L’Affaire Giroud et le Valais: Un vade-mecum
Par Alain Bagnoud
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À propos de ce livre électronique
L'affaire Giroud a occupé continuellement les journaux depuis la fin de l'année 2013. Elle concerne une cave, Giroud Vins SA, qui était devenue en une quinzaine d'années l'une des plus importantes du Valais. Celle-ci a été accusée de tous les maux : encavage au noir, irrégularités dans la vignification, distribution opaque, soustraction fiscale : aucune étape du processus ne semblait épargnée. Enfin, son patron, Dominique Giroud, était suspecté d'avoir commandité une attaque informatique contre les journalistes qui sortaient des informations le concernant.
Semaine après semaine, le feuilleton rebondissait. Des personnages nouveaux apparaissaient au gré des épisodes : conseillers d'Etat, ministre des finances, espion de la confédération, détectives privés, puissants du Valais. On suggérait que dans ce canton, Dominique Giroud aurait bénéficié de protections qui lui auraient longtemps assuré l'impunité. En plus, il était un fidèle d'Ecône, ce centre catholique traditionaliste aux rites pittoresques et aux valeurs combatives. Bref, tous les éléments d'une belle série médiatique étaient réunis.
Qu'en est-il réellement ? Pour le savoir, Alain Bagnoud a suivi le fil de cette histoire. Il essaie grâce à elle de comprendre ce que l'affaire Giroud révèle sur le Valais.
Enquête sur les accusations de fraudes des entreprises vinicoles valaisannes de Doninique Giroud
EXTRAIT
Une nuit de novembre 1997, à l’heure où la plupart des gens dorment, des colleurs d’affiches clandestines s’affairent dans les rues des villes et des bourgades entre Monthey et Brigue. Ce n’est pas le premier coup de ces jeunes gens entre vingt-cinq et trente-cinq ans. Ils ont déjà utilisé la même procédure pour manifester contre la sortie d’un film dont le titre était Priest. Parue en 1995, cette fiction sans intérêt artistique traitait de la sexualité des prêtres et montrait notamment les tentations homosexuelles de l’un d’entre eux. Mais cette première tentative n’a eu aucun écho. Ce ne sera pas le cas pour celle de 1997. Il faut dire que le message de cette année-là est plutôt choquant.
CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE
« Alain Bagnoud s'est mué en chroniqueur de l'affaire Dominique Giroud, suivant les rebondissements, les rassemblant et les remettant dans leur contexte et leur chronologie. Au final, près de 200 pages qui racontent les débuts modestes puis flamboyants du vigneron transformé en homme d'affaires puis de l'Affaire. Au passage, un portrait acide du canton. » - Le Nouvelliste
A PROPOS DE L’AUTEUR
Alain Bagnoud est né en 1959 dans une famille de vignerons, à Ollon, village de la commune de Chermignon. Marié, père de quatre enfants, il a publié une dizaine de livres, dont la plupart ont paru aux Editions de L'Aire.
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Avis sur L’Affaire Giroud et le Valais
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Aperçu du livre
L’Affaire Giroud et le Valais - Alain Bagnoud
Préface
L’affaire Giroud a occupé continuellement les journaux depuis la fin de l’année 2013. Elle concerne une cave, Giroud Vins SA, qui était devenue en une quinzaine d’années l’une des plus importantes du Valais. Celle-ci a été accusée de tous les maux : encavage au noir, irrégularités dans la vinification, distribution opaque, soustraction fiscale : aucune étape du processus ne semblait épargnée. Enfin, son patron, Dominique Giroud, était suspecté d’avoir commandité une attaque informatique contre les journalistes qui sortaient des informations le concernant.
Semaine après semaine, le feuilleton rebondissait. Des personnages nouveaux apparaissaient au gré des épisodes : conseillers d’État, ministre des finances, espion de la confédération, détectives privés, puissants du Valais. On suggérait que dans ce canton, Dominique Giroud aurait bénéficié de protections qui lui auraient longtemps assuré l’impunité. En plus, il était un fidèle d’Ecône, ce centre catholique traditionaliste aux rites pittoresques et aux valeurs combatives. Bref, tous les éléments d’une belle série médiatique étaient réunis.
Pourtant, ceux qui découvraient Dominique Giroud entrevoyaient quelqu’un qui semblait ne pas correspondre à ce qu’on lui reprochait. Au début de l’affaire, en effet, la photo de l’encaveur qui illustrait la plupart des articles, toujours la même, montrait un homme dans la montagne, coiffé d’un chapeau au bord relevé, qui paraissait plus naïf, simple, candide, que retors et manipulateur. Ceux qui le fréquentaient avaient encore une autre image de lui. Ils parlaient d’un esprit vif, rapide, entreprenant, remarquable producteur d’idées, travailleur inlassable, cultivant des liens avec tout ce qui comptait.
Face au déferlement des attaques et des images, on pouvait s’interroger. S’agissait-il d’un acharnement de la presse qui voulait se payer un homme coupable d’une réussite éclatante, un homme qui ne cachait pas sa foi ardente et ses croyances conservatrices ? Y avait-il, comme l’affirmaient certains de ses défenseurs, un emballement médiatique parce que Giroud constituait une cible idéale non pas à cause de ce qu’il avait fait, mais à cause de ses croyances, de ses valeurs, de son fonctionnement, de ses réactions ? Ou devait-on prendre au sérieux les accusations, particulièrement dans ce qu’elles montraient du Valais ? Régnait-il vraiment dans ce canton un fonctionnement opaque ? Se pouvait-il que le pouvoir y soit exercé dans d’obscures sphères, par des forces sur lesquelles les citoyens n’auraient pas prise ? Un certain nombre de puissants se protégeaient-ils mutuellement et s’assuraient-ils une impunité dont Giroud, qui aurait été l’un des leurs, aurait profité ?
Le canton que je connais et que j’aime est bien différent de cette caricature. Aussi, durant ce long été 2014 pluvieux que j’ai passé dans les montagnes d’Anniviers, puis durant l’automne lumineux qui a suivi, j’ai commencé à me documenter. S’il faut aussi donner des motifs personnels à mon intérêt, une partie de ma famille est dans la vigne, ce secteur éclaboussé par les révélations que sortaient les journaux. Or, les vignerons et les encaveurs que je connais font bien leur métier, sont passionnés par la qualité du raisin, produisent des vins remarquables.
Ma première idée était de rédiger un roman qui interpréterait les faits en les prenant comme point de départ. Mais plus je recueillais d’informations, plus je comprenais que l’imagination, dans ce cas-ci, serait moins forte que la réalité. Les événements romancés n’auraient pas paru plausibles : trop exagérés, trop extrêmes, trop riches, trop enchaînés. Il m’a semblé plus intéressant de les éclaircir en les exposant, en racontant simplement le fil de cette histoire qui était devenue finalement presque illisible sous les points de détails, les arguties et les chicanes.
Précisons encore que je ne connais pas Dominique Giroud, que je ne l’ai jamais rencontré, et que je n’ai rien contre lui personnellement. Mais si sa vie privée doit être respectée, il s’est voulu un personnage d’envergure, a agi et s’est mis en scène pour le devenir et pour peser sur la vie publique, ce qui rend légitime qu’on parle de lui sous cet aspect-là. Il n’est d’ailleurs pas mon sujet principal.
Mon sujet principal, c’est le Valais. Ce qui m’intéresse dans l’affaire, ou plutôt les affaires Giroud, c’est ce qu’elles disent sur ce canton, c’est la révélation de certaines causes dont les individus subissent des effets. Une relation qui plante ses racines dans le passé. Remontons donc un peu le temps.
L’affaire des affiches
Une nuit de novembre 1997, à l’heure où la plupart des gens dorment, des colleurs d’affiches clandestines s’affairent dans les rues des villes et des bourgades entre Monthey et Brigue.
Ce n’est pas le premier coup de ces jeunes gens entre vingt-cinq et trente-cinq ans. Ils ont déjà utilisé la même procédure pour manifester contre la sortie d’un film dont le titre était Priest. Parue en 1995, cette fiction sans intérêt artistique traitait de la sexualité des prêtres et montrait notamment les tentations homosexuelles de l’un d’entre eux. Mais cette première tentative n’a eu aucun écho. Ce ne sera pas le cas pour celle de 1997. Il faut dire que le message de cette année-là est plutôt choquant.
Au lever du jour, les premiers promeneurs peuvent découvrir, affichés sur les murs, les visages et les noms de trois femmes, trois politiciennes valaisannes. Il y a deux députées démocrates-chrétiennes et la vice-présidente de la ville de Sion, qui est issue du parti socialiste.
Leur portrait est surmonté du cliché d’une poubelle, dans laquelle un fœtus sanglant de trois mois a été jeté. Sous l’image, il est écrit : « L’empoisonner, le découper à la curette ou le laisser mourir dans une poubelle ? » Le titre de l’affiche indique : « Elles veulent une culture de la mort en Suisse ! » Au bas, une citation modifiée de Georges Duhamel explicite : « Chaque civilisation a l’ordure qu’elle mérite. »
L’assemblage des éléments fait exploser les connotations. Ces femmes sont des ordures et notre société les mérite. Notre société qui n’a plus le sens des valeurs et de la vie considère les fœtus comme des ordures. Les femmes désignées à la vindicte luttent pour imposer l’idée que les fœtus sont des ordures. Des femmes, justement, accusées de détruire des vies, alors que leur vocation, dans l’esprit de ceux qui ont posé les affiches, on le verra, est d’être mères et femmes au foyer, loin de la politique et de l’engagement.
C’est brutal, violent, extrême, même si cette campagne clandestine s’insère dans un débat. La solution des délais doit être votée quelques semaines plus tard. Elle vise la dépénalisation partielle de l’avortement. Le recours à celui-ci, pratiqué par un médecin dans les douze premières semaines de grossesse, serait décriminalisé. Les trois femmes mises au pilori défendent ce projet.
Ainsi attaquées, elles portent plainte. Et les auteurs des affiches sont rapidement identifiés. Ils sont issus de l’association Citadelle, un groupuscule d’extrême-droite qui a été fondé deux ou trois ans plus tôt (la date est incertaine même pour ses créateurs) par Dominique Giroud, vingt-six ans, un encaveur de Chamoson, et quelques amis qui partagent ses idées. Ses membres se réunissent une fois par mois dans le but de régénérer la société. Leurs cibles : l’avortement, la drogue, les sectes, l’occultisme, la pornographie…
Les afficheurs démasqués sont vite confondus par la police et Giroud prend crânement tout sur lui. L’affaire est son initiative personnelle. Citadelle n’a rien à voir là-dedans. Il a lui-même créé l’image. C’est juste s’il ne l’a pas collée tout seul. Cette version est confirmée par tous les autres membres du groupuscule avec une belle unanimité.
Les plaignantes ne les croient pas et demandent que les archives de Citadelle soient saisis. Quelque chose pourrait prouver que le mouvement en entier a participé à l’entreprise : il y a eu une réunion le soir même du collage d’affiches, juste avant que celles-ci n’apparaissent sur les murs. Les trois femmes aimeraient bien savoir ce qui s’y est dit. Elles s’intéressent aussi à la liste de ceux qui y ont assisté.
En effet, un mystère plane sur ces gens. Si les membres du comité marchent à visage découvert, Giroud, interrogé par la police, a indiqué que quatre autres personnes, qui n’appartiennent pas au groupe et dont il refuse de révéler l’identité, participent à leurs rencontres. La presse les surnomme bientôt « les parrains de Citadelle » et les identifie comme des caciques du Mouvement chrétien conservateur.
Et là, on se retrouve dans une toute autre configuration. Alors que Citadelle peut passer pour une chapelle d’allumés aux valeurs marginales, le Mouvement chrétien conservateur est une association qui est complètement honorable, parfaitement respectable.
Il est très proche du Parti démocrate chrétien qui dirige le Valais depuis des décennies. Beaucoup de ses membres y appartiennent. Le Mouvement est proche d’un conseiller d’État en fonction, d’un éditorialiste du journal Le Nouvelliste, d’hommes politiques influents qui constituent la droite la plus dure du PDC valaisan. Ses membres fondateurs sont liés à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X d’Écône, dont Dominique Giroud est un fidèle. Ils défendent un droit naturel absolu et universel, qui viendrait directement de Dieu, et devrait régler le monde dans ses moindres détails : vie personnelle, relations sociales, lois.
Pour les plaignantes, c’est évident : le Mouvement chrétien conservateur et ses notables sont complices de l’affaire. Ses têtes pensantes ont utilisé le groupuscule pour faire passer leurs idées. Les femmes attaquées entendent bien le prouver en se faisant communiquer les procès-verbaux de Citadelle, les noms des membres, les statuts.
Un imbroglio judiciaire suit. Tout compte fait, la justice conclut que Giroud n’est pas seul responsable. Une quinzaine de personnes sont accusées de diffamation, de calomnie et de dommage à la propriété.
Quant à la question du lien de Citadelle et du Mouvement chrétien conservateur, elle se précise un peu plus tard : une année après le collage des affiches, Dominique Giroud et tous les autres membres du comité directeur du groupuscule sont nommés au comité directeur du Mouvement chrétien conservateur.
Quelques histoires judiciaires
Dominique Giroud