Oxygène ou les chemins de Mortmandie: Roman d'aventures
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À propos de ce livre électronique
La prison de Mortmandie compte huit cents détenus de sexe mâle, condamnés à des peines variant entre cinq et cent ans. Une seule visite annuelle y est autorisée…
À l’aube de chaque été, Martheline, Dieudonné et tant d’autres des collines se mettent en route. C’est une manière de pèlerinage. Ils sortent de leur haute tanière de rocaille et déambulent par les chemins de poudre et de goudron, avec leurs gros souliers à clous, leurs paquets magiques et l’éclat déconcertant de leur regard de pierre. Parfois, ils exagèrent…
Bien avant de signer des titres marquants comme Le fusil à pétales, La fête interdite ou La grande nuit, Adamek avait révélé en 1970 Oxygène ou les chemins de Mortmandie à quelques lecteurs chanceux. Tout l’univers passionnant et mystérieux du grand romancier est déjà présent dans ce premier livre, introuvable depuis plus de 40 ans. On y respire d’emblée l’Oxygène vivifiant d’une œuvre riche d’une rare originalité, tant par son atmosphère sensuelle et baroque que par son chant imagé et lyrique.
Un roman d'aventures qui vous mènera sur les Chemin de Mortmandie, là où l'air est vivifiant
A PROPOS DE L'AUTEUR
Né en 1946, André-Marcel Adamek semble toujours avoir été motivé par la littérature : il arrête ses humanités pour découvrir la Provence, nourrissant l'espoir de rencontrer Jean Giono.
Il commence ses débuts en écriture par la poésie, et publie en 1965 son premier recueil. En parallèle, il écrit également des nouvelles et tient une imprimerie à Schaerbeek, puis en ouvre une autre rapidement à Namur. Lauréat de nombreux prix littéraires, André-Marcel Adamek a également fondé une maison d'édition tournée vers le régionalisme et la poésie, avant de mourir en 2011.
EXTRAIT
Quand on descend de Cormille et qu'on s'engage dans la plaine, avant le premier bourg, il y a six lieues de désert.
On l'appelle le Hasara, pour rire.
La terre est faire de poudre d'os et le vent dépose sur les pierres un filtre roux et poreux. De près, on dirait de la boue de limon asséchée. On ne sait pas très bien où le vent a été chercher ça. Les bergers disent que c'est le sang séché des collines ou la fiente rouge des oiseaux de massacre qui passent par là.
Tous les mois, il tombe juste assez de pluie pour faire pousser quelques arbres de malheur qui ne connaissent jamais la verte mollesse des feuilles et se tordent, secs et pointus, chargés de nœuds et de crevasses.
Au Hasara, il pousse du bois mort.
Ceux qui doivent passer par là profitent de la lumière du jour ou bien font le détour par Chèvremont. Il y en a très peu qui peuvent se vanter d'avoir vu le Hasara au clair de lune.
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Aperçu du livre
Oxygène ou les chemins de Mortmandie - André-Marcel Adamek
PROLOGUE
La prison de Mortmandie compte huit cents détenus de sexe mâle, condamnés à des peines variant entre cinq et cent ans.
Une seule visite annuelle y est autorisée.
Au début du mois de juin, la direction du pénitencier expédie aux familles des détenus un avis de visite.
On inscrit sur ce pâle formulaire les noms des personnes désireuses de visiter et on fait contresigner par le maire. C’est le visa pour Mortmandie.
Chaque année, on recommence.
Le libellé des formulaires ne change pas.
Vers la mi-juin, ceux qui ont leur maison derrière les collines se mettent en chemin. Ça dure parfois dix jours.
C’est une manière de pèlerinage.
Par petits groupes, ils descendent des collines avec leurs vastes paniers de paille. Ils y ont entassé des jambons entiers, des demi-meules de fromage, du chocolat, du miel et du tabac.
Sur leur passage, ceux qui savent y ajoutent parfois quelques fruits, des illustrés, un peu de beurre.
Certains leur lancent des cailloux, surtout les vieilles filles de Beauligueux et les voyous du plateau des Chéhannes.
Ils dorment dans les granges et quand on leur refuse la paille, ils s’étendent dans les champs.
On entend dire : « Les Pèlerins de Mortmandie, ce sont des drôles dans la tête. L’an passé, en revenant, ils ont traînaillé dans les bourgs. Il y a des gosses qui ont disparu. Des fermes ont brûlé. Des chevaux sont tombés malades… Les chiens les suivent, certaines femmes aussi… »
La plupart sont jeunes. Il y a un petit quart de vieux seulement, un gros quart de femmes et de filles et le reste en garçons.
Il n’y a pas de honte sur leur visage.
Une fois l’an, ils sortent de leur haute tanière de rocaille et s’en vont à Mortmandie. Ils déambulent par les chemins de poudre et de goudron, avec leurs gros souliers à clous, leurs paniers magiques et l’éclat déconcertant de leur regard de pierre.
Parfois, ils exagèrent.
L’air plus léger de la plaine leur dérange le cerveau.
Et quand, sur leur route, un nouveau venu leur demande « qui êtes-vous que faites-vous d’où venez-vous ? », ils redressent la tête et répondent simplement :
« On a quelqu’un en prison ».
I
Quand on descend de Cormille et qu’on s’engage dans la plaine, avant le premier bourg, il y a six lieues de désert.
On l’appelle le Hasara, pour rire.
La terre est faite de poudre d’os et le vent dépose sur les pierres un filtre roux et poreux. De près, on dirait de la boue de limon asséchée. On ne sait pas très bien où le vent a été chercher ça. Les bergers disent que c’est le sang séché des collines ou la fiente rouge des oiseaux de massacre qui passent par là.
Tous les mois, il tombe juste assez de pluie pour faire pousser quelques arbres de malheur qui ne connaissent jamais la verte mollesse des feuilles et se tordent, secs et pointus, chargés de nœuds et de crevasses.
Au Hasara, il pousse du bois mort.
Ceux qui doivent passer par là profitent de la lumière du jour ou bien font le détour par Chèvremont. Il y en a très peu qui peuvent se vanter d’avoir vu le Hasara au clair de lune.
— Je vous avais bien dit qu’il fallait s’arrêter à Cormille et repartir au petit matin !
La femme qui parle a des cheveux très courts et une robe légère en coton noir. Elle n’a pas trente ans mais son visage est lourd et fané, ses mains noires et dures. Elle a gardé seulement les seins droits, une grande souplesse du corps et quelque chose d’un oiseau dans la voix.
Elle traîne un panier trop lourd et change de main tous les dix pas. Aucun des trois hommes qui l’accompagnent ne pense à l’aider. C’est qu’ils ont, eux aussi, un sac bien rond pendu à l’épaule.
Il y a Dieudonné, Chamarit et Flavien. Deux jeunes, plus Flavien qui ne l’est plus tellement.
Ils laissent pousser leur barbe et leurs cheveux.
La femme, c’est Martheline. Elle dépose son panier, regarde les trois hommes et dit :
— Je ne vais pas plus loin.
— Allons, Martheline, on ne peut pas dormir ici.
— On s’arrangera bien parce qu’après, c’est le Hasara et que je n’ai pas envie de passer une nuit blanche à dénombrer les ombres qui m’entourent.
— Si tu as peur, dit Flavien, on se couchera en rond autour de toi.
— Ce sont des histoires de bergers, continue Dieudonné. Dans le Hasara il n’y a rien que du vide, du silence et un peu de vent.
— Je dis : je ne vais pas plus loin. Elle s’assied sur l’herbe, à côté de son panier.
— Allons Martheline, il faut encore bien marcher trois heures…
— On partira plus tôt demain.
— Tu sais bien qu’au tout petit matin, mes pas comptent double et que je n’ai goût à rien.
— Égoïste.
— Mais non, viens ! On se sert encore de la lumière et dans trois heures, quand il fait bleu foncé, on se couche sur place.
— Dieudonné a raison, dit Flavien.
Chamarit, lui, ne dit rien.
Il n’est jamais passé par le Hasara. Il n’a jamais quitté ses collines. Il a peur.
Autour d’eux c’est encore la végétation dense, presque charnelle de Cormille. Ils peuvent respirer le trop-plein de résine à l’écorce du sapin neuf.
Autour d’eux, c’est encore la terre, avec ses plis, ses génuflexions d’herbe et ses accidents de rocher.
La bonne terre mouillée de sève et habitée de graines, de vers et de mouches et où pourrissent les graines, les vers et les mouches des saisons passées.
Plus loin, c’est la terre entière qui s’efface. Les graines qui survivent ne font que de la poudre et du bois mort.
On dit que le Hasara est le miroir d’un autre monde.
Chamarit se décide :
— Moi, je suis de l’avis de Martheline, dit-il. Au moins, ici, il y a l’herbe pour s’allonger.
Flavien le regarde droit dans les yeux, avec un peu de mépris dans le pli de sa bouche.
— Toi, dit-il, quelque chose me dit que tu as peur et c’est bien pire que Martheline parce que tu es un homme. Du moins, je le croyais.
Chamarit serre un peu les poings, pas trop fort, pour ne pas que Flavien s’en aperçoive et relève un défi qu’il n’aurait pas lancé.
Flavien, dans sa ferme, tue les moutons et les porcs d’un coup de poing sur la tête. Et Chamarit, quand il garnit son grenier, peine sous les sacs de cent livres.
— Allons, dit Dieudonné. On ne va pas se disputer ni se faire le mal. Et puisqu’on n’a pas de temps à perdre, moi, je suis d’avis de prendre de l’avance maintenant et de s’arrêter au lever de lune. Si on commence à se reposer