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L’étincelle sombre
L’étincelle sombre
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Livre électronique280 pages3 heures

L’étincelle sombre

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À propos de ce livre électronique

Sept ans ont passé depuis les événements de la Chute d’Avoste, où le Haut Limier Damon Wayke a été assassiné par Kyridon Maghellan. Laissée dans un climat politique incertain, la ville d’Avoste et son influence perd en stabilité. L’archonte Madeline Weir, figure importante de la gouvernance des régions et remplaçante de Wayke, manigance pour faire avancer les choses en essayant de transformer la démocratie qui régit le pays.

À Longurast, tandis que le nouvel empereur en place projette d’étendre son territoire au nord, le Limier Faust traque un homme appelé le Maraudeur. Cherchant à ouvrir les vestiges laissés par les Invocateurs, celui-ci sera appelé à faire des découvertes stupéfiantes sur l’origine de la magie et sur les fondateurs de ces étranges stèles. Il sera également pourchassé par Walid, jeune adolescent longarien qui rejoint un groupe anti-magie appelé la Mangouste, et qui devra trouver son courage dans cette quête beaucoup plus grande que lui.

L’univers de l’Étincelle Sombre est un monde fortement politique, où de grands empires sont dans des périodes clés de leur existence, et où la magie est un problème social plus qu’un élément d’action. Visuellement, il s’agit d’une époque plus près de l’époque industrielle que du médiéval-fantastique. L’humour, bien que dosé au travers d’une intrigue plutôt sombre, est également un morceau assez important du roman.
LangueFrançais
Date de sortie9 déc. 2019
ISBN9782898031823
L’étincelle sombre
Auteur

Émile Lafrenière

Émile Lafrenière est un auteur et scénariste québécois ayant d’abord évolué sur de nombreux projets audiovisuels. Il signe ici son tout premier roman fantastique avec La Chute d’Avoste, réalisant cette ambition de longue date de s’attaquer aux codes de ce genre si particulier. Son univers emprunte au roman noir et au rétrofuturisme pour façonner une épopée politique teintée d’une ironie attachante.

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    Aperçu du livre

    L’étincelle sombre - Émile Lafrenière

    d’Avoste…

    Prologue

    Le sable se levait à l’horizon. Un silence de mort planait sur les dunes alors que le chaos s’exhibait droit devant. Le vent élaborait harmonieusement un long tube de particules autour d’un point fixe, s’acharnant à protéger ce qui semblait être un grand monolithe. Posé au milieu de nulle part, le montant de pierre s’effaçait graduellement du paysage pour laisser place au nébuleux nuage de sable, qui gagnait toujours en intensité. L’homme releva son foulard par-dessus sa barbe fournie, se préparant à l’inévitable. Les tempêtes étaient fréquentes et redoutables dans cette région du Désert noir, mais le phénomène qu’il avait sous les yeux n’avait rien à voir avec la météo. Fouillant dans son sac en bandoulière, il en retira une paire de lunettes de protection, ainsi qu’une petite pierre circulaire qui avait en son centre une émeraude taillée scintillant faiblement : le Débrouilleur.

    L’individu resta immobile un instant, regardant le mécanisme de protection se déployer. Puis, muni de son long bâton de marche, il se mit en route en direction du tourbillon en installant soigneusement les verres fumés sur ses yeux. Une bonne heure de marche le séparait du maelstrom, mais l’homme appréhendait déjà les assauts du sable sur sa peau. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait face à ce genre de maléfice. Il accéléra le mouvement, pour bientôt se mettre au pas de course malgré les épais vêtements qu’il portait. Plus la distance qui le séparait du monolithe diminuait, plus le tourbillon se consolidait pour former une coque complètement opaque qui continuait sa rotation frénétique. Un avertissement, un ultimatum. Toutefois, l’homme ne ralentissait pas la cadence. Le front en sueur, l’étoffe de son manteau balayant le sable derrière lui, il fonçait vers la gueule du loup à pleine vitesse.

    D’épais nuages traversèrent le soleil pour assombrir les dunes. La température se mit alors à chuter rapidement, très rapidement, jusqu’à frigorifier l’homme dans sa tentative d’approche. Les gens qui avaient élaboré ce système savaient pertinemment ce qu’ils faisaient. La sueur se mit à geler sur le visage de l’homme, formant du givre autour de ses lunettes et de la neige sur le dessus de sa moustache. Au loin, on voyait que le cercle d’ombre couvrait à peine l’espace autour de la stèle, alors que le soleil continuait de frapper le reste du désert avec son ardeur habituelle. Seuls ceux qui osaient s’approcher du monolithe subissaient ses artifices magiques. Mais l’homme, bien que grelottant, n’était pas impressionné. Sa course le rapprocha de la coque qui se déchaînait avec une violence renouvelée, continuant de solidifier son inexpugnable rempart autour du monument de pierre. Il n’était plus qu’à quelques dizaines de mètres, et l’air se brouillait déjà autour de lui, l’assénant de milliers de grains de sable gelés qui virevoltaient partout. Agitant ses mains au-dessus de lui, il créa une onde éolienne qui s’installa autour de son corps pour repousser la tempête. Chaque pas devenait difficile, tant la force des rafales était déstabilisante. Maintenant nez à nez avec la barrière de sable, son bouclier éolien se brisa dans l’accélération du tourbillon, faisant trébucher l’homme en l’entraînant avec lui. Il mordit la poussière à plusieurs reprises, traîné par le courant qui le faisait rebondir contre la surface sableuse. Il lâcha un cri, puis posa un pied au sol, s’aidant de sa magie pour garder l’équilibre. Le mage essaya alors une nouvelle fois de passer au travers de la coque, brandissant une autre protection éolienne devant lui. Le contact fut brutal. Les poings serrés, les traits tirés, il continua de pousser de toutes ses forces, arrivant à percer la couche externe du tourbillon. Il fit un pas en avant, regardant à ses côtés le sable frapper son bouclier avec véhémence. Si son sortilège se brisait à nouveau, il ne survivrait probablement pas au contrecoup. Il fallait qu’il garde son calme et sa concentration malgré l’épuisement. Ses mains étaient recouvertes de cristaux métamorphiques, et chaque enjambée devenait progressivement plus ardue. Un ultime effort, un saut désespéré. L’homme bondit, arrivant à traverser les derniers mètres qui le séparaient de son but. Une ouverture se forgea dans la coque au même moment que s’éclipsait son bouclier, le projetant droit devant, face contre le sable.

    Il toussa à plusieurs reprises pour expulser le sable qu’il avait respiré par mégarde, et ce, en dépit du foulard qu’il portait. La toux devint rapide, au point où l’homme manqua d’air. Enfin, ses voies respiratoires se libérèrent, lui permettant de reprendre un souffle continu, bien que saccadé. Épuisé, des engelures sur les doigts, le mage resta étendu au sol plusieurs minutes. À sa grande surprise, le sable était chaud. Un réconfort absolument nécessaire après une telle épreuve. Un bourdonnement résonna sur toute la zone alors que la barrière ralentissait son allure, relâchant de grandes quantités de matière de son attraction. La barrière s’effrita avant de complètement se dissiper. Le test s’avérait réussi.

    Bientôt, les nuages laissèrent de nouveau place à la chaleur étouffante du désert, qui était désormais la bienvenue. L’homme s’ébouriffa les cheveux pour enlever le sable qui recouvrait sa tête, et retira ses lunettes en se remettant sur pied. La stèle se trouvait juste devant, à quelques mètres à peine. Néanmoins, il avait l’étrange impression qu’il n’était pas encore au bout de ses peines. Il s’approcha pour inspecter les inscriptions en longarien qui recouvraient le monument entièrement cubique. Il s’agissait de la langue de la région, mais également de celle de la magie, que le mage n’avait maintenant aucun mal à lire.

    Honte à ceux qui ne cherchent pas la connaissance, car la dévotion aveugle est leur plus grande faute.

    Accueillant message, pensa l’homme, qui arrêta sa lecture en constatant que les autres phrases semblaient être dans le même ordre d’idées. Un ton en somme assez similaire aux autres ruines qu’il avait visitées plus tôt. Il reprit en main le Débrouilleur, dont l’émeraude émettait maintenant une vive lueur verte, et le colla contre la paroi du monolithe. Comme il l’avait espéré, un mécanisme s’enclencha, activant une trappe qui aspira le sable aux alentours avant de progressivement révéler un escalier de pierre s’enfonçant sous la stèle. L’homme descendit. Les sens aux aguets, les yeux balayant le passage devant lui, il s’attendait à ce que d’autres pièges plus dangereux encore lui barrent la route. Il arriva pourtant au bout de l’escalier sans affronter d’obstacle particulier, à l’exception de la porte massive qui sécurisait l’entrée de la fosse. Le Débrouilleur s’occupa d’illuminer d’autres cristaux incrustés dans la pierre, tandis qu’une phrase prononcée en longarien termina le processus de déverrouillage. D’un seul mouvement, la porte glissa vers le sol dans un lourd vrombissement dont l’écho résonnait dans le long couloir dissimulé derrière. L’obscurité noyait l’endroit.

    — Vrenden, prononça l’homme de sa voix éraillée.

    Un orbe lumineux et verdâtre quitta alors la paume de sa main pour progresser à quelques mètres dans le passage, illuminant les parois sur son chemin. Celui-ci s’éloigna plusieurs secondes durant, sans que le fond de la cavité soit dévoilé. Les secrets qu’il était venu chercher se trouvaient désormais à sa portée…

    I

    Le quartier d’Abdurazen se situait à l’extrême ouest du centre de Longurast. Vivant, animé, on y trouvait toujours quelque chose d’intéressant à faire ou à acheter. Habité principalement par les voyageurs de passage ou par les pèlerins qui venaient jouer aux touristes, le quartier foisonnait d’auberges et de cafés pour les accueillir. C’était un terreau tout à fait fertile que les entrepreneurs cupides de la ville se chargeaient d’exploiter sans vergogne. L’un d’entre eux, un étranger, possédait depuis peu un petit débit de boisson à la frontière des murs de la cité : l’Asli. Extrêmement fréquenté à toute heure de la journée par une clientèle particulièrement nantie, c’était surtout en matinée qu’on avait du mal à trouver une table, ou même un siège au comptoir. Dans le brouhaha général et l’odeur de narguilé, le patron accueillait lui-même les voyageurs pour les asseoir, et les refuser lorsque l’endroit était bondé ; une routine qui s’était rapidement installée tant l’établissement se voyait victime de son succès. Derrière le comptoir, l’un des serveurs, prénommé Walid, était de service ce matin-là. Âgé d’à peine dix-sept ans, le jeune homme travaillait au café depuis maintenant deux saisons ; un emploi qui lui permettait de manger à sa faim et d’avoir, la plupart du temps, un toit au-dessus de la tête.

    L’adolescent passa sa main sur le dessus de son crâne rasé pour y éponger la sueur, et posa une dernière tasse sur un plateau qui en contenait déjà trois. Défilant entre les tables, il récupéra quelques pièces de monnaie laissées derrière par des clients, puis servit les quatre thés commandés tout au fond.

    — Vokh’rè, le remercia l’un d’entre eux.

    Walid lui renvoya la politesse avant de revenir sur ses pas, le plateau vide. Sur le chemin qui le séparait du comptoir, un étranger qui portait une armure en cuir riait de bon cœur avec ses collègues, tout en désignant sa tasse de café. Son rire gras et moqueur intrigua le serveur, assez pour que celui-ci vienne s’enquérir de la situation. Il se pencha pour les interroger en longarien, afin de savoir si tout était à la convenance de ses clients.

    — Je croyais que je t’avais demandé un café court, fit le gaillard. Tu as l’air d’avoir laissé couler une baignoire dedans. Pourtant, il me semble que l’eau se fait rare ici, non ?

    Walid se mordit la lèvre, ayant besoin d’un peu de temps pour analyser la longue phrase de son interlocuteur dans la langue commune. Il reconnut l’accent du Nord. Probablement issue des environs d’Avoste, se dit-il. Sans mâcher ses mots, le garçon essaya de répondre le plus rapidement possible, d’un ton pourtant rempli d’hésitation.

    — Auriez dû mieux préciser, dit-il.

    Un silence plana alors que l’homme toisa le serveur, ignorant complètement les erreurs langagières de l’adolescent.

    — Parce qu’il est insolent en plus ? Elle est pas mal celle-là !

    Le client lui offrit un sourire dédaigneux en échangeant des regards complices avec ses accompagnateurs. Deux soldats en armures complètes, estampillées d’une effigie qui ne disait rien à Walid.

    — Tu sais à qui tu t’adresses, au moins ? poursuivit l’homme.

    Le garçon à la peau d’ébène haussa les épaules, admettant son ignorance.

    — Je suis un représentant du Magistère en affaire officielle. Et si servir un café aussi mauvais était un crime, tu descendrais rapidement au trou, tu peux me croire !

    Walid prit à nouveau un moment pour assimiler le sens de chacun des mots de l’homme, comprenant finalement qu’il s’agissait d’une plaisanterie. Il hocha la tête en fronçant les sourcils, embarrassé par ses lacunes linguistiques. Normalement, la plupart des clients parlaient couramment longarien, et provenaient des villes adjacentes à Longurast. Ceux qui effectuaient la traversée du Désert noir pour venir jusqu’au sud se faisaient rares, car, en plus de l’éloignement géographique, la situation politique des dernières années à Avoste avait limité les déplacements de plaisance de beaucoup.

    — Allez, dégage ! Et va m’en chercher un autre pendant que t’y es.

    Le serveur resta parfaitement immobile, servant même à l’officier un air de défi.

    — Vous n’avez toujours pas payé celui-là, dit-il.

    La conversation avait attiré l’œil curieux de plusieurs clients des tables environnantes, qui essayaient de leur mieux de faire la sourde oreille. L’homme posa calmement sa tasse et se leva d’une seule traite pour empoigner Walid par le col, avant d’élever son autre main pour y faire apparaître un arc électrique rougeoyant qui s’étendait jusqu’à ses doigts. Les deux soldats à ses côtés se précipitèrent sur lui pour le calmer. L’un d’entre eux posa sa main sur son épaule avec diplomatie.

    — Laisse tomber, Faust. Je ne suis pas certain que Weir serait fière d’apprendre que tu as buté un civil sans nom dans une taverne minable…

    Absolument terrifié, Walid retenait de toutes ses forces le bras de son agresseur, essayant de se défaire de l’étreinte suffocante de l’homme. Il constata alors qu’il ne venait pas d’insulter un quelconque fonctionnaire, mais bien un membre de la division des Limiers. Et malgré les avertissements de ses collègues, celui-ci continuait de menacer le serveur en resserrant sa poigne robuste.

    — Limier Faust, ça suffit !

    L’autre soldat porta sa main à sa ceinture pour y prendre un court bâton métallique à l’extrémité sphérique. Un koudro, utilisé pour maîtriser des mages et bloquer leur connexion à la magie. Walid avait vu la milice de la cité en employer par le passé. Mais juste avant que le soldat n’ait la chance de s’en servir sur le Limier, celui-ci relâcha le garçon et réintégra son sortilège à l’intérieur de sa paume. Il s’esclaffa.

    — Allons, allons ! On ne va pas s’énerver pour un café de merde, hein ?

    Il donna une amicale tape dans le dos de l’adolescent pétrifié, et se retourna en riant vers les soldats, qui restèrent de marbre devant l’étrange spectacle. Faust prit la bourse qui traînait sur la table et en retira une large poignée qu’il tendit à Walid, toujours avec le sourire. Remarquant que tout le café avait arrêté son activité pour se retourner vers lui, le serveur accepta le paiement, les mains tremblotantes. Evran, le propriétaire de l’établissement, se rua sur son employé pour le ramener derrière les cuisines, se confondant en excuses à chaque client qu’il croisa sur son chemin. Loin des regards, il poussa Walid dans l’arrière-boutique, entre des sacs de café et un grand baril d’eau. Le jeune homme baissa les yeux au sol, désolé d’avoir ainsi fait du tort au commerce de son patron.

    — Nem’rè, dit-il faiblement.

    Le propriétaire posa ses mains sur ses hanches.

    — Ah, oui ! Tu fais bien de t’excuser, petit con. À quoi tu pensais ?

    — Je… sais pas.

    L’homme soupira. Il avait visiblement du mal à être en colère contre Walid.

    — Bon, c’est pas grave, dit-il. Fais juste gaffe à ta langue la prochaine fois qu’on t’abordera comme ça. T’as fait des progrès, mais c’est facile de s’emmêler les pinceaux.

    Walid acquiesça, même s’il n’avait pas compris le lien avec la peinture dans la phrase de son employeur. Le propriétaire de l’Asli lui avait enseigné beaucoup sur le langage du Nord — principalement parce que lui-même éprouvait du mal à saisir les subtilités du longarien —, mais le serveur se montrait tout de même reconnaissant de pouvoir être capable de s’exprimer ainsi dans deux langues. Evran fit volte-face pour retourner au comptoir, mais fut arrêté par l’adolescent.

    — Monsieur, pourquoi eux peuvent utiliser magie ?

    — La magie, le corrigea-t-il. Bah… Ils s’occupent des mages en faute que leur police ne peut pas appréhender. Combattre le feu par le feu, en quelque sorte.

    — Et… pourquoi ils sont là ?

    — Écoute, j’en sais rien. Ce que je sais, c’est qu’on manque de tables et qu’il y a cinq personnes qui attendent devant l’estancot. Allez !

    Le reste de l’avant-midi se déroula sans incident. Le Limier Faust et son escorte quittèrent le café dans le calme, et aucun autre client n’eut envie d’indisposer le jeune Walid. N’empêche que, jusqu’à la conclusion de son quart de travail, l’adolescent ne put s’empêcher de repenser à la puissance démesurée que ce genre d’individu avait en sa possession. Même entraîné, même contrôlé, un Limier comme lui était une menace pour quiconque s’opposait à son pouvoir : il en avait fait les frais aujourd’hui. Encore heureux que ces hérésies surnaturelles fussent bannies plus sévèrement dans le périmètre de Longurast, pensa-t-il.

    Le soir venu, Evran attendit que les clients à la traîne terminent leurs boissons avant de fermer la porte à clé. Walid et sa collègue Sabra effectuaient leurs tâches de nettoyage dans la bonne humeur, blaguant sur les clients les plus excentriques de la journée. Inévitablement, le Limier Faust et sa garde rapprochée étaient arrivés sur le tapis, la simple mention de son nom faisant presque frémir le serveur. Le propriétaire de l’Asli s’avança vers eux avec les yeux gros, ayant visiblement capté en partie leur conversation dans la langue du Sud.

    — Sabra, arrête de l’embêter avec ça, et va plutôt t’occuper d’aller remettre du bois dans le feu à l’étage.

    La jeune femme acquiesça, puis abandonna son balai avant de s’éclipser dans l’escalier menant aux appartements du personnel. Evran s’approcha du comptoir, posant son regard fatigué sur son employé.

    — Je compatis avec toi. Je sais que ce n’est pas ta première mauvaise expérience avec l’un de ces chiens…

    Il pointa le ventre de l’adolescent. Sous sa chemise, Walid savait exactement à quoi le propriétaire faisait allusion. Sa peau, déformée sur son flanc droit, portait encore les cicatrices d’un accident survenu plusieurs années auparavant. Un mage clandestin qui essayait de résister à son arrestation par la milice avait invoqué un sortilège de feu en pleine rue, blessant accidentellement les passants qui avaient eu la malchance de se trouver dans les environs. L’adolescent, alors âgé d’une dizaine d’années, s’était estimé heureux de s’en tirer en un seul morceau. Ses proches, eux, avaient eu un peu moins de chance. La tête baissée, Walid se demandait comment son patron pouvait avoir fait le rapprochement entre sa blessure et une attaque magique.

    — Je n’ai jamais dit.

    — J’ai deviné, répondit simplement Evran. On a tous, de près ou de loin, subi ce genre de tort. Quand j’étais à Avoste, il y a quelques années, il y avait des gens bien, décidés à mettre fin aux Limiers et à ramener tout le monde sur un pied d’égalité.

    — Qu’est-il arrivé ?

    — Plusieurs ont été chassés et arrêtés par le Magistère, d’autres tués par la police. Pourquoi penses-tu que je suis venu à Longurast ? Ici, vous avez de vraies solutions pour nous protéger contre ces monstres.

    Walid mit un moment pour tout comprendre, mais finit par acquiescer. Evran avait donc été témoin de ces événements dont tout le monde parlait. Nombreuses étaient les versions colportées un peu partout au sujet de la Mangouste, et l’adolescent ne pensait jamais rencontrer quelqu’un qui avait été présent lors de leurs actions. Ce groupe anti-magie, qui souhaitait d’abord s’opposer à la volonté du Magistère de conserver les activités de la division des Limiers, s’était rapidement radicalisé dans ses revendications. D’abord pacifistes, on racontait que leurs actes avaient glissé vers une vague de crimes sans précédent contre les mages, allant jusqu’au meurtre. Pourtant, personne ne pouvait être certain des véritables moyens déployés par le groupe, puisque plusieurs têtes brûlées avaient également agi en leur nom. Les tensions se multipliant, des combats éclatèrent un peu partout, plongeant la cité d’Avoste dans un état d’instabilité pendant plusieurs mois. Tous les citoyens associés de près ou de loin au mouvement anti-magie furent pris pour cible par les autorités, tandis que les Limiers poursuivirent leur opération sous tutelle. Chose certaine, la relation des citoyens du Magistère avec leurs mages était loin d’être guérie, et aucune solution ne semblait se présenter, du moins d’après le peu de nouvelles qu’ils recevaient au Sud.

    Ici, même si les méthodes longariennes pour lutter contre la magie pouvaient parfois être considérées comme cruelles, elles demeuraient peut-être l’unique solution pour restreindre des gens aux pouvoirs aussi dangereux. Une solution préférable au chaos. C’était à se demander pourquoi l’Empire tolérait la présence de Limiers tels que Faust entre les murs de sa capitale. Du moins, aussi peu de temps après les répressions excessives commises par le Magistère contre les citoyens ordinaires de leur ville.

    De plus, les têtes dirigeantes d’Avoste et leur autorité soi-disant suprême avaient l’audace de demander aux longariens de se joindre à leur fédération. Walid ne saisissait pas toutes les implications politiques de la situation, mais il en savait suffisamment pour savoir que l’Empire ne se rattacherait pas au joug du Magistère, tandis qu’Avoste était encore en train d’éteindre les feux qui avaient consumé ses propres quartiers.

    — Pourrait faire plus pour les arrêter, pensa Walid à voix haute.

    — Oui, ça tu as bien raison.

    II

    La main sur la garde de son épée, les yeux aussi tranchants que la lame qu’il portait, le Limier Faust poursuivait son

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