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Pourquoi j'ai refusé la religion de mon mari ?: Quand la foi interfère dans le couple
Pourquoi j'ai refusé la religion de mon mari ?: Quand la foi interfère dans le couple
Pourquoi j'ai refusé la religion de mon mari ?: Quand la foi interfère dans le couple
Livre électronique414 pages8 heures

Pourquoi j'ai refusé la religion de mon mari ?: Quand la foi interfère dans le couple

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À propos de ce livre électronique

Comment résister face à la pression religieuse de son époux ?

Alice est une jeune idéaliste quand elle rencontre son futur mari, Karim. Il a la beauté du diable et obtient ce qu'il veut de ses interlocuteurs, qu’ils soient homme ou femme. Elle tombe éperdument amoureuse et l’épouse. Sa vie se voit alors bouleversée quand le jeune homme, qui travaille dans une université et est issu d’une famille de la classe moyenne, se transforme en manipulateur et veut obliger sa femme à se convertir. Pendant des années, elle va résister, intellectuellement et physiquement, à l’endoctrinement et aux lavages de cerveau quotidiens. Elle a le plus grand respect pour la religion musulmane mais elle refuse d’épouser ses dérives. Aujourd’hui, elle prend le risque de raconter ce difficile parcours avec lucidité.

Un récit fort sur l'endoctrinement religieux.

EXTRAIT :

Je me limiterai à vous raconter mon histoire personnelle. C’est ce que j’ai vu et vécu dont je veux témoigner. Mon intention n'est certainement pas de stigmatiser un peuple, une ethnie, une religion - tout au contraire. J’estime que tout exotisme nous abuse, que tout fanatisme nous nuit, et que tout être humain à droit au même respect. De nombreux Arabes, de nombreux musulmans partagent sincèrement mon avis. Ce livre a été écrit en pensant à eux et surtout à elles. Ce que je déplore, ils le déplorent aussi.

Partant du rivage, je vous emmène vers les ténèbres de mes émotions et de mes errements, que je vous livre sans tabou. N’y restez pas et laissez-moi ensuite vous ramener vers un rivage plus éclairé. Mes analyses personnelles seraient vides de sens si je ne vous livrais pas d’abord ce témoignage. Mais celui-ci serait inepte sans la prise de recul qui le suit. Le mélange des deux ingrédients est indispensable. Seul, le premier resterait amer, et le second, fade.
LangueFrançais
Date de sortie2 mars 2015
ISBN9782390090465
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    Aperçu du livre

    Pourquoi j'ai refusé la religion de mon mari ? - Alice Bromel

    pas.

    Avertissement au lecteur

    « Veuillez donc vous souvenir, en premier lieu, que ce ne sont pas toujours les lois de la raison qui guident les actions humaines ; en second lieu, que nous ne faisons pas une habitude intangible, tant s’en faut – surtout si l’on est une femme –, de porter notre affection sur des objets qui la méritent le plus selon nos amis ; et enfin, que rien n’empêche des personnages que nous n’aurions pas croisés, des événements que nous n’aurions pas vécus pour notre compte, d’être, les uns, parfaitement naturels, les autres, parfaitement vraisemblables »¹

    Je me limiterai à vous raconter mon histoire personnelle. C’est ce que j’ai vu et vécu dont je veux témoigner. Mon intention n’est certainement pas de stigmatiser un peuple, une ethnie, une religion - tout au contraire. J’estime que tout exotisme nous abuse, que tout fanatisme nous nuit, et que tout être humain a droit au même respect. De nombreux Arabes, de nombreux musulmans partagent sincèrement mon avis. Ce livre a été écrit en pensant à eux et surtout à elles. Ce que je déplore, ils le déplorent aussi.

    Partant du rivage, je vous emmène vers les ténèbres de mes émotions et de mes errements, que je vous livre sans tabou. N’y restez pas et laissez-moi ensuite vous ramener vers un rivage plus éclairé. Mes analyses personnelles seraient vides de sens si je ne vous livrais pas d’abord ce témoignage. Mais celui-ci serait inepte sans la prise de recul qui le suit. Le mélange des deux ingrédients est indispensable. Seul, le premier resterait amer, et le second, fade.

    J’espère aussi que ce périple intérieur pourra vous servir si un(e) proche vous semble tenté(e) par des promesses de « nouvelle vie » – peu importe la croyance invoquée. Ce livre peut aider d’autres personnes et, si possible, leur éviter ce parcours douloureux.


    1. Wilkie Collins, « Seule contre la loi » (préface), 1875, traduction d’Éric Chédaille, Paris, éditions Phébus, 1999.

    Du soleil plein les yeux : la rencontre

    « L’amour fournit une tunique honorable à l’assassin, à la mère de famille, au prêtre, aux militaires, aux bourreaux, aux inquisiteurs, aux hommes politiques »¹

    L’entrée en scène

    J’avais 24 ans. Je venais de me faire engager comme documentaliste dans un service social pour étrangers. Diplômée en sciences sociales, j’avais déjà travaillé dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile et le domaine m’intéressait. Laissant aux assistants sociaux leur travail d’aide individuelle, je gérais à présent une bibliothèque crasseuse mais bien fournie, ainsi qu’un important centre de documentation. Nous achetions de nombreux journaux et revues en russe, arabe, persan et dans des langues encore beaucoup plus exotiques. La bibliothèque était située juste à côté d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile et elle ouvrait chaque jour de 11 à 16 heures.

    J’ai rencontré Karim dans cette bibliothèque. Du lundi au vendredi, il venait à peu près chaque jour pour y lire des journaux en arabe et en français.

    La première fois que je l’ai vu entrer dans la bibliothèque, je suis restée muette d’étonnement : il était d’une beauté infinie. Pour ne pas perdre pied, j’ai mis un point d’honneur à ne pas le regarder. Je ne voulais pas qu’on voie l’effet que cet homme produisait sur moi. Surtout, je ne voulais pas qu’il s’en rende compte. Ainsi, pendant les deux premiers mois, jamais je ne l’ai regardé. Je me suis peu à peu habituée à son physique parfait. Enfin, j’ai pu ne rien laisser percevoir de mon admiration et regarder Karim aussi froidement, aussi sympathiquement que j’aurais regardé tout lecteur. Dans mon travail, je voulais absolument traiter tout le monde de façon identique : c’était selon moi une marque de professionnalisme. J’ai toujours détesté le favoritisme que je trouve profondément injuste et révoltant. Mon but était de considérer Karim comme n’importe quel autre lecteur, de ne jamais lui montrer que je le trouvais beau, et même de ne jamais devoir me prémunir contre sa beauté : j’avais attendu qu’elle me soit devenue habituelle.

    La vie est faite de contacts humains, et la beauté les facilite. Je voyais hommes et femmes s’écarter, s’arrêter de respirer, s’apprêter à lui faire plaisir lorsqu’il pénétrait dans la pièce. Son apparence incitait les autres à lui être agréable, lui ouvrant portes et armoires. Lorsque je regardais les lecteurs au physique ingrat, je me disais qu’ils devaient toujours mettre beaucoup plus d’énergie et de bonne volonté pour obtenir ce que Karim recevait d’emblée et si facilement.

    J’étais intimement convaincue qu’un homme aussi beau ne pouvait qu’être dénué de qualités morales. Je me disais que les beaux savent toujours qu’ils sont beaux ; ils en usent et généralement en abusent, et leur monde est différent du nôtre. Tout leur est plus facile. Ils y sont habitués depuis toujours et ils se font une idée très haute de leur propre valeur. Je m’attendais à ce que Karim soit méprisant, à ce qu’il ne respecte pas les femmes séduites, par exemple. Je prévoyais qu’habitué à être honoré par tous et toutes, il regarderait « naturellement » les autres de haut.

    Je me demandais aussi s’il avait déjà fait beaucoup de conquêtes depuis son arrivée en Europe, ce qui était fort probable, ou s’il se contentait de regarder ces pauvres connes d’Européennes tout en se préservant pour de belles vierges arabes.

    Mon bagage musulman

    Je n’ignorais pas tout de l’islam. À l’école, mes camarades de classe étaient catholiques, protestants, juifs ou musulmans. Nous n’en discutions pas beaucoup, car cela allait de soi, mais nous nous nourrissions de cette diversité de croyances et de cultures. Vers l’âge de 15 ans, j’avais demandé à être inscrite aux cours de religion musulmane dans le but d’en apprendre plus sur cette religion, puisque je connaissais déjà relativement bien les deux autres religions du Livre (ma mère était d’origine chrétienne et mon père d’origine juive). Mais le professeur de religion musulmane, visiblement effrayé par ma demande, s’est empressé de refuser. Il prétendait que ses cours étaient uniquement destinés à… prêcher à des convaincus. Qu’il me refuse à son cours était mesquin. Que craignait-il donc de ma part, cet imbécile ? J’avais retiré de ce refus frileux l’impression que, décidément, bien des traits lient les juifs aux musulmans, et la notion de « peuple élu » n’y était pas étrangère.

    J’ai compris là la différence notable entre le discours que les croyants donnaient « aux autres » et celui qu’ils tenaient à ne garder que pour eux. Ils semblaient me dire qu’on n’avait pas élevé les cochons ensemble. Or, pour un croyant, suivre des cours de religion est un moyen de s’améliorer et, partant, de s’approcher de la voie vers le paradis. Rendez-vous compte de ce dont ils me privaient volontairement ! Prôner un vague discours d’ouverture et d’œcuménisme, aller chez l’autre pour lui dire qu’on est tous frères, soit ; mais accueillir l’autre chez soi et lui montrer sa cuisine interne, il n’en était plus question. Il y a ce qu’on montre au non-musulman, et ce à quoi il n’a pas droit. Le cours de morale laïque m’apparut, depuis cet épisode, nettement plus humain, car nettement plus courageux : il montrait tout à tous.

    Heureusement, un enseignant est totalement superflu lorsqu’il s’agit d’apprendre. Me voyant interdire les cours officiels de religion musulmane, j’ai fait mon éducation « hors-piste ». J’ai énormément lu, vu des documentaires, des fictions aussi. J’ai assisté à des conférences. J’ai vu du monde et des univers. J’ai dévoré de nombreux ouvrages sur le sujet, et tout comme j’avais lu la Bible peu après mes vingt ans (qui peut se vanter d’avoir lu la Bible dans notre monde chrétien ?), j’ai aussi lu le Coran ainsi que pas mal de livres sur le soufisme (l’islam mystique, que j’apprécie particulièrement, car il fait écho en moi), sur l’islam historique, sur la vie au temps du Prophète, ainsi que des recueils de hadiths (les récits et anecdotes relatifs à la vie du Prophète et de ses compagnons). J’ai compris l’importance de lire différentes traductions du Coran, car l’identité du traducteur est cruciale.

    Ainsi, j’ai peu à peu compris ce qu’était l’islam en tant que religion (ses concepts, ses principes, son contexte socio-historique), mais j’ai aussi vu l’islam tel qu’il se pratique, ce qui change énormément d’un pays et d’une culture à l’autre. Je sais pour l’essentiel ce qu’un musulman peut accepter ou refuser et j’ai de bonnes notions des différents courants (et « lignes de parti ») musulmans.

    L’homme idéal

    À ma grande surprise, parler avec Karim s’est vite révélé être un réel plaisir. Il était très intelligent et il avait une voix de crooner. Surtout, il était poli et mesuré dans ses propos, et il avait de l’humour. Pratiquant l’islam de façon très discrète, il n’était ni rigoriste ni intolérant. D’après ce qu’il décrivait de sa vie, il était très « vieille école » dans tout ce que cela pouvait avoir d’agréable, de subtil et raffiné. Je me sentais en bonne compagnie avec lui. Il était souriant, prévenant mais aussi très discret.

    Il donnait toutes les apparences d’un homme profondément respectueux et respectable : un plaisir d’homme, le rêve de bien des mères.

    Il avait mon âge et semblait pleinement compatible avec mon univers pétri d’humanisme universel. Il semblait penser comme moi : « Paix aux Hommes de bonne volonté ». C’est ce qui ressortait de ses propos et de son attitude dans la bibliothèque. D’ailleurs, il faisait l’unanimité : tout le monde l’appréciait et l’admirait.

    Contrairement à ce que faisaient beaucoup de demandeurs d’asile (en grande majorité de jeunes hommes éloignés de leur famille), Karim ne draguait jamais. Il manifestait de la retenue avec tout le monde et ne laissait pas voir ses préférences personnelles. Cependant, il s’autorisait à se montrer plus charmant encore envers les personnes « hors sexualité » selon lui : les hommes et, d’une façon générale, les vieux, les enfants et les mal foutus. Il estimait pouvoir leur donner davantage de chaleur et de charme sans qu’ils ne le considèrent comme séducteur. L’idée de sexe était taboue et Karim craignait le malentendu. Il voulait simplement être aimable, aider et réconforter, offrir une chaleur honorable. En quelques mots, il était bien élevé et donnait l’impression d’exsuder la bonté et l’intelligence. De l’avis de tous et de toutes, il était un homme idéal.

    Nuit d’ivresses

    L’automne est arrivé. Nous nous connaissions déjà depuis plusieurs mois et une certaine complicité s’était établie entre nous. Nous nous estimions réciproquement, me semblait-il, et nous nous comprenions à demi-mots. Nous étions animés de la même volonté d’aider les autres et de secourir les moins avantagés. Au cours d’un week-end, alors que je me rendais à Paris pour un colloque, j’ai fait une recherche particulière pour Karim : il avait besoin d’un document essentiel dans le cadre de sa demande d’asile et ce document n’était disponible qu’au Centre Pompidou. J’avais fait ce travail supplémentaire sans arrière-pensée particulière, mais pour le plaisir inconscient de voir heureux ce si bel homme, et il le fût lorsqu’il reçut le précieux document de ma main.

    Un soir d’automne, nous nous sommes rencontrés hors de la bibliothèque. Un film marocain passait au cinéma : un film d’ouverture prônant la mixité des peuples. J’avais trouvé le thème intéressant et je m’étais dit qu’en parler avec Karim m’apprendrait son opinion à ce sujet. Il prônait la mixité en théorie, mais était-il prêt à la vivre dans sa vie ?

    Nous sommes donc allés au cinéma ensemble ; il me dira ensuite que c’était la première fois qu’il allait au cinéma en Europe. Après le film, nous avons prolongé la soirée dans un café où j’ai bu du vin et lui du café. Les heures ont passé.

    J’ai été très honnête, comme je le suis toujours. Je n’ai rien caché de ma vie passée. J’avais eu deux amants. J’ai brièvement décrit ces deux relations. Je n’étais pas croyante, mais agnostique. La religion ne m’intéressait pas : seul m’intéressait ce que les personnes en faisaient dans leur vie personnelle. Je buvais du vin, je fumais parfois. J’avais mes petites opinions sur un peu tout et n’importe quoi.

    Poli, souriant, montrant de l’intérêt et beaucoup d’empathie, Karim a tout entendu ce soir-là, il a tout su de moi. Nous avons continué à parler de mille choses pendant des heures. Je me demandais quelles seraient ses réactions : je n’ai vu chez lui ni colère, ni dégoût, ni mépris. De mon côté, je n’ai fait aucun mouvement qui puisse être interprété comme « allons plus loin ensemble ». C’est en traversant le parc pour me raccompagner chez moi que Karim a eu, lui, un tel geste. Il m’est tombé dans les bras et m’a serrée contre lui. Il nous était impossible de nous détacher l’un de l’autre, de laisser un seul espace entre nos deux corps. Nous étions faits l’un pour l’autre et un destin heureux nous avait enfin réunis. Nous étions follement heureux. Rien ni personne ne pourrait nous séparer.

    À la fin de cette soirée, nous avons passé ensemble notre première nuit de couple, suivie par six années et dix jours de vie commune permanente. Puis j’aurais dû mourir.

    Joseph ou le bel homme préservé

    Nous avons donc passé ensemble une première nuit, sans l’avoir vraiment prévu. Karim a pu, selon ses dires, mettre enfin en pratique tout ce qu’il avait imaginé jusqu’alors. Il m’avait expliqué, en effet, qu’il n’avait encore jamais eu de relations sexuelles de toute sa vie : il s’était préservé. Quelques femmes avaient bien eu l’audace de l’embrasser ou de se presser contre lui, mais le corps féminin, me disait-il, était pour lui un territoire encore totalement inconnu.

    Karim avait été durablement impressionné par la vie de Joseph. Selon la Bible et le Coran, Joseph était un homme d’une beauté exceptionnelle. Vendu comme esclave par ses frères jaloux, il s’était retrouvé en Égypte. Il était connu pour ses rêves prémonitoires, comme celui des sept vaches grasses et des sept vaches maigres ; en outre, il n’avait jamais connu le péché de chair car il se préservait pour son futur mariage. C’est ainsi qu’il refusa les avances de la femme de son maître. Celle-ci, furieuse, raconta à son mari que Joseph avait voulu la séduire. Karim s’identifiait fortement à Joseph et il avait, jusqu’à notre rencontre, choisi la même vie faite d’abstinence totale. À ma grande surprise.

    L’abandon de Karim fut total durant cette longue nuit. Il découvrit mon corps et l’effet produit sur son corps. Il voulut tout sentir, toucher, goûter. Son corps de fauve était en alerte. Nos deux corps semblaient prévus exactement l’un pour l’autre. Il me pénétra comme s’il l’avait déjà fait des milliers de fois. Cependant, sans que nous ne comprenions pourquoi, du sang apparut sur le drap. La virginité masculine ne fait pourtant pas saigner. Nous y avons vu un symbole. Karim, affamé et curieux, eut quatre orgasmes. Un nouveau monde venait de s’ouvrir à lui et il l’adorait.

    Au réveil, je me suis demandé avec un peu d’angoisse s’il ne regretterait pas cette folle nuit. Qui sait ? Peut-être s’était-il laissé emporter par ses sens. Je craignais que le réveil ne soit une douche froide pour lui. Lorsqu’il a émergé de son profond sommeil, je ne l’ai pas quitté des yeux, m’attendant à tout. Mais il s’est montré très poli avec moi et encore plus souriant que d’habitude. Son assurance me rassurait : il ne regrettait donc pas d’avoir couché avec moi.

    Je me trompais lourdement. En son for intérieur, Karim se disait, en réalité, qu’il avait été piégé. Il ne comprenait pas au juste de quelle manière je m’y étais prise, mais il était convaincu que je l’avais sciemment détourné de son chemin. Cependant, il ne m’en a rien dit ni montré pendant longtemps. Au bout d’une semaine, il a finalement décidé, toujours sans rien m’en dire, que je pouvais être la femme de sa vie. Jamais il ne me dira ce qu’il avait évalué en moi pour arriver à cette conclusion.

    Sommes-nous sur la même longueur d’ondes ?

    Pendant les premiers jours de notre relation, nous avons énormément discuté. Il était important pour moi que nous sachions très sincèrement à quoi nous en tenir l’un et l’autre : que veut-on, chacun, de notre vie ? Comment l’imaginons-nous ? Avec des enfants ? Quelle éducation leur souhaite-t-on ? Dans ses réponses, Karim était incroyablement ouvert et progressiste. Il voulait des enfants, élevés à l’européenne puisqu’il habitait désormais ici. Il préférait des filles, qui seraient à l’abri des pratiques patriarcales de son bled². Si on avait un jour des enfants, ceux-ci iraient à l’école laïque et au cours de morale laïque. Ils n’iraient pas à l’école coranique le samedi : il leur apprendrait lui-même sa religion telle qu’il la comprend et la pratique. Ses éventuelles filles ne porteraient pas le hidjab (le voile ou foulard) sauf si, une fois pubères, elles le désiraient sincèrement. Selon lui, un enfant devait apprendre en toute liberté et faire ensuite ses propres choix, sans la moindre contrainte. De la même façon, il était hors de question que Karim me pousse à me convertir à l’islam. Tous ces propos me confortaient dans l’idée que nous étions d’accord et que nous pouvions vivre une vie de couple heureuse et épanouissante.

    Chaque discussion me montrait que si Karim pratiquait l’islam, il n’était jamais rigoriste ni partisan des institutions musulmanes. Il pratiquait sa religion de façon souple, en fonction de sa force personnelle, et il comprenait que chacun avait ses propres faiblesses. Il m’expliqua ses positions explicitement : la religion était une histoire privée, intime, dont les institutions n’avaient pas à se mêler. Chacun devait rester libre de ses choix. Je raconterais à nos enfants ce qui est important pour moi, il leur raconterait ce qui l’est pour lui. Les enfants traceraient leur propre route, et rien ne leur serait imposé. Après tout, une religion est une croyance, et rien ne sert de l’imposer.

    Ce qui m’a le plus séduit, et de loin, c’est que Karim se présentait comme un homme de principes. Il se savait beau mais il s’en fichait : il estimait que ceux et surtout celles qui accordaient de l’importance à leur beauté étaient un peu perdus, donnant une valeur à ce qui n’en avait pas. Il tenait un discours qui ne pouvait que me séduire, car je partageais pleinement ce point de vue. Ses propos sur notre possible vie de couple et sur nos possibles enfants étaient sereins, optimistes et très sympathiques.

    Évidemment, j’avais mille et une questions, principalement liées à sa pratique de l’islam. Nous avons passé des dizaines d’heures à en parler. Les principes de Karim étaient toujours impressionnants et, de mon point de vue, estimables. Admiré de tous, il était admirable. Nous avons parlé longuement, durant des jours, des heures et des mois.

    Nous avons parlé seulement de tout ce qui semblait devoir être abordé en fonction de ce que je savais. Je n’avais certainement pas pensé à tout : j’ignorais, par exemple, que le darwinisme est refusé par de nombreux croyants (tant chrétiens que musulmans) et que le créationnisme, l’idée que Dieu a créé la vie qui n’a pas évolué, était encore crédible pour certains de mes contemporains. Je devais encore découvrir que l’idée que l’homme descend du singe était blasphématoire pour Karim.

    Suis-je assez intelligente ?

    Karim habitait dans une ville d’Europe en compagnie de son jeune frère Abdallah. Abdallah était beaucoup moins beau, beaucoup moins intelligent et beaucoup moins mature. Il avait des traits grossiers, de grosses mains potelées, des yeux torves, des kilos en trop et une intelligence d’autant plus limitée qu’il n’avait pas conscience de ces limites. Paresseux et arrogant, il était plein de certitudes et de poils dans la main. Lorsque je les voyais ensemble, j’avais du mal à croire qu’ils étaient réellement frères. Depuis leur arrivée en Europe, Karim veillait sur Abdallah, il le conseillait, le surveillait aussi et tâchait de le maintenir dans le droit chemin, malgré l’absence d’autres membres de la famille. Karim fumait devant Abdallah et le contraire était d’évidence interdit. Ainsi s’affirmait la hiérarchie au sein de la fratrie.

    Karim m’expliqua qu’il venait d’un bled, une bourgade où tout le monde se connaissait, à l’entrée du Sahara. Il y avait vécu une enfance certes pauvre mais fort heureuse, entouré d’amour et de vie. Il me raconta mille et une anecdotes touchantes ou du moins présentées comme telles. Il avait passé son enfance à se disputer avec l’une ou l’autre sœur, avec l’un ou l’autre frère et il s’entendait à présent très bien avec tous. Il les amusait et les encourageait beaucoup.

    Il avait beaucoup d’humour et pratiquait aussi l’autodérision. Au contraire d’Abdallah, il était modeste et ne se prenait pas au sérieux. Il adorait les pièces de théâtre comiques, surtout celles avec l’acteur égyptien Adelimam, et les dessins animés de Tom et Jerry. Il aimait les pizzas, la tarte au citron, le ketchup et la mayonnaise.

    Il était depuis toujours musulman pratiquant. Tout le monde l’était, dans son bled, sauf les fous qui ne respectent rien et exhibent leurs parties génitales en pleine rue. Habillé à l’occidentale, Karim ne portait jamais aucun habit traditionnel en ma présence ; il semblait d’ailleurs ne pas en posséder. Il se montrait souriant envers les femmes sans en abuser ; pour ce que j’en voyais et qu’il me racontait, son attitude n’était jamais rétrograde ni irrespectueuse. Il ne critiquait jamais mon comportement, il acceptait de me voir boire du vin et fumer en face de lui et il me manifestait de l’estime et beaucoup de sympathie. Par ailleurs, il s’était abstenu rigoureusement de faire quoi que ce soit que je puisse interpréter comme des avances avant notre fameuse première nuit commune.

    Le début de notre relation se déroulait de façon bizarre. Cela m’étonnait, mais je n’y voyais pas malice. Chaque soir, Karim venait me chercher devant mon lieu de travail et nous parcourions ensemble le chemin qui me menait vers mes cours du soir. Le court trajet ne durait qu’un quart d’heure. Nous devions sauter dans un tram bondé pour en descendre un arrêt plus loin. Il me posait chaque fois une question au moment où les portes du tram s’ouvraient pour nous accueillir, par exemple : « Deux bergers ont des moutons. Si le premier berger donne deux moutons au second berger, alors le second berger a le même nombre de moutons que le premier. Mais si le second berger donne deux moutons au premier, alors celui-ci a deux fois plus de moutons que l’autre. Combien chacun a-t-il de moutons ? ». Nous descendions du tram à l’arrêt suivant et je lui donnais ma réponse à l’ouverture des portes.

    Ce genre de discussion n’était pas romantique, mais cela nous plaisait à tous les deux. Karim tentait visiblement de s’assurer que j’étais intelligente, ce qui m’amusait. Il m’expliqua plusieurs fois qu’il mettait un point d’honneur à épouser une femme intelligente et sensible, et pas une idiote superficielle. J’avais trouvé ça charmant à l’époque. Mes capacités intellectuelles ont certainement beaucoup attiré Karim. Elles m’ont aussi permis de pouvoir lui échapper, ce qu’il apprécia beaucoup moins.

    La femme trahie ? La femme trahit !

    Karim adorait la poésie. Il pleurait en lisant ou écoutant certains poèmes. Lui-même avait écrit des poèmes révolutionnaires, patriotiques ou parlant d’amour et d’injustice. Il adorait la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum qui le mettait dans tous ses états. Cette chanteuse à la pieuse réputation, largement utilisée par le pouvoir égyptien, chantait principalement des histoires d’amours trahis, des évocations de déceptions, des états de tristesse et de solitude. Une femme triste et seule, voilà le modèle à suivre selon Karim. Il adorait aussi Abdelhalim Hafez, un chanteur égyptien contemporain d’Oum Kalsoum et dont la vie relativement tragique était connue de tous³.

    Il adorait s’identifier à ces chanteurs trahis aux destins solitaires. Lorsqu’il était adolescent, plusieurs personnes lui avaient dit qu’il ressemblait physiquement à Abdelhalim, ce qu’il considérait comme un grand compliment. À mes yeux, il ressemblait plutôt à Omar Sharif du temps où celui-ci ne portait pas encore la moustache, un homme à la vie bien moins exemplaire qu’Abdelhalim, mais dont Karim reconnaissait tout de même les talents d’acteur. Mais l’acteur n’aurait pu être son modèle.

    Mouloud, le cousin préféré de Karim, écrivait lui aussi des poèmes. Mais il menait une vie inacceptable aux yeux de Karim : il était, en effet, un grand séducteur et il avait tâté plus d’une fille au bled. Il racontait souvent à Karim de quelle façon il s’y prenait, ce qu’il arrivait à obtenir de ces jeunes filles, et Karim avait ainsi découvert que bien des filles qu’il croyait prudes et réservées, sous le chaste hidjab qu’elles ne quittaient jamais, avaient en réalité commis avec Mouloud des péchés charnels impardonnables. Dans une culture où la femme doit rester vierge jusqu’au mariage, la sodomie est pratique courante, et de nombreuses filles s’étaient ainsi laissé pénétrer par Mouloud tout en gardant leur hymen préservé pour un futur mariage. Les récits lubriques de son cousin renforçaient Karim dans sa certitude que même la femme la plus sage et pieuse en apparence pouvait être capable de la pire luxure. Dans son esprit paranoïaque, nulle femme ne serait préservée du soupçon.

    Durant toute son adolescence, Karim avait vécu amoureux de Latifa, une fille de sa classe. Il ne lui avait pourtant jamais parlé. Ils ne s’étaient jamais trouvés seuls, même en pleine rue en plein jour. Rares furent leurs regards échangés. Ils ne s’étaient jamais touchés, même du bout des doigts. Mais il lui avait écrit un ou deux poèmes qu’il lui avait fait parvenir via un facteur improvisé (un camarade de classe). Et le temps passait, année après année.

    Un jour, après des années de cet amour purement mental et onirique, il avait découvert par hasard que Latifa avait commencé une liaison avec le facteur. Karim avait été anéanti par cette double trahison : son ami, qui portait ses poèmes, et la fille qu’il aimait. Cet événement douloureux explique son attrait pour les chansons d’Oum Kalsoum et d’Abdelhalim. Il faisait confiance à cette fille, et elle l’avait trahi. Elle avait poussé le vice jusqu’à accepter de se faire palper par le facteur, vous imaginez un peu ! Il ne lui pardonnerait jamais (il était d’une rancune impitoyable). Il avait vécu toute cette histoire comme une humiliation, une blessure intime. Cela, il ne le pardonnerait jamais à aucune femme : elles porteraient toutes cette culpabilité collective. Car Karim en avait conclu, une fois pour toutes, que la femme trahit.

    Bien plus tard encore, Ahmed, un autre homme du bled, était venu le prévenir : il voulait épouser Latifa. Il savait, comme tout le village apparemment, qu’ils avaient été épris l’un de l’autre des années auparavant, et il semblait vouloir prévenir une possible concurrence ou altercation avec lui. Il était venu lui en parler ouvertement, d’homme à homme. Karim lui a alors souhaité tout le bonheur possible ; il lui a certifié qu’il ne voyait pas le moindre obstacle à ce mariage et que, d’ailleurs, jamais rien ne s’était passé entre Latifa et lui. Il a ajouté, sachant que c’était faux, que Latifa était une fille sérieuse. Il n’a fait nulle mention de l’aventure du facteur, une aventure dont Ahmed ignorait tout. Curieuse absence d’honnêteté et de solidarité masculine… car Karim ne tentait pas, par son silence, de sauver la réputation de Latifa : il la méprisait tout comme il méprisait l’homme qui envisageait de l’épouser.

    En réalité, sous des dehors charmeurs, Karim était depuis toujours méfiant et isolé. Il se contentait depuis longtemps d’observer à distance le malheur des autres, mais ne s’y impliquait pas véritablement. Il observait, jugeait et condamnait, mais jamais il ne prévenait ni ne sauvait quelqu’un, car il ne s’était, en définitive, jamais lié à personne. Par contre, beaucoup (dont moi) ont cru, et croient souvent encore, s’être liés intimement à lui. Mais il ne faisait que nous côtoyer. Il n’a, en réalité, pas d’amis, mais seulement des connaissances qui le considèrent comme un véritable ami.

    Karim ne s’était jamais remis de la trahison de Latifa et il considérait depuis lors que les femmes arabes étaient fourbes, toujours enclines à trahir les hommes. Il ne leur ferait jamais confiance et n’épouserait pas une Arabe. « Les Arabes trahissent », disait-il souvent. Il avait décidé depuis l’adolescence qu’il épouserait une Européenne. Musulmane, ça va de soi.

    Mariage religieux

    Sa grande surprise ne fut donc pas d’épouser une Européenne, mais une non-musulmane. Une vie de concubinage, par contre, lui posait de graves problèmes de conscience. Je ne voulais pas que Karim vive dans le péché et je constatais qu’il vivait très mal le fait d’avoir fauté avec moi. Il avait arrêté ses prières et vivait dans la crainte de la colère divine.

    Un musulman peut épouser une non-musulmane pour peu qu’elle soit croyante, plus particulièrement croyante d’une des religions du Livre, donc juive ou chrétienne (voir sourate 5.5 du Coran). Vu de très loin, j’étais un peu des deux. Pour en

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