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Noliän: La Complainte de l'Exilé
Noliän: La Complainte de l'Exilé
Noliän: La Complainte de l'Exilé
Livre électronique613 pages8 heures

Noliän: La Complainte de l'Exilé

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À propos de ce livre électronique

Deux époques, deux intrigues, une vérité scellée

Porteur d'une puissance qui échappe au contrôle des Dieux fondateurs eux-mêmes, Noliän est contraint de s'exiler du village qui l'a vu grandir. Une rencontre à laquelle il ne s'était préparé vient bouleverser sa vie... irrémédiablement. À travers son Kirin, l'être qui vit désormais à l'intérieur de lui, Noliän découvre un monde tel que seuls ses rêves lui permettaient d'imaginer. Aux côtés de Thalem, sa quête le conduira à révéler les mystères d'un lointain passé : celui de son alter-ego dont les souvenirs se répondent étrangement... Pour reconstituer le passé et lever le voile sur la tragédie d'Ashvan survenue deux millénaires plus tôt et dont personne ne semble se rappeler, Noliän et Thalem entreprennent une véritable chasse aux souvenirs. Quels secrets la mémoire perdue de Thalem recèle-t-elle ? Pour quelle raison l'a-t-on arraché aux portes de l'Après-vie ? Tout semble étrangement relié à une dimension parallèle, « Abyss », et à l'être emprisonné dans le noyau de cet entre-mondes des plus surprenants...

Ce roman fantasy fascinant dévoile un univers complexe et minutieusement construit.

EXTRAIT

La vie avait parfois de bien curieuses façons de réunir deux êtres...
Lorsqu'il battit des paupières, Thalem se trouvait sur la route du palais d'Enléagor, en haut de la colline qui surplombait l'auberge. Il se demanda pourquoi Noliän avait choisi un tel endroit pour se perdre dans ses pensées, puis se souvint que c'était ici qu'était né le lien de confiance qui s'était instauré entre eux, et l'espoir, incarné par la silhouette de Thorren se découpant dans le contre-jour, tendant une choppe de bière à Noliän.
« Alors il n'a pas oublié... »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1996 à Dijon, Alexane Guth passera son enfance en Asie, notamment au Cambodge, en Malaisie, et à Dubaï. Revenue en France, elle y termine sa scolarité. Titulaire d'un baccalauréat littéraire, elle s'est d'abord orientée vers l'infographie 3D, qu'elle a étudiée pendant 3 ans. Aujourd'hui étudiante en formation Réalisation/Montage sur Montpellier, elle s'est plongée très tôt dans l'écriture, avec l'envie innée de créer des univers, des mondes et des intrigues. C'est à quatorze ans qu'elle commence l'écriture du premier tome d'une trilogie, saga intitulée L'Odyssée des deux Mondes. À 21 ans, elle achève l'écriture de son quatrième livre, Noliän – La Complainte de l'Exilé.

Son inspiration peut aussi bien venir d'un livre, d'un film ou d'un jeu vidéo, que d'une musique ou d'un rêve. Alexane se passionne également pour la lecture, le montage vidéo, la photographie, les voyages, les animaux, la musique, la culture japonaise. Elle aspire à ce que ses écrits soient adaptés au cinéma.
LangueFrançais
Date de sortie28 mars 2018
ISBN9782374641218
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    Aperçu du livre

    Noliän - Alexane Guth

    Prologue : Murmures dans la nuit

    Noliän ~ Village d'Ewen

    Tel un repère immuable, l'astre de la nuit se dressait fièrement dans le ciel. Cette nuit-là, aucun nuage ne vint entraver son règne. Les rayons lunaires venaient déposer leur lumière d'argent, couvrant de leur pâle manteau le monde des Hommes. Indifférente aux conflits qui déchiraient le continent, la lune poursuivait sa course dans le ciel étoilé, jour après jour, nuit après nuit. Les humains auraient beau s'éteindre, connaissant comme tout peuple des déclins et des apogées, elle continuerait de s'élever. L'immortalité de l'astre lunaire. La majesté du soleil, l'immensité des terre, l'inviolable influence des éléments sur la vie de tout un chacun : voilà ce que les Hommes avaient toujours convoité, et continuaient d'espérer, poursuivant aveuglément un mirage qui ne deviendrait jamais plus qu'un doux songe. Peu avaient le courage d'aspirer à une vie simple faite de bonheurs éphémères et de petites joies. La plupart s'étaient tournés vers la quête de l'immortalité ou du pouvoir. Des rêves fanés qui les aveuglaient tout le long de leur existence et leur faisaient prendre conscience de leurs vains espoirs au crépuscule de leur vie. Et lorsque tout espoir était perdu, ne restait plus que le regret.

    C'était ainsi depuis des générations et des générations. Les royaumes se déchiraient, le peuple se scindait et les monarques perdaient leur influence sur leurs sujets. Les Hommes prétendaient servir les Dieux, mais en vérité, ce n'était pas eux qu'ils vénéraient : c'était leur immortalité, et tous les privilèges qui découlaient de cette faculté. Peu d'êtres humains s'étaient résolus à croire que leur mortalité était en réalité une bénédiction. La plupart voyaient cela comme un fardeau, une malédiction dont ils tentaient vainement de se libérer tout en sachant que c'était impossible. Malgré cela, les plus aveuglés continuaient de nourrir l'espoir qu'un jour, leurs prières soient entendues. Qu'un jour, ils puissent jouir des mêmes privilèges que les Créateurs et leurs émissaires.

    Il y avait toutefois une raison à leur mortalité, que peu avaient été capables de comprendre. Si, du point de vue des humains, la mort était synonyme de tristesse et de deuil, de celui des dieux, il s'agissait plutôt d'une délivrance, ou plus précisément, d'un présent. En sachant que le temps de chacun était compté, inconsciemment, ces êtres apprenaient à apprécier chaque instant comme s'il était le dernier. Chaque détail, chaque chose qui pouvait apparaître comme banale ou habituelle se révélait dans toute sa splendeur. Les couchers de soleil, les montagnes baignées des rayons lunaires, le chant de la forêt, le murmure du vent, les naissances et les unions, les triomphes... Tout cela n'aurait jamais autant d'éclat aux yeux d'une créature céleste qu'à ceux d'un Homme. Les mortels, du fait de leur existence éphémère, se voyaient dotés d'une pureté à laquelle nul autre aurait pu prétendre. Ils étaient capables de voir le monde dans son entièreté et sa splendeur, là où tant d'autres n'en voyaient que des facettes pâles et indignes d'intérêt. Les dieux avaient donné aux Hommes ce qu'eux-mêmes désiraient et n'avaient jamais été capables d'obtenir.

    Mais plutôt que de voir cet héritage comme un cadeau, ils s'étaient mis à considérer leur mortalité comme un fardeau. Dès qu'ils comprirent qu'il était possible de vivre éternellement, de traverser les âges et défier les lois du temps, ils s'étaient mis à désirer l'immortalité des dieux. Aveuglés par leur quête insensée, ils en vinrent à oublier la raison de leur condition. Peu étaient capables de garder à l'esprit que la mort n'était pas à craindre. Elle était simplement un passage vers un ailleurs mystérieux et imprévisible. Et depuis ce jour, les Hommes s'évertuaient à repousser le moment de leur déclin.

    Depuis ce jour, le chaos était né, trouvant sa source dans l'envie et le doute et se nourrissant des lamentations désespérées des

    Hommes, brisant l'équilibre instauré par les Créateurs.

    Ce fut en cette période troublée que naquit Noliän d'Ewen, fils de Fallen et de Cyn de Zephiria. Dès sa naissance, ses parents comprirent que rien ne le prédestinait à une vie aisée. Les Anciens d'Ewen, un petit village au sud ouest de Zephiria, avaient prétendu que les étoiles avaient parlé, et que leurs nouvelles n'étaient guère réjouissantes : elles prédisaient la mort de nombreuses jeunes âmes.

    Puisqu'au sein des Royaumes du Nord, les prophéties et les prédictions rythmaient la vie des habitants et déterminaient le sort de chacun, toutes les femmes sur le point de donner la vie ou les familles comprenant de jeunes enfants avaient été averties. Cyn avait toutefois refusé de croire en la prédiction des Anciens, convaincue que son enfant survivrait. Et, contre toute attente, là où tous les nouveaux-nés avaient péri, terrassés d'un curieux et terrifiant mal dont personne n'expliquait l'origine, l'enfant avait survécu. Les guérisseurs de tous les environs s'étaient réunis pour se pencher sur ce miraculé, sans pour autant parvenir à apporter une explication plausible quant au fait qu'il ait été épargné. Certains prétendaient qu'il était béni des dieux, d'autres allaient même jusqu'à l'inclure dans la prophétie de l'élue des étoiles, lui attribuant l'identité d'un héritier des éléments. Fallen et Cyn avaient simplement accueilli cette nouvelle vie comme une bénédiction, sans se poser de questions. Du moins, ce furent l'apparence qu'ils donnèrent à leurs proches, car le père voyait d'un mauvais œil cet enfant qui avait défié les prédictions pourtant toujours avérées des Anciens. Il craignait que le nouveau-né ne finisse par leur porter malheur et de cette crainte était née un mépris que même Cyn fut incapable de réprimer. Fallen ne passait donc que le strict minimum de temps aux côtés de son fils, laissant son éducation à sa femme.

    Noliän n'avait eu la chance de grandir dans l'abondance et la prospérité comme la plupart des enfants issus de familles nobles. À la pauvreté de sa famille venaient s'ajouter les rivalités claniques entre les membres du village, qui s'étaient mis à mépriser cet enfant dont le sort aurait dû être scellé à la naissance. Les mères endeuillées dont le bébé avait succombé s'étaient liguées contre sa famille, prétendant que son existence même était un péché et qu'il devrait être sacrifié pour apaiser les Dieux. Les uns le méprisaient, les autres le craignaient. Les coutumes et croyances étant ancrées dans l'histoire des Royaumes du Nord depuis maintes et maintes ères, le fait qu'un enfant puisse défier les prophéties qui jusqu'alors s'étaient toujours avérées attisait la crainte des habitants. De leur opinion, rien ne pouvait -rien ne devait- entraver la volonté des Dieux, transmise par le biais de messages déchiffrés par les Anciens.

    Pour cette raison, Cyn et Fallen avaient élevé leur enfant loin des familles hostiles qui avaient pendant des années tenté de leur nuire. Désespérés de ne pouvoir lui offrir une enfance ordinaire, ils furent forcés de le voir grandir seul, à l'écart des villageois. Noliän n'avait jamais eu d'ami. Sa mère, affaiblie par une curieuse maladie que la plupart qualifiaient de juste punition, n'avait pu lui donner un frère ou une sœur. La solitude était donc devenue le quotidien du garçon. Tandis que d'autres exploraient des palais luxueux et jouaient avec des trésors, lui parcourait la forêt qui avait bercé son enfance et se divertissait de tout ce qu'il pouvait trouver. C'était un jeune garçon turbulent, à la fois provocateur et secret, qui avait, en grandissant, développé un goût du risque qui n'était guère pour plaire à ses parents. Doté d'un sens de la répartie et d'un cynisme que ses parents avaient de plus en plus de mal à refréner, il avait triomphé des nourrices les plus patientes. Le seul qui avait obtenu un tant soit peu d'attention de sa part était son cousin, Zweyn. De cinq ans son aîné, il parvenait à canaliser le jeune rebelle comme nul autre. Même s'il pouvait parfois se montrer détestable et insupportable, Cyn se délectait de chaque instant où son fils souriait et semblait heureux. Zweyn avait refusé de lui révéler par quel miracle il parvenait à créer un lien avec l'enfant turbulent, n'offrant pour seule réponse qu'un mystérieux sourire.

    En vérité, il n'y avait guère de miracle à cette entente insoupçonnée. Les deux garçons partageaient le même secret. Quelque chose qu'ils savaient dangereux et interdit au sein de leur royaume. Quelque chose qui inspirait à la fois mépris, crainte et convoitise : La Magie.

    Même jeunes, les deux garçons avaient conscience du danger qu'ils couraient s'ils exposaient leurs dons au grand jour, c'est pourquoi ils n'en parlèrent à personne, pas même à leurs familles respectives. Toutefois, ils ne voyaient pas en leurs pouvoir un fléau capable de déclencher des guerres, comme étaient ordinairement perçus les dons innés accordés à quelques élus. La magie avait ceci d'extraordinaire qu'elle rapprochait les gens. Ils n'avaient besoin de se parler pour se comprendre. Ils pouvaient anticiper les actions de chacun, terminer la phrase de l'un sans que cela surprenne l'autre, voir et entendre des choses dont nul ne soupçonnait l'existence. Ensemble, ils retrouvaient une entièreté et un équilibre, comme si l'un sans l'autre, inexorablement, perdaient une partie d'eux-mêmes. Zweyn s'arrangeait toujours pour emmener son jeune cousin hors de portée des adultes afin qu'ils puissent s'exprimer et agir librement, selon ce que leur instinct leur soufflait, car sous la surveillance de leurs parents, ils étaient forcés de le réprimer afin de ne pas trahir leur véritable nature. Si pour l'aîné, cela ne posait pas de problèmes puisqu'il avait appris à dompter cette énergie, pour le fils de Cyn et Fallen, les choses étaient plus compliquées. Alors, lorsque Zweyn s'en allait, il redevenait l'enfant turbulent et provocateur qu'ils avaient toujours connu.

    Puisque Noliän réclamait sans cesse la présence de son cousin, poussant parfois le vice jusqu'à simuler des caprices pour obtenir gain de cause, ses parents furent forcés d'inviter l'adolescent plus souvent. Loin d'être insensible au bonheur de son fils lorsqu'il se trouvait en sa compagnie, Cyn regrettait tout de même de ne pas être capable de lui apporter ce bonheur elle-même. Fallen, quant à lui, prétendait toujours être occupé ou absent pour éviter de fréquenter ce garçon qui avait défié toutes les expectations.

    Longtemps les parents s'étaient interrogés et remis en question sur l'éducation de leur fils unique, sans trouver d'explication à la cause de ces soudains changements de comportement. Zweyn, quant à lui, avait entendu la détresse des parents de son jeune cousin et avait décidé d'enseigner à son protégé à maîtriser les émotions que provoquait sa magie, puisque cette dernière octroyait une sensibilité sans égale à son porteur. Ainsi, les êtres dotés de pouvoirs étaient capables de ressentir les sentiments avec davantage de force qu'un humain ordinaire. Le jeune garçon n'était pas toujours capable de les comprendre, et donc, de réagir en conséquence. Zweyn lui apprenait à les déchiffrer, mettant un nom sur chacun d'entre eux, inventant des mots pour les émotions qui n'avaient pas d'équivalent dans leur langue. Noliän était devenu son disciple, un élève aussi doué que surprenant, et l'adolescent savait combien il était difficile de surprendre un être magique doté d'une anticipation hors normes. Ensemble, ils s'engouffraient dans la dense forêt d'Isildrim, à l'est du foyer de Noliän, se perdant sur les nombreux et sinueux sentiers où se dressaient les conifères dont la cime semblait côtoyer les nuages, en sachant toutefois qu'ils retrouveraient toujours leur chemin grâce à ce lien immuable. Zweyn lui enseignait non seulement à canaliser ses émotions, mais aussi à employer sa magie de façon intelligente, et jamais par fainéantise pour remplacer un travail difficile. Le principe d'effort était important aux yeux de l'aîné, mais c'était quelque chose que son cousin avait vraisemblablement du mal à assimiler. Zweyn avait beau lui expliquer qu'il fallait faire les choses par soi-même pour apprendre et pour tirer satisfaction du résultat de son dur labeur, Noliän s'entêtait à chercher des raccourcis à tout et à exiger de ses dons ce qu'un homme ordinaire aurait dû faire de lui-même.

    – Par pitié, fais un effort ! Les dieux ne t'ont pas doté de bras et de jambes pour rien, le réprimanda l'aîné lorsque son cousin commença à faire appel à sa magie pour ramasser du bois.

    – La faute à qui ? rétorqua audacieusement l'intéressé. Tu n'avais qu'à pas m'apprendre à me servir de mes dons.

    – Tu l'aurais découvert par toi-même un jour où l'autre. Autant que ce soit le plus tôt possible...

    – Pour éviter ça ?

    En guise de provocation, Noliän fit voler une branche juste devant son cousin, lequel s'empressa d'opposer sa magie à celle du jeune rebelle. Il voulut le toiser pour lui signifier son courroux, mais ils savaient, l'un comme l'autre, qu'il en était simplement incapable. Bien malgré lui, son petit cousin parvenait à gagner son affection.

    « Peut-être parce qu'il me renvoie l'image du garçon que j'étais à son âge... » songea l'adolescent châtain en lâchant un soupir.

    – Tu es désespérant...

    – On me l'a souvent dit.

    Noliän eut un sourire auquel son cousin ne put résister. Ce dernier l'observa longuement, perdant soudain son rictus. Il considéra ce visage juvénile derrière lequel se cachait, il en était certain, un esprit bien plus mûr que le suggéraient les apparences. Plus grand que les enfants de son âge, le fils de Cyn avait hérité des cheveux couleur de jais de son père et de la peau pâle de sa mère. Son nez fin et ses traits dessinés rappelaient la grâce de sa génitrice. Ses yeux étaient cependant ce qui interpellait le plus Zweyn, et qui, de son avis, trahissait sa maturité. C'étaient deux puits sombres et impénétrables qui appelaient à la contemplation. Une contemplation presque forcée, car ses iris profonds étaient comme deux aimants qui semblaient happer quiconque les croisait.

    Noliän possédait une influence dont aucun mage que Zweyn connaissait ne pouvait se vanter d'avoir. Une influence qui pouvait aisément être détournée si elle tombait entre les mains de la mauvaise personne. Pour cette raison, l'adolescent veillait à ce que son jeune cousin devienne suffisamment fort pour résister à l'appel des ténèbres lorsqu'il se ferait entendre. Il devait à tout prix lui enseigner à dissimuler sa véritable nature, pour son bien et celui de son entourage. Si les Anciens découvraient sa magie et à quel point s'étendait son influence, sa famille et lui seraient bannis du village, ou pire, torturés jusqu'à ce que mort s'ensuive pour avoir défié la volonté des dieux transmise à travers les prophéties.

    Un soir de la saison des feuilles mortes, alors que Noliän ne parvenait à trouver le sommeil et observait les rayons de l'astre filtrer à travers la fenêtre de sa chambre, il vit passer furtivement une silhouette, entravant la lueur de la lune et plongeant l'espace d'un instant la pièce dans l’obscurité. Quelques instants plus tard, Zweyn se tenait devant lui, l'air grave et le regard si sérieux que son jeune cousin, pourtant difficilement intimidable, en eut le frisson. Malgré tout, il osa un peu d'humour.

    – Te manquerais-je à ce point pour que tu viennes chercher ma présence même en pleine nuit ?

    – Suis-moi, répondit l'aîné sur un ton qui n'attendait aucune réplique.

    Tiraillé entre la méfiance et la curiosité, le garçon choisit finalement d'obéir -chose que seul son cousin pouvait se permettre d'exiger de lui. Non sans un soupir, le garçon aux cheveux sombres le suivit hors du foyer familial en prenant soin de s'assurer à l'aide de sa magie que ses parents ne remarqueraient pas sa petite escapade nocturne.

    – Où m'emmènes-tu ?

    – Tu verras.

    – Zweyn.

    – Contente-toi de me suivre sans poser de questions pour une fois, d'accord ? s'impatienta l'aîné, en prenant garde de ne pas croiser son regard.

    – Ton énergie est différente, ce soir, objecta Noliän d'un ton prudent.

    L'adolescent parut se crisper, risqua un œil derrière lui puis attira son cousin pour l'inciter à le suivre avec un empressement que le garçon ne lui connaissait pas et qui ne fit que l'inquiéter davantage.

    L'aîné l'entraîna vers un lieu que Noliän ne reconnut pas, dans la direction opposée à la forêt. Poussé par le désir de savoir ce qui se trouvait plus loin que les limites qu'on lui avait toujours imposées, le fils de Cyn avait plusieurs fois tenté de braver les interdits mais ses parents finissaient toujours par le rappeler à l'ordre. En l'y conduisant en secret, Zweyn lui offrait une inestimable chance de découvrir ce que son cousin n'avait pu s'imaginer qu'en songe. Toutefois, au lieu de l'excitation et de la joie qu'il aurait dû ressentir face à cette opportunité d'exploration, une curieuse sensation de malaise venait ternir son enthousiasme. Ils parcoururent un long chemin à travers des passages que l'adolescent semblait connaître par cœur. Cette familiarité contraria le jeune garçon, qui, comme à son habitude, ne se gêna pas pour le faire remarquer.

    – Tu es déjà venu ici et tu ne m'en as pas parlé !

    – Je ne le pouvais pas. Pas encore.

    – Assez de cachotteries, décida Noliän en croisant les bras sur sa poitrine.

    Ses yeux aussi perçants que ceux d'un fauve s'ancrèrent dans ceux de son cousin, qui chercha une fois de plus à fuir son regard.

    – Depuis quand avons-nous des secrets l'un pour l'autre ?

    – Les réponses que tu cherches se trouvent là-haut, répondit l'aîné en pointant une falaise escarpée.

    Il osa, pour la première fois de la soirée, affronter son visage.

    – Je voulais te laisser le choix. Le savoir ou l'ignorance. Tu peux continuer de vivre dans l'innocence ou affronter les secrets qui entourent ta naissance. Sache simplement que ce que tu découvriras changera à jamais ton existence.

    – De quoi parles-tu ? Qu'est-ce que je devrais savoir ?

    – Tu ne peux continuer à vivre un pied dans chaque camp, Noliän. Tu sais que tu es différent, et pas seulement à cause de la magie qui vit en toi. Tu t'es posé des questions, beaucoup de questions, mais tu n'es jamais allé jusqu'au bout, parce que tu as peur de ce que tu pourrais découvrir. Tu n'étais pas prêt à l'entendre. Le garçon qui se tient maintenant devant moi est plus fort qu'autrefois. Il a grandi, tant dans son cœur que dans son esprit. Il est capable de comprendre des choses qu'il n'aurait pas saisi jadis. Voilà pourquoi aujourd'hui, je t'offre l'opportunité de savoir. À toi de décider du reste.

    L'intéressé conserva un silence que son cousin ne sut interpréter. Était-ce de la stupeur, de la culpabilité, un instant de réflexion ? Il n'aurait su le définir avec certitude. S'il avait cerné beaucoup d'aspects de Noliän, il restait des facettes secrètes qu'il ne parvenait à percer. Il s'était résigné à l'idée que certaines portes lui demeureraient fermées à jamais. À sa grande surprise, le garçon fit preuve d'un calme déconcertant lorsqu'il annonça d'une voix ferme :

    – J'ai besoin de savoir. Il y a quelque chose qui palpite en moi depuis trop longtemps. Quelque chose qui répond à un appel invisible. Comme...

    – Un instinct.

    – C'est ça.

    Il jeta un coup d’œil vers le sommet de la falaise, plus sérieux que Zweyn ne l'avait jamais vu, puis se tourna vers lui.

    – M'accompagneras-tu ?

    – Si tu le souhaites.

    – Tu sais que peu de choses ont de l'importance pour moi, mais ta présence en fait partie.

    Zweyn eut un sourire sans joie qui glaça le sang de son cousin. Définitivement, quelque chose ne tournait pas rond. Il entreprit néanmoins de gravir le mont rocheux à ses côtés. Ils avancèrent côte à côte, sans se soucier de la pierre tranchante qui blessait leurs mains et happait leurs forces. Au terme de leur escalade, ils se laissèrent choir quelques instants, dos contre dos, comme autrefois. L'espace d'un instant, le silence régna et Noliän se retrouva projeté des années auparavant, au cœur d'une ère d'innocence et d'insouciance qui ne serait bientôt plus qu'un souvenir. L'illusion ne dura qu'un instant mais suffit à lui donner le courage d'affronter les sombres secrets qu'il s’apprêtait à percer.

    Le garçon aux cheveux de jais fit quelques pas vers le curieux lac qui s'étendait devant lui. Sa surface miroitait et reflétait les rayons de la lune, nimbant les flots d'argent.

    – Un lac... ici ?

    – C'est là que nous nous réunissons en secret, chaque pleine lune.

    – Nous ?

    – Les autres mages.

    – Et pour quelle raison n'ai-je pas été convié à ces petites réunions ? s'enquit Noliän, cynique. Depuis combien de temps me mens-tu ?

    La lueur menaçante dans les yeux sombres de son cousin n'avait pas échappé à Zweyn. Quelque chose d'infiniment glacial se dégageait de son énergie, une mise en garde que l'aîné jugea plus sage de ne pas ignorer.

    – Écoute-moi. Je n'avais pas le choix, je...

    – Nous avons toujours le choix, Zweyn.

    – Laissez-nous le faire pour vous, si cela vous est trop difficile, maître, intervint une voix derrière eux.

    Noliän fit volte-face pour découvrir cinq silhouettes dont le visage était à demi-dissimulé par un capuchon gris.

    – Maître ? répéta le garçon en dévisageant son cousin.

    – Non, je dois le faire moi-même, rétorqua Zweyn en levant une main pour signifier qu'il rejetait la proposition de l'inconnu. Je suis celui qui a provoqué tout cela. Si j'avais fait preuve de plus de courage, je n'aurais laissé ce tissu de mensonges s'étendre. Il est grand temps d'y mettre fin.

    – C'était toi... comprit soudain Noliän, les yeux écarquillés.

    Cette énergie qui m'empêchait d'accéder à la vérité chaque fois que je touchais au but. Tu as prétendu que j'avais peur de savoir, mais c'était toi qui craignais que je découvre ces secrets ! J'avais confiance en toi !

    – C'était pour te protéger, argua l'aîné, impassible.

    – Me protéger de quoi ? Ma vie est maudite depuis ma naissance. Mon existence n'a jamais été tolérée, ma présence en ce monde est un péché, Zweyn ! Alors dis-moi, de quoi voulais-tu me protéger, toi qui sais mieux que quiconque que rien ne peut m'atteindre ?

    – Tu te trompes...

    – Dis-le-moi !

    – Parce que... cette vérité t'aurait détruit !!! hurla l'adolescent en frappant du poing le sol.

    Un lourd silence suivit son éclat. Noliän s'approcha de son cousin et s'agenouilla devant lui, le regard indéchiffrable. À cet instant, il était semblable à une page blanche. Aussi insaisissable que le vent. Aussi secret que la lune. Aussi effrayant que le néant.

    – Je suis déjà détruit, Zweyn, rétorqua-t-il avec un stoïcisme sinistre. Depuis le tout premier jour. Ne crois pas que j'ignore ce qui se passe autour de moi. Je sais pourquoi mes parents me tiennent éloigné des autres. Je sais de quel crime ils m'accusent. Je sais pourquoi le regard de mon père se charge de dégoût et de mépris quand il m'observe. Je sais que les Dieux me craignent, parce qu'ils n'ont pas eu la mainmise sur moi comme ils l'ont sur tous les autres êtres qu'ils ont engendré. Parce qu'ils ignorent l'étendue de mes pouvoirs. Je l'ignore moi-même. J'ai toujours été une énigme pour toi, mais sache que... j'en suis une à mes propres yeux. Il y a certaines choses en moi auxquelles je ne peux accéder. Tu sembles détenir la clé de l'énigme. Alors qu'importent les conséquences, j'exige de savoir, ici et maintenant. Je ne repartirai pas avant d'avoir eu une réponse...

    Il passa une main sur le menton de son cousin afin de le forcer à affronter son regard et une étrange étincelle illumina les yeux de Noliän.

    – De gré ou de force.

    Face à de telles menaces, des lames furent tirées de leur fourreau. Une fois de plus, Zweyn intima aux mages encapuchonnés de ne pas intervenir.

    – Je veux que tu saches que je regrette.

    – Les regrets m'importent peu, répliqua sèchement le garçon. Je veux des réponses. Les réponses que tu m'as volées toutes ces années.

    – Arrête, Noliän... l'implora-t-il, blessé par ses paroles tranchantes. Je t'ai dit que je regrettais. Si c'était à refaire...

    – Il n'y a pas de retour en arrière possible. Tu avais une chance mais tu as refusé de la saisir. Je ne veux ni de ton pardon, ni de ta pitié, c'est clair ?

    – Arrête...

    – Tu m'as volé mon passé, tu t'es joué de moi, tu as trahi la confiance que je plaçais en toi... Tu m'as regardé chaque jour grandir dans l'ignorance tandis que tu détenais tous mes secrets. Tu m'as souri alors que tu me poignardais dans le dos à chaque instant.

    – Arrête !

    – Je n'exigerai pas d'excuses. Je ne te demanderai qu'une chose. Je veux seulement ce que je cherche depuis ces dix dernières années et que tu détiens. Des réponses. La vérité.

    – La vérité... tu la connais, murmura Zweyn avec un sourire désolé. N'est-ce pas ? Tu sais, au fond de toi... ce que tu es. Tu as simplement fermé les yeux dessus parce qu'à mes côtés, tu avais l'impression d'être semblable aux autres. J'avais pour mission de t'éliminer. Mais... même en sachant ce que tu étais... je... je ne parvenais pas à voir en toi le monstre qu'ils décrivaient. Je ne voyais qu'un enfant égaré incapable de retrouver le chemin des défunts, et... malgré moi... je me suis attaché à toi. Malgré moi, j'ai... éprouvé de la sympathie... pour...

    – Dis-le, Zweyn ! Dis-le ! Dis ce que je suis ! exigea Noliän d'une voix éraillée, déformée par la rage.

    – Pour l'enfant du démon.

    Simple murmure se perdant dans l'immensité du monde, mais qui se répercutait dans l'esprit du garçon. Une larme perla le long de la joue de l'adolescent, que son cousin n'avait jamais vu pleurer. Des soubresauts entrecoupaient sa respiration tandis qu'il contemplait, désorienté, son ami de toujours écrasé par sa main qui s'était inconsciemment glissée autour de son cou.

    – Le fils du Créateur d'Ombre. Voilà ce que tu es... La créature qui met en péril l'équilibre de notre monde et que les dieux n'ont su éliminer, lors de la tragédie d'Aelna.

    La conscience de Noliän l'abandonnait peu à peu tandis que ses doigts, mus par une force à laquelle son cousin ne pouvait opposer aucune résistance, se resserraient sur sa jugulaire. Son regard devint aussi implacable que la glace.

    Soudain, il sentit deux paires de bras le tirer en arrière et le traîner jusqu'au lac. Sonné, il n'eut le temps de réagir alors qu'on plongeait sa tête dans l'eau glaciale. Il entendait de vagues hurlements, des ordres donnés hâtivement et, par-dessus ce vacarme, le cri de détresse de son ami de toujours qui implorait les magiciens d'arrêter.

    « Tu étais censé me tuer. Ils le font pour toi. Ne devrais-tu pas être satisfait ? N'est-ce pas ce que tu cherchais depuis toujours ? Te défaire du poids de la culpabilité qui te rongerait jusque dans la mort. »

    L'eau ne pouvait le glacer plus que son cœur ne l'était déjà à cet instant. Il avait envie de s'abandonner à la mort, de fermer les yeux et disparaître... simplement dans un souffle. Mais cela lui était interdit. Si la magie protégeait son porteur, la sienne avait quelque chose de différent. Une volonté propre qu'il ne pouvait dompter. Elle était comme un animal sauvage qu'il devait se contenter d'accepter sans jamais chercher à la dominer. Et, sans qu'il comprenne pourquoi, ce qu'elle désirait le plus en cet instant, alors qu'il était aux portes de la mort, n'était pas de le délivrer de cette existence maudite... mais de le maintenir en vie. Il avait beau la supplier, l'implorer de le laisser partir, elle semblait insensible à sa détresse. Il avait fini par croire qu'il était réellement devenu immortel.

    « Non... Non... Ce n'est pas d'eux que je te demande de me libérer... »

    Malgré lui, il repoussa ses assaillants et releva la tête pour émerger de l'eau. Incapable de mettre de l'ordre dans ses idées, il leva une main vers les magiciens regroupés qui reculaient, terrifiés par l'énergie qui se dégageait de Noliän. Ce dernier n'eut qu'à serrer le poing pour que les inconnus ploient sous son pouvoir, prisonniers d'une étreinte invisible. Ils suffoquaient et se débattaient sous l’œil implacable de leur bourreau, tandis que résonnaient en échos déchirants les plaintes de Zweyn. Lorsque les magiciens retombèrent au sol, inertes, le fils du Créateur d'Ombre tourna les talons dans la ferme intention de châtier celui qui avait brisé sa vie. Sa future victime demeura immobile. Elle ne chercha ni à fuir, ni à implorer. Elle était simplement là, attendant une sentence qu'elle avait de toute évidence acceptée.

    « C'est... »

    – Tu devrais savoir, mieux que quiconque, combien il est dangereux de s'attacher à moi. Tu sais ce que je suis. Tu sais que je suis né pour séduire, que je suis né pour détruire. Je suis une fleur dont le parfum trahit la véritable nature. Sachant cela... pourquoi t'être attaché à moi ?

    – Je n'ai pas choisi, Noliän, répliqua calmement l'adolescent. Il est certaines choses que nous ne contrôlons pas. Si tu es vivant aujourd'hui, ce n'est pas parce qu'ils ne voulaient pas te tuer. C'est parce qu'ils ne le pouvaient pas.

    « de... »

    – Tais-toi...

    – Ne voulais-tu pas entendre la vérité ?

    – Tais-toi... Il doit y avoir un moyen...

    – Ta magie cherchera toujours à te protéger, parce qu'elle est l'émissaire de quelqu'un qui t'aime... et qui veut exister à travers toi. Quelqu'un dont le désir de vivre... surpasse tout...

    – Tais-toi !

    – Quelqu'un qui essaiera toujours d'être ce qu'il n'a jamais été. Ce qu'on ne lui a jamais permis d'être. Les Hommes sont des créatures si faibles, n'est-ce pas ?

    – Arrête...

    – Pour l'erreur de quelques fous, beaucoup doivent payer... Pourtant... ce qu'il cherche... il n'y a pas que la vengeance... Il y a aussi l'amour. Noliän... un père... ne cessera jamais d'aimer son enfant, quelle que soit... sa nature.

    – Mon père est mort !

    Zweyn secoua lentement la tête.

    – Il reviendra. Pour toi.

    Face à une vérité trop insupportable à entendre, le cœur de Noliän se referma subitement, repoussant toute once de raison. Les larmes coulèrent sur ses joues pâles tandis qu'inexorablement, sa main cherchait à punir celui que son esprit voulait protéger. Il perdait manifestement le contrôle de ses émotions.

    – Notre rencontre était une erreur. Je n'autoriserai... personne... à s'attacher à moi ! Je suis un enfant maudit, Zweyn ! Personne ne devrait avoir à sacrifier ne serait-ce qu'une seule chose pour quelqu'un comme moi ! Tu entends ? ! Tous ceux qui voudront s'approcher de moi... je les détruirai... par un simple regard... je les briserai... comme je l'ai fait toutes ces années avec toi. Tu as été le premier... et je veux que tu sois le dernier. La souffrance que j'ai provoquée et qui se reflète dans tes yeux... Je veux lui faire face... Je dois... tout accepter. Toute... la vérité...

    « Moi-même... »

    Des sanglots montèrent dans sa gorge tandis que Zweyn rendait son dernier soupir. Le temps que Noliän comprenne qu'il venait de tuer de sang-froid son propre cousin, il était déjà trop tard. Si ses mots avaient émergé comme un cri du cœur, ses gestes n'avaient su épargner Zweyn qui gisait désormais à ses pieds, inerte. Le garçon recula en titubant, les yeux rivés sur le corps de son aîné. Une pluie s'abattit progressivement sur Zephiria. Le fils du Créateur d'Ombre voulut se relever mais, privé de ses forces, ses genoux heurtèrent durement le sol. Sa respiration devint de plus en plus irrégulière. Les pensées, les images et les émotions se bousculaient en lui. Plus rien ne semblait avoir de sens. Il n'y avait plus rien... rien que le chaos dont il était né, et les dernières paroles de Zweyn, qui sonnaient comme une funeste promesse.

    « Il reviendra. Pour toi. »

    Un rire sans joie s'éleva de sa gorge et sembla se répercuter tel un écho annonciateur de malheur, dominant la pluie battante et l'orage qui grondait au loin. Noliän rampa jusqu'au lac, où il se laissa glisser jusqu'à ce que l'eau l'enveloppe entièrement et fasse de lui sa proie... mais il savait que les choses ne se passeraient pas ainsi. Il savait que dans ce duel confrontant la vie et la mort, son immortalité l'arracherait aux griffes de la faucheuse. Le garçon attendit que son corps heurte le fond, côtoyant les abysses où il parvenait encore à distinguer la lune, disque pâle et déformé qui semblait le narguer, de là-haut, régnant sans partage dans le royaume de la nuit. Il vit passer quelques corbeaux et observa leur vol à travers l'eau, leur enviant cette liberté qu'il n'aurait jamais. Quelle ironie de songer qu'il était sans doute l'être le plus puissant au monde mais qu'il était incapable d'assouvir ses propres désirs, prisonnier d'une énergie qui le dépassait et le rendait chaque instant plus fou.

    Seul au milieu d'un royaume aussi sombre que l'était son cœur, il observa les poissons, les oiseaux, les nuages. Il écouta le silence dans l'attente d'un espoir, d'une réponse à ses prières muettes. Mais rien ne vint. Le temps lui-même sembla se figer autour de lui.

    « Si demain, tout changeait... changerais-je avec ces choses ?

    Peut-être la lune ne se dressera-elle jamais plus.

    Peut-être les oiseaux ne survoleront-ils plus les cieux.

    Peut-être la danse de l'eau, le crépitement du feu et le murmure du vent cesseront-ils...

    Un jour... J'aimerais être capable de regretter tout cela. J'aimerais me dire que ces choses me manqueraient si je devais quitter ce monde. J'aimerais m'attacher suffisamment à ces terres et cette vie pour regretter ces merveilles... et les voir enfin dans leur précieuse beauté. »

    Ces paroles désespérées qu'il avait pensé perdues à jamais... quelqu'un les avait entendues. Quelqu'un dont même un mage tel que Noliän ne soupçonnait l'existence, et qui pourtant, depuis ce jour, veillait dans l'ombre et le silence sur lui.

    Chapitre 1 : Exil

    Noliän ~ Ancien Monde

    Les souvenirs de Noliän étaient incertains et fragmentés lorsqu'il ouvrit de nouveau les yeux. Il se trouvait non plus dans l'eau, mais bien devant le corps inerte de son cousin, aussi sec que par une journée ensoleillée. Il n'avait aucune idée de ce qu'il s'était produit entre le moment où il avait sombré dans le lac, détaillé les mille et une merveilles du monde dans lequel il vivait, et le moment présent. Une multitude de questions et de doutes l'assaillaient sans qu'il puisse y apporter réponse. Ses yeux étaient rivés sur Zweyn, étendu devant lui comme la cruelle évidence de son erreur.

    En dépit de l'air frais du soir, il suffoquait intérieurement. Incapable de lucidité, il recula en se heurtant à tout ce qui entravait son passage : pierres, rochers, branches. Une désagréable sensation l'incita à porter ses mains à hauteur de ses yeux. Il étouffa un cri en constatant qu'elles étaient souillées de sang. Sa respiration se fit de plus en plus saccadée alors qu'il reculait, encore et encore, comme pour mettre le plus de distance possible entre son cousin et lui. Ridicule. Comme si fuir pouvait l'aider à émerger de ce cauchemar !

    Il plaqua ses mains contre ses tempes et hurla comme un loup hurlerait son désespoir à la lune. Implacable, celle-ci demeura insensible à sa détresse, comme tout ce qui l'entourait. La nature, le ciel, la terre... il avait envie de tout détruire. Toutes ces choses qui resteraient belles en toutes circonstances, qui renaîtraient inexorablement, suivant l'infini cycle du renouveau, tandis que lui se perdait dans un abîme aux ténèbres aussi denses que terrifiantes. Toutes ces choses qui semblaient intouchables, et dont la splendeur restait la même, traversant les âges et défiant le temps. Il y avait le monde, magnifique, splendide, un havre de paix et d'abondance, et il y avait lui, l'ange noir, une apparence enivrante dissimulant une nature plus effrayante que le chaos lui-même. Une rose sombre aux épines cachées. Un masque de mensonges sous lequel se dissimulait un cœur de laideur. En quoi un tel monstre avait-il sa place au sein d'un monde comme celui-ci ? Pourquoi la prophétie prédisant sa fin ne s'était-elle pas réalisée ? La mort aurait été une si douce alternative à cette agonie... Alors pourquoi ? Pourquoi s'évertuait-on à le laisser en vie ? Quel fou pouvait bien l'aimer au point de désirer le voir vivre ? Qui pouvait bien accepter de s'éprendre d'un enfant maudit ?

    Noliän reporta son regard sur ses mains tremblantes et tressaillit : elles étaient intactes. Les taches de sang avaient disparu. Son esprit lui jouait-il de nouveau des tours ? N'y avait-il donc aucun sens auquel il pouvait se fier ? Les repères se dissipaient, les lumières s'éteignaient, les portes se fermaient les unes après les autres tandis qu'il continuait de courir après une bataille perdue d'avance.

    – Quelqu'un... aidez-moi ! sanglota-t-il au désespoir.

    Mais il savait pertinemment que personne ne viendrait. Personne n'était jamais venu. Personne n'avait jamais entendu les cris d'agonie qui déchiraient son esprit la nuit. Personne n'avait vu ses larmes muettes et la détresse qu'elles contenaient. Aux yeux de tous, il était simplement Noliän, l'enfant étrange et secret que nul n'osait approcher. L'enfant maudit de la prophétie. Rien de plus. Le temps l'avait endurci et il était devenu insensible aux moqueries et aux regards haineux ou méprisants que lui lançaient les villageois lorsqu'ils avaient le malheur de le croiser. Le seul qui avait vu en lui autre chose qu'un monstre était Zweyn. Mais l'évidence était là : désormais, il n'y aurait plus personne. S'attacher à lui avait été une erreur.

    Au loin, le soleil venait déposer ses premiers rayons sur le monde, plongeant l'enfant dans une confusion plus profonde encore. Combien de temps s'était écoulé entre le moment où son corps avait côtoyé les eaux du lac et celui où il s'était réveillé en face de son cousin ? Que s'était-il passé ? Qu'avait-il fait ? Repoussant les funestes pensées qui lui traversaient l'esprit, il se mit à courir jusqu'au bord de la falaise. Il descendit le long de la paroi escarpée sans se soucier de la roche qui écorchait ses mains ou de la fatigue qui engourdissait ses membres. Épuisé, il se laissa choir à quelques mètres du sol et retomba durement sur la surface rocheuse, étouffant un juron. Le monde se mit à danser devant ses yeux tandis qu'une douleur lancinante l'assaillit aux côtes. Malgré tout, il se releva, titubant, et courut.

    Fuir. Il devait fuir loin d'ici. Loin de tout. Loin de ce lieu maudit où sa présence serait définitivement bannie lorsqu'on découvrirait le corps de Zweyn.

    Les arbres se déformaient devant ses yeux, le ciel se confondait avec le sol et même la lune était méconnaissable, et cependant, il courait. Courait comme il n'avait jamais couru auparavant. Le décompte de sa déchéance était lancé. Bientôt, il sera connu comme l'assassin de Zweyn et de la confrérie des magiciens qu'il dirigeait.

    « Ils ont essayé de me tuer. » se répétait-il, comme si cela suffisait à expier ses fautes. « Ils voulaient ma mort. Tous. »

    Mais l'amertume qui nouait sa gorge ne se dissipait guère. Il avait beau tenter de se convaincre que ses actes n'étaient motivés que par l'instinct de survie, il ne parvenait à croire en ses propres illusions. Des mensonges qu'il se bâtissait et qui se dissipaient sitôt créés.

    Bientôt, son foyer fut en vue et il comprit qu'inconsciemment, ses pas l'avaient mené là... au commencement de tout. Le lieu de sa naissance. Des terres bercées par de sombres rumeurs. Maudites... tout autant qu'il l'était. Il se faufila jusque dans sa chambre, empoigna une cape qu'il passa sur ses épaules et s'attarda quelques instants sur les éléments qui composaient la pièce, guère surpris de n'éprouver qu'un vaste désintérêt envers les objets qui avaient pourtant bercé son enfance et auxquels ont lui avait longtemps reproché de ne pas s'attacher. Mais voilà, Noliän ne s'attachait pas. Ni aux biens matériels, ni aux rencontres. La seule personne qui avait réussi à gagner son estime était Zweyn, en raison de leur ressemblance et leur goût partagé pour les secrets et l'aventure. Le reste... eh bien, le reste lui importait peu.

    Il ne prit qu'une besace et une gourde d'eau et quitta les lieux sans même un regard en arrière.

    « Je peux détruire ce qui te ronge, et les souvenirs qui s'y rapportent s'ils te sont insupportables. Il te suffit de le désirer. »

    Le garçon étouffa un cri de stupeur. Il pivota sur lui-même, scruta les lieux à l'aide de ses sens ordinaires et, puisque ses tentatives se révélaient infructueuses, par le biais de sa magie, en vain. La voix semblait provenir... de son esprit !

    « Qui êtes-vous ? » demanda-t-il en s'efforçant de maîtriser sa peur.

    « Je ne suis personne. J'existe, simplement. Tout comme toi. »

    – Je suis quelqu'un ! s'offensa le garçon en oubliant de communiquer par la pensée, un langage que la présence semblait parfaitement maîtriser puisqu'elle était vraisemblablement ancrée en lui.

    « Vraiment ? » rétorqua la voix. « Dis-moi, y a-t-il eu un seul jour de ta vie où tu as accepté ce que tu étais ? Un seul jour où tu as eu le courage de te regarder en face et d'affronter ton image, sachant que cela dissiperait les illusions dont tu t'es bercé ? »

    – T... Tais-toi !

    Soudain, les ténèbres furent les seules choses qui s'offrirent à ses yeux. Sa respiration lui parvenait amplifiée... à moins que... quelqu'un d'autre se soit immiscé à ses côtés ? Même son souffle lui paraissait étranger. Une curieuse chaleur l'enveloppa sans qu'il puisse s'y soustraire. Des bras invisibles l'étreignirent, l'attirant lentement vers l'arrière. Vers un ailleurs dont il ne pourrait revenir s'il choisissait de s'y abandonner. C'était pourtant si tentant... La présence exerçait sur lui une influence contre laquelle il ne pouvait lutter. Ou plutôt, il s'en sentait incapable, prisonnier de son propre corps, prêt à se livrer même à ses plus sombres démons. Au fond, pouvait-il encore chercher à fuir la vérité ? Elle était là, juste devant lui et il s'évertuait à la renier, comme un condamné réfuterait sa sentence même aux portes de la mort.

    « Tu dois vivre, Noliän. Il y a tant à découvrir... tant de choses que j'aimerais que tu voies. Laisse-moi effacer ces souvenirs. Laisse-moi tout détruire... Ton passé, tes blessures, je peux tout briser si tu le souhaites. Tout ce qui te blessera, tout ce qui te fera souffrir ou te rendra triste... je le détruirai pour toi. »

    « Je suis fatigué... fatigué de lutter contre ce que je suis. Si tu ne peux me détruire moi, alors tu m'es inutile. » rétorqua l'enfant en tombant à genoux, une main couvrant ses yeux débordants de larmes.

    « Je te l'ai dit, tu dois vivre. Il est certaines choses que tu dois voir de tes propres yeux. Des choses qu'aucun récit ne rendra plus belles que si tu les observes de toi-même. Il y a un autre monde, Noliän. Au-delà des frontières que les tiens s'évertuent à garder inaccessibles. Un monde où tu auras ta place. »

    « Un autre monde ? Tu dois faire erreur. Il n'y a que les Trois Royaumes. »

    « Ne prétends pas ignorer de quoi je parle. Chaque soir, ton regard et ton esprit s'égarent vers les montagnes de l'est. Chaque moment que tu passes à imaginer cet autre monde te convainc qu'il existe réellement. Les rêves et l'imaginaire ne sont que d'autres déclinaisons de la réalité. Ce n'est pas parce qu'ils ne vivent que dans ton esprit qu'ils ne peuvent être réels. »

    Le garçon échappa un soupir tremblant lorsque des lèvres invisibles frôlèrent sa nuque. Leur souffle chaud et régulier -si différent du sien en cet instant- agissait comme un sortilège. Il se sentait à la fois prisonnier et maintenu par cette curieuse énergie, comme si elle représentait son seul repère dans ce monde de chaos.

    « Abandonne ta conscience, ton esprit, ton être tout entier. J'agirai selon tes volontés les plus profondes et les plus secrètes. Ténèbres, lumière, bien et mal... Tout cela n'a plus d'importance. Ce que ta conscience t'empêche d'accomplir, je le ferai pour toi. Maintenant... Abandonne-toi, Noliän. »

    – Si tu souhaites réellement accomplir mon souhait, alors tue-moi, souffla le garçon, les yeux à demi-clos.

    « Je peux faire bien mieux... Laisse-moi d'abord effacer ce passé de cauchemars et de souffrances. Tu oublieras peu à peu ces tragédies. Jour après jour, ta mémoire s'effritera. Tout ce qui te hante, je peux le détruire. »

    Noliän jeta un dernier regard en arrière, vers son foyer, puis cessa toute résistance, les bras écartés en signe de résignation. Il ferma les yeux, deux perles d'argent roulant sur ses joues pâles, et prononça en un murmure à peine audible :

    – Alors détruis-le...

    Lorsqu'il rouvrit les yeux, il avait à peine conscience de la tragédie qui se déroulait devant lui... et dont il était inconsciemment le déclencheur. La première chose qui lui parvint fut l'odeur de fumée, puis le bruit assourdissant de poutres et de pierres s'écrasant les unes contre les autres. Tout n'était qu'un vaste brasier, une danse de flammes et de cendres dont le crépitement fendait l'air. Le funeste ballet du feu n'épargnait rien, se propageant aussi vite qu'une traînée de poudre. Maisons, fermes, structures communes, temples... tout était englouti par les flammes, qui se répandaient sans rien épargner sur leur passage. Les premiers cris d'alerte et de terreur retentirent tandis que les habitants, paniqués, émergeaient des foyers en feu. Certains tenaient leur enfant dans leurs bras ou par la main, les yeux emplis de frayeur. Ils hurlaient, fuyaient, sanglotaient, maudissaient tandis qu'il était là, immobile et silencieux, observant de son regard impénétrable son village natal brûler. Il ne ressentit absolument rien.

    Debout au milieu de ce chaos, il se contentait d'observer, indifférent aux supplications des villageois. Il regardait le feu ravager ce qui fut autrefois la terre de son enfance, engloutir les maisons, briser les familles. Il n'éprouva ni regret, ni peine, ni compassion. Rien qu'un vague sentiment de rancœur envers ces êtres intolérants qui ne méritaient que la mort. Ces pauvres fous qui l'avaient condamné à une vie d'errance et de solitude, incapables d'accepter la différence, incapables d'accepter l'existence d'un être qui n'aurait pas dû naître et qui, envers et contre tout, existait.

    Noliän observa quelques instants encore les familles se réunir sur la place publique du village, regardant, impuissantes, leurs foyers noyés par les impitoyables caprices du feu. Son regard perçant parvenait à traverser la barrière de flammes qui

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