C’est une vieille horloge qui sent la cire et la soupe aux choux de mémé Germaine. Dans sa caisse en merisier, un balancier en cuivre oscille avec une régularité helvétique. Tic–tac, tic–tac… Imaginez maintenant qu’avec une caméra vous filmiez ce va–et–vient et que vous projetiez les images à l’envers devant les yeux blasés de votre pote Arthur et sans lui préciser dans quel sens avait lieu réellement le balancement. Droite gauche ? Gauche droite ? Le pauvre Arthur aura du mal à trancher. Et pour cause : les deux phénomènes sont aussi crédibles l’un que l’autre. Autrement dit, pour Arthur, ils peuvent se dérouler « dans les deux sens ». Un physicien, lui, dira qu’ils sont tous les deux compatibles avec les lois de la science. Maintenant, livrez–vous à une seconde expérience. Cette fois, prudence, car si elle vient à l’apprendre, mémé Germaine ne vous le pardonnera pas, et adios la console promise pour Noël… En effet, il s’agit d’aller subtiliser l’une de ses tasses planquées dans le buffet du salon, de l’installer au sommet d’un escabeau, puis de la laisser choir sous l’œil impitoyable de votre caméra. Crash ! on n’a jamais vu des débris de porcelaine chinoise se recoller, puis s’élever dans les airs, façon Ariane 5 depuis la base de Kourou ! Suçotant sa pipe, notre physicien professionnel approuvera avec délectation : la, l’une des quatre forces fondamentales reconnues par la physique, ne permet pas à la vaisselle de s’affranchir de l’attraction terrestre ! Résumons : dans le premier cas, vous avez immortalisé un phénomène jugé réversible parce que le phénomène inverse est tout aussi possible. Dans le second, il est dit irréversible car son inverse est incompatible avec l’ensemble de nos connaissances scientifiques. Or, des comme ça, on en connaît à la pelle — une tasse qui tombe, un sucre qui se dissout, une goutte d’encre qui se dilue dans l’eau, une cocotte en papier qui brûle, un ballon d’eau qui explose, etc. Depuis que le physicien Eddington a inventé l’expression en 1927, les scientifiques disent d’eux qu’ils sont « fléchés » car ils subissent la « flèche du temps ». Une formule de poète mais qui, en vérité, porte très mal son nom. Car il n’est pas sûr du tout que ladite « flèche du temps » ait un quelconque rapport avec le temps. La chose est assez subtile à saisir et exige que l’on se cramponne quelques instants à son magazine.
L’ÉNIGME DE LA FLÈCHE DU TEMPS
Aug 23, 2023
7 minutes
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