Marino Faliero: Tragédie historique en cinq actes
Par Ligaran et Lord Byron
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Aperçu du livre
Marino Faliero - Ligaran
EAN : 9782335096996
©Ligaran 2015
Marino Faliero, doge de Venise
Tragédie historique en cinq actes
Dux inquieti turbidus Adriœ.
Préface
La conspiration du doge Marino Faliero est un des évènements les plus remarquables que l’on puisse rencontrer dans les annales du plus étrange gouvernement, du plus singulier peuple de l’Europe moderne : elle eut lieu en 1355. Tout ce qui touche à Venise est ou fut extraordinaire ; à la contempler on croirait être le jouet d’un rêve ; son histoire est un roman. La catastrophe du doge est racontée dans toutes les chroniques, et particulièrement détaillée dans les Vies des doges, par Martin Sanuto, cité dans l’appendice. Son récit est simple, clair, et peut-être plus dramatique en lui-même qu’aucun drame habilement travaillé sur ce sujet.
Marino Faliero paraît avoir été un homme de talent et de courage. Je le trouve commandant en chef les forces de terre au siège de Zara, où il battit le roi de Hongrie et son armée de quatre-vingt mille hommes, dont il tua huit mille hommes sans cesser de tenir les assiégés en échec. Cet exploit n’a de comparable dans l’histoire que celui de César à Alésia et celui du prince Eugène à Belgrade. Il fut encore, pendant cette même guerre, nommé commandant de la flotte, et prit Capo-d’Istria. Il alla en qualité d’ambassadeur à Gênes et à Rome. C’est dans cette dernière ville qu’il reçut la nouvelle de son élection au dogat. Son absence montrait combien il devait peu cet honneur à l’intrigue, car il apprit en même temps la mort de son prédécesseur et sa propre élection. Mais il paraît avoir été d’un caractère violent. Sanuto raconte que plusieurs années auparavant, étant podestat et capitaine à Trévise, il donna un soufflet à l’évêque parce qu’il tardait à apporter l’hostie. Et là-dessus, l’honnête Sanuto l’accable de la prédiction que Twackum fit à Square dans Tom Jones ; mais il ne nous apprend pas s’il fut puni ou réprimandé par le sénat pour cette violence. Il semble, d’ailleurs, avoir fait par la suite sa paix avec l’Église ; car nous le voyons depuis ambassadeur à Rome et investi du fief de Val di Marino, dans la marche de Trévise, et du titre de comte, par Lorenzo, comte-évêque de Ceneda. Pour ces faits, mes autorités sont Sanuto, Victor Sandi, Andréa Navagero, et la relation du siège de Zara, publiée pour la première fois par l’infatigable abbé Morelli dans les Monumenti veneziani di varia Litteratura, imprimés en 1796. J’ai consulté tous ces auteurs dans leur langue originale.
Les modernes, Daru, Sismondi et Laugier, sont à peu près d’accord avec les anciens chroniqueurs. Sismondi attribue la conspiration à la jalousie ; mais je ne trouve aucun auteur national qui confirme cette assertion. Victor Sandi dit bien, à la vérité : – « Altri scrissero che… dalla gelosa suspizion di esso doge siasi fallo (Michel Sténo) staccare con violenza ; » – mais telle ne paraît pas avoir été l’opinion générale, et Sanuto ni Navagero n’en dirent rien ; Sandi lui-même, un moment après, ajoute que – « Per altre veneziane memorie traspiri, che non il solo desiderio di vendetta lo dispose alla congiura, ma anche la innata abituale ambizion sua, per cui anelava a farsi principe indépendante. » – Le motif qui le détermina fut sans doute la grossière injure que Sténo écrivit sur le dos de la chaise du doge, et le châtiment disproportionné que les Quarante prononcèrent contre le coupable, qui était un de leurs tre capi. Il paraît, d’ailleurs, que les galanteries de Sténo s’adressaient à une des suivantes de la dogaresse, et non à elle-même, dont la réputation ne semble pas avoir subi la plus légère atteinte, et dont tous vantent la beauté et la jeunesse. Personne n’affirme (à moins qu’on ne prenne le bruit rapporté par Sandi pour une affirmation), que le doge fut poussé par la jalousie ; il est plus probable qu’il n’écouta que son respect pour elle et les soins de son propre honneur, que ses services passés et sa dignité actuelle devaient rendre inviolable.
Je ne connais point d’auteur anglais qui ait rapporté cet évènement, à l’exception du docteur Moore dans son Coup d’œil sur l’Italie ; son récit est faux, prolixe et rempli de plaisanteries grossières contre les vieux maris et les jeunes femmes. Il s’étonne qu’un aussi grand évènement ait eu une pareille cause. Qu’un observateur aussi-fin et aussi judicieux que l’auteur de Zuleco puisse s’étonner d’un fait aussi simple, voilà ce qui est inconcevable ; ne sait-il pas qu’une aiguière d’eau répandue sur la robe de mistriss Masham priva le duc de Marlborough de son gouvernement, et amena la paix déshonorante d’Utrecht ; que Louis XIV fut entraîné dans une suite d’effroyables guerres parce que son ministre fut mécontent de lui voir critiquer une fenêtre, et résolut de lui fournir d’autres occupations ; qu’Hélène perdit Troie ; que Lucrèce chassa les Tarquins de Rome, et la Cava les Maures d’Espagne ; qu’un mari insulté appela les Gaulois à Clusium et de là à Rome : qu’un vers de Frédéric II sur l’abbé de Bernis, et une plaisanterie sur madame de Pompadour amenèrent la bataille de Rosbach ; que de l’évasion de Dearbhorgil et de Mac-Marchal résulta l’asservissement de l’Irlande ; qu’une pique entre Marie-Antoinette et le duc d’Orléans précipita la première expulsion des Bourbons ? et, pour ne pas multiplier les exemples, Commode, Domitien, Caligula, tombèrent victimes, non pas de leur tyrannie publique, mais d’une vengeance particulière ; et l’ordre de faire débarquer Cromwell au moment où il partait pour l’Amérique, fut la ruine du-roi et de la monarchie. En face de ces exemples, une simple réflexion suffit, et il est vraiment extraordinaire que le docteur Moore ait pu s’étonner qu’un homme vieilli dans le commandement, qui avait rempli les fonctions les plus importantes, ait ressenti d’une façon terrible, dans un siècle barbare, la plus grossière injure que l’on puisse adresser à un homme, soit prince, soit paysan. L’âge de Faliero, bien loin d’être une objection, n’est qu’un argument de plus.
The young man’s wrath is like straw on fire.
But like red hot steel his the old man’s ire.
Young men soon give and soon forget affronts
Old age is sloow at both.
L’ire de la jeunesse est comme un feu de paille ;
Mais celle du vieillard est comme un glaive ardent
Rougi dans le foyer. Le jeune homme imprudent
Attaque à tout propos et cherche la bataille,
Et s’en repent bientôt ; le vieillard est moins prompt
À faillir, et plus lent à pardonner l’affront.
Les réflexions de Laugier sont plus philosophiques.
« Tale fù il fine ignominioso di un’uomo, che la sua nascità, la sua età, il suo carattere dovevano tener lontano dalle passioni produttrici di grandi delitti. I suoi talenti per longo tempo esercitati ne maggiori impieghi, la sua capacità sperimenta ne governi e nelle ambasciate, gli avevano acquistato la stima et la fiducia de’cittadini, ed avevano uniti i suffragi per collocarlo alla lesta della repubblica. Innatzato ad un grado che terminava gloriosamente la sua vita, il risentimento di un’ingiuria leggiera insinuo nel suo cuore tal veleno che basto a corrompere le antiche sue qualità, e a condurlo al termine dei scellerati ; serio esempio, che prova non esservi et à, in cui la prudenza umana sia sicura, e che nell’uomo restano sempre passioni capaci a disonorarlo, quando non invigli sopra se stesso. »
Où le docteur Moore a-t-il trouvé que Faliero demanda la vie ? J’ai consulté les chroniqueurs, et n’ai rien vu de pareil. Il est vrai qu’il avoua tout. Il fut conduit au lieu du supplice ; mais rien n’indique qu’il ait imploré la clémence de ses juges, et le fait de la torture semble prouver qu’il ne manqua point de fermeté. Une pareille lâcheté aurait été assurément relevée par les minutieux chroniqueurs, qui sont loin de lui être favorables ; elle contrasterait trop fortement avec son caractère comme soldat, avec le siècle dans lequel il vécut, avec l’âge auquel il mourut, comme avec la vérité de l’histoire. Je ne sache rien qui puisse excuser une calomnie ainsi lancée après coup contre un personnage historique ; c’est assurément aux morts et aux infortunés qu’est due la vérité, et ceux qui sont morts sur un échafaud ont ordinairement assez de fautes à se reprocher, sans qu’on leur en impute de nouvelles, que dément précisément cette résolution de caractère qui les a conduits à une fin tragique. Le voile noir qui remplace le portrait que Marino Faliero devait occuper parmi les juges, l’escalier des Géants où il fut couronné, puis découronné et décapité, frappèrent vivement mon imagination, ainsi que son caractère farouche et son étrange histoire. En 1819, je me mis plus d’une fois à la recherche de son tombeau dans l’église de San Giovanni et San Paolo. Un jour que j’étais arrêté devant le monument d’une autre famille, un prêtre vint à moi et me dit ; – « Je puis vous montrer des monuments plus beaux que celui-ci. » – Je lui dis que je cherchais les tombeaux de la famille Faliero, et particulièrement du doge Marino. – « Oh ! » me dit-il, « je vais vous le montrer ; » – et, me conduisant en dehors, il me montra un sarcophage incrusté dans le mur, revêtu d’une inscription illisible. Il m’apprit que ce sarcophage venait d’un couvent voisin, et qu’il avait été transporté là lors de l’arrivée des Français ; qu’il avait assisté à l’ouverture du cercueil, mais qu’il ne contenait que quelques ossements, sans que rien indiquât la fin de Faliero. La statue équestre dont j’ai fait mention au troisième acte, que j’ai placée devant l’église, n’est pas réellement celle d’un Faliero, mais celle de quelque obscur guerrier dont le nom a été perdu, quoique d’une date plus moderne.
Il y eut deux autres doges de cette famille avant Marino : Ordelafo, qui mourut à la bataille de Zara, en 1117 (où, depuis, son descendant vainquit les Huns), et Vital Faliero, qui régna en 1082. La famille, originaire de Fano, était une des plus illustres et des plus riches de la ville, qui contient les plus anciennes et les plus riches familles de l’Europe. L’étendue avec laquelle j’ai traité ce sujet, prouve tout l’intérêt que j’y porte ; que j’aie réussi ou non dans la tragédie, j’aurai du moins transporté dans notre langue un évènement historique digne d’être conservé dans la mémoire des hommes.
Je médite cet ouvrage depuis quatre ans ; avant d’en avoir scrupuleusement examiné tous les détails, j’étais assez porté à lui donner pour fondement la jalousie de Faliero ; mais, voyant que cette interprétation n’avait aucun fondement historique, et que la jalousie est une passion épuisée au théâtre, je lui ai donné une forme plus historique. J’y fus