La Promesse d'Almache: Roman régional
Par Alain Dantinne
3/5
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À propos de ce livre électronique
Après vingt ans de vie bruxelloise trépidante, Dydie et Pierre choisissent de quitter la capitale pour s’installer dans l’ancienne hostellerie d’Almache qu’ils viennent d’acquérir. Cette bâtisse ardennaise, témoin de leur quotidien isolé, sera aussi le lieu de fêtes et de parties de bridge qu’ils partagent avec leurs amis. Mais le bonheur est éphémère. Au décès de son mari, Dydie s’effondre, elle a perdu son complice. Elle se retrouve seule, perdue dans son imposante maison. La vie continue néanmoins, ponctuée d’excès et de folies que lui permet la fortune de Pierre. Elle soigne sa mélancolie dans le champagne et se console dans l’affection que lui porte son neveu Arthur, son confident, à qui elle décide de léguer l’ancienne auberge…
Alain Dantinne nous immerge dans le quotidien d'un couple bruxellois, parti de la capitale pour le calme de la Wallonie.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
- "Alain Dantinne, dans ce récit délicat, professe un goût pour une fraternité sans bornes et un regard sans œillères. Son auberge espagnole en Ardenne est un rêve de jeune homme que la vie n’aurait pas déçu et où l’amour serait un pot commun. Il faut vivre, s’arranger comme on peut avec les désirs des autres, aimer la vie et tous les "colloques sentimentaux", qui, comme le bonheur, sont contagieux." (Frédéric Chef, Le Salon littéraire)
A PROPOS DE L'AUTEUR
Véritable touche à tout, Alain Dantinne est à la fois poète, romancier, mais a aussi écrit des nouvelles et réalisé des études. Né en 1951, il a suivi un parcours de lettres et de philosophie.
EXTRAIT
- Voilà, la maison, c'est pour toi...
Arthur fut sidéré. C'est l'émotion ! pensa-t-il, elle a dû lâcher cela sur le coup de l'émotion. Pierre était mort, elle venait d'apprendre la nouvelle, appela son neveu. Dans la nuit, il avait roulé à folle allure pour la rejoindre, ne pas la laisser seule, là, au milieu des forêts de l'Ardenne, entre Paliseul et Bouillon. Il devait être minuit quand le jeune professeur arriva dans l'ancienne auberge. Il la prit dans ses bras, la serra contre lui sans dire un mot. Dydie ne voulait prévenir personne de la disparition de son mari, seulement lui. Sa présence rendrait le chagrin moins amer, la rassurerait. Après s'être interdit de pleurer, elle lui commanda d'ouvrir une bouteille de champagne et se mit à raconter, raconter, il sut tout de leur rencontre, du duo insolite qu'elle composait avec Pierre.
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Avis sur La Promesse d'Almache
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Aperçu du livre
La Promesse d'Almache - Alain Dantinne
I
— Voilà, la maison, c’est pour toi…
Arthur fut sidéré. C’est l’émotion ! pensa-t-il, elle a dû lâcher cela sous le coup de l’émotion. Pierre était mort, elle venait d’apprendre la nouvelle, appela son neveu. Dans la nuit, il avait roulé à folle allure pour la rejoindre, ne pas la laisser seule, là, au milieu des forêts de l’Ardenne, entre Paliseul et Bouillon. Il devait être minuit quand le jeune professeur arriva dans l’ancienne auberge. Il la prit dans ses bras, la serra contre lui sans dire un mot. Dydie ne voulait prévenir personne de la disparition de son mari, seulement lui. Sa présence rendrait le chagrin moins amer, la rassurerait. Après s’être interdit de pleurer, elle lui commanda d’ouvrir une bouteille de champagne et se mit à raconter, se raconter, il sut tout de leur rencontre, du duo insolite qu’elle composait avec Pierre.
Dès le début, le couple se mit d’accord pour user la vie jusqu’à la trame, chacun respectant le jardin secret de l’autre. Ils avancèrent sans trop se soucier du lendemain. « Au dernier vivant tous les biens ! » avaient-ils conclu dans un pacte de jouissance. Souvent, les êtres qui s’en réfèrent au plaisir éprouvent au plus haut degré le mal de vivre. Cette nuit-là, Dydie se retrouvait donc seule avec leur grande bicoque à entretenir, mille souvenirs maquillés et un paquet d’actions camouflé dans un coffre au Luxembourg. Elle cessa presque tout contact avec la famille de Pierre qui ne la porta jamais en grande estime.
C’est elle qui voulut à tout prix cette maison. Elle scrutait chaque semaine les petites annonces immobilières dans L’Avenir du Luxembourg. Arthur, pendant des années, les avait conduits tous les deux visiter différentes villas et fermettes perdues dans les campagnes. Jamais ils ne se décideraient. Les expéditions dominicales se terminaient inévitablement dans un restaurant gastronomique, où Pierre réglait l’addition. Ce jeu, car Arthur ne prenait pas ces escapades au sérieux, dura des années. Mais quand elle découvrit l’improbable Hostellerie d’Almache, vieil hôtel à restaurer, sept chambres, ancien relais de chasseurs avec ses passe-plats, son âtre à chenets, ses trophées, ses vaisseliers imposants, ses terrasses couvertes et chauffées, son étang à truites et son jardin de simples, elle, qui ne pouvait tenir une queue de pelle dans le sens du progrès, voulut acheter le bâtiment illico. Rien ne ressemblait à ce point à son caprice d’enfant que cette bâtisse en moellons, sans style, de la fin du dix-neuvième. Pierre versa les arrhes.
Elle acheta des bottes, mais oublia de les mettre. Il se procura une débroussailleuse, ensuite une tondeuse, un motoculteur, une brouette, puis, en vrac, houe, bêche, râteau, plantoir, sécateur, fourche, ainsi qu’un tas d’autres outils inusités. C’est l’intention qui compte, dit-on bien souvent. Ici on ne comptait pas. Arthur profitait des vacances scolaires pour se mettre dans la peau d’un jardinier amateur. Il prenait une ou deux semaines pour arracher le chiendent, échardonner, curer le Pichou. Il fixait une clôture ou aménageait une niche pour le chien. Quand, les pattes pleines de cloques, il se sentait fatigué de ces travaux domestiques, il arrêtait tout, usait de son pouce valide pour descendre vers le sud ou s’envolait vers d’autres continents. Finalement, on chercha des gens du village pour entretenir les pelouses, les terrasses, puis toute la maison, assurer le ménage, bref la maintenance de l’ancien hôtel fut déléguée. Pierre réglait les additions, offrait l’apéro à toutes ces petites mains.
Les nouveaux propriétaires décidèrent de quelques travaux d’aménagement qui durèrent des mois. Ensuite, Dydie s’installa seule dans l’hostellerie, Pierre restait en semaine là où son travail l’exigeait, tantôt à Bruxelles, tantôt à Paris, et la rejoignait le vendredi soir. Arthur venait de temps à autre se reposer le week-end, le plus souvent, il passait chercher son oncle à la gare de Sedan dont le buffet, réputé des deux côtés de la frontière, était indiqué dans le Michelin. Ils rentraient tard, vachement raides d’équerre, le prof au volant de sa petite R4 choisissait des voies transfrontalières peu fréquentées.
Après quelques années de cette vie à peine rurale, Pierre ressentit les premiers symptômes : des batteries d’examens révélèrent une hépatite qui tourna vite en hépatocarcinome. Après quelques mois d’hospitalisation suivis de plusieurs années de rémission, il dut subir une radiothérapie à Bruxelles. Il se choisit une suite dans un hôtel, près de l’hôpital, où il conviait quelques proches à venir passer la soirée près de lui. Un soir de décembre, un de ses amis l’avait retrouvé mort dans la salle de bains, victime d’une hémorragie interne.
Des années après la disparition de Pierre, Dydie avait régularisé leur promesse. Elle convoqua le notaire de Paliseul, qui vint avec sa secrétaire. Il fallut un second témoin. La femme de ménage astiquait la nostalgie, elle fit l’affaire. Arthur, ne pouvant assister à l’écriture de l’acte dont il était le bénéficiaire, sortit promener Jack, le berger malinois. Après la rédaction du curieux document, il revint pour ouvrir un magnum de Taittinger. Tout le monde trinqua jusqu’à la dernière lampée. Dydie semblait heureuse d’avoir mis ses papiers en ordre et le neveu se sentit vaguement mal à l’aise devant ce fardeau moral qui lui tombait ainsi sur les bras. Vieux complices, ils convinrent tacitement de ne plus en parler.
II
Arthur était le confident de Dydie, le fils qu’elle n’avait pu avoir. Pourquoi Pierre le choisit-il, lui aussi, pour perpétuer l’esprit de l’auberge d’Almache comme le lui révéla sa tante ? Il en avait bien une idée, mais n’abordait jamais le sujet avec elle. Il rendait visite à sa parente chaque mois, arrangeait les quelques problèmes inhérents à cette bâtisse vieillotte et, le soir venu, se chargeait de remplir les verres de propos philosophiques. Ils passaient la nuit dans les volutes bleutées des Camel achetées au Grand-Duché. Elle lui ressassait un passé édénique, son enfance, celle de ses sœurs, dont la mère d’Arthur, les voyages et les sorties de sa jeunesse, racontait sa rencontre avec Pierre dans les milieux estudiantins au début des années cinquante.
Après des études de droit, Pierre décida de vivre à Louvain, la ville universitaire flamande. Il ouvrit un bistrot avec un copain, acheta du mobilier disparate, tables, chaises et tableaux chez des brocanteurs, de même que d’anciennes stalles d’abbaye qui se retrouvèrent on ne sait trop comment dans le circuit de la chine. Le mastroquet s’inscrivit dans la faculté de sciences économiques, afin de justifier le maintien de la rente paternelle. La nuit, il jouait de l’accordéon dans ce bar de la vieille ville devenu le local de la Namuroise, cercle dont il fut autrefois le président. Il révisait entre ses pompes, vaguement, les week-ends, lors du retour des students en province. Dydie aimait fréquenter les bars où la musique de jazz s’imposait peu à peu. Elle débarqua un soir dans le caboulot de l’éternel étudiant, elle y passa la nuit, elle y resta. Ils vécurent ainsi jusqu’au début des années cinquante.
Ils décidèrent d’habiter ensemble bien avant de se marier. Le scandale ! C’est que la famille avait donné à l’Église des prêtres, des prieurs, et même un évêque en exercice ! Le père d’Arthur, de milieu orgueilleusement chrétien également, engagé dans cette drôle de guerre dite scolaire avec l’Action catholique des Hommes, ne décolérait pas. Il cessa de voir le couple pécheur pendant plusieurs années, et traita même sa future belle-sœur de putain ! Voilà ce qu’elle se plaisait à transmettre à son neveu, qui n’était pas en reste. Mis en confiance, il lui dévoilait ses frasques, lui présentait presque tous ses nouveaux amants dont certains s’installèrent même dans l’hostellerie, le temps de préparer quelques examens ; elle les soignait trop bien, les invitant à partager son vin pétillant, leur imposant sa solitude inavouée.
Peu de temps avant sa mort, Pierre, sans illusion aucune sur son sort, laissa à Dydie un bout de papier sur lequel il avait inscrit le nom de toutes les personnes qui lui devaient de l’argent. Il y en avait de partout, amis lointains ou du voisinage, membres de la famille ou quidam du village, hommes de bien ou poivrots rencontrés dans quelque gargote d’alentour. Il y avait bien sûr Léon, un restaurateur failli, bambocheur, grande bringue au passé de légionnaire, joueur surtout, noceur aux allures sauvages à qui l’on ne confierait pas la garde de ses gants le temps d’aller pisser. À jeun, le gars était un chef réputé et, régulièrement, quand il vaquait à court d’argent, il se remettait aux fourneaux, trouvait le moyen d’ouvrir un restaurant et se requinquait pour quelque temps. Dydie aimait entraîner Arthur dans le nouveau boui-boui. Le coup de feu passé, Léon sortait de sa cuisine, arrosait la table de champagne et refusait qu’on le paie au terme des agapes. « Je dois bien cela à mon ami Pierre ! » lançait-il quand ils se quittaient en fin de soirée où le chef venait de raconter ses virées avec l’oncle regretté au château de Bazeilles ou au fort de Sedan. La veuve ne se culpabilisait aucunement, de toute manière, aimait-elle à dire, elle ne verrait jamais la couleur des cent mille francs qu’il devait. Quelques années plus tard, un vingt-quatre décembre vers trois heures de l’après-midi, Léon ouvrit sans frapper la porte de l’hostellerie d’Almache, déposa un copieux plateau de fruits de mer et une fillette de brut devant Dydie en lui souhaitant un joyeux Noël. Il était pressé en ce jour de boustifaille générale, il avala une coupe et s’en alla en lui laissant une enveloppe. Elle se rebiffa arguant des nombreuses soirées passées dans son établissement. Léon annula sa protestation en lui claquant : « ça, c’étaient les intérêts ! » Nul besoin de vérifier, le compte y était.
Cette fois la sagesse populaire eut raison : l’exception confirma la règle ! Il ne fallait pas s’attendre à grand-chose dans un pays traversé de maquignons et de menteurs. Du moins, c’est l’idée qu’on pouvait s’en faire à l’écoute des ragots. Chez les proches, le plus souvent, le silence fut de mise, par pudeur. Sans doute ne voulait-on pas réveiller la douleur de la veuve en évoquant la disparition de son mari. Un vague cousin à la mode de Bretagne, Bernardin, s’éclipsa en omettant de rappeler qu’il devait, lui aussi, dix briques au défunt.
— C’est Gisèle, sa femme, qui ne veut pas qu’il rembourse, expliquait Dydie comme pour l’excuser.
L’indélicat respirait tout l’ennui du commis de ministère, rougeaud, cravaté, à l’étroit dans un costard démodé, il avait l’air d’un gros nounours mal fagoté rêvant de vacances au club Med. Il passait une fois par an à l’hostellerie, pour souhaiter les vœux, car il avait gardé un usage suranné de la politesse.
Tout au long de leur vie commune, Pierre protégea Dydie des servitudes du quotidien, la dispensa des exercices comptables. La plupart des débiteurs étaient convaincus que le défunt n’avait pas mis son épouse au courant des finances domestiques. Mais redoutant les coups de langue au vitriol dont la veuve était capable, prudents, ils préféraient ne prendre aucun risque, rester discrets et s’abstenir de visites intempestives. Ils la fréquentaient de moins en moins souvent, se