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La chute de l’étoile - Tome 1: Un retour précipité
La chute de l’étoile - Tome 1: Un retour précipité
La chute de l’étoile - Tome 1: Un retour précipité
Livre électronique536 pages6 heuresLa chute de l'étoile

La chute de l’étoile - Tome 1: Un retour précipité

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À propos de ce livre électronique

Une étrange étoile illumine soudain le ciel et s'écrase sur Bordeaux, plongeant Jules, encore marqué par sa récente rupture, dans une expérience de mort imminente. Ce choc le transforme profondément. Les radiations de l’étoile confèrent d’étranges pouvoirs à certains humains à travers le monde : on les appelle les héristars. Trois ans plus tard, Jules est contraint de retourner à Bordeaux, sa ville natale maudite, à la recherche de son amie Lucie, disparue mystérieusement, ravivant un passé sombre et douloureux dans un monde transformé par l'influence de cette étoile.




À PROPOS DE L'AUTEUR



Adrien Zervo prend la plume afin de partager son univers fantastique, élaboré à partir de sa passion pour les superhéros.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie6 nov. 2023
ISBN9791042207182
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    Aperçu du livre

    La chute de l’étoile - Tome 1 - Adrien Zervo

    Prologue

    Une météorite surgie de nulle part

    Il entendait des pas. Des va-et-vient incessants. Le plancher n’arrêtait pas de craquer. En fond sonore, une voix monotone, sans doute celle d’un journaliste. Il ouvrit les yeux. Allongé sur le canapé rouge du petit salon, avec la télévision pour seule lumière, il n’avait strictement aucune idée de l’heure qu’il pouvait être.

    Soudain, la porte s’ouvrit et son père fit irruption dans la pièce, l’air inquiet.

    — Jules, tu vas être en retard.

    — De quoi tu parles ? demanda le jeune homme d’une voix faible.

    — Il est neuf heures. Tu as cours dans trente minutes.

    Le fils aîné de la famille Domaire prit une grande inspiration pour éviter de se mettre en colère.

    — Papa, on est samedi.

    Embarrassé, Yves ne sut quoi répondre. Afin de ne pas perdre la face, il décida d’ouvrir les volets et les rayons du soleil envahirent la pièce. Dehors, un temps magnifique faisait presque oublier l’orage de la veille. La lumière se faufilait dans chaque recoin de la pièce, dévoilant la poussière qui planait au-dessus des meubles.

    Ses yeux lui faisaient affreusement mal. Trop d’éclairage d’un coup. Il les frotta énergiquement et quitta le canapé.

    Premier réflexe : consulter son téléphone portable. Des mails. Des pubs. Un courriel de son professeur de « Cultures de la communication ». Jules leva les yeux au ciel. Encore du travail, soupira-t-il intérieurement. Retour au menu principal. Pas d’autres notifications. Et surtout, pas de SMS de Camille Rispal. Tu t’attendais à quoi ?

    Blasé, il reposa son mobile sur la table basse, se dirigea vers la cuisine et se servit un bol de céréales. Sa petite sœur, Adèle, le dévisagea avec dédain. Jules portait un tee-shirt bleu ciel avec en son centre un imposant logo du bouclier de Captain America, un caleçon rouge, des chaussettes dépareillées. Sa coiffure avait pris les plis des coussins du canapé… Il faisait peine à voir.

    — C’est toi qui me déposes au Conservatoire ? demanda Adèle à son grand frère.

    — Peux pas, répondit-il en se rongeant les ongles. Je dois voir Naya.

    Jules emporta le bol de céréales dans le petit salon. Le regard vide, il gobait la télévision. Il changea de chaîne, machinalement. Après le JT du matin, le Téléachat. Il zappa une nouvelle fois. Tfou et les Totally Spies. Toute sa jeunesse. Il avait beau changer de programme, rien ne pouvait le distraire. Peut-être que l’information en continu lui ferait oublier ses problèmes durant quelques secondes ?

    Place à une émission culturelle. Une journaliste dévoilait les bandes-annonces des prochains films : « Cinéma à présent : les fans de Star Wars attendent avec impatience la sortie du septième volet de la saga, intitulé Le réveil de la Force, qui sortira en décembre prochain, presque quarante ans après Un nouvel espoir. Alors qu’un autre extrait est attendu dans les prochains jours, le réalisateur J. J. Abrams a fait savoir… »

    Mauvaise pioche, se dit Jules en songeant à ce qu’auraient été ses prochaines vacances. Il fouilla dans les tiroirs de la commode et sortit une enveloppe kraft qui contenait deux places pour la Comic-Con de Paris¹. Une pour lui et une pour son meilleur ami, Florent Folio. De rage, il les déchira. Au même moment, sa mère entra dans la pièce.

    — C’est la première fois que je te vois en dehors du canapé, dit-elle avec une pointe d’ironie.

    Son sarcasme l’agaçait. Elle ne comprenait pas le dixième de ce qu’il traversait. Jules s’était enfin décidé à reprendre sa vie en main après sa rupture avec Camille. Mais à l’heure actuelle, passer ses après-midi allongé sur le sofa à visionner des téléfilms niais, c’était son seul réconfort. Durant ces quelques instants, il ne pensait pas à leur séparation et c’était pour lui une grande bouffée d’air frais.

    — Tu ne dois pas déjeuner avec Naya ? demanda sa mère.

    — Flemme.

    — Jules…

    Pour elle, il devait sortir, voir du monde. Aller n’importe où pourvu que ce soit loin de ce fichu canapé rouge. Elle était persuadée que c’était la seule solution pour qu’il aille mieux. Sauf qu’en termes de séparation, Marie Domaire n’y connaissait rien. Mariée très jeune avec le père d’Adèle et Jules, elle connaissait depuis une vie de famille des plus tranquilles, sans aucun nuage à l’horizon dans leur couple parfait. Alors quels conseils pouvait-elle bien lui donner pour l’aider à surmonter sa rupture avec Camille ?

    — C’est bon, je plaisante. J’y vais.

    — Tu pourras conduire Adèle au Conservatoire ?

    — Non, répondit-il avec fermeté.

    Il faisait comme s’il n’en avait rien à faire. En réalité, Jules adorait sa sœur. Si physiquement elle ressemblait davantage à leur père que lui, elle avait pris les excès de leur mère. Trop curieuse, envahissante, extravagante… Et ces aspects-là agaçaient Jules plus que tout. Pas question pour lui de passer du temps avec une deuxième fouine qui le cuisinerait sur sa vie privée pendant tout le trajet. Avec nonchalance, il se leva, sans prendre la peine de débarrasser son bol de céréales.

    Un peu plus tard, en début d’après-midi…

    Balade sur le Pont de pierre. Une chaleur épouvantable. Des cyclistes qui roulaient dans tous les sens, y compris sur les voies du tramway. Quelques coureurs. Des couples, par-ci par-là. Au loin, les terrasses des Quais, noires de monde.

    Jules venait de rejoindre Naya. Ils aimaient se retrouver dans ce coin-là de Bordeaux. Ces jours-ci, sa meilleure amie faisait tout pour lui changer les idées. Avec elle, il pouvait discuter de tous les sujets. Elle était, elle aussi, passionnée de cinéma. Ils avaient prévu de se rendre Rive Droite pour assister à l’une des dernières projections du film Vice Versa.

    Ils se promenaient en silence. Malgré tous les efforts de Naya, rien ne pouvait le consoler. Le jeune homme était au plus mal. Celle qu’il pensait être l’amour de sa vie avait plié bagage, car leur relation avait franchi un point de non-retour. Le cœur rempli de tristesse, Jules marchait sans grande conviction avec une Naya impuissante face au désarroi de son meilleur ami.

    — Tu as des nouvelles de Camille ? finit-il par demander.

    — Tu sais bien que non. Et même si j’en avais, je ne pense pas que ça serait une bonne idée de les partager avec toi. Camille est partie s’installer à Toulouse, chez sa tante. C’est tout ce que je sais.

    Il s’arrêta de marcher. Son front dégoulinait de sueur.

    — C’est de ma faute. Si seulement je n’avais pas…

    Naya lui prit les mains.

    — Non, Jules. Ce n’est pas de ta faute. C’était sa décision. Elle aurait pu quitter Florent ou ne pas s’engager avec toi. Mais elle a fait son choix. Elle vous voulait tous les deux. Et elle vous a perdu tous les deux aussi.

    Jules, moyennement convaincu par les arguments de Naya, répondit :

    — Quel genre de mec peut faire ça à son meilleur ami ? Lui promettre d’être sincère et lui voler sa nana la seconde d’après ?

    — Il est trop tard pour se poser des questions, lança-t-elle avec franchise.

    Puis, regrettant de telles paroles, elle rectifia le tir :

    — Tu ne lui as rien volé du tout. Camille est venue vers toi.

    — C’est la même chose pour moi. Le résultat reste inchangé : Florent se trouve à l’hôpital, les médecins ne savent même pas s’il remarchera un jour. Et Camille est partie.

    Autour de lui, le monde semblait s’être arrêté. Le fait d’évoquer cette histoire le paralysait. Au milieu de tous ces gens, de cette chaleur insoutenable, Jules n’avait qu’une seule envie : rentrer chez lui. Se blottir dans le canapé rouge, un plaid sur les jambes, rien d’autre. Finalement, il prit son courage à deux mains et continua la marche, avec cette fois-ci un peu plus d’entrain. Que peut-elle bien me faire de pire ? se demanda le jeune homme. Me quitter une deuxième fois ?

    — De quoi ça parle au juste, Vice Versa ? dit-il pour changer de sujet.

    Pas de réponse. Naya ne se tenait plus à côté de lui, mais loin derrière. Intrigué, il rebroussa chemin. Son amie fixait le ciel, les sourcils froncés. Son teint virait au rouge. Elle qui d’habitude avait la peau très claire, cet aspect rougeâtre ne semblait guère naturel.

    — Naya ?

    — Regarde…

    Jules obéit et regarda dans la même direction qu’elle. Ciel rouge. Un soleil qui se faisait de plus en plus discret. Au loin, une étoile filante qui fonçait droit sur eux. Le monde s’arrêta de nouveau, mais cette fois-ci, il ne s’agissait pas d’une impression.

    Piétons, cyclistes, voitures, tous étaient immobiles, regardant cet étrange spectacle qui recouvrait d’une lumière rouge toute la Métropole bordelaise. Seul le tramway continuait son chemin, inconscient du danger qui approchait. L’étoile grossissait à vue d’œil. En un quart de seconde, on passa de la fascination à l’angoisse. Les murmures se transformèrent en cris. La sympathique promenade du week-end vira immédiatement au cauchemar.

    La météorite rouge sang n’était guère plus grande qu’une camionnette. Comme les avions qui traversent le ciel et qui dessinent des lignes au kérosène, elle répandait une fumée pourpre sur sa trajectoire. À quelques secondes de l’impact, on entendit une détonation. Le tonnerre ? Un missile ? Nul ne sut le dire.

    L’étoile s’écrasa à quelques dizaines de mètres de Jules et Naya. Le sol trembla sous leurs pieds et ils furent projetés en arrière.

    Il ouvrit les yeux. Le temps n’existait plus. Des secondes ? Des minutes ? Il avait sacrément mal au crâne. Ce n’était pas une migraine ni les conséquences d’une soirée trop arrosée. Il posa l’extrémité de ses doigts sur sa tempe. Du sang. Il poussa un cri de douleur et se releva. Son premier mot fut le suivant :

    — Naya !

    Désorienté, il fit un effort surhumain pour regarder autour de lui. La lumière rouge avait disparu. La foule en panique. Un tramway scindé en deux. Un trou béant au milieu du Pont de pierre. Encore ébloui par la lumière de l’étoile, il ferma les yeux quelques secondes. Lorsqu’il les rouvrit, Naya se tenait devant lui.

    — Jules, ta tête… tu saignes !

    Il remua les lèvres, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Sa meilleure amie se frotta l’épaule, comme si elle voulait lui faire comprendre quelque chose. Il l’imita et sentit une vive douleur dans le bras. Nouvelle égratignure, du même côté que sa blessure à la tempe. Son tee-shirt blanc était taché, déchiré. Tentant de retrouver l’équilibre, il prit appui sur Naya.

    — Les secours vont arriver, dit-elle. Il faut qu’on sorte de là.

    Elle ne semblait pas mal en point. Un peu de sang sur les coudes, des blessures superficielles. Encore incapable de formuler une phrase correcte, Jules désigna l’énorme fissure sur le pont, causée par la chute de l’étoile.

    — Les gens… l’eau…

    Naya comprit. Il faisait allusion aux victimes tombées dans les profondeurs de la Garonne. Elle secoua la tête.

    — On ne peut rien faire pour eux, Jules.

    Des cris d’angoisse. Des civils en détresse, submergés par les flots. Malgré le choc à la tête et la douleur à l’épaule, il ne pouvait ignorer leurs appels à l’aide.

    — Viens, poursuivit Naya, appuie-toi sur moi, les secours ne sont pas loin.

    Il désobéit. Il sentit un regain d’énergie traverser son corps, comme une force surnaturelle. Il repoussa sa meilleure amie et, contre toute attente, se mit à courir.

    — Jules ! hurla Naya.

    Il ne se retourna pas. Au bout d’une dizaine de mètres, après avoir failli trébucher, il accéléra la cadence et quitta le Pont de pierre. Esquivant les équipes de secours, il fit un détour par les Quais et escalada les barrières de sécurité. Sans hésiter, il plongea dans la Garonne.

    Il resta quelques secondes dans les profondeurs. L’eau était tiède. Il remonta à la surface et nagea à contre-courant dans un fleuve déchaîné comme jamais. Tant bien que mal, Jules trouva un moyen de rejoindre rapidement les victimes tombées du pont.

    Il nagea en direction d’un couple de personnes âgées, coincé dans le tramway qui s’enfonçait dans l’eau. Avec une force sans pareille, il parvint à les sortir de là et les aida ensuite à regagner la terre ferme.

    Épuisé, il arriva sur le ponton des catamarans, accompagné par les deux rescapés. Des secouristes les aidèrent à remonter. Trempé jusqu’aux os, les vêtements dans un piteux état, Jules se retrouva dans les bras du couple qu’il venait de sauver. On lui témoigna une reconnaissance infinie.

    Il voulut appeler Naya. Il sortit de sa poche son téléphone et tenta d’activer le logiciel de commande vocale. En vain. L’écran était noir. Il comprit que son appareil n’avait pas apprécié le petit plongeon dans la Garonne. Il le jeta par terre et son mobile alla se briser sur le bord du trottoir.

    En moins de dix minutes, Jules avait détruit deux années de souvenirs. Les messages, les photos, tous ses moments avec Camille… plus rien. Un nouveau moyen de tout recommencer à zéro, se dit le jeune homme.

    Tandis que l’étoile rougeoyante continuait de s’enfoncer dans la Garonne, Jules déambulait au milieu de cette foule en détresse, cherchant désespérément sa meilleure amie. Les yeux encore éblouis par cette lumière pourpre venue de l’espace, il mit un certain temps à s’habituer à celles émises par les véhicules de secours. Sa chute semblait l’avoir propulsé dans un autre univers.

    Dans ce cataclysme, il n’entendait que le son de ses propres pas. Sirènes, cris, pleurs, agitation, tout ceci lui paraissait anormalement silencieux. À présent, il marchait sans difficulté. Le fait d’être imbibé d’eau ne le dérangeait pas, lui qui pourtant ne supportait pas la moindre averse. Il serpentait parmi les pompiers et finit par retrouver Naya, en train de se faire examiner.

    — Tu es cinglé ! lui lança sa meilleure amie.

    Il haussa les épaules, comme si la réponse était évidente :

    — Il fallait aider ces gens.

    — Dans ton état ? Tu aurais pu y laisser la vie.

    Il leva les yeux au ciel. Nullement soucieux de sa remarque, il se pencha vers Naya et l’examina à son tour.

    — Tu n’as rien ?

    — Quelques plaies sur les coudes, mais ce n’est rien comparé à ta…

    Elle s’arrêta net, effleura du bout des doigts la tempe de Jules. Plus rien. Sa blessure s’était refermée, sans laisser d’égratignure. Prise d’un doute, elle demanda :

    — Tu… tu n’avais pas… une blessure ?

    — Où ça ? À la tempe ?

    Il passa une main dans son cuir chevelu. Plus de douleur. Plus de sang. Jules haussa une nouvelle fois les épaules, essayant de dissimuler sa surprise.

    — Tu as dû rêver, répondit-il en souriant.

    Chapitre I

    Cauchemar incessant

    Trois ans après la chute de l’Étoile…

    Septembre. Il faisait horriblement chaud. Le sable était sec, brûlant. Le vent ne soufflait plus. Le bruit des vagues l’apaisait, la marée remontait doucement vers la dune. L’air humide et purificateur de l’océan envahissait ses poumons. Allongé sur le dos, au milieu des vagues, il se laissait porter par le courant. L’eau était fraîche, les mouettes et les goélands chassaient les quelques poissons qui nageaient dans la baïne. Au bout d’un certain temps, il sortit de l’eau.

    Ses pas s’enfonçaient dans le sable, les grains se collaient à sa peau. Quelques courageux bécasseaux sanderlings s’approchaient de son parasol rayé, à la recherche de nourriture. Il s’allongea sur sa serviette rouge et ferma les yeux. Tandis qu’il s’endormait, Jules se laissait emporter par ses rêves. Un en particulier. Toujours le même.

    Tout se déroule dans la forêt de pins, à quelques kilomètres de l’endroit où il réside. Comme sur la plage, l’air est étouffant. Le silence règne. D’habitude, les cigales chantent et les arbres propagent le souffle du vent. Mais pas dans son rêve.

    Il est en train de courir. Pas après quelque chose, mais après quelqu’un : sa sœur Adèle, de six ans sa cadette. Elle lui a encore volé le pendentif qu’il veut offrir à Camille. Quelle peste ! Essoufflé, il s’arrête. Il scrute les alentours. Toujours aucun son, si ce n’est le bruit de sa propre respiration.

    Elle connaît la forêt par cœur, tout comme lui. Quand ils étaient petits, ils jouaient à cache-cache dans ces bois pendant que leurs parents se promenaient. À présent, c’est lui qui poursuit Adèle dans l’immense labyrinthe boisé.

    Cachée derrière un arbre, elle ricane. Elle sait que ça l’énerve. Camille Rispal, c’est toujours un sujet sensible. Elle détient un cadeau d’une denrée rare. Le pendentif représente une pierre bleue que l’on trouve uniquement sur les plages du Cap Ferret. Une légende locale prétend que cette roche n’apparaîtrait qu’une fois tous les dix ans, sur le Banc d’Arguin.

    Il compte bien offrir ce collier à Camille la prochaine fois qu’ils se verront. Mais il a fallu qu’Adèle vienne compliquer ses plans. Déjà que sa relation avec Camille est plus que déraisonnable, voilà qu’un problème supplémentaire vient s’ajouter.

    — T’as gagné, Adèle. Rends-le-moi maintenant !

    Il entend un craquement derrière lui. Sa sœur vient d’écraser accidentellement une cartouche laissée par un chasseur. Repérée, elle sort sa petite tête ronde de derrière l’arbre.

    — Tu vas vraiment l’offrir à Camille ?

    — Ce ne sont pas tes affaires, répond-il sèchement.

    Adèle sourit. Elle aime lui poser des questions sur sa vie privée. Des questions plutôt gênantes.

    — Il le sait Florent que tu couches avec sa meuf ?

    Jules s’énerve.

    — Arrête de parler comme ça ! En plus, tu ne sais même pas ce que ça signifie. Et puis, je te le redis, ce ne sont pas tes affaires.

    Cette fois, elle sort complètement de sa cachette, offensée par sa remarque.

    — Oh, ça va. Et je suis parfaitement en âge de comprendre ce que veut dire « faire l’amour » quand même.

    Il hausse les sourcils et lui lance un regard dédaigneux.

    — Ce n’est certainement pas avec toi que je vais discuter de ça. Bon, le collier, il est où ?

    Elle lève les yeux au ciel et sort le bijou de sa sacoche en cuir.

    — Tiens, ça va, je te le rends. Qu’est-ce que tu peux être susceptible !

    Il reprend violemment le collier.

    — Ce n’est pas à ma petite sœur de douze ans que je vais confier ma vie privée.

    Nouveau sourire. Adèle, d’un air narquois, rétorque :

    — Pas si privée que ça, si tu veux mon avis.

    — Je m’en fiche de ton avis.

    Jules fait demi-tour. Il a déjà vécu ce moment. Sa sœur et lui étaient rentrés à la maison de leur grand-père. Le soir, ils avaient dîné au restaurant pour fêter l’anniversaire de Jules. Il avait eu dix-huit ans, ce jour-là.

    Mais le rêve transforme la réalité. Adèle ne rentre pas avec lui. Il se retourne. Il sait ce qui va se passer parce qu’il fait toujours le même rêve.

    Adèle reste immobile, devant l’immense pin. Sa joie de vivre, son éternelle bonne humeur, tout s’envole en une fraction de seconde. Elle lui explique qu’elle ne peut pas rentrer à la maison. Vêtue d’une robe blanche (elle la portait aussi ce jour-là), ses cheveux châtains flottent dans le vent. L’air grave, elle demande à son grand frère :

    — Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas sauvée ?

    La tristesse envahit le jeune homme. Il répète les mêmes mots que d’habitude, comme s’il s’agissait d’une réplique sortie tout droit d’une tragédie.

    — Tu sais très bien que j’ai essayé…

    — Tu mens. Pourquoi tu n’étais pas présent ce jour-là ?

    Il tente toujours de lui expliquer la vérité :

    — Adèle…

    — Tu m’as laissée mourir, Jules. Seule.

    Et c’est à cet instant que le rêve vire au cauchemar. Les rayons du soleil qui passent au travers des branches s’éteignent petit à petit. La chaleur s’enfuit. Le vent se faufile à travers les arbres, tel un serpent. L’atmosphère devient pesante, inquiétante.

    Au loin, Jules distingue une silhouette. Vêtue d’une tunique grise, elle porte une capuche qui dissimule son visage. Il s’agit probablement d’un homme, à en juger par sa taille et sa corpulence. L’individu ne marche pas. Il lévite à quelques centimètres du sol.

    Il s’approche. Jules a peur. Il est nerveux. Il sait très bien comment ça va se dérouler. Il va hurler. Supplier Adèle de se retourner. Mais elle ne l’écoutera pas. Elle n’entendra pas. Elle restera figée. Dans un ultime effort, il tente à nouveau sa chance :

    — Adèle, je t’en supplie, retourne-toi.

    Mais sa sœur ne bouge pas. Elle fixe son frère sans comprendre. Derrière la jeune fille, la silhouette s’avance lentement. Mais quelque chose a changé : Jules découvre de nouveaux motifs dessinés sur la tunique de l’individu, au niveau de ses bras. Dans les cauchemars précédents, il ne distinguait que sa silhouette enveloppée d’une tunique grise. À présent, il voit des ailes noires qui serpentent dans son dos. Des yeux rouges, de la même intensité que la lumière de l’Étoile qui est tombée.

    Un ange maléfique. L’incarnation de la mort. Il tient une serpe argentée dans chaque main. Il s’approche et fend l’air avec l’une d’elles. Adèle pousse un cri ; son dos est recouvert d’une longue entaille. Elle s’agenouille. Elle est terrifiée. Elle pleure. Avec la serpe qu’il tient à la main droite, l’ange de la mort lui perfore la cage thoracique. Une pointe jaillit du thorax de sa sœur. Adèle s’écroule sur le sol, baignant dans son propre sang.

    Dans le schéma habituel de ce cauchemar, l’ange pointe une serpe accusatrice en direction de Jules et disparaît dans une fumée argentée. Pas cette fois. Il pose ses pieds sur le sol, marche d’un pas lent. Jules est à genoux, désemparé par ce qui vient de se produire. Il ne peut détacher son regard de sa petite sœur qui vient de rendre son dernier souffle de vie.

    L’ange de la mort se penche, il le fixe. Jules ne peut pas voir à quoi ressemble son adversaire. La capuche qu’il porte s’accompagne d’un voile noir qui recouvre la totalité de son visage. Les yeux rouges disparaissent dans cette épaisse noirceur.

    — Tu dois rentrer chez toi, à présent, dit l’ange de la mort. Quelque chose vient de se réveiller. Tiens-toi prêt. Je t’ai laissé un souvenir. Retourne là où ta vie a basculé pour la seconde fois.

    Jamais auparavant il n’avait été aussi près de lui. Jules constate qu’il n’est qu’à quelques centimètres de ce fou furieux. Pourtant, il est incapable de faire le moindre mouvement ni même de prononcer des mots. Il est prisonnier de son propre rêve. Simple spectateur, il suit le meurtrier du regard.

    L’ange se redresse, fait demi-tour et disparaît dans un épais brouillard. Jules ne comprend pas ce qui est en train de se passer. Cette phrase ne fait pas partie du cauchemar habituel. Et c’est à ce moment-là qu’une mélodie qu’il connaît très bien retentit dans la forêt. Violoncelles, percussions, trompettes : La marche impériale. Mais qu’est-ce que ça vient faire-là ? pense-t-il. Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ? La mélodie semble tomber du ciel, comme un orage qui passe au-dessus de lui. Tout à coup, il comprend. Le monde extérieur. Il doit quitter son rêve.

    Cette musique, en plus d’accompagner les pas du plus grand méchant du cinéma, permettait à Jules de savoir que c’était sa mère qui l’appelait. En effet, quand il était adolescent, il lui avait associé cette musique pour souligner à quel point elle était autoritaire. Aujourd’hui, du haut de ses vingt et un ans, il savait que certaines choses ne changeraient jamais.

    — Jules, c’est maman.

    Elle ne l’avait pas souvent appelé depuis qu’il avait quitté Bordeaux. Depuis l’enterrement d’Adèle.

    — Oui ?

    — J’ai… j’ai bien peur d’avoir une mauvaise nouvelle à t’annoncer.

    Marie avait la voix qui tremblait. La dernière fois qu’elle s’était adressée à Jules de la sorte, la police venait de leur annoncer la mort de sa petite sœur.

    — C’est Lucie. Elle… elle a disparu.

    Lucie Cheminade, autrefois meilleure amie d’Adèle. Cheveux châtains, ondulés, petite corpulence. Ils avaient échangé quelques textos ces derniers jours. Elle venait lui rendre visite, de temps en temps. Elle faisait partie des rares personnes avec lesquelles il avait gardé contact.

    — Jules ? insista sa mère.

    Un milliard de questions. Un milliard de possibilités. À nouveau, un sentiment d’angoisse le pétrifiait. Et ce cauchemar… Quelques secondes avant que sa mère ne l’appelle, l’ange de la mort l’avait mis en garde. Sans la moindre hésitation, il déclara :

    — Je vais rentrer.

    — Fais vite surtout.

    Le jeune homme referma son sac à dos. Parasol en main, il remonta la dune. Scrutant une dernière fois l’horizon, l’écume des vagues, les quelques chalutiers qui s’éloignaient, Jules prit une grande inspiration.

    Cette petite plage du Cap Ferret, c’était son havre de paix. Très peu fréquentée par les habitués du coin, Jules y passait le plus clair de son temps. Il bouquinait, se reposait, nageait au milieu des petits poissons. Et comme d’habitude, juste avant de retourner chez lui, il prenait le temps de regarder le paysage.

    Ce jour-là, il savait pertinemment qu’il ne retournerait pas sur cette plage avant très longtemps. Ce coup de téléphone venait de clore un chapitre de sa vie. Après avoir quitté Bordeaux pour vivre chez son grand-père, laissant derrière lui sa famille endeuillée, Jules s’était réfugié dans la Presqu’île pendant trois longues années. Et le passé refaisait surface. Il ne pouvait plus s’enfuir ni faire comme si sa vie d’avant n’avait jamais existé.

    Un peu plus tard, dans la matinée…

    — Tu fais tes valises ? questionna André Domaire, le grand-père paternel de Jules.

    Le jeune homme se retourna. Il ne l’avait pas entendu monter les escaliers.

    — Maman m’a appelé.

    — Quelque chose ne va pas ?

    Le vieil homme portait un polo rose saumon. Il avait les mains recouvertes de terre.

    — Lucie a disparu, lui expliqua Jules.

    — Oh, mon Dieu.

    Bouleversé, son grand-père s’assit sur le lit.

    — Je vais rentrer à Bordeaux en début d’après-midi.

    André analysa la situation.

    — Une jeune fille, a priori sans histoire, ne disparaît pas comme ça. Quand elle est venue te voir la semaine dernière, tout allait bien, non ?

    Jules prit quelques secondes pour réfléchir.

    — En théorie, oui. Ce n’est pas le genre de personne qui se met dans des situations compliquées.

    André désigna la valise avec le menton.

    — Et retourner à Bordeaux après tout ce temps, c’est la seule solution ?

    Épineuse question. Jules n’avait pas passé une seule nuit dans la Belle Endormie depuis qu’Adèle avait été assassinée. La seule idée de franchir la porte de la maison familiale le terrifiait au plus haut point.

    — Oui, papi.

    Jules referma sa valise et jeta un dernier coup d’œil dans les placards.

    — Tu laisses quelques affaires ?

    Petit sourire en coin.

    — Sait-on jamais ?

    Le vieil homme changea de sujet, comme il avait l’habitude de le faire.

    — Tu sais qu’un nouveau profiler a été nommé à Bordeaux ? Qu’est-ce que tu en penses ?

    Jules déglutit. Cette information lui était complètement sortie de la tête. Depuis la chute de l’Étoile et l’apparition des premiers humains dotés de superpouvoirs, plus rien n’avait de sens dans ce nouveau monde. Ce qui devait être une évolution positive pour l’espèce humaine s’était rapidement transformé en chasse aux sorcières. Le profiler, spécialement recruté par l’État, devait traquer et surveiller tous les mutants qu’il rencontrerait. Par conséquent, Jules était une cible potentielle.

    — Ce que je pense, c’est que je vais devoir redoubler de prudence.

    — Comme à ton habitude. Fais bien attention à toi surtout.

    André le raccompagna dans le jardin. Devant le portail électrique de la maison, Jules demanda une faveur à son grand-père.

    — J’aimerais bien m’installer dans ton appartement à Bordeaux, si ça ne te dérange pas.

    Une formalité, rien de plus. André ne lui avait jamais rien refusé.

    — Tu veux à tout prix éviter de retourner chez toi ?

    — Oui.

    Jules n’aimait pas parler de ses angoisses à quiconque, même aux membres de sa famille. Mais avec son grand-père, ils avaient tissé des liens incroyables, bien plus forts qu’avec ses parents.

    — Il n’est pas meublé…

    — Ça ne fait rien. En plus, le cabinet de Michael n’est pas loin. Et avec mon salaire, j’ai largement de quoi me payer des meubles.

    Le vieil homme s’empressa de lui ramener les clés. Jules s’apprêtait à partir, lorsqu’André lui posa une dernière question :

    — Tu vas te servir de tes dons ?

    Jules ne répondit pas. Il sourit.

    BlaBla Car. Covoiturage depuis Arès jusqu’à Bordeaux. Jules fit la connaissance d’Erwan, le conducteur. Grand brun, yeux clairs, la trentaine, un membre régulier de la communauté, bien noté par les utilisateurs de l’application. De quoi faire le voyage en toute sérénité, a priori.

    — Le Ferret, ce n’est plus ce que c’était, lança Erwan.

    — T’entends quoi par-là ? demanda Jules.

    — Avant, il y avait moins de monde. Et voilà qu’aujourd’hui c’est devenu l’un des endroits les plus touristiques de France.

    Jules approuva. Les bouchons interminables au rond-point de Claouey, le marché du Ferret noir de monde, des kilomètres de voitures garées le long des plages…

    — Il faut être patient quand tu viens, c’est sûr.

    — Tu savais que c’était de la faute de Guillaume Canet si l’endroit est aussi connu aujourd’hui ?

    Surpris, Jules leva un sourcil.

    — Quel rapport ?

    — Quand il a réalisé Les petits mouchoirs, les gens ont tellement adoré qu’ils se sont empressés de venir visiter la Presqu’île.

    — Je ne savais pas que ce film avait eu autant d’impact sur le Ferret.

    Ni même dans le cinéma français, se dit le jeune homme. Pour lui, Guillaume Canet c’était avant tout Jeux d’enfants. Quant à la remarque d’Erwan, elle était absurde.

    — Comme si ça ne suffisait pas, compléta ce dernier, il a eu la bonne idée de faire une suite. Leonardo Di Caprio a acheté une baraque ici, il n’y a pas si longtemps, t’imagines ? Cet idiot voulait même acheter la Presqu’île. Je me rappelle quand mon père…

    Jules n’écoutait plus. Il s’en fichait. Il pensait à son retour à Bordeaux. À la mort de sa sœur. Qui ? Pourquoi ? Après trois années d’enquête, la police en était toujours au même point : Adèle Domaire, une jeune fille de douze ans, avait été sauvagement assassinée alors qu’elle rentrait chez elle. Le meurtrier s’était servi d’une arme blanche et avait poignardé la jeune fille à deux reprises. Une entaille dans le dos et un coup qui avait perforé ses poumons. C’était exactement comme dans le cauchemar que faisait Jules.

    Il faisait nuit au moment où Adèle avait été assassinée. Aucun témoin. Aucun indice. Quelques jours plus tard, après plusieurs analyses, les médecins avaient découvert une poudre argentée parsemée sur la peau de la petite Domaire. D’où provenait-elle ? Personne n’était en mesure de répondre à cette question.

    Jules avait alors entamé ses propres investigations. Il avait passé en revue chaque minute qui précédait l’heure du crime. Comme Adèle, il avait refait exactement le même trajet qu’elle un nombre incalculable de fois. Il avait lui aussi interrogé le voisinage à la recherche d’un témoin potentiel.

    Dans sa chambre, plusieurs photos étaient accrochées au mur et reliées les unes aux autres par un fil rouge, comme le faisaient les agents du FBI dans les séries américaines. Malgré tous ses efforts, le mystère sur la mort d’Adèle demeurait entier.

    À l’époque, en l’espace de quelques semaines, il s’était séparé de Camille et Adèle avait perdu la vie. Trop d’évènements douloureux pour un jeune homme de dix-huit ans. Il avait donc pris la décision de partir s’installer chez son grand-père, afin de finir ses études et de prendre du recul sur ce qu’il venait de traverser. Pendant près de trois ans, il n’avait pratiquement pas revu ses parents, ses amis, ni le reste de sa famille. Il s’était pleinement consacré à son BTS et à son travail tout en poursuivant ses investigations en parallèle.

    En regroupant tous les éléments de l’enquête, Jules n’avait pas obtenu le début d’une piste. Qui pouvait en vouloir à une jeune fille de douze ans ? Pour lui, le seul mobile du meurtrier était la vengeance. Mais pas contre sa sœur. Contre lui. Et si en commettant ce crime abominable on avait cherché à l’atteindre ?

    Au milieu de toute cette enquête, depuis presque trois ans, Jules faisait constamment ce rêve étrange, comme s’il s’agissait d’une reconstitution du meurtre de sa sœur. À

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