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Gemini: Les douze élus de Zeus
Gemini: Les douze élus de Zeus
Gemini: Les douze élus de Zeus
Livre électronique563 pages7 heures

Gemini: Les douze élus de Zeus

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À propos de ce livre électronique

Une épopée mythologique

De 521 à 436 avant J-¬C. à Babylone, en Grèce et à Madagascar.
Début du XVIème siècle à Madagascar, à Hispaniola, à Cuba et à Mexico-Tenochtitlan. Tandis que Darius, puis son fils Xerxès sont vaincus par les Grecs lors des Guerres Médiques, le premier à Marathon, le second à Salamine puis à Platées, la vie de Castor et Pollux est bouleversée par la révélation d’un terrible secret. C’est alors que les événements semblent se précipiter jusqu’au drame final. Un tremblement de terre en Laconie, doublé d’un soulèvement des Messéniens contre le joug de Sparte, déclenchent la Troisième Guerre de Messénie. Au moment où tout paraît perdu, Pollux, refusant d’accepter l’inéluctable, en appelle à Zeus dont l’intervention divine propulsera nos deux héros en 1500, à l’époque des grands voyages de découvertes, d’abord sur l’île de Madagascar, puis sur l’île de Cuba, à Hispaniola et enfin à Mexico-Tenochtitlan, où va se jouer l’immortalité de Castor et Pollux.

Les Dioscures, héros d’un récit original où se mêlent Histoire, mythologie et fantastique !

EXTRAIT

Zeus chemine au hasard des nuées vallonnées qui recouvrent Gaïa de leur manteau laiteux. Il s’interroge en vain : que trame donc Héra ? Cela fait si longtemps qu’elle ne lui a fait l’aumône d’une scène ! Elle qui, d’habitude, l’épie et le harcèle sans cesse, l’abreuvant d’injures et de reproches pour un simple regard sur une autre déesse – ou pire, une mortelle ! – la voilà qui soudain se montre plus distante, et semble indifférente à ses multiples frasques.
Loin de le rassurer, cette étrange attitude l’inquiète au plus haut point et, contre toute attente, lui ôte – ô paradoxe ! – toute envie d’adultère. Il la connaît trop bien pour ne pas soupçonner quelque piège pervers ! Plus il y songe et plus il appréhende de terribles représailles.
Plongé dans ses pensées, Zeus traverse l’Olympe et, sans s’en rendre compte, a bientôt rejoint la Porte de l’Équinoxe. Repoussant les battants de bronze des deux mains, il s’arrête et demeure un instant immobile, contemplant le plus beau fleuron de son royaume. L’éclatant flamboiement de la Voûte Céleste s’étale devant lui dans toute sa splendeur, recouvrant l’Univers de son châle étoilé.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Liliane Cesari Ferrero est née à Marseille en 1954.
De son cursus littéraire et latiniste naît sa passion pour l’Antiquité et l’Histoire. En 2008 et 2009, elle obtient le 3ème prix régional du concours « Déclarez­vous en toutes lettres », puis le 1er prix régional en 2010.
Libérée de toute activité professionnelle, elle se consacre désormais à l’écriture.
LangueFrançais
Date de sortie23 nov. 2017
ISBN9791094243367
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    Aperçu du livre

    Gemini - Liliane Cesari Ferrero

    canaux

    Chapitre 1

    CAMBYSE

    521 av. J.-C.

    Il a quitté SaïsI aussitôt qu’il a su. Il lui fallait retourner à PasargadesII le plus vite possible. Devançant la longue caravane de chars, d’hommes et femmes à cheval et à pied qui le suivent dans ses déplacements, CambyseIII s’est hâté

    d’enfourcher sa monture et, fonçant vers le nord avec ses cavaliers, il a traversé la Syrie jusqu’à l’Euphrate. C’est là que son cheval, épuisé, a bronché, le projetant au sol, tandis que son baudrier restait accroché au pommeau de sa selle, retenant le fourreau orné de cabochons en diamants et rubis de son akinakèsIV.

    Voilà comment la lame dénudée est venue se ficher dans sa cuisse.

    Il a fallu dresser le camp en catastrophe. Les ouvriers chargés de la tâche s’en sont acquittés aussitôt. Ayant d’abord choisi un terrain dégagé en bordure du fleuve, ils l’ont soigneusement aplani avant de monter en son milieu la tente de Cambyse, véritable palais de toile autour duquel ont été érigées celles de sa noblesse. Enfin, à la périphérie du campement s’est établi le cantonnement de la troupe.

    — La blessure est profonde, Grand Roi, l’a mis en garde UdjahorresnetV, son médecin égyptien. Il te faut du repos.

    — Contente-toi de me soigner, a rétorqué le souverain d’un ton sans réplique. Le reste ne regarde que moi.

    Et dès le lendemain, contre toute prudence, il a franchi le fleuve une première fois, et bifurqué vers l’est. Puis, la seconde fois, aux abords d’Arbelès, il a piqué au sud pour emprunter la route qui mène à Babylone où il décide enfin de faire un court séjour, officiellement pour mettre au point une stratégie avec GubruVI, l’actuel gouverneur…

    Mais la vérité, c’est qu’il est à bout de forces. Malgré les soins constants prodigués par son fidèle Udjahorresnet, sa blessure ne veut pas guérir et suppure, exsudant un liquide violet, nauséabond, qui répand son poison à l’intérieur de lui comme une bête immonde en décomposition. Une enflure noirâtre a envahi sa jambe, et il ne parvient plus à lacer sa bottine. Devenu raide et froid, le membre désormais insensible au toucher ne lui obéit plus.

    Taraudé par la fièvre, le roi peine de plus en plus à supporter la douleur lancinante qui ne le quitte plus. Son esprit presque en transe flotte au bord du délire. Aussi se précipite-t-il vers Babylone comme un affamé vers une miche de pain.

    Babylone… Cambyse y avait été Roi¹ l’an I du Grand Cyrus², son père, avant que ce dernier ne décidât de la scinder en deux, attribuant au satrape³ Gobryas la Babylonie-Transeuphratène, tandis que lui, Cambyse, se voyait octroyer le titre d’UstanuVII des territoires nord…

    À l’évocation du Pays fabuleux dont la légende, héritée d’un passé fort ancien, a marqué son esprit, le ShahinshahVIII sent son cœur battre un peu plus vite… Toujours présente en lui, l’image de son père lui insuffle sa force, le stimule et le pousse en avant.

    C’est Cyrus qui l’a désigné de son vivant, lui, Cambyse, pour lui succéder à la tête de l’Empire, évinçant Bardiya⁴, son fils aîné à qui il alloua la satrapie de Bactriane avec, en guise de compensation, le privilège de ne pas lui reverser tribut.

    Ainsi, comme toujours, le choix du Grand Cyrus avait favorisé le puîné. Mais l’aîné refusait d’accepter l’évidence. Et il refuserait jusqu’à son dernier souffle le fait que Cyrus lui préférât son frère Cambyse.

    Pourtant, il se soumit aux ordres de son père… Du moins en apparence. Car en réalité, il attendait son heure patiemment, comptant bien s’arroger le pouvoir par la force à la disparition de Cyrus.

    Pressentant la menace, Cambyse réagit. Lorsque Cyrus le Grand, en défendant l’Empire contre les Massagètes, tomba en Haute AsieIX, il sut désamorcer l’ambition de son frère en l’associant d’emblée à ses préparatifs d’une guerre en Égypte…

    Car Cambyse avait de grands projets pour l’Empire que Cyrus, roi d’Anshan, ancien vassal des Mèdes⁵, avait édifié en devenant leur maître. Une fois unifiées la Perse et la Médie, vingt ans avaient suffi au Grand Cyrus pour s’emparer de BabyloneX. La domination perse s’étendait désormais vers l’est jusqu’à l’Indus, et vers l’ouest jusqu’en Assyrie et en Lydie.

    Cambyse allait poursuivre son expansion vers l’ouest, s’emparer de l’Égypte, pousser jusqu’en Libye, descendre vers le sud, envahir la Nubie, et même l’Éthiopie…

    Ainsi, pendant quatre ans, Cambyse et Bardiya mirent soigneusement au point l’expédition. Enfin, quand ses armées furent prêtes, le Roi des Rois quitta en grande pompe PasargadesXI, sa capitale, s’affichant en tête du convoi avec son frère. En leur absence, l’échanson Patizeithès se voyait confier la gestion de la Maison du Roi, tandis que Dadarsi, proche de la famille royale, gouvernerait la satrapie de Bactriane en lieu et place de Bardiya.

    Nul n’aurait soupçonné que la route de ce dernier n’irait pas au-delà de Suse, où Cambyse le fit proprement égorger dans son sommeil par son fidèle eunuque et confident, Izabatès.

    Mais il fallait que cette mort restât ignorée de tous jusqu’au retour victorieux du Grand Roi. D’ici là, il se serait passé des années. Qui douterait alors de la parole de Cambyse déplorant le trépas héroïque de son frère au combat ?

    Le Roi conquit l’Égypte, captura le pharaon Psammétique III, puis l’exécuta et se fit introniser PharaonXII à Saïs, sous son nom de naissance de Kembetjet, complétant sa titulature des noms d’Horus SemataouiXIII, MesoutirêXIV.

    Après avoir placé la satrapie d’Égypte sous l’autorité d’Aryandès, un noble Perse, Cambyse continua sa progression vers l’ouest, vers la Cyrénaïque et la Libye qui se soumirent sans combattre. Tandis qu’il s’enfonçait avec ses troupes vers le sud et la Nubie, une armée de cinquante mille hommes partait de Thèbes vers l’oasis de Siwa, où Amon possédait un oracle.

    Mais le dieu égyptien ne permit pas un tel outrage. Déchaînant sa colère sur les Perses impies, il souleva une tempête qui les ensevelit sous un linceul de sable, ne laissant subsister de l’armée de Cambyse que des dunes anonymes, mamelons funéraires bosselant la surface aride du désert⁶…

    À partir de ce jour, la vindicte d’Amon s’acharna sur le Roi, l’entraînant dans une spirale maléfique. En butte au refus de ses troupes phéniciennes de s’en prendre à Carthage par solidarité envers l’une de leurs anciennes colonies, repoussé par les habitants de Napata, royaume de Nubie où le clergé d’Amon était prépondérant, il battit en retraite et rentra à Saïs.

    Là, il eut la surprise de trouver Prexaspès, le Porteur de Messages. Des événements graves s’étaient produits en Perse. Dépêché par les cinq chefs de clan⁷ demeurés fidèles à leur Grand Roi, il lui fit son rapport :

    — Je viens tout droit de Suse. Il y a quelques jours, un individu s’est présenté à la Cour en prétendant être ton frère Bardiya. Certains l’ont reconnu, d’autres non. Il faut dire que huit ans ont passé depuis votre départ. L’âge avait fait son œuvre. Mais c’est surtout le fait que l’homme eût les oreilles coupées – châtiment réservé aux réprouvés – qui éveilla le doute dans l’esprit des sceptiques. Pourtant, il s’obstina : il était Bardiya. Alléguant ta trop longue absence, les rumeurs d’exactions et de meurtres perpétrés en Égypte et ailleurs par tes troupes, le mécontentement grandissant des satrapes face au poids des tributs engloutis dans tes guerres et tes échecs cuisants, il a monté une partie de la noblesse contre toi. T’accusant de folie, arguant que tu représentais une menace pour l’Empire, il s’est embusqué avec ses partisans dans les contreforts du mont Zagros. Le quatorzième jour du mois de ViyakhnaXV, ils ont attaqué et pris Pasargades. S’étant proclamé Roi le neuvième jour du mois de GarmapadaXVI, Bardiya a gagné à sa cause le peuple, en lui promettant de l’exonérer d’impôts pendant trois ans…

    Cambyse a accusé le coup.

    Car il sait, lui, que le vrai Bardiya est mort depuis longtemps… Et il sait aussi qui est l’homme aux oreilles coupées…

    Cette mutilation, c’était le châtiment infligé par Cyrus au mage renégat ressemblant à son frère, qui avait osé paraître devant son Roi mains découvertes⁸, et sans avoir été introduit par le Chef des Mille⁹ !

    Ce mage renégat s’appelait Gaumata…

    Et c’est ce Gaumata qui ose le défier !

    À cette seule idée, son sang n’a fait qu’un tour. Taraudé par la rage, il s’est repris très vite : il ne laisserait pas cet usurpateur lui voler son héritage ! Il allait rentrer et démasquer l’imposteur en officialisant sa propre version de la mort de Bardiya : tombé au champ d’honneur sur la terre égyptienne.

    L’impudent paierait son audace de sa vie…

    C’est ainsi que Cambyse s’est jeté aussitôt au secours de son trône…

    Et soudain, le voilà devant la face nord d’Imgur-Bel¹⁰, gigantesque ouvrage défensif issu du fond des âges. Reliant nord et sud par un large arc de cercle passant de ville en ville à partir de Sippar et jusqu’à Borsippa, l’enceinte constitue la frontière orientale de la Babylonie, l’Euphrate en formant la limite occidentale.

    Sous les yeux de la troupe, la muraille imposante s’étire, interminable, déroulant ses remparts en un trait titanesque qui va s’amenuisant jusqu’à se fondre dans la ligne d’horizon. Projetant sur les hommes son ombre formidable, opaque, enveloppante, elle toise Cambyse de toute sa hauteur comme pour l’écraser, le garder sous sa coupe…

    Mais c’est peine perdue, car l’ancien souverain du Pays est bien trop occupé à combattre la douleur pour prêter attention à son jeu, et trop pressé pour se laisser impressionner.

    Sans ralentir l’allure, il s’est précipité sur l’une des cent portes percées dans la muraille. Les deux battants d’airain s’ouvrent devant le Roi. Suivant toujours la rive orientale du fleuve, il fonce vers le sud.

    À sa gauche, jusqu’à la pointe nord de la seconde enceinte baptisée Nivitti-BelXVII -un triangle à triple rempart délimitant les contours de la Ville sur quatre-vingt-deux stades – défilent, à perte de vue, des champs de blé dont les récoltes assurent la subsistance du Pays, le préservant de la famine en cas de siège, même long.

    Brisant l’unité de cette plaine fertile, les hommes voient surgir comme des champignons les remparts de Sippar, de Cutha, de Kid-Nun, ces villes fortifiées que Cyrus a soumises pour les transformer en faubourgs de Babylone…

    Enfin, à hauteur de Kish, les hommes aperçoivent, juché en sentinelle au sommet du triangle, le Palais d’Été de NabuchodonosorXVIII, un lourd bastion cubique qui leur livre l’accès à à la Ville Extérieure.

    Comme ivre de souffrance, Cambyse a traversé sans s’en apercevoir le canal large de cent coudées qui précède le triple rang de murs, puis les fossés profonds qu’on a creusés entre eux, et s’est précipité à l’assaut des quatorze stades qui le séparent de la Cité Royale.

    Au-delà du Palais, toutes les cent coudées, des tours carrées – le Roi en a compté cent vingt -hérissent leurs créneaux au-dessus des remparts, crénelés eux aussi.

    Longeant le cours du fleuve dont les quais fortifiés forment le côté est du triangle, la route rectiligne s’élance vers l’Enceinte Intérieure et son double rempart, un rectangle grossier que l’Euphrate traverse, coupant ainsi la Ville en deux, du nord au sud.

    De loin, la silhouette massive de la muraille nord, croquée sur l’horizon, ressemble à une longue mâchoire exhibant sa denture de canines pointues, rangées comme pour mordre le ciel à pleines dents. Sans prêter attention aux riches champs de blé semés de palmeraies luxuriantes qui couvrent la portion orientale de la Ville Extérieure, Cambyse a poussé sa monture, le regard fixé sur les deux bastions défensifs dressés en avant des murailles.

    Soudain, comme jaillies du sol pour capturer la route, deux parois ont surgi le long des bas-côtés, à quarante coudées l’une de l’autre, si hautes que Cambyse a l’impression d’avancer dans un corridor géant à ciel ouvert.

    Il a mis son cheval au pas, donnant l’exemple à la troupe qui l’a aussitôt imité.

    Enserrée entre les remparts du Palais Nord campé au bord du fleuve, et ceux du Fortin Nord qui la longent à main gauche, une rampe d’accès mène, en cinq cents coudées, à la Porte d’IshtarXIX et à sa double entrée monumentale qui perce les deux remparts de l’Enceinte Intérieure.

    Dans l’air pur du matin, seul résonne l’écho amplifié des sabots qui claquent en cadence sur les dalles calcaires, tandis que les chevaux gravissent en douceur la rampe-corridor. Autour du Roi, le monde se décline à présent en nuances de bleus, lénifiantes, apaisantes… Bleu azur, la portion de ciel qui se découpe au-dessus de sa tête… Cobalt, les murs du Palais Nord qui s’interposent entre lui et le fleuve… Cyan vif, les remparts du fortin qui leur font face, en symétrie parfaite…

    À l’intérieur des frises qui ornent les murailles, une escorte de lions passants majestueux symbolisant Ishtar marchent en file indienne, leur fourrure laiteuse émergeant de cette uniformité bleutée. Sous leurs pattes, une ligne d’horizon jaune d’or en briques émaillées, doublée d’un liseré de corolles épanouies d’un blanc immaculé…

    Tandis que sa monture progresse avec lenteur, le regard de Cambyse se porte malgré lui du côté du Palais, comme capté par l’éblouissante vision surplombant les remparts. Flamboiement de verdure éclaboussée de floraisons multicolores, des jardins fastueux dressés en pyramide pointent leur nez fleuri, prenant le ciel d’assaut comme pour égayer de tonalités vives la pâleur de son teint.

    Sous ce foisonnement se dissimule l’ossature de l’ouvrage, que Cambyse devine. Un cube gigantesque… Quatre étages en terrasses qui vont s’amenuisant de la base au sommet, posés sur des rangées de piliers alignés et reliés entre eux par des voûtes en arcades dégorgeant leurs feuillées par tous les interstices… Quatre segments de droite qui grimpent en zigzaguant sur deux flancs opposés, en longues lignes obliques formant à chaque extrémité quatre angles aigus qui permettent l’accès à chacun des niveaux.

    Cette forêt flottante suspendue aux nuages¹¹, Babylone la doit à l’amour que le roi Nabuchodonosor portait à son épouse, Amytis de Médie. Elle soupirait tant après les paysages de son pays natal qu’il imagina de les recréer pour elle, en faisant édifier à côté du Palais, sur les bords de l’Euphrate, le parfait substitut d’une montagne mède dominant Babylone de quarante coudées.

    Assise sur le sol, sa première terrasse est plantée de grands arbres, platanes d’Orient et cèdres du Liban, palmiers dattiers, pins parasol¹ et pins d’Alep. Elle est la plus spacieuse et la moins élevée, avec seize coudées seulement de hauteur, tandis que la deuxième, plus étroite, s’élève jusqu’à vingt-six coudées, et arbore toutes sortes d’arbres fruitiers parsemés d’arbres à cade et de haies de cyprès.

    Les deux derniers étages, fuselés, élancés, culminent à son sommet, s’épanouissant en une somptueuse explosion.

    Parterres d’anémones aux teintes d’améthyste, de saphir, de rubis, de béryl, de topaze… Plates-bandes et massifs de tulipes et de lis savamment combinés, déclinant une riche palette de pastels bariolés et précieux… Buissons pulpeux de roses aux fragrances exquises exhibant leur beauté en une majesté opulente de pourpres, de carmins, de corail, d’écarlates, de roses, de jaunes et de blancs…

    Subjugué par le charme fascinant qui émane de la cité mythique, Cambyse, peu à peu, en oublie sa douleur… Et la magie opère, tout comme au premier jour où il l’a rencontrée, où elle l’a séduit et l’a ensorcelé, lui soufflant à l’oreille d’une voix ouatée des promesses d’amour semblables aux chuchotements d’une concubine.

    Au fur et à mesure qu’il approche du but, les détails se précisent.

    Il distingue bientôt, toutes de bleu vêtues, les deux entrées jumelles gardiennes de la Ville. L’Avant Porte d’abord, avec sa haute arcade flanquée de tours carrées, perçant Nimit-Enlil¹² sur près de cent coudées. Derrière se profile, comme en surimpression, mais à plus grande échelle, le relief des deux tours de la Deuxième Porte. Dominant l’Avant Porte de sa masse imposante, et reliée à elle par une vaste cour intérieure, l’Entrée Monumentale traversant Imgur-EnlilXX débouche sur la Voie Sacrée des Processions. Après un bref arrêt devant l’arche voûtée, Cambyse s’est laissé aspirer par le porche dont la bouche béante l’avale goulûment. Cinq pas de son cheval suffisent pour franchir les sept coudées qui le séparent de la cour. Au passage, il ne fait que jeter un coup d’œil aux bas-reliefs couvrant de frises horizontales les façades des tours.

    Car il n’a pas besoin de regarder pour voir. Il les connaît par cœur, les dragons de Marduk¹³ et les taureaux d’Adad¹⁴ représentés par paires, alternant à la fois les couples et les couleurs : un rang de deux dragons, l’un jaune et l’autre blanc ; un rang de deux taureaux, l’un blanc et l’autre jaune… Et il sait l’attachement des Babyloniens pour leurs dieux ancestraux.

    Lui, Cambyse, n’a pas la fibre religieuse. Alors que lui importent les rites et les usages d’un Pays ou d’un autre ? Son unique credo, c’est cette main de fer dans un gant de velours avec laquelle il vainc, avec laquelle il règne. C’est ce pouvoir absolu dont l’a investi Ahura Mazda¹⁵, créateur de l’univers et de l’humanité, et qui l’a élu, lui, Cambyse, pour veiller sur cette Création. L’invoquer à travers le Rituel du FeuXXI est l’affaire du Roi. Pour ce qui est du reste, c’est l’affaire des Mages¹⁶. Un autel en plein air et un brûleur suffisent.

    Car pour prier, un Perse n’a pas besoin de temples ni de statues de dieux. C’est pourquoi le Grand Roi n’en a construit aucun. Mais il peut concevoir que d’autres aient éprouvé le besoin de le faire. Aussi a-t-il laissé leur liberté de culte aux peuples asservis. Qu’ils vénèrent leurs divinités à leur guise, pourvu qu’ils se soumettent à l’autorité perse ! N’est-ce pas gouverner avec sagesse et intelligence que de se montrer tolérant, tant sur le plan religieux que politique ?

    Le Grand Cyrus lui-même appliqua ce précepte.

    Dès qu’il prit Babylone, il libéra les Juifs¹⁷ qui vivaient en exil depuis l’époque où le roi des Babyloniens, Nabuchodonosor, s’était emparé du royaume de Juda, avait brûlé Jérusalem sa capitale et détruit son Grand Temple. Non seulement les Juifs retournèrent chez eux, mais le Roi, de surcroît, les autorisa à reconstruire leur Temple…

    Ainsi, en respectant les croyances des ethnies conquises tout en leur accordant au sein de leurs satrapies une certaine autonomie, Cyrus avait su préserver l’unité de son Empire, le plus vaste qui soit au monde.

    Un héritage que Cambyse a la ferme intention de conserver !

    Mais tolérance ne signifie pas faiblesse. Les satrapies le savent : à la moindre velléité de rébellion, elles s’exposent à de terribles représailles. En effet, le Grand Roi ne saurait supporter qu’on remette en question sa légitimité, ni son autorité.

    D’ailleurs, Cambyse l’a bien montré en Égypte ! N’a-t-il pas massacré sans aucun état d’âme ces quelques roitelets et leurs partisans qui prétendaient s’opposer au raz-de-marée perse ? Incroyable arrogance ou extrême ignorance que de s’imaginer vaincre le Shahinshah, un être supérieur, désigné et guidé par Ahura Mazda pour construire un Empire et y régner en maître !

    Ainsi songe Cambyse tandis que son cheval, débouchant de la Porte Principale d’Ishtar, vient de s’engager sur la Voie Processionnelle qui s’enfonce à travers l’Antique Babylone, desservant d’un côté les Palais et les temples appuyés sur l’Euphrate, et de l’autre les vieux quartiers et le MerkesXXII occupant toute la partie orientale de la Ville Intérieure.

    L’artère rectiligne bordée sur ses deux flancs par des palmiers-dattiers s’ouvre devant le Roi. Il lui suffit de suivre le rempart ouest du QasrXXIII qui la longe à sa droite, derrière la haie d’arbres, pour atteindre son but : l’entrée du Palais Sud. Son enceinte trapézoïdale s’étire d’est en ouest jusqu’à l’Euphrate, que l’on rejoint par cinq cours plantées en enfilade, et qui forment une ligne médiane partageant le trapèze en deux zones nord-sud -au nord les bâtiments de l’administration, au sud les résidences du roi et de la Cour et cinq zones est-ouest.

    Les gardes ont reconnu les attributs royaux : le kidarisXXIV, turban bleu outremer liseré de blanc laissant libre la longue chevelure bouclée d’un noir de jais ; le grand manteau de pourpre broché d’or et d’argent, et décoré de pierres précieuses ; le kandysXXV, dépassant du manteau, dont on aperçoit la bordure, une série de cercles concentriques ; les bottines écarlates, pointues, lacées de rouge…

    Vivement ils s’écartent pour dégager la Porte donnant accès à la première cour, la Cour de l’EstXXVI.

    Comme en un rêve, Cambyse la traverse, luttant contre une vague de douleur fulgurante qui vient de l’assaillir. Son esprit nébuleux entrevoit, à sa droite, une masse trapue qui se hausse dans l’angle nord-est du Palais Sud, celle du Bâtiment Voûté abritant les archives du Pays…

    Chancelant, il doit faire un effort surhumain pour se maintenir raide et droit sur sa monture, tandis qu’elle franchit d’un pas altier la Porte de la Cour des Services AdministratifsXXVII et se dirige vers la troisième cour, nichée au centre du du complexe, la plus grande et la plus imposante, la Cour de la Salle du Trône.

    En temps normal, c’est là qu’il aurait mis pied à terre, gagné son trône et reçu en audience le satrape Gubru. Après l’introduction par l’hazarapatisXXVIII, après la proskynèseXXIX que doit exécuter quiconque veut paraître devant le Shahinshah, il aurait ordonné au satrape de Babylonie de lever sur tous les territoires placés sous son autorité les contingents nécessaires à la reconquête du pouvoir. Puis, à la tête de ses troupes, il aurait rejoint Suse et les six chefs de clan restés fidèles, avec qui il aurait repris Pasargades et châtié Gaumata.

    Mais au lieu de cela, le voilà moribond et tout juste capable de se maintenir en selle pour aborder l’avant-dernière cour, celle qui dessert les appartements royaux.

    Cambyse sent enfin son cheval faire halte. À travers le brouillard embuant son regard, seule lui apparaît l’immense bouche sombre du portique d’entrée qui semble l’attirer irrésistiblement. Il a vaguement conscience de la présence des Mille investissant le périmètre, pour interdire l’accès au Palais et veiller sur la personne du Roi pendant son séjour…

    Un mouvement…

    Une ombre vient de s’interposer entre la porte et lui… Un objet a surgi à ses pieds… C’est un escabeau que le Porteur de Tabouret Royal s’est hâté de poser au sol, et sur lequel il parvient à assurer sa jambe valide. Il avance, encadré de sa garde privée, à travers les cours et les jardins intérieurs. Et il serre les dents, mettant un point d’honneur à marcher sans qu’on l’aide, à ne pas claudiquer, à vaincre la douleur…

    Il ne lâchera prise qu’au moment où il sent sous ses pas la douceur épaisse et moelleuse des somptueux tapis de Sardes recouvrant le sol des corridors et des appartements qui lui sont réservés… Au moment où Darius, son plus fidèle porte-lance – et porte-carquoisXXX du temps du Grand Cyrus l’y l’y rejoint, comme il le lui avait ordonné, à point nommé pour le recevoir dans ses bras, inconscient.

    Darius qui connaît bien les lieux le guide d’un pas sûr.

    À la vue de son Roi, l’eunuque¹⁸ Gardien de la Porte de la Chambre s’est jeté sur le sol.

    Chargé de son précieux fardeau, le porte-lance s’engouffre dans la pièce. La porte refermée d’un puissant coup de pied, il s’achemine vers le majestueux lit à baldaquin qui trône entre quatre colonnes plaquées d’or et d’argent. Drapé de somptueuses tentures incarnates, il exhibe un monceau de superbes couvertures de Babylone surmontant un matelas de pelisses pourpres, au milieu d’un amoncellement de richesses dont l’éclat mordoré ruisselle sur les murs, le sol, les poutres en bois de cèdre du plafond.

    Partout où le regard se porte, il ne rencontre que dorures et parures, que tapis plantureux, que tables et coffres en bois de cyprès ou de cèdre… Disposés avec soin sur les meubles et le lit, des pantalons à la mode mède, des robes perses déclinant leur palette sur tous les tons de bleus et violets, des tuniques de pourpre marquées du signe propre au Grand RoiXXXI : une bande blanche et horizontale brodée en leur milieu…

    Des objets disparates complètent le tableau : cimeterres, colliers, boucles d’oreille en or incrustées de diamants dont la luminescence fait chatoyer la chambre de reflets argentés, azurés et pourprés, couleurs symbolisant les trois catégories sociales unies en la personne du Roi : blanc pour les mages, bleu pour les agriculteurs, rouge pour les soldats.

    La fraîcheur de la pièce a ranimé Cambyse, qui reprend ses esprits à l’instant où Darius le pose avec délicatesse sur sa couche. Des paupières entrouvertes, filtre un regard fiévreux, exigeant, impérieux. Et la voix péremptoire qui monte de ce corps martyrisé concentre en elle toute la volonté du Grand Roi :

    — L’Empire, Darius… L’Empire de mon père… À qui le confier ? Je n’ai pas eu d’enfant de ma sœur Atossa, ni de ma seconde épouse Phaidimè, ni de mon autre sœur… Aucun fils légitime… Pas même un bâtard de l’une de mes trois cent soixante concubinesXXXII…

    — Tu vas guérir, Grand roi. Tu auras tout loisir d’avoir un héritier !

    — Non, je n’ai plus le temps. C’est la fin, je le sens. Il faut que tu m’écoutes…

    Cambyse a suffoqué et s’est tu.

    Un instant, il demeure les yeux fermés, happant l’air par à-coups, à la façon d’un poisson hors de l’eau. Darius ne perçoit plus que le bruit laborieux de sa respiration. Soudain, il se reprend. Et ses paroles fusent, pressées, précipitées, comme s’il avait peur que la mort le surprenne avant qu’il n’en ait terminé avec Darius :

    — Celui qui revendique mon trône au nom de Bardiya n’est pas mon frère. C’est un usurpateur du nom de Gaumata. Comment en suis-je sûr ? Parce que j’ai fait assassiner Bardiya en partant pour l’Égypte. C’était une menace : je l’ai éliminée. Mais je veux emporter ce secret dans la tombe. Je veux que tu témoignes qu’il est mort au combat, à tes côtés, sur la terre égyptienne, qu’il a donné sa vie pour la grandeur de l’Empire. Chasse ce Gaumata, Darius. Sauve la Perse. Pour elle et en son nom, j’ai massacré, tué, étendu sa puissance aux confins de la terre… Tu ne dois pas laisser un vil opportuniste mettre la main sur elle. Je te lègue l’Empire, mon Empire, Darius, au nom d’Achemenes, notre ancêtre commun, et au nom de son deuxième fils Téispès dont le sang coule en toi par la branche cadette. Tu devras imposer ta légitimité, d’abord aux chefs de clan, afin qu’ils te soutiennent, puis aux Pays conquis toujours à l’affût de la moindre faille pour s’insurger et tenter de faire sécession. Mais tu les materas… Et tu seras Roi des Rois, car c’est la volonté d’Ahura Mazda ! À présent, introduis mon hazarapatis, mon mage Cométès, le satrape Gubru, le ganzabaraXXXIII MithradtaXXXIV et et mes eunuques Artasyras et Izabatès. Je veux leur dire adieu et leur ordonner de t’obéir.

    C’est ainsi que Cambyse intronisa Darius auprès de ses fidèles.

    Izabatès, son favori, fut chargé de ramener son corps à Matezzis¹⁹ pour qu’il soit inhumé dans le Takht-i RustamXXXV, le tombeau qu’il avait fait dresser dans la plaine, à la périphérie de la ville.

    Après qu’ils eurent tous juré fidélité à celui que le Roi des Rois avait désigné sur son lit de mort, le futur souverain s’exprima à son tour. Les dernières paroles que Cambyse entendit avant de rendre l’âme, en ce neuvième jour de Thuravahara, furent celles de Darius prêtant serment :

    — Au nom d’Achemenes et d’Ahura Mazda, je jure de poursuivre l’œuvre du Grand Cyrus et de son fils Cambyse, de consacrer ma vie à préserver l’Empire, d’affermir sa puissance, d’élargir ses frontières au-delà de la MerXXXVI en faisant la Grèce un Pays de la Perse. Le monde connaîtra Darius Ier le Grand, Roi des Achéménides !

    Tandis qu’Izabatès emportait le corps de Cambyse à Matezzis, Darius se préparait à entrer en action. Il chargea Prexaspès de retourner à Suse en éclaireur afin d’avertir ses alliés : qu’ils rassemblent leurs troupes et s’apprêtent au combat. Darius les rejoindrait à la tête des Mille dès que Gubru aurait reçu le contingent fourni par Babylone.

    ***

    Ils ont vêtu son corps de ses plus beaux atours, l’ont paré de bijoux, puis ils l’ont installé dans une cuve en or sertie de pierreries. En procession, ils sont partis de Matezzis, les mages et les fidèles accompagnant leur roi vers son dernier séjour.

    Ils ont traversé le Bois Sacré qui protège l’espace funéraire, et au centre duquel a été érigée la stèle de Cambyse. Ils sont passés devant la modeste bâtisse, résidence des mages chargés de veiller sur le sommeil du Grand Roi et de nourrir régulièrement sa dépouille. Car ils savent que l’âme demeure, après la mort, à l’endroit où les ossements sont enterrés, qu’une nouvelle vie souterraine commence, où les actes commis dans la vie précédente ne seront pas jugés, où l’âme libérée d’un passé oublié n’attendra ni récompenses ni châtiments, mais seulement de quoi s’alimenter pour vivre.

    Ils ont suivi le cercueil le long de la rampe d’accès jusqu’à la stèle, qui émerge soudain. Du haut du tumulus de pierre en forme de pyramide à degrés, le petit bâtiment et son toit à deux pentes les toise avec orgueil, flèche aride dressant ses vingt-deux coudées au milieu d’un tapis verdoyant de gazon. Ils se sont arrêtés devant le mausolée autour duquel les mages disposent des guirlandes de fleurs et de feuillages.

    Au chant des litanies et psalmodies, le sarcophage est transporté, par une porte étroite tournée vers l’occident, à l’intérieur de sa maison d’éternité. De dimensions réduites, la chambre ne contient qu’un lit en or habillé de pelisses pourpres où reposent ses armes, ses robes et ses manteaux, et une table basse dressée pour le repas. Les mages y déposent du sel en quantité, des fruits et des gâteaux. Le long des murs s’alignent des vases en albâtre dégorgeant de bijoux.

    La porte refermée, on amène la bête, un taureau magnifique qui va offrir son âme en sacrifice aux dieux, et sa chair aux convives. Car les divinités ne veulent pas des corps. Face au pignon sculpté orné d’une rosette, le liquide visqueux rouge vif, dilué au contact du vin et du lait qu’y ont versé les mages, se délave, virant au brun rosé.

    Le rituel s’achève par des incantations et des chants saluant une dernière fois le Shahinshah défunt.

    Après le grand banquet, l’eunuque Izabatès est reparti avec les autres, abandonnant le tombeau aux bons soins des servants préposés au service du mort. Il a hâte à présent de rejoindre Pasargades et son ami Bagapatès, eunuque de Cyrus d’abord puis de Cambyse, à qui ce dernier a confié les clés de son palais en partant pour l’Égypte…

    Dire qu’il a suffi de trois années pour faire basculer un Empire dans l’escarcelle de Cambyse. Mais au bout du compte, à quoi lui a servi tant de puissance ? Mourir en sachant sa dynastie menacée et les fondements mêmes du pouvoir ébranlés… Le léguer à Darius était son seul recours contre une adversité qui lui forçait la main.

    Izabatès est sûr qu’il a fait le bon choix pour les Perses et l’Empire : qui mieux que Darius, descendant d’une des plus illustres familles de l’aristocratie perse, aimé de Cyrus et fidèle à Cambyse, apprécié de ses pairs, et disposant de la force armée des Dix Mille prête à lui obéir, aurait été capable de chasser le mage usurpateur ? Désormais, ils sont deux à connaître le secret de Cambyse : le futur Shahinshah et lui, Izabatès, par qui la main du Roi a frappé Bardiya…

    Ainsi songe l’eunuque, tout en s’acheminant en direction du nord. Son char a tôt fait d’avaler la parasangeXXXVII qui sépare Matezzis de Pasargades, dont la porte monumentale se profile à l’instant devant lui, crevant la longue ligne de fortifications.

    PâthragâdaXXXVIII, le camp des Perses… Il ralentit. En pénétrant trant dans le Paradis de Cyrus arborant ses jardins comme une courtisane ses plus précieux bijoux, il ne peut s’empêcher d’admirer les grands arbres disposés au cordeau pour délimiter les contours carrés de parcs, de bosquets, de vergers, d’espaces verts fleuris bordés par les murets de pierre des canaux, ces Paradis Royaux que dessina Cyrus quand il fit bâtir sa résidence d’été, après avoir conquis la Lydie de CrésusXXXIX.

    Une voie ombragée l’amène jusqu’au pont enjambant le canal principal qui alimente toute la ville en eau, grâce aux flots domestiqués du Pulvar, un fleuve arrosant le plateau montagneux et accidenté où se dresse Pasargades. Capturé en amont, son cours est comprimé par un premier bassin long et mince formant un trapèze à la base élargie qui le capte, telle une bouche d’entonnoir où il se jette.

    Puis, amadoué par une série de vannes, il se laisse guider jusqu’au pont où sept autres vannes finissent de réguler son débit, puis débouche, en aval, dans un second bassin, un long rectangle étroit d’où part tout un réseau de canaux secondaires.

    Au nord-est, par-delà l’ensemble palatial, la citadelle du Tall-e TakhtXL, érigée sur une plate-forme, projette son ombre protectrice sur la capitale des Perses.

    Laissant derrière lui le pont et les bassins, Izabatès avance.

    À sa gauche a surgi le Palais des Audiences, grande salle hypostyle entourée de portiques, dont la porte d’entrée s’orne de bas-reliefs sculptés. Hommes-taureaux, hommes-poissons, génies ailés à tête d’homme portant les attributs confondus des Pays -les ailes assyriennes, la couronne égyptienne et l’habit élamite -semblent dévisager l’eunuque avec méfiance.

    Mais l’homme n’en a cure. Il continue tout droit, le regard braqué sur le Paradis Royal qui s’étire à main droite, un grand rectangle de verdure scindé en quatre portions égales. Reliant deux à deux les côtés parallèles du rectangle, un canal et une allée se croisent en son centre, délimitant les contours de quatre jardins carrés.

    On y accède, à droite, par un tronçon de voie bref et large qui fait penser à une cour, où trône un Pavillon. Derrière l’édifice, Izabatès n’a plus qu’à bifurquer à gauche, et le voilà sur la voie extérieure enclosant le Jardin Royal, en train de remonter l’un des deux longs côtés du rectangle qui jouxte le Palais-Résidence où siège le faux roi. Partout, l’eau souveraine alimente les lieux par un jeu de canaux et canalisations savamment répartis.

    Avec son Paradis étalé à ses pieds, les six rangs de colonnes de sa salle hypostyle supportant un étage, le Palais de Cyrus s’impose dans sa sobre beauté géométrique, combinant l’harmonie rigoureuse de ses cubes et ses parallélépipèdes-rectangles élégamment accolés ou superposés.

    Soudain, le visiteur entrevoit une silhouette familière se dirigeant vers lui à travers les colonnes de la salle hypostyle, où la blancheur calcaire des fûts, contrastant avec la noire élégance des socles et chapiteaux, joue à cache-cache avec la lumière, la déclinant en noir et blanc dans le clair-obscur.

    — Mon ami ! Enfin je te retrouve ! s’exclame Bagapatès en baisant son pair sur la boucheXLI. Viens, ne restons pas là. Les Les murs ont des oreilles.

    Les deux hommes se glissent sous le couvert complice du plus proche portique, celui dont le montant gravé glorifie son fondateur : « Moi Cyrus, le Roi, l’Achéménide ».

    Sous l’œil torve des lions à cornes et à crête, monstres à figure humaine, génies ailés et autres créatures fabuleuses figées sur les chapiteaux des colonnes, ils prennent l’escalier qui conduit à l’étage et, par un labyrinthe de couloirs imbriqués, parviennent jusqu’aux appartements de l’eunuque.

    Après avoir fermé soigneusement la porte, Bagapatès s’installe et, invitant d’un geste son hôte à l’imiter :

    — Ici, tout le palais est sens dessus dessous, lui confie-t-il tout bas, depuis que Bardiya s’est saisi du pouvoir à la mort de Cambyse, se faisant proclamer héritier légitime du trône de son frère. Quatre des chefs de clan ne l’ont pas reconnu. Otanès a convaincu Intaphernès, puis Aspathinès qui, à son tour, a enrôlé Hydarnès. Ils ont fait sédition et se sont retranchés à Suse avec leurs troupes.

    — Je sais. Ils ont envoyé Prexaspes à Saïs dès la première insurrection de Bardiya. Aussitôt qu’il a su, Cambyse s’est mis en route. C’est en Syrie qu’il a été blessé, à Babylone que la mort l’a emporté… Mais il a eu le temps d’introniser Darius comme son successeur. Les Dix Mille n’attendent qu’un ordre de la part de leur nouveau Grand Roi qui, à la tête des Mille, s’est mis en marche vers Suse avec le contingent babylonien de Gobryas et les troupes de Mégabyze. Alors, il faudrait que tu me dises sur qui il peut compter ici.

    — En fait, je n’en sais rien. Tu n’imagines pas à quel point la situation est explosive au palais ! On se méfie de tout et de tous !

    — Eh bien, renseigne-toi. Tu es le seul en qui je peux avoir confiance. Et il n’est pas question que nous partions d’ici sans ces informations, précieuses pour Darius !

    — Je ferai de mon mieux. Je ne te promets rien.

    — Ta parole me suffit, mais dépêche-toi. Le temps joue contre nous.

    — Ne bouge pas d’ici, et attends mon retour.

    ***

    Alors que la nuit tombe, une ombre s’est figée aux portes de la ville. L’homme tient un cheval par la bride et patiente en silence, à l’abri d’un recoin ténébreux, guettant un moment d’inattention des gardiens pour s’enfuir discrètement de Pasargades.

    Occupés à l’extérieur des murs à planter, sur les longs pals de bronze hauts de dix-huit coudées, les têtes énucléées, sans nez et sans oreilles des condamnés exécutés le matin même, les soldats n’ont pas remarqué la silhouette qui a quitté la ville et

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