit le garçon sans hésitation.

    — Gold, dit Rosen.

    Gold tourna la tête.

    — Oui, patron ?

    — Redonne son téléphone à Stevie. Nous allons faire un saut chez lui.

    4

    22 h 51

    La porte de l’appartement du rez-de-chaussée de Stevie s’ouvrit dès que le garçon sonna.

    Sa mère, le souffle coupé, le regarda de haut en bas, et jeta ses bras autour de lui.

    Il se tortilla sous son étreinte et protesta doucement :

    — Maman, il y a un flic derrière moi.

    Rosen réprima le sourire sur son visage pour revêtir un air impassible comme il croisait le regard de la femme. Visiblement sans aucun maquillage, c’était une petite femme aux cheveux noirs teints et aux yeux verts tristes qui semblaient trop grands pour son visage mince et ovale. Elle rappelait beaucoup sa propre mère à Rosen.

    — Vous pouvez être fière de votre fils, madame Jensen.

    Elle opina. Bien sûr qu’elle était fière de lui. Elle le laissa s’échapper de ses bras et regarda avec une certaine horreur ses mains bandées.

    — Oh, mon Dieu !

    — Je vais bien, maman.

    Rosen sentit l’intensité de la gêne de Stevie et intervint.

    — Pouvons-nous tous rentrer, madame Jensen ?

    — Je vais aux toilettes, dit Stevie, qui se dirigea vers la salle de bain.

    Sa mère alla dans la cuisine pour allumer la bouilloire, laissant Rosen seul dans le petit salon à l’avant de l’appartement. Il regarda les murs et saisit la dynamique de la famille. Il y avait des photos encadrées de Stevie à toutes les étapes de sa vie, et sur la plupart d’entre elles, il était vêtu d’un ensemble de course à pied. Stevie, âgé de neuf ans, tenant une médaille d’or lors d’une épreuve sur piste ; Stevie, âgé de treize ans, le premier à franchir la ligne… Sur la cheminée, il y avait des trophées plaqués or, et sur la petite table près de la fenêtre, des livres de chimie et de biologie pour le Brevet des collèges étaient empilés à côté de fiches de révision vierges et d’un ensemble de papeterie.

    La porte s’ouvrit et Rosen se tourna tandis que la mère de Stevie revenait dans la pièce. Rosen tendit la main et dit :

    — Je suis l’inspecteur principal David Rosen.

    Comme ils se serraient la main, celle de la mère de Stevie parut petite et fragile dans la sienne.

    — Marie Jensen, répondit-elle. Des voisins m’ont dit qu’il a transporté cet enfant loin de la voiture en feu.

    — Oui, dit Rosen. C’était un acte courageux et altruiste.

    En arrière-plan, l’eau dans la bouilloire commençait à bouillir et le garçon tira la chasse d’eau.

    — Son père est mort dans un accident de la circulation quand il avait cinq ans. Je crois qu’il a dû penser à son père quand il a vu l’enfant. C’est un garçon très sensible, mon Stevie.

    Stevie avança dans la pièce, les yeux rougis par les larmes qu’il avait versées dans l’intimité de la salle de bain. Rosen détourna les yeux et montra un petit canapé.

    — Tu veux t’asseoir, Stevie ?

    Sa mère quitta la pièce.

    — Je vais chercher du thé.

    Rosen, assis sur un fauteuil à côté de Stevie, dit :

    — Je suis vraiment impressionné par tes trophées en athlétisme.

    Stevie le regarda dans les yeux, soudain animé, distrait du traumatisme de ces dernières heures.

    — C’est ce que je veux faire. Mon entraîneur dit que je pourrais participer aux championnats nationaux.

    Le garçon grimaça soudain et étira ses doigts, dissipant le frisson de douleur dans ses paumes. Le son d’une sirène s’éleva et descendit au loin.

    — Brevet des collèges le mois prochain ? intervint Rosen en faisant un signe de tête vers la fenêtre et la table pleine de livres.

    — Ouais. Je travaille comme un damné.

    — Que veux-tu faire, Stevie ?

    — Aller à l’université et réussir. Que ma mère soit fière de moi. Prendre soin d’elle, comme.

    — Tu cherches à joindre la police, alors ?

    — Pas du tout ! s’exclama Stevie en riant brièvement.

    — C’est dommage, dit Rosen. Pour nous.

    Stevie interrogea Rosen du regard quand il sortit son téléphone.

    — Ça te va si j’enregistre notre conversation ?

    — Pas de problème.

    Rosen appuya sur « Enregistrer » et Stevie regarda dans le vide, comme s’il revivait ses souvenirs.

    — Dis-moi simplement ce qui est arrivé. Tout, d’accord ?

    Rosen se cala dans son siège, feignant d’être détendu pour une causerie informelle.

    — J’étais assis à cette table et, évidemment, j’étais en train de réviser comme un fou la chimie pour le Brevet des collèges. J’ai regardé par la fenêtre. Il y avait une voiture en feu sur la place. Alors, je suis sorti. Là, la portière s’est ouverte et… C’était un enfant et tout ce que j’ai pensé, c’est : « Bon sang, cette voiture va exploser. Je dois l’aider. » Quand je suis arrivé à lui, il rampait dans une grande flaque d’eau sur le sol. L’odeur de l’essence et des brûlures, c’était, comme, infect. Mais je l’ai attrapé par le manteau et le pantalon. Il criait, pleurait… Je ne pouvais pas le regarder. Et puis, boum ! La voiture a explosé, mais là, on était, comme, sauvés et je l’ai allongé sur le sol. C’est là que je l’ai entendu dire ça.

    — Qu’a-t-il dit, Stevie ?

    — Il a dit : « Ils vont le refaire ! »

    Rosen soutint le regard du garçon.

    — Il a dit « ils vont » ? Il a vraiment dit « ils vont » ?

    — Vraiment. Ils vont. Pas il va. Ils vont, vraiment ils vont.

    — Tu en es sûr à cent pour cent ?

    — J’étais sur l’adrénaline. Pendant une seconde ou deux, mes sens étaient tous, comme, super éveillés. J’aurais pu entendre un éternuement de puces dans la rue Oxford.

    — A-t-il dit autre chose ?

    — Non. Mais j’ai quelque chose à vous montrer.

    Stevie regarda nerveusement la porte, puis il sortit son téléphone et montra l’espace à côté de lui sur le canapé.

    Comme Rosen le rejoignait, la mère de Stevie entra dans la pièce avec deux thés. Stevie mit fin au défilement sur son téléphone.

    — Je suis désolé, maman. Pas maintenant. S’il te plaît. D’accord ?

    Elle partit sans un mot.

    — Je ne veux pas que ma mère voie ça. C’est trop… bouleversant. Dès que j’ai appelé l’ambulance, j’ai fait ça sur mon téléphone. Vous êtes prêt ?

    Rosen hocha la tête.

    — Je suis prêt, Stevie.

    Stevie appuya sur « Jouer ».

    Sur l’écran en face de lui, Rosen vit Thomas Glass sur le trottoir de la place Bannerman. Son corps humide dégageait de la vapeur et se secouait, son visage tel un masque carbonisé.

    Rosen sentit quelque chose accrocher son cuir chevelu, quelque chose de pointu et métallique, alors que son esprit lui montrait pendant un instant le moment où il avait vu sa première victime de meurtre, une jeune femme avec la tête presque complètement sectionnée. Rosen serra les poings le long de son corps, puis se concentra de nouveau sur l’écran.

    — Je lui ai posé des questions. Je voulais obtenir toutes les preuves possibles.

    — Bonne idée, Stevie.

    Stevie avait fait un zoom sur le visage de Thomas. Sa voix était clairement audible :

    — Peux-tu m’entendre ? Opine si tu peux, OK ?

    Thomas avait hoché la tête, le réverbère à sodium dévoilant son visage carbonisé. Il n’avait plus de paupières, juste le blanc des yeux rougi, à vif, l’un noirci au centre.

    — Tu t’appelles Thomas Glass ?

    Le garçon hocha la tête.

    — Tu as été enlevé ?

    Une pause, puis Thomas acquiesça de nouveau.

    — Sais-tu qui t’a enlevé ?

    Cette fois, le garçon avait hoché la tête comme s’il voulait crier « Oui ! ».

    — C’est une femme qui t’a enlevé ?

    Il secoua lentement la tête.

    — Un homme t’a enlevé ?

    Le son d’une sirène qui se rapprochait, une ambulance, devint de plus en plus fort.

    — C’était un homme ? persista Stevie.

    Affligé, Thomas acquiesça de nouveau. Puis il commença à crier et la vidéo s’arrêta.

    — Je ne pouvais pas en supporter plus. J’ai dû tourner le dos, dit Stevie. Je me sens nul, de m’être, comme, détourné de lui.

    — Tu ne dois pas. Tu as été brillant.

    Stevie regarda Rosen, incertain.

    — Je le pense, Stevie. Tu as été courageux et tu as fait preuve spontanément de présence d’esprit. Ta mère a toutes les raisons d’être fière de toi.

    Stevie hocha la tête, digérant les paroles de Rosen.

    — Envoie-moi la vidéo sur mon téléphone, Stevie.

    Rosen lui donna son numéro et, après quelques secondes, il reçut la séquence sur son iPhone.

    — Vous voulez que je la supprime, monsieur Rosen ?

    Lorsque Rosen vit que le film était bien arrivé sur son téléphone, il dit :

    — Oui, s’il te plaît. Quand tu es arrivé sur la place, tu n’as vu personne près de la voiture, ou s’éloigner de la voiture en courant ?

    — Pas âme qui vive. Je suis rentré d’une course aux environs de dix-neuf heures, la Renault n’était pas encore là. À vingt heures trente, je révisais, et toujours pas de voiture. Environ une heure plus tard, elle était là. En feu.

    — Autre chose, Stevie ? demanda Rosen avec douceur.

    Stevie secoua la tête et Rosen savait que, s’il avait parlé, le garçon aurait fondu en larmes. Rapidement, Stevie se leva et quitta la pièce.

    Sa mère revint avec le thé.

    — J’ai un fils, madame Jensen, un bébé. J’espère qu’il deviendra aussi bien que votre garçon, dit Rosen.

    Elle rayonnait de fierté.

    — Je vous remercie, monsieur Rosen.

    — Je suis désolé. Je ne peux pas rester pour le thé.

    Rosen sourit et partit à la hâte.

    5

    23 h 01

    Place Bannerman, l’épave brûlée de la Renault Mégane s’élevait dans les airs, hissée par un treuil attaché à l’arrière d’une grande camionnette Ford. Elle allait partir pour un examen scientifique au garage de la rue Clerkwell. Rosen pensait qu’elle pouvait encore apporter des preuves utiles.

    Bellwood fixait le muret près duquel la voiture avait brûlé.

    Rosen s’approcha d’elle, là où son champ de vision était réduit, et demanda :

    — C’est quoi, Carol ?

    — Je ne sais pas.

    Elle pointa sa lampe de poche sur le mur. Le faisceau révéla un graffiti qui, à première vue, ressemblait à ceux qu’on retrouvait à la station de métro du Docklands Light Railway pas loin. Rosen s’accroupit pour avoir une meilleure vue. C’était l’œil peint qu’il avait entrevu depuis l’arrière de la voiture de Gold. Le muret sur lequel l’œil avait été peint était tout ce qui restait d’un parterre de fleurs des années 1960. La qualité de l’œuvre était impressionnante.

    Il la décomposa selon ses éléments. Le contour ovale, le haut et le bas, était une bande épaisse de noir. À l’intérieur du contour, le blanc de l’œil était tacheté de petits points sombres qui créaient des touches de gris dans le blanc, un effet d’ombre qui suggérait le passage de la lumière et faisait paraître l’œil vivant.

    — Alors ? dit Bellwood.

    Rosen leva les yeux vers elle.

    — Pour moi, c’est bien fait, dit-il. Mais c’est toi la mordue de l’art. Qu’en penses-tu, toi ?

    Quand elle n’était pas en service, Bellwood passait beaucoup de temps dans les galeries de Londres, et avait des opinions bien arrêtées qui étaient ciblées et bien informées. Rosen profitait de sa passion.

    — L’art du graffiti, dit-elle. Ça m’a saisie quand je suis passée à côté.

    Il reporta son attention vers l’œil et écouta.

    — C’est plein d’ombres. Et elles sont bien exécutées. On retrouve ce genre de détails, ce genre de jeux de lumière, dans le travail des artistes de talent. Ce n’est pas seule­ment l’œuvre d’un gamin morveux à la recherche de quinze minutes de gloire dans le quartier. Ce travail montre une compréhension de la technique et de la perspective.

    Rosen compta. De l’iris au contour ovale, il y avait quinze lignes qui créaient l’effet des rayons d’une roue, étroites à la pupille et s’épaississant tandis qu’elles progressaient vers le contour. Elle avait raison. Dans chaque ligne, la perspective était parfaite.

    Rosen entendit Bellwood frissonner en inspirant et il se demanda si c’était en raison de la nuit froide et de ses vêtements de sport humides, ou de l’image sur le mur. Elle se pencha à côté de lui et resserra le col de son manteau autour de sa gorge.

    — Regarde le centre du blanc. Il y a un cercle parfait, la pupille avec un soupçon de blanc au centre, la suggestion de la lumière prisonnière des ombres éphémères.

    Rosen sortit son iPhone de sa poche et commença à prendre des clichés de l’œil. En dépit de son aversion enracinée pour quoi que ce soit de lié à des graffitis, il dit :

    — Tu as raison, Carol, c’est un travail de qualité.

    — Ça

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