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Le Rastreador: Tome II - Le Doigt de Dieu
Le Rastreador: Tome II - Le Doigt de Dieu
Le Rastreador: Tome II - Le Doigt de Dieu
Livre électronique380 pages4 heures

Le Rastreador: Tome II - Le Doigt de Dieu

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "Don Balthazar Turpide dégusta lentement un verre d'excellent cognac de France, véritable fine champagne d'une vieillesse respectable, et fit, avec l'ongle du petit doigt, tomber la cendre blanche de son cigare."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie22 janv. 2016
ISBN9782335151107
Le Rastreador: Tome II - Le Doigt de Dieu

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    Aperçu du livre

    Le Rastreador - Ligaran

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    XIV

    Comment don Baltazar Turpide entendait les affaires

    Don Baltazar Turpide dégusta lentement un verre d’excellent cognac de France, véritable line champagne d’une vieillesse respectable, et fit, avec l’ongle du petit doigt, tomber la cendre blanche de son cigare.

    – Vous avez parlé d’un second échec que nous aurions subi ? dit don Manuel après un instant.

    – Hum ! c’est vrai, fit négligemment don Baltazar, échec assez grave, même ; don Fabian de Torre-Azul est nommé ministre de la justice.

    – L’ami de don Porfirio Sandoz ?

    – Juste !

    Voto a Brios ! s’écria don Baldomero, il ne nous manquait plus que cela pour nous achever ! Et cette idée…

    – Laquelle ?

    – Ce prêt d’argent ! Sur ma foi, vous êtes fou !

    – Moi ? pas le moins du monde.

    – Oh ! quant à cela, c’est une plaisanterie, n’est-ce pas, mon ami ?

    – Je ne plaisante jamais quand il s’agit d’affaires, reprit-il sérieusement ; j’ai trouvé l’occasion d’en faire une excellente, je l’ai saisie avec empressement ; ne suis-je pas banquier ?

    – C’est vrai ; mais fournir ainsi de l’argent à notre plus mortel ennemi !…

    Don Baltazar haussa les épaules et fit une grimace ironique.

    – Vous n’entendez rien à ces sortes de spéculations ; celle-ci me rapportera deux cents et peut-être trois cents pour cent ; j’aurais été fou de la laisser échapper.

    – Mais comment don Porfirio, lui si madré, s’est-il adressé à vous ?

    – Oubliez-vous donc que tout le monde me croit votre ennemi, don Porfirio comme les autres ?

    – Il a dû s’affermir dans cette croyance en vous trouvant si obligeant ?

    – C’était précisément ce que je voulais ; j’ai complètement réussi : nous sommes intimes.

    – Ah çà, mon ami, que venez-vous donc nous conter là ? Je vous trouve charmant, sur ma parole ! fit don Manuel en fronçant le sourcil.

    – Vous êtes bien aimable, répondit don Baltazar en s’inclinant avec une de ses plus bouffonnes grimaces ; les dames me le disent encore quelquefois.

    – Le diable soit de l’homme ! il n’y a pas, avec lui, moyen de se fâcher ! s’écria don Manuel en frappant du poing sur la table.

    On se mit à rire.

    – Mais, malheureux, reprit don Manuel, réfléchissez donc que, cette fois, nous jouons notre partie suprême ; que notre force réside principalement dans notre richesse, que ces gens-là sont gueux comme des rats d’église ; ils ne savaient de quel bois faire flèche pour trouver quelques milliers de piastres, et vous avez été assez niais pour leur en prêter deux cent mille !

    – Je le crois bien ! je leur en aurais prêté le double, s’ils me l’avaient demandé.

    – Mais c’est de la folie, cela ! de l’aberration mentale ! s’écria-t-il furieux.

    – Calmez-vous, don Manuel, je vous prie, dit en intervenant don Baldomero ; je crois avoir compris la combinaison de don Baltazar et je partage entièrement son avis.

    – Et moi de même, señor, fit don Cristoval Palombo.

    – Comment, vous partagez l’avis de…

    – Don Baltazar ? parfaitement.

    – Laissez-le s’expliquer, ponctua froidement don Cornelio Quebrantador.

    Don Manuel était contraint à de grands ménagements envers ses complices, il comprit qu’en cette circonstance il lui fallait céder ; il dissimula son mécontentement et feignit de se calmer.

    – Alors, au nom du ciel, dit-il, qu’il s’explique ; je ne sais réellement plus où j’en suis, je me perds au milieu de toutes les folies que ce démon nous débite, comme à plaisir, depuis plus d’une heure.

    – Je n’ai jamais parlé plus sérieusement qu’en ce moment, cher seigneur, répondit don Baltazar avec une grimace atroce qui avait évidemment la prétention peu justifiée d’être un charmant sourire ; si vous aviez consenti à me laisser m’expliquer sans m’interrompre, vous le reconnaîtriez depuis longtemps déjà.

    – Alors parlez, mil diablos ! je ne soufflerai plus un mot.

    – À la bonne heure ainsi ; du reste, je ne vous demande que cinq minutes : ce n’est pas mettre votre patience à une trop longue épreuve, je suppose.

    – Allez, allez, supprimez les préliminaires.

    – M’y voici, mais je vous en supplie, cher seigneur, une autre fois ne soyez pas aussi impatient. Vous connaissez mieux que personne notre situation, n’est-ce pas ? Donc, vous êtes convaincu comme moi que, malgré l’étendue de nos relations, le nombre considérable de nos complices, disons le mot, et la haute position que la plupart d’entre eux occupent soit dans les affaires publiques, soit dans l’armée, soit dans le commerce, cette situation, dans tout autre pays moins excentrique que le nôtre, ne pourrait pas se soutenir je ne dis point pendant un an, mais seulement pendant six mois, car elle ne repose que sur une pointe d’aiguille sur laquelle nous sommes en équilibre ; que cet équilibre se dérange par suite d’un hasard quelconque, tout s’écroule du même coup et nous sommes perdus.

    – Cependant voilà vingt ans bientôt que les choses sont ainsi et notre puissance s’accroît tous les jours, dit don Manuel avec ironie.

    – Parce que nous sommes au Mexique et que dans notre pays, où tout marche au rebours de la logique, l’invraisemblable seul est possible et l’absurde a des chances de durée ; de plus, nous n’avons, jusqu’à présent, jamais été attaqués sérieusement.

    – Précisément à cause de ces immenses relations que nous avons su établir, et ces nombreux complices disséminés dans toutes les villes et jusque dans les moindres villages.

    Don Baltazar haussa les épaules et s’agita sur son siège en faisant une série de grimaces plus épouvantables les unes que les autres.

    – Allons, vous êtes un niais ! dit-il brutalement.

    – Hein ! fit don Manuel en se redressant d’un air blessé à cette rude apostrophe.

    – Vous êtes un niais et je le prouve, reprit l’autre sans autrement s’émouvoir ; comment, vous en êtes encore là ! vous vous imaginez bonnement que ces relations si chèrement établies, ces nombreux complices nous seront utiles à l’heure du danger ?

    – Dame ! c’est pour cela que nous nous les sommes associés, il me semble ?

    – Que vous vous les êtes associés, et non nous ; rétablissons les faits, s’il vous plaît, mon maître.

    – Qu’importe cela ?

    – Beaucoup plus que vous ne le pensez, cher seigneur ; c’est vous seul qui avez fait cela et non nous ; la plupart des chefs, et moi tout le premier, ont été opposés à cette mesure dangereuse, mais vous vous êtes obstiné, et la sottise a été faite : il est juste que seul vous en subissiez les conséquences devant le conseil ; je vous affirme que, s’il ne s’était agi que de vous, je ne me serais pas dérangé pour vous sortir de la fâcheuse position dans laquelle vous vous êtes mis ; mais, comme nous sommes malheureusement tous solidaires les uns des autres, et que votre perte entraînerait inévitablement notre perte à tous, je me suis dévoué, non à vous, mais à l’association ; voilà pourquoi j’ai agi comme je l’ai fait et pourquoi je suis venu vous rejoindre.

    – Vous ne discutez pas, vous assommez ; les injures ne sont pas des raisons ; jusqu’à présent, vous n’avez rien expliqué ni rien prouvé.

    – Patience ! j’y arrive ; d’abord, sachez ceci, c’est que tous ces complices, le moment venu, et il l’est, voudront retirer leur épingle du jeu et essaieront, par tous les moyens honnêtes ou non, de se disculper à nos dépens, afin de ne pas être entraînés dans notre chute ; pour cela, ils deviendront nos ennemis déclarés, nos dénonciateurs les plus acharnés.

    – Oh ! oh ! vous allez trop loin señor.

    – Vous croyez ? fit-il on ricanant ; eh bien, sachez que déjà ils ont commencé et que les dénonciations marchent grand train, à Mexico même.

    – Serait-il possible ? s’écria-t-il d’un air effaré.

    – Cela est rigoureusement exact.

    – Nous sommes perdus, alors !

    – Pas encore ; mais cela pourrait arriver bientôt si nous ne nous mettions pas en mesure au plus vite.

    – Que faire ? valga me Dios ! que faire ?

    – Ah ! vous comprenez enfin ! cela n’est pas malheureux ; vous y avez mis le temps.

    – Vos récriminations ne signifient rien et nous font perdre un temps précieux ; si vous êtes venu ici, c’est que vous avez un moyen de nous sauver.

    – Peut-être ! fit-il avec un ricanement sinistre.

    – Eh bien, ce moyen, quel est-il ?

    – Vous le saurez bientôt, mais laissez-moi d’abord vous exposer le plan de nos ennemis, plan fort ingénieux, très redoutable et dont vous ignorez le premier mot, ce qui fait que, sans vous en douter, vous avez jusqu’à présent joué le jeu de nos adversaires et rendu très problématique le succès de la partie si habilement engagée contre nous par nos ennemis.

    – Je ne vous comprends pas, l’association est menacée ; je dois la défendre.

    – Voilà l’erreur. Jusqu’à présent ce n’est pas l’association, mais vous seul que l’on attaque.

    – Moi ? et à quel propos ?

    – C’est incroyable, cher don Manuel, comme votre mémoire devient chaque jour plus mauvaise ; n’avez-vous donc pas quelque vieille peccadille, qu’en fouillant vos souvenirs il vous serait facile de retrouver, par exemple des enfants à vous confiés, une espèce de fidéicommis, un testament contenant certaines clauses ? que sais-je, moi ?

    – Oh ! oh ! fit don Manuel en devenant livide, est-ce donc cette affaire qu’on prétend ressusciter contre moi ?

    – Non pas ressusciter, cher seigneur, mais évoquer, ce qui n’est pas du tout la même chose.

    – Bon ! je me défendrai, n’ayez peur.

    – Je le crois, mais après ?

    – Comment, après ?

    – Dame, l’affaire une fois entamée, on emploie tous les moyens pour en assurer le succès. Ne craignez-vous pas que la fameuse association des Plateados, dont vous êtes le chef principal, ne l’oubliez pas, ne fournisse de sérieux arguments en faveur de vos adversaires ? il en a été dit quelques mots déjà ; nos ennemis, presque sans ressources, voyaient arriver avec terreur l’heure de la prescription ; ne possédant pas ou n’osant risquer les sommes considérables que nécessite tout procès au Mexique, sachant que nous comptions de nombreux amis et de chauds partisans dans les ministères et jusque dans l’entourage du président de la république lui-même, leur argent aurait été perdu sans bénéfice pour eux, car le jugement aurait été rendu en notre faveur ; vous comprenez cela, n’est-ce pas ? Telle était la situation, lorsque le pronunciamiento a tout changé, en renversant nos amis et les remplaçant par nos ennemis.

    – Pronunciamiento auquel, sans doute, ils ont aidé.

    – De toutes leurs forces ; c’était leur seule chance de succès.

    – C’est vrai.

    – Vous le reconnaissez, c’est très bien. Dès que le nouveau gouvernement fut installé, don Porfirio Sandoz, qui, il faut en convenir, est un ennemi aussi redoutable par sa haute intelligence que par son activité, a commencé par se faire nommer gouverneur de la Sonora, vous comprenez dans quel but ?

    – Vive Dios ! celui d’obtenir par la force, s’il est possible, ce qu’il ne saurait avoir par le droit.

    – Ne parlons pas de droit, nous qui nous sommes mis en dehors, cher señor, cela nous porterait malheur ; pourtant il y a du vrai dans votre observation, possession vaut titre dans un État aussi éloigné du centre.

    – Surtout quand on est gouverneur de cet État, fit observer don Baldomero, et que, par conséquent, on dispose des troupes et des tribunaux.

    – De plus en plus vrai, reprit don Baltazar en grimaçant ; mais pour obtenir ce magnifique résultat, c’est-à-dire pour se venger du seigneur don Manuel de Linares, et détruire la redoutable association des Plateados, il fallait de l’argent, beaucoup d’argent.

    – Et don Porfirio n’en avait pas ! s’écria don Manuel en se frottant les mains.

    – Personne ne sait positivement ce que don Porfirio a ou n’a pas ; c’est un Indien madré, silencieux et dont il est impossible de scruter les pensées secrètes ; ce qui est certain, c’est que, depuis quelques années, il passe pour complètement ruiné ; bref, don Porfirio se décida à engager ses propriétés de Mexico, les dernières qu’il possède, dit-on, avec son hacienda del Palmar, qui ne rapporte presque rien, pour la somme de soixante mille piastres. J’étais aux aguets, je lui fis donner l’idée de s’adresser à moi : il n’y manqua pas ; j’accueillis favorablement ses ouvertures, saisissant en apparence l’occasion de vous jouer un mauvais tour, car tout le monde me croit votre ennemi ; mais, au lieu de soixante mille piastres qu’il me demandait, je lui en offris deux cent mille, non plus comme prêt, mais comme paiement de ces propriétés, que je lui proposai d’acheter. Don Porfirio fit d’abord des difficultés ; j’insistai, enfin il céda aux conditions suivantes ; écoutez bien ceci : l’hacienda del Palmar et le palais de Mexico sont engagés entre mes mains tels qu’ils se comportent en ce moment ; mais si dans deux mois, à compter du jour de la signature de l’acte, don Porfirio ne m’a pas payé la somme totale de deux cent mille piastres versée par moi entre ses mains, plus la somme de trente-cinq mille piastres pour frais, intérêts et commission, soit en tout la somme énorme de deux cent trente-cinq mille piastres, ses propriétés demeurent à tout jamais miennes.

    – Oh ! mais !…

    – Je n’ai pas fini, il reste une dernière clause.

    – Voyons ! voyons !

    – À défaut d’argent, don Porfirio peut se libérer envers moi en me remettant le testament olographe que vous savez, en s’engageant à renoncer par écrit à toutes poursuites sur cette affaire et à ne plus attaquer dans l’avenir don Manuel de Linares de Guaytimotzin, directement ou indirectement, pour quelque cause que ce soit.

    – Voilà une affaire bien conduite ! s’écria don Baldomero enthousiasmé.

    – Parfaitement menée, appuya don Benito de Gazonal.

    – Si c’est ce que je crois, c’est bien joué, fit don Cornelio Quebrantador.

    – L’acte est signé ? demanda don Cristoval Palombo.

    – Depuis cinq jours, fit don Baltazar en grimaçant plus que jamais et se frottant les mains à s’enlever l’épiderme.

    Don Manuel regardait ses amis avec le plus profond étonnement.

    – Ce que je vois de plus clair dans tout cela, dit-il enfin, c’est que notre ennemi ne possédait pas un réal et qu’aujourd’hui…

    – Il est absolument au même point, interrompit en ricanant don Baltazar.

    – Comment ? que voulez-vous dire ?

    – Je veux dire que ce que j’avais prévu est arrivé ; d’abord il a fallu nettoyer la situation, c’est-à-dire se débarrasser des dettes criardes et se remettre en état de faire figure, monter ses équipages, etc. Soixante mille piastres ont été enlevées du coup, puis il a fallu visiter les membres du gouvernement et en obtenir sinon l’autorisation de manœuvrer à sa guise, du moins l’assurance de l’indulto complet ; cela a coûté cher, près de cent mille piastres ; de sorte qu’aujourd’hui le señor don Porfirio Sandoz, gouverneur de la Sonora, ne possède pas quarante mille piastres en caisse.

    – Ah ! ah ! et plus de moyens d’en trouver d’autres ! s’écria don Manuel ; en effet, cher señor, c’est bien joué ; agréez toutes mes excuses ; vous êtes, sur ma foi, un habile homme.

    – Merci, señor, mais ce n’est pas tout, dit don Baltazar.

    – Qu’y a-t-il encore ?

    – Vous m’avez donné carte blanche, n’est-ce pas, cher seigneur ?

    – Certes.

    – Eh bien, j’en ai usé.

    – Voyons cela ?

    – Le nouveau ministre des finances est venu me voir, se plaignant de l’état désastreux dans lequel se trouve le Trésor, du besoin extrême que le gouvernement avait d’argent comptant ; alors, je lui ai répondu que, depuis quelques mois, un vagabond, un mauvais drôle parcourait la Sonora, causant, par de sourdes menées, de graves préjudices aux habitants de ce pays, les effrayant par ses menaces, etc., etc. ; que cet individu, nommé don Torribio de Nieblas, n’était pas même Mexicain, s’était posé comme étant mon ennemi, qu’il avait fait piller deux de mes haciendas et que je désirais en être délivré au plus vite ; bref, je manœuvrai de telle sorte que je prêtai au ministre quatre-vingt mille piastres sans intérêt ; le ministre m’a serré la main et m’a promis que ma réclamation étant juste, il y ferait droit. Que pensez-vous de cela ?

    – Je pense que c’est admirable et que vous avez très adroitement paré le coup que l’on voulait nous porter.

    – Et cela d’autant plus que j’ai dans mon portefeuille une autorisation, signée du président de la république et du ministre de l’intérieur, de faire arrêter don Torribio de Nieblas et de repousser la force par la force au cas où nous serions attaqués.

    – Vous avez cette autorisation ?

    – La voilà, dit-il en la retirant de son portefeuille et la présentant à don Manuel.

    Celui-ci la saisit et la parcourut rapidement des yeux.

    – Eh ! mais, c’est tout simplement un blanc-seing que l’on vous donne là ! s’écria-t-il joyeusement.

    – À peu près, répondit don Baltazar avec une feinte indifférence.

    – Mais tout à fait, au contraire, voyez vous-même.

    – Bon, mettons tout à fait si vous voulez, je n’y tiens pas. Ainsi, vous êtes satisfait ?

    – Enchanté, c’est le mot ; je ne sais comment vous remercier ; tout cela a dû vous causer beaucoup d’ennuis.

    – L’ennui n’est rien, la réussite est tout.

    – Nous avons réussi complètement.

    – Le croyez-vous ?

    – Dame, il me semble que les faits sont là ; ce dernier papier a dû vous coûter assez cher ?

    – Mais non, pas trop, une vingtaine de mille piastres tout au plus.

    – C’est ma foi pour rien.

    – C’est ce que j’ai pensé ; mais, ajouta-t-il avec la grimace d’un singe croquant un fruit vert, j’ai un autre papier là, quelque part dans mon portefeuille, qui m’a coûté cher.

    – Bon, vous avez encore un papier, vous en êtes donc farci ? dit en riant don Manuel.

    – Eh ! eh ! vous savez le proverbe : quand on prend du galon, on n’en saurait trop prendre ; et, ma foi, je me suis laissé aller à faire cette dernière dépense.

    – Quelle dépense ?

    – Celle du papier dont je vous ai parlé tout à l’heure.

    – Très bien, et vous dites qu’il vous a coûté cher ?

    – Horriblement cher, señor, horriblement, mais je ne le regrette pas.

    – Combien donc l’avez-vous payé ?

    – Hélas ! quatre-vingt-dix mille piastres comptant.

    – Caraï ! c’est cher, en effet.

    – Vous voyez, vous me blâmez.

    – Moi ? nullement, s’écria-t-il avec vivacité, vous en auriez dépensé le quadruple que je trouverais encore que vous avez bien fait. Est-ce que je ne connais pas votre dévouement à l’association et votre amitié pour moi ! D’ailleurs, vous aviez carte blanche, et vous continuerez à l’avoir tant que cela vous plaira ; tenez-vous-le pour dit.

    – Eh bien, señor, je ne veux pas plus longtemps jouer avec vous comme un chat avec une souris, fit-il en retirant un papier de son portefeuille et le lui présentant ; voici ce que je vous gardais pour la bonne bouche ; je crois que, lorsque vous aurez lu le contenu de ce rescrit, vous ne regretterez plus vos quatre-vingt-dix mille piastres.

    Don Manuel déplia le papier d’une main fébrile et le parcourut des yeux.

    Voto a Brios ! s’écria-t-il avec explosion, ce n’est pas possible !

    – Qu’est-ce qui n’est pas possible, cher señor ? demanda don Baltazar en grimaçant.

    – Comment ? je suis nommé alcade-mayor d’Urès !

    – Capitale de l’État de Sonora, si je ne me trompe.

    – C’est vrai ; c’est un coup de maître ! mil Rayos !

    – Vous comprenez, cher señor, que nous ne pouvions pas demeurer sous le coup de l’échec que nous faisait subir don Porfirio Sandoz : il est gouverneur de Sonora, vous êtes alcalde-mayor d’Urès ; il dispose des troupes, vous de la justice ; vous êtes ainsi à deux de jeu. Comment trouvez-vous la riposte ?

    – C’est partie gagnée.

    – Telle est aussi mon opinion ; seulement, si vous me le permettez, je vous donnerai un conseil.

    – Parlez, parlez, señor ; venant de vous, il ne peut être qu’excellent.

    – Le voici, vous en ferez ce qu’il vous plaira ; don Porfirio ignore tout ce que j’ai fait et par conséquent ce que j’ai obtenu pour vous ; maintenez-le le plus longtemps possible dans cette ignorance, prenez vos mesures sans perdre un instant, mais de façon à ne rien révéler. Don Porfirio ne sera pas installé avant huit ou dix jours, j’en suis certain ; cela vous permet d’agir vigoureusement, d’autant plus qu’il ne sera pas encore en état de vous attaquer tout de suite.

    – C’est moi qui l’attaquerai.

    – Gardez-vous-en bien, au contraire, ce serait tout compromettre ; attendez son attaque ; puis démasquez brusquement vos batteries et pressez-le vivement ; cela vous sera facile, puisque toutes vos précautions seront prises à l’avance.

    – Il y a beaucoup de bon dans ce que vous dites là, señor.

    – Ce sera notre ennemi qui se fourvoiera et se mettra ainsi dans son tort, puisqu’il proclamera, pour ainsi dire, la guerre civile en troublant l’ordre, que vous êtes chargé de maintenir.

    – Ce plan de campagne est admirable ! s’écria vivement don Baldomero ; je m’y rallie entièrement.

    – Seulement, gardons le silence et agissons avec la plus grande prudence, appuya don Baltazar ; là pour nous est tout le succès.

    – Merci de votre conseil, señor ; je m’y conformerai de point en point, dit don Manuel en lui serrant affectueusement la main.

    – L’affaire sera rude, dit don Baltazar ; le jaguar, quand il est acculé, se défend jusqu’à la mort.

    – Eh bien, nous le traiterons comme les tigreros traitent les jaguars aux abois.

    – N’ayant plus rien à perdre, nos ennemis n’ont plus rien à ménager, reprit don Baltazar ; nous devons nous attendre à tout de leur part.

    – Oui, oui, cette dernière lutte sera terrible ; mais mieux vaut en finir une fois pour toutes.

    – Que comptez-vous faire ? demanda don Baldomero.

    – Je vous l’ai dit déjà, suivre le conseil de don Baltazar : ne pas perdre un instant, car c’est notre salut qui est en jeu ; mais, pour aller plus vite et être plus tôt en état de faire face aux évènements qui, d’un instant à l’autre, peuvent surgir, il faut nous partager la besogne.

    – Moi, dit don Baltazar, je vous suis inutile ici, où vous n’avez nullement besoin de banquier, au lieu que peut-être je vous serai très utile à Mexico, quand ce ne serait que pour surveiller nos ennemis et vous mettre en garde contre les trahisons, les dénonciations et tout ce que l’on tentera sans doute contre vous.

    – Parfaitement juste. Quand comptez-vous partir ?

    – Au point du jour.

    – Très bien ! Et vous, Baldomero ?

    – Don Cornelio, don Cristoval et moi, nous avons notre ligne toute tracée : réveiller l’ardeur de nos amis, enrôler tous les pirates et les rôdeurs des prairies.

    – Fort bien ; don Benito de Gazonal et moi nous nous rendrons à Urès, où il est important que nous soyons le plus tôt possible, nous vous laisserons partir en avant ; donc demain, au point du jour, ou plutôt dans quelques heures, car il est près de quatre heures du matin, chacun de nous se mettra en route de son côté.

    – Eh ! s’écria don Baltazar en grimaçant d’une horrible façon, je ne suis pas coureur des bois, moi, cher seigneur.

    – N’ayez aucune inquiétude à ce sujet, cher don Baltazar. Mon ami, je vous fournirai une escorte suffisante pour vous préserver de tout danger et qui ne vous laissera que lorsque vous n’aurez plus rien à redouter de qui que ce soit.

    – À la bonne heure ; je ne me soucierais que très médiocrement, je l’avoue, de donner dans une embuscade.

    – Vous arriverez sain et sauf, soyez tranquille ; connaît-on votre voyage là-bas, à Mexico ?

    – On me sait absent, mais on me croit à la Vera-Crux pour affaires.

    – Très bien ; il vaut mieux que l’on ignore que vous êtes venu de ce côté. Maintenant, ajouta-t-il en se levant, tâchez de dormir deux ou trois heures, je vous souhaite un bon sommeil.

    – Un instant encore, dit don Baldomero, nous oublions la question principale.

    – Bon, laquelle donc ?

    – Vous n’avez pas déterminé où sera le rendez-vous général.

    – C’est ma foi vrai, je perds la

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