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Du creux du monde au bout de l'enfer: Roman
Du creux du monde au bout de l'enfer: Roman
Du creux du monde au bout de l'enfer: Roman
Livre électronique239 pages3 heures

Du creux du monde au bout de l'enfer: Roman

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À propos de ce livre électronique

Après la réunification des deux Allemagnes et la dissolution de la Stasi, l'ancienne agent secret Stefi Kramer s'installe àThiers pour refaire sa vie.
Devenue veuve et flanquée de deux gosses, cette femme-caméléon gère une petite salle de spectacle moribonde. Pour s'en sortir, elle renoue avec d'anciens contacts et reprend des activités illicites qui vont plonger ses enfants dans l'horreur.
Placé en foyer d'urgence et dans un EREA, Kant va conserver une joie de vivre qui masque un profond désir de vengeance.
Ce thriller vitaminé, peuplé de personnages pittoresques et déglingués vous emmènera de Berlin à Thiers en passant par Romagnat et les Balkans. Entre espions de l'ex-RDA reconvertis dans les affaires criminelles, métal fondu et force motrice de la Durolle, il se passe de drôles d'histoires dans les ruelles étroites de la capitale coutelière.
LangueFrançais
Date de sortie27 avr. 2020
ISBN9782322226801
Du creux du monde au bout de l'enfer: Roman
Auteur

Laurent Mathoux

Mère Aveyronnaise et père Thiernois, Laurent Mathoux est né à Paris en 1962. Il vit en Auvergne, joue dans les Flying Tractors, un groupe de rock agricole et enseigne dans un EREA du Puy de Dôme. Illustration de couverture : © Marrit Veenstra Typon

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    Aperçu du livre

    Du creux du monde au bout de l'enfer - Laurent Mathoux

    30

    Chapitre 1

    Berlin, Alexanderplatz, un soir de novembre 2013.

    En arrivant devant l’horloge universelle, Markus fit une petite pause, car il était essoufflé. Son corps fatigué par les excès ne répondait plus comme il l’eut souhaité.

    Il éprouva le besoin de s’appuyer sur sa canne de marche, un véritable objet d’art au pommeau finement ciselé fabriqué par un ébéniste moldave. Il l’avait achetée après sa première grosse crise de goutte. L’article de belle facture, en bois de châtaignier, cachait discrètement en son sein une épée tranchante qu’il n’avait jamais eu l’occasion d’utiliser jusque-là.

    Bien qu’assez déserte en ce début de soirée, l’Alexanderplatz n’avait pas encore revêtu les couleurs de l’hiver. La plupart des feuilles des arbres étaient à terre à cause du vent, mais il trouvait qu’il faisait encore doux. Chez lui, dans la banlieue de Saint-Pétersbourg, il avait déjà gelé plusieurs fois ce mois-ci.

    Machinalement, il consulta sa montre de fabrication soviétique et constata qu’il avait trente minutes d’avance sur l’horaire prévu du rendez-vous.

    Tout à coup, l’aiguille du petit compteur Geiger¹ placé sous le cadran de la montre tressauta. Cela signifiait qu’il venait de croiser un quidam irradié.

    Il leva machinalement les yeux et observa les rares passants. Était-ce ce type plutôt pressé qui s’éloignait en direction de la station de métro ? Il avait tout à fait l’allure et l’âge d’un Ossi². Peut-être était-il passé entre leurs mains à l’époque où ils irradiaient à tour de bras les agents de l’impérialisme occidental ou supposés tels, dans le but de les suivre plus facilement à la trace ?

    L’idée, plutôt bonne sur le papier, s’était révélée peu concluante à terme. L’état de santé des cobayes s’était dégradé rapidement et nombre d’entre eux étaient morts de cancers. Comme ce n’était pas le but recherché, ils avaient abandonné rapidement cette méthode.

    Peut-être s’agissait-il d’un des derniers survivants de cet épisode de la guerre froide ?

    À moins que ce ne soit ce jeune type aux allures de clochard assis sur la murette avec son chien. Markus reconnaissait en lui le profil du pauvre bougre capable de risquer sa vie en assurant des opérations de maintenance au cœur des réacteurs de centrales nucléaires pour une poignée de Deutschemarks.

    Markus paraissait très satisfait de la solidité et de la fiabilité de sa montre, accessoire issu de la défunte Union Soviétique qu’il s’était offert à la belle époque. Aussitôt qu’il croisait une radiation anormale, le lourd bijou vibrait à son poignet. Très pratique pour repérer la présence d’un type déjà traité par la police secrète ou pour déterminer le degré de contamination d’un lieu.

    Il respira un grand coup et reprit son chemin en claudiquant sans plus attendre, car sa rencontre nécessitait quelques préparatifs. Il était préférable d’arriver en avance.

    Au pied de la tour de télévision, il salua le groom de service, montra sa carte VIP et s’engouffra sans plus attendre dans l’ascenseur qui le menait à la vitesse de six mètres par seconde, jusqu'au sommet.

    Tout en haut, le restaurant panoramique, Sphère construit dans une boule rappelant le satellite Spoutnik, offrait une vue époustouflante sur la capitale allemande. Summum du modernisme de l’époque, cette partie de la tour effectuait une rotation complète en une heure.

    Bien que conçu par un architecte suédois, Markus adorait cet endroit qu’il considérait comme le fleuron de l’architecture socialiste. Il reflétait parfaitement l’enthousiasme pour la technologie et l’aéronautique.

    Du projet jusqu’à l’inauguration, il avait suivi la construction de cette fusée de trois cent soixante-huit mètres plantée sur Alexanderplatz depuis 1969.

    Aujourd’hui, il appréciait avec un brin de nostalgie le charme désuet de cet endroit merveilleux qui évoquait chez lui tant de bons souvenirs. Lorsque ses affaires le menaient à Berlin, il ne manquait pas de prendre ses rendez-vous dans ce lieu mythique.

    L’imposante construction avait beau être entièrement en métal, le restaurant dégageait une atmosphère chic, agréable et feutrée. Les fenêtres inclinées pour faciliter la vue vers le sol conféraient à l’espace un aspect futuriste de feuilleton des années soixante.

    La cohue de l’été était passée, seule la moitié des tables étaient occupées par des couples et aussi par quelques touristes.

    Markus rejoignit son emplacement préféré près d’une fenêtre et malgré son embonpoint, il s’installa aisément sur le fauteuil en skaï pourpre. Une fois sa canne posée à portée de main, il s’attarda sur le paysage.

    De sa place, il contemplait la partie ouest de la ville : de l’avenue Unter den Linden qui fendait le paysage en deux jusqu’à la porte de Brandenbourg. Au-delà, c’était le parc Tiergarten, Charlottenburg, Spandau, toute une partie de l’Allemagne autrefois interdite, ennemie.

    Depuis le haut de cette tour, il avait maintes fois jeté un regard méprisant sur cette Allemagne capitaliste.

    Markus était né pendant la seconde guerre mondiale dans un pays dévasté, puis coupé en deux. Il avait grandi à l’Est, dans le terreau fertile de la révolution socialiste, à l’abri du choix, du mercantilisme et de la consommation de masse.

    En bon petit soldat socialiste, il s’était passionné pour les ordinateurs au moment où stocker des données nécessitait un espace grand comme un immeuble alors qu’aujourd’hui, ces mêmes données tiennent sur une carte SD.

    Devenu une référence en matière d’informatique en RDA, il avait vécu dans sa bulle, sans vraiment sentir que le vent de l’histoire allait tourner. Le mur de Berlin était tombé la veille de ses 53 ans. Pendant l’effondrement du bloc communiste, Russes et Américains l’avaient contacté pour lui proposer une terre d’asile à la mesure de son talent. Markus n’avait pas hésité. Se sentant beaucoup trop éloigné de la culture yankee, il avait opté pour les Russes chez qui il avait noué de solides amitiés dans sa vie d’avant. Vacciné contre le jeu de la politique, il avait mis son génie informatique au service de ce qu’il avait appris à la Stasi : le renseignement. Sans bouger de son siège, il était en contact avec un arsenal de collaborateurs éparpillés un peu partout dans le monde. Il disposait d’un éventail de sociétés diverses et variées. Quelques-unes cachaient des activités illicites et clandestines, elles étaient hébergées dans des paradis fiscaux.

    Après le cataclysme de ce funeste mois de novembre 1989 qui restait gravé dans les mémoires, il avait parfaitement réussi la culbute en embrassant le monde capitaliste à pleine bouche. Telle une abeille, il traquait les failles du système dans le but de s’y introduire et d’en recueillir le miel. Markus était capable de lancer une cyberattaque à partir d’un ordinateur appartenant à un Américain, piloté à son insu depuis Saint-Pétersbourg. Il faisait feu de tout bois et moins c’était légal, plus cela rapportait gros.

    La vieillerie l’avait rendu cynique et blasé. Aucun facteur moral ne venait troubler sa quiétude et son apathie. L’argent était le moteur, la raison d’être. Comme un animal, il suivait son instinct sans état d’âme.

    La rencontre de ce soir était importante : Markus devait mesurer le degré de trahison de sa meilleure et plus ancienne collaboratrice expatriée en France.

    Aguerri par les années d’entourloupes et de coups tordus qui se pratiquent dans le renseignement, plus rien ne l’étonnait vraiment. Pourtant, ce coup-ci, il était soucieux. Steffi, n’était pas n’importe quel agent. C’était Helmut, un de ses fidèles collaborateurs qui l’avait repérée au début des années quatre-vingt. Il avait su détecter les aptitudes de cette jeune et fraîche étudiante.

    La chose n’avait pas été évidente au départ. Bien que profondément attachée aux valeurs du socialisme, elle avait catégoriquement refusé de collaborer avec la police secrète. Il avait fallu insister et lui mettre la pression pour qu’elle consente à travailler avec eux.

    Certes, ils n’y étaient pas allés de main morte, mais en retour, le service du renseignement avait fait preuve de largesses en lui accordant de nombreux privilèges.

    Markus avait flairé le premier son énorme potentiel. Petit à petit, il en avait fait une déesse de la police secrète, un élément redoutable au service du renseignement en RDA.

    Pendant des années, ils avaient travaillé main dans la main, jusqu’à devenir par moment des amants fougueux. Ah, les années quatre-vingt en république socialiste ! Ils avaient vécu de purs moments de folie !

    Cela faisait vingt-huit ans qu’ils se connaissaient. Avec leur différence d’âge, il était comme un père qui croit tout savoir sur sa fille.

    Or, depuis quelque temps, il avait reçu des informations alarmantes à son sujet. On la soupçonnait de détourner de la marchandise, pire, de travailler pour un autre réseau. Il voulait en avoir le cœur net.

    Une décision serait prise à l’issue de cette entrevue, aussi douloureuse soit-elle.

    Réputée ponctuelle, Steffi n’arriverait que dans vingt minutes. C’était le temps qu’il fallait au restaurant pour effectuer un tiers de tour. Elle devait donc faire son entrée au moment où la vue embrasserait tout le sud de Berlin. De Tempelhof à Treptow.

    Il héla la jeune serveuse et lui commanda une flûte de Rotkäppchen, un des rares produits de la RDA qui avait survécu et conquis l’Ouest du pays.

    Lorsqu’elle revint déposer la boisson pétillante sur la table, il lui souffla dans le creux de l’oreille :

    — Dites à Herbert que Markus est arrivé.

    Herbert était le chef de rang de l’établissement. Lui aussi était passé entre les gouttes après la chute du Mur. L’idéal communiste avait volé en éclats. Les morceaux éparpillés s’étaient fichés n’importe où et avaient occasionné de terribles dégâts. Heureusement, Herbert avait été épargné par le chômage de masse qui avait explosé en ex-RDA suite à la chute du Mur. Pendant le dépeçage de la bête de l’Est, des capitaux de l’Ouest s’étaient rués sur les meilleurs morceaux. Le restaurant d’État de la Tour Télé en avait fait partie. Les nouveaux dirigeants avaient licencié l’ancienne direction et la moitié du personnel. Herbert avait échappé à la charrette.

    Pour Markus, il était resté un précieux collaborateur.

    Il remarqua avec un œil amusé la relique disposée à sa table : un vase-espion des années quatre-vingt équipé d’une caméra qui permettait de filmer l’hôte à son insu. Quelques menus détails pouvaient néanmoins troubler les plus méfiants : les fleurs qui ornaient le vase en terre cuite étaient artificielles. Elles étaient d’une si belle facture que seul un œil aguerri pouvait le déceler. Elles masquaient le volumineux système archaïque caché dans le contenant. Toutes les autres tables étaient égayées par la même décoration florale sauf qu’il s’agissait de fleurs naturelles.

    Et puis en observant attentivement le vase, le regard pouvait malencontreusement tomber sur la lentille de la caméra, pourtant discrètement intégrée au centre d’un motif géométrique à reliefs.

    Markus glissa furtivement une main sous le plateau de la table ; de suite ses doigts sentirent les fils d’alimentation soigneusement plaqués et scotchés contre le rebord. Le système était opérationnel, comme à la grande époque.

    Cela le fit sourire. Herbert était serviable et gentil, mais quelque peu naïf ! Markus se demanda combien de temps mettrait Steffi pour découvrir la supercherie…

    Elle devait se souvenir de ce vieux système et il la savait suffisamment attentive pour ne pas se laisser surprendre.

    Herbert, grand échalas sec et dégarni, sortit des cuisines sur ces entrefaites et marcha d’un pas assuré jusqu’à son pupitre de réservation. Il avait Markus sur son profil gauche, mais il fit mine de ne pas le reconnaître.

    Markus attendit que Herbert fasse semblant d’écrire en prenant un air absorbé, c’était le signal. Ensuite il entra en contact grâce à un code gestuel simple et efficace qu’ils avaient mis au point ensemble trente-cinq ans auparavant.

    Markus passa la main brièvement sur le vase comme s’il voulait s’assurer de la qualité de la porcelaine, il cligna des yeux et retira une miette imaginaire de son gilet à boutons entre le pouce et l’index.

    «Tu me fais rire avec ton vase, mais ça me touche, ça me rappelle de bons souvenirs».

    Herbert continua à écrire sans regarder Markus, mais il se mit à sourire. Markus continua la conversation : il se caressa le lobe de l’oreille, se passa rapidement deux fois l’index sous le nez puis tapota à des endroits précis sur la table.

    «Il me faut un double du trousseau de clés complet de ma cliente. Je peux la retenir environ une heure. Tu auras peu de temps…»

    Herbert s’arrêta d’écrire, ferma le registre, leva les yeux, regarda Markus et cligna deux fois des deux yeux : « Message reçu et compris».

    Ils continuèrent tous les deux à se regarder quelques instants avec affection. Tout ceci leur rappelait le bon vieux temps et leur jeunesse perdue.


    1 Appareil qui mesure la radioactivité.

    2 Habitant de l’ex RDA

    Chapitre 2

    Berlin, Spandauer Strasse, le même soir de novembre 2013.

    Yvo gara la Porsche Cayenne de location sur une place en épi de l’avenue, puis dans le silence de l’habitacle, il serra Steffi Kramer dans ses bras musclés couverts de tatouages tribaux mahorais. Elle était pâle. Il lui proposa un rail de coke avant de partir. Elle accepta.

    Une fois le nez bien poudré, elle se laissa retomber au fond du siège en cuir quelques secondes tant la pression était grande. Ce soir, c’était l’occasion unique d’éliminer Markus, le chef du réseau pour qui elle ne voulait plus travailler. C'était le bon moment; il ne fallait surtout pas le rater. Yvo lui prit doucement la main et posa dedans un étui à cigarettes lourd comme du plomb.

    Steffi savait ce que c'était, mais elle n’en avait jamais vu. Elle ouvrit légèrement l’étui, il était capitonné et renfermait une minuscule ampoule de verre. À l’intérieur, elle n’aperçut qu’une infime lueur bleutée dans la pénombre. Il s’agissait de polonium 210, un produit extrêmement toxique qui émettait des radiations cinq mille fois plus puissantes que le radium. Un millionième de gramme glissé dans une boisson ou un aliment, et les sujets les plus solides qui l’ingurgitaient étaient liquidés en quinze jours d’un cancer généralisé.

    Elle referma le lourd étui conçu pour protéger de la radioactivité et le glissa dans son sac à main.

    Pour mettre toutes les chances de leur côté, Yvo avait même sollicité les services d’un sniper bosniaque.

    Au dernier contact, le type était en train de s’installer avec son fusil à lunette infrarouge sur le toit du Park Inn, l’hôtel le plus haut de Berlin avec ses trente-sept étages et plus de mille chambres. Dans sa ligne de mire, le restaurant de la Tour Télé qui se trouvait plus haut, à deux cents mètres à vol d’oiseau.

    Encore fallait-il qu’il repère Markus de si loin…

    Tout était prévu. Yvo pourrait renseigner le sniper.

    Grâce à un micro caché dans une branche des lunettes de Steffi, il allait écouter leur conversation en direct.

    Si elle ne parvenait pas à glisser le polonium 210 dans la soirée, alors il ferait appel au tireur d’élite. Au moment où ils seraient face à l’hôtel Park Inn, elle avait juste à trouver un prétexte pour faire lever Markus et le coller devant une fenêtre. Avec la vue panoramique qu’offrait le restaurant, cela ne semblait pas trop compliqué.

    Il était temps de passer à l’action. Steffi embrassa goulûment Yvo et elle sortit de l’auto pour aller rejoindre ce bon vieux Markus.

    Dehors, il faisait un froid de canard. Silhouette gracile, elle était élégamment vêtue d’un tailleur deux pièces en cuir vert à jupe courte. Heureusement, connaissant bien la météo berlinoise, elle avait pensé à prendre son long manteau cache-poussière noir d’où dépassaient à peine les pointes de ses bottines à hauts talons. À quarante-trois ans révolus, elle était encore diablement bien roulée et avait la ferme intention d’en profiter au maximum.

    A Berlin, l’automne était bien avancé par rapport à Thiers qu’elle avait quitté la veille au matin. Là-bas au loin, dans les forêts environnantes, les arbres déployaient le panel de ses couleurs préférées. Des teintes orangées subtiles, des jaunes, des pourpres qu’elle utilisait beaucoup en peinture en ce moment. Native de Wernigerode en Saxe-Anhalt, Steffi avait poursuivi des études de psychologie à Berlin. Attirée par la peinture, elle avait passé sa jeunesse dans le quartier de Prenzlauer Berg parmi une communauté d’artistes et d’écrivains qui n’étaient presque jamais publiés, de peintres qui ne pouvaient exposer nulle part, mais qui survivaient grâce à la débrouille et à l’entraide.

    La Stasi l’avait recrutée d’une façon extrêmement brutale : des agents l'avaient enlevé alors qu'elle marchait le long du trottoir. Elle s'était retrouvée dans une cellule à Hohenschönhausen, la prison de la police secrète. Mise à l’isolement total, elle n’avait subi aucun mauvais traitement physique. Un agent de la Stasi l'avait interrogée dès son arrivée et ensuite, plus rien. Plus aucun contact avec personne. Jamais. Les quatre murs, le repas glissé à heures régulières sans un mot, une promenade quotidienne de trente minutes dans une cour minuscule, un cube à ciel ouvert et puis le pire de tout : le maintien dans l’ignorance. Ne jamais savoir à quel moment cet enfer allait cesser. Aucune information, aucune échéance, rien. Pas un crayon ni une feuille de papier pour écrire ou dessiner, aucune lecture, aucune distraction et rien pour se pendre.

    Le supplice avait duré quatre mois.

    Un matin, Markus avait ouvert la porte de la cellule. Il avait dit « bonjour » et déposé des habits propres et frais qui sentaient bon, ainsi qu’un bâton de rouge à lèvres de marque française. Il avait ajouté :

    — Tu es libre.

    Steffi était restée prostrée de longues minutes sans comprendre avant d’éclater en sanglots.

    Markus l’avait prise sous son aile. Il

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