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Les Sanglots du Vent Imminent
Les Sanglots du Vent Imminent
Les Sanglots du Vent Imminent
Livre électronique473 pages6 heures

Les Sanglots du Vent Imminent

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À propos de ce livre électronique

Imaginez-vous un monde immortel. Un monde où votre fantaisie de vie éternelle se traduit en une existence où jeunesse perpétuelle n'est point de la donne! Imaginez-vous ce qui arrive à ceux qui tombent malades ou qui cessent de fonctionner comme il faut. Imaginez-vous un monde où la procréation est un crime sévèrement puni. Imaginez-vous un monde où un nouveau-né peut tout changer et dont l'exsitence même constituerait la fin du monde immortel tel qu'on le connait. Imaginez-vous Gwen, une Citoyenne Modèle et sa situation précaire, lorsque, après son retour de vacances, elle se retrouve dans la peau d'un marginal traqué par les agents d'un état totalitaire.
LangueFrançais
ÉditeurBookBaby
Date de sortie15 janv. 2015
ISBN9781483545400
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    Aperçu du livre

    Les Sanglots du Vent Imminent - Pierre Bunikiewicz

    fin…

    1

    Eh ben, Choupette, ça ne sera pas facile,

    Marissa dit en pivotant le rétroviseur pour admirer sa bouche.

    Ce sont les symptômes de Nasclerosits tout crachés.

    Elle toucha ses lèvres avec le rouge à lèvres dermo-jet et se tourna vers Gwen. La pigmentation de sa bouche vira instantanément au rouge foncé.

    Désolée, Choupette. Mais c'est du vrai de vrai. Tes parents en sont atteints pour de bon.

    Gwen s'arrêta de mâcher son chewing-gum. Ses parents avaient vraiment l'air maladifs et ça se voyait. Il y avait une limite à ce que les ordonnances pouvaient guérir. Et ses vieux avaient essayé tous les remèdes disponibles. Elle jeta un regard dehors, avec un soupir. Ses yeux inquiets balayèrent, sous le crachin du matin, les voitures coincées dans le bouchon. Seuls les plus privilégiés avaient le droit de conduire dans la Vieille Ville, au seul quartier de Norangeles où la circulation en surface était permise. Ils n'étaient pas bien nombreux ceux qui pouvaient avoir les plaques d'immatriculation requises pour se déplacer ici. Aujourd'hui, il semblait que tous ces citoyens privilégiés étaient présents. Après un moment, ses yeux se posèrent sur les essuie-glaces grinçants de l'épave hybride de Marissa, et suivirent leur mouvement saccadé.

    Au moins, ils se sont comportés comme il faut.

    Marissa brisa le silence, puis rafraîchit ses lèvres avec le rouge à lèvres. Sa bouche tourna rapidement au violet. Elle hésita un instant, puis rafraîchit ses lèvres à nouveau. Elle eût l'air satisfaite lorsque ses lèvres devinrent rouge vives, elle sourit. En ben voilà? Elle mit le rouge à lèvres dans son sac.

    Faut dire qu'au moins ton père, et bien. iI s'accroche. Il ne se laissera pas emporter par cette maladie sans résister.

    Elle reposa les mains sur le volant.

    Quant à ta mère, oh, Choupette…

    Si tu n'avais pas aidé!

    Gwen sortit le chewing-gum de sa bouche, l'enveloppa dans un bout de papier et le mit dans la poche du manteau.

    Les FSM les auraient déportés aux Mines sur-le-champ. Je t'en suis redevable plus que jamais.

    À quoi donc ça servirait d'avoir des amis, hein?

    Marissa ajusta le foulard rouge qu'elle portait toujours autour de son cou. Il avait l'air moche et n'allait pas du tout avec le jean qu'elle avait l'habitude de porter. Après tout, comme la plupart des gens, Marissa s'habillait comme un ouvrier d'usine.

    Gwen se tourna vers son amie.

    As-tu, peur des Mines?

    Les yeux de Marissa se posèrent sur Gwen. Sans dire un mot, ses yeux revinrent à la circulation.

    Depuis mon retour de vacances… Gwen murmura. Les choses semblent différentes.

    Un peu déprimée par le retour, Choupette?

    Possible. Elle se mit à tripoter les boutons de sa chemise en flanelle. J'ai pris tous les médicaments requis au moment du retour. Tu le sais bien que j'ai avalé les Orpaspirins les plus forts sur le marché. Il faut en général un jour ou deux pour s'en remettre. Mais, cette fois, c'est comme si… Elle soupira de nouveau.

    Ce ne sont que des détails, des petites choses. Comme par exemple des lieux qui ont changé, ou de nouvelles personnes dans notre bâtiment, ou bien parfois des panneaux étranges dans les rues.

    Je ne m'inquiéterais pas à ce sujet.

    Marissa appuya sur quelques boutons sur le tableau de bord et accéléra légèrement.

    Peu importe quels sont les médicaments que tu prends. C'est du vu et du connu. Il faut du temps pour que ça marche.

    Le plus alarmant c'est que… Gwen déglutit.

    J'ai comme l'impression que ni ma mère ni mon père…

    Elle fit une pause. C'est comme s'ils n'étaient pas vraiment mes parents…

    Marissa se tut pendant un moment, puis tout à coup éclata de rire. Ces vacances étaient bien trop longues! Elle secoua la tête.

    Pas de doute que ce sont tes parents! Et ils sont aussi immortels que toi. Aussi immortels que nous le sommes tous!

    Elle haussa les épaules. Même s'ils sont bizarres, ça ne veut rien dire. Tous les Nascrelotiques sont bizarres. Elle soupira.

    Tu t'habitueras à tes parents de nouveau, et à Norangeles et à notre merveilleux Nogaplan, dit-elle d'un ton ironique.

    T'as pas le choix.

    Si seulement je pouvais n'avoir pas de tels trous de mémoire. Je voudrais me souvenir de tout, murmura Gwen .

    Marissa, ça fait combien de temps que je ne sois partie en vacances?

    Choupette, Marissa tapota Gwen sur le dos, en sentant un degré de confusion chez son amie.

    Les vacances, ça sert à ça. Tu prends l'air. Tu te débranches, tu oublies ta vie d'immortelle, t'oublies ta vie morne et tellement monotone. Tu pars en fait pour… Disons pour tourner la page. Mais ne t'inquiète pas trop, ça reviendra. Tout reviendra. Tôt ou tard. Tu te souviendras de tout.

    Elle sourit avec compassion. Et ne t'imagine pas que ce sont les symptômes précoces de Nasclerosits. Gwen, tu es en bonne santé… En très bonne santé… Elle soupira de nouveau. Avec le genre de vacances que tu as prises… Elle haussa les épaules. Choupette, t'es comme neuve!

    Si tu le dis, Gwen murmura, un peu perplexe. Ses yeux se posèrent sur le rétroviseur. La circulation avait l'air de se disperser. C'était comme si les voitures qui les suivaient s'écartaient pour laisser passer un véhicule d'urgence.

    Quelques secondes plus tard, klaxonnant et sifflant désagréablement, plusieurs camions verts portant l'emblème des Forces Spéciales des Mines, dites FSM, apparurent derrière elles. Mécontente, Marissa se rangea sur le côté pour laisser passer ces véhicules d'assaut de taille moyenne qu'elle suivit d'un regard dégoûté.

    Mais qu'est-ce qu'ils font les FSM dans la Vieille Ville? Gwen demanda, visiblement bouleversée. Elle n'avait jamais vu un tel déploiement dans ce Secteur.

    Leur boulot, Marissa déclara d'un ton de voix sombre. Tout à coup, souriant comme un macaque, elle écrasa du pied l'accélérateur.

    Marissa! Jetée contre son siège, Gwen secoua la tête en signe de désapprobation.

    On s'en fout! Amusée par les klaxons des conducteurs irrités par son excès, Marissa ricana comme une folle. Pour ajouter de l'huile sur le feu, elle aussi se mit à klaxonner.

    Oh, Marissa! Gwen murmura. T'es un vrai casse-cou. Tu ne changeras jamais!

    En essayant de suivre les véhicules FSM d'aussi près que possible, Marissa accéléra. Au fur et à mesure qu'elle gagnait de la distance sur eux, ils semblaient ralentir. Mais tout à coup, ils s'arrêtèrent tous.

    Et merde! Marissa freina de toutes ses forces, projetant les passagères en avant. Elles se seraient retrouvées sur le tableau de bord si elles n'avaient pas de ceintures de sécurité. Comme un pilote de rallye fou, elle dérapa sur le côté, et manquant le dernier des camions verts devant elle, changea de vitesse. Sa voiture tournoyant, elle donna un coup au volant, et miraculeusement dirigea le véhicule à quelques centimètres du trottoir où elle s'arrêta net.

    Bon, c'était une course de courte durée, elle se tourna vers son amie. Mais que diable. On a juste pris quelques mètres d'avance! Elle se rassit, satisfaite de son exploit fou.

    Gwen retint son souffle en observant les agents des FSM qui couraient dans toutes les directions. Ils étaient vêtus de combinaisons anti-émeutes et portaient de puissants Stun-Grips suspendus à leurs ceintures. Vaguement ressemblant à des menottes surdimensionnés, ces armes une fois activées et déployées pouvaient envoyer des ondes de choc incroyablement douloureuses et concentrées sur les personnes ciblées.

    Instinctivement, Gwen ferma la fenêtre. Même si elle n'avait rien fait de mal, elle se sentait menacée par la présence de ces soldats aguerris.

    Ils ne sont pas venus pour te cueillir, Choupette, dit Marissa en coupant le moteur. T'inquiètes pas. On n'a rien à se reprocher.

    En se rendant compte que Gwen était très tendue, elle ajouta: Bon, j'ai beau être coupable de quelques infractions au code de la route, mais ça n'a rien a voir avec les FSM. Tu sais bien qu'ils ne se dérangent pas pour les délits mineurs.

    Bien vrai, Gwen murmura, tout en transpirant. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle avait vraiment peur de ces agents. Elle n'avait jamais commis d'infractions. Ce n'était pas dans sa nature de défier la Nogaplan, la loi rigide établie pour gouverner leur monde immortel. Contrairement à Marissa qui parfois dérapait, Gwen avait toujours été une citoyenne modèle. Du moins, elle ne se souvenait de rien qui puisse la contredire.

    Marissa eut chaud et baissa la fenêtre. Elle balaya d'un regard prudent les agents. Les FSM étaient peut-être après des criminels connus ou sous mandat d'arrêt, mais cela ne signifiait pas que tout autre personne présente dans les environs était saine et sauve. Contrairement à la police qui suivait généralement une procédure quelconque avant d'incarcérer les malfaiteurs, les FSM agissaient rapidement et sans se soucier des arguties juridiques. Ils posaient peu de questions et déportaient les soi-disant délinquants aux Mines sur-le-champ. La procédure régulière n'était qu'une question théorique pour les FSM et ne faisait pas partie de leur façon de faire.

    En criblant rapidement les voitures et en inspectant les entrées d'immeubles, les FSM sondèrent rapidement toute la rue. Sous peu, ils finirent par sécuriser l'ensemble du périmètre.

    Gwen déglutit nerveusement et se redressa dans son siège. Elle vit par sa fenêtre des FSM ouvrir des bouches d'égout et descendre à la recherche de leur proies. Ces agents étaient terriblement minutieux et particulièrement déterminés à les trouver.

    Ces derniers temps, Marissa déclara en brisant le silence dans la voiture. Ils s'acharnent sur les groupes Natullistes. Elle s'éclaircit la voix. L'autre jour, ils en ont attrapé plusieurs dans ce secteur même.

    Natullistes? Gwen demanda assez surprise. Ici dans la Vieille Ville? Elle secoua la tête. Il n'y a jamais eu de groupuscules Natullistes aussi près du Centre Civique. Elle en savait quelque chose. Elle avait travaillé dans ce quartier.

    À moins que… Elle devint pensive, puis ajouta en chuchotant: Se peut-il que je sois partie en vacances trop longtemps?

    Vacances… Marissa murmura. Longtemps… Par prudence, elle remonta entièrement sa fenêtre.

    Insensibles aux plaintes de leurs prisonniers, les FSM traînèrent des hommes gravement brûlés vers leurs véhicules verts. Tels des sacs de patates, ils les jetèrent dans ces paniers à salade.

    Non! Avec sa main Gwen se couvrit la bouche. Natullistes ou pas, elle avait du mal à supporter ce traitement cruel d'êtres humains. Le Nogaplan allait trop loin! Elle l'a toujours su !

    Mais qu'est ce qui n'allait pas? Se disait-elle. C'est seulement maintenant, après ses vacances prolongées, qu'un doute se formait dans son esprit.

    À genoux et penché au-dessus d'une béante bouche d'égouts, le Commandant donnait des rapides ordres aux agents qui se tenaient sous la chaussée. Il avait l'air bien excité pour un agent des FSM qui d'habitude ne manifestaient leurs sentiments que très rarement, sinon jamais. Très satisfait, il aida ses hommes à remonter à la surface et à extraire une femme enceinte de la bouche d'égouts.

    Non, Gwen chuchota d'un ton curieusement apeuré. Il y avait dans ce ton de sa voix de l'appréhension… Une crainte d'être entendue.

    Non. Son cœur se serra à la vue de cette femme traîné sur le trottoir. Lorsque ses yeux rencontrèrent ceux de la femme enceinte, le Commandant dégaina son Zapper. C'était une sorte d'épée flexible à deux volets. Je vous en supplie, Gwen murmura tout bas, en imaginant ce qu'elle ressentirait si elle était dans la peau de cette femme enceinte.

    Le Commandant leva son Zapper et, le dirigeant vers la victime, attendit une seconde ou deux.

    Gwen sentit se tendre tous ses muscles. Elle pouvait presque sentir venir le coup. C'était un sentiment bizarre et trop réaliste – comme si elle avait déjà vécu un tel supplice. Bien entendu, comme la plupart des immortels elle était stérile. En réalité, elle n'avait rien à voir avec les Natullistes. C'était une Citoyenne Modèle.

    Ses yeux sont restés collés sur le Zapper, et il a eu un hoquet nerveux. Quand le commandant frappa cette femme, le Zapper grésilla et envoya des fortes décharges électriques dans l'air produisant de nombreuses étincelles.

    Le souffle coupé, la femme s'effondra. Ses yeux affligés rencontrèrent une dernière fois ceux de Gwen. Ce ne fut que l'espace d'un instant. Enfin, elle tomba sur le sol, la tête la première!

    2

    Seule, debout sur le trottoir, découragée et prête à pleurer, Gwen ne put s'empêcher de revivre dans son esprit les arrestations spectaculaires dont elle venait d'être témoin. Le Nogaplan allait vraiment trop loin. En s'imaginant une fois de plus ce que ce serait que d'être dans la peau de cette femme enceinte, elle eût la chair de poule. Une fois arrivée dans les Mines, cette femme, une Natulliste subirait une punition exemplaire. Une punition qui durerait pendant le reste de sa vie immortelle! Et tout ça pourquoi? Gwen soupira, en s'avançant vers les escaliers.

    Toutefois, la Résistance Natulliste avait peu de sens pour elle. Leur lutte dans son ensemble était de la folie furieuse. Aucune de ces femmes n'étaient ni de taille ni n'avaient le calibre de cette femme légendaire qu'on appelait le Reflet Céleste ou désignée populairement, la Sheen. Aucune d'entre elles ne serait la Sheen. Aucune d'entre elles n'accoucherait de cet enfant mythique qui allait changer le monde.

    Gwen soupira de nouveau. La Sheen ou Reflet Céleste était peut-être un mythe, mais les naissances quant à elles, quelles qu'elles fussent, étaient bien réelles. Et Norangeles était déjà gravement surpeuplé. Elle soupira une fois de plus, tout en se souvenant d'un passage dans les textes des lois du Nogaplan qui s'était fermement imprimé dans son esprit. Selon les Paragraphes 7 et 8, transmettre la vie et surtout accoucher d'un enfant immortel c'est un crime!

    Alors que la voiture de son amie disparaissait peu à peu dans le flux de la circulation, elle fit face aux marches majestueuses et en levant yeux elle l'enveloppa tout entier de son regard.

    Le Building Kronoss. murmura-t-elle en reconnaissant le complexe aux allures de palais néoclassique. Érigé à une bonne trentaine de mètres au-dessus du niveau de la chaussée, il était construit au sein même d'une structure ressemblant à une imposante pyramide. Il ne reste plus qu'à remonter quelques centaines de marches…

    Son manteau ouvert battant dans le vent, elle se mit à grimper les marches. Et puisqu'elle n'était pas pressée, elle s'arrêta au niveau du premier plateau en saille qui ressemblait à une piste d'atterrissage intégrée dans la structure de la pyramide. Déjà, de cette hauteur, on pouvait voir une bonne partie de la vue quasi-panoramique qui s'offrait aux occupants du bâtiment Kronoss.

    Malgré le crachin du matin qui s'épaississait, tel un touriste venant d'arriver en terre étrangère, elle admira la ligne d'horizon qui s'offrait au-delà des toits de la ville. Mais l'architecture qui s'élevait derrière elle, à deux plateaux plus haut d'un style néoclassique était plus qu'imposante, la ville qui s'offrait à elle se composait de maisons de ville et de blocs d'appartements à plusieurs étages. Toutes ces bâtisses, quasi-identiques, construites dans une parfaite symétrie, s'étendaient jusqu'à l'horizon, et au-delà.

    Ses yeux se tournèrent vers le secteur privilégié qu'on appelait le Quartier de la Vieille Ville. C'était un regroupement de bâtisses du XXe siècle, un peu dans le genre petite ville, qui avait été construit tout près du complexe connu en tant que Centre Civique. Il ressemblait à une île architecturale au beau milieu d'un projet de remise en état des HLM sans fin. Depuis quand la ville de Norangeles s'est-elle changé en un conglomérat aussi laid?

    Gwen se tourna. Ses yeux parcoururent le vaste palier de la première saille où elle se trouvait. À part la vieille horloge géante plantée au sommet d'un poteau métallique près des escaliers, le palier était complètement vide. Les cadrans de l'horloge en fonte, indiquaient sur ses trois plaques frontales onze heures un quart. Bien que l'heure était exacte, le cadran rectangulaire mécanique qui indiquait la date était figé, comme il le fût depuis des décennies… sur le 26 Avril 2067.

    T'es de retour toi, pardi? Gwen dit à l'horloge tout en s'approchant d'elle. Des années durant, elle s'est opposée à toute proposition visant à éliminer ou démanteler cette antiquité. C'était l'un des rares vestiges du passé de sa ville qu'on pouvait trouver sur le terrain du Centre Civique.

    Malgré la pluie qui de toutes façons ne le gênait pas, un homme chauve en uniforme vert apparut près de l'escalier et se cacha derrière une colonne. Il observa Gwen avec intérêt.

    Ils voulaient t'installer quelque part à l'intérieur de sorte à ce que tu ne contribues pas à la soi-disant pollution visuelle. Elle se rappellera, en posant les yeux sur le cadran.

    À ce que je vois ils ont changé d'avis à ton sujet.

    Elle sourit.

    C'est que tu es tellement belle même s'ils ne veulent pas l'admettre. Tu es si authentique. Je savais bien qu'ils te laisseraient ici même une fois leur rénovation terminée.

    Elle pensa à la remarque qu'elle venait de faire.. Rénovation … J'ai été absente pendant un bon bout de temps… Un très bon bout de temps. Il faut des mois pour refaire une bâtisse comme le site de Kronoss. Certainement plus que quelques petites semaines! Elle s'arrêta un instant, puis en haussant les épaules glissa autour du poteau qu'elle lâcha et courut vers la rampe en pierre. C'était une sorte de balustrade qui surplombait la ville. Elle s'arrêta à nouveau et balaya l'horizon du regard. Norangeles , sourit-elle.

    C'est à se demander si le beau ciel et les millions de palmiers reviendront-ils un de ces jours? Serait ce qu' il un voeu pieux?

    Elle voulut compter les lampadaires à micro-ondes qui envoyaient dans le ciel des décharges d'électricité statique pour générer la lumière du jour synthétique. Il y en avait tellement qu'elle dût abandonner l'idée. En dépit de la couverture nuageuse permanente qui cachait constamment le soleil, les décharges électriques éclairaient abondamment le ciel.

    L'homme chauve fronça les sourcils puis sortit une tablette virtuelle de sa poche. En jetant des coups d'œil furtifs vers Gwen, il tapa sur l'écran malléable. Sous peu, apparut une photo de Gwen et une concise description dans une langue, que seuls les Chefs de Secteur comprenaient.

    Tout en s'éloignant de la balustrade, Gwen se mit à chanter. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas chanté sous la pluie. Elle en était sûre. Il y avait certaines choses dont elle se souvenait bien. Alors que la pluie s'épaississait, Gwen écarta les bras et se mit à danser. Le matin avait peut-être commencé sur un pied sombre, mais maintenant elle était heureuse, oui, heureuse d'être de retour. Ses vacances avaient été longues, trop longues…

    À l'abri de la colonne, le chauve remit la tablette dans sa poche. Il faisait bien attention à rester hors de vue mais continua d'observer Gwen. À part ses yeux verts sombres menaçants qui la suivaient pas à pas, et une bouche tordue ouverte à moitié, son visage ne trahissait point d'émotion.

    Gwen sautilla sur l'escalier. Elle était toute mouillée et claquait des dents. Elle n'aperçut pas cet homme qui disparut avant même qu'elle posa pied sur les marches réfléchissant les décharges d'électricité statique qui traversaient le ciel à un rythme de plus en plus rapide. Au fur et à mesure qu'elle gravissait les marches, des spots incorporés un peu partout dans le sol clignotèrent et peu à peu illuminèrent le Centre Civique tout entier. C'était un spectacle majestueux et imposant -celui d'une sorte de Taj Mahal néoclassique. Quand elle arriva aux dernières marches, Gwen s'arrêta et admira la bâtisse de Kronoss une fois de plus. Cet édifice avait été méticuleusement rénové. Il était bien plus propre qu'auparavant et même semblait plus grand que celui dont elle se souvenait.

    Pas étonnant que le puissant Conseil de Norangeles eût choisi cet endroit pour son quartier général!

    Elle s'arrêta, en se rappelant qu'elle avait bien et bel travaillé ici. Mais c'était dans le temps. Et maintenant, et bien elle venait seulement que pour… rendre visite.

    Elle tendit la main pour pousser l'une des portes en verre massif quand tout à coup l'homme chauve l'en empêcha. Ils se regardèrent les yeux dans les yeux. Elle voulut protester, mais elle se rendit vite compte à qui elle avait à faire. Il portait cet uniforme vert rayé bien connu, orné de l'emblème du Chef de Secteur sur l'épaulette droite ainsi que l'emblème de la Police de la Santé sur la poitrine gauche. Sa peau polie luisait et il avait l'air d'en vouloir au monde entier.

    Vous êtes en retard! Il remarqua d'un ton désagréable.

    Sans dire mot, Gwen sourit nerveusement

    À partir de maintenant, la salle de presse est inaccessible!

    Son sourire tordu formait une boucle déformée.

    Gwen retint son souffle. Elle concentra son regard sur le visage pâle de cet homme dont la peau ne réfléchissait point la lumière du jour synthétique mais, bizarrement, l'absorbait. Même si tous les Chefs de Secteur ressemblaient à des cadavres bien conservés, et en vie, celui-là était particulièrement effrayant.

    Entrée interdite, murmura-t-il d'une voix au ton mécanique. Même s'il n'était pas une machine, il se comportait comme un robot.

    Gwen déglutit.

    Un Chef de Secteur pouvait appeler les agents des FSM à tout moment et faire déporter toute personne sur-le-champ -sans que personne ne pose de questions.

    Je suis désolée. Elle se mit à fouiller les poches.

    On m'attend dans les coulisses. Je ne suis pas une journaliste. J'ai une autorisation de Premier Ordre…

    Autorisation? Le Chef de Secteur grimaça..

    Quel genre d'autorisation? Glapit-il.

    Le ton de sa voix était particulièrement désagréable.

    Les yeux de Gwen se posèrent sur le Tatouage de Valeur Sélective, le soi-disant Tatouage Fitness sur son cou. Il bougeait comme s'il était en vie indépendamment de l'homme. Bien entendu, cet homme était un Raham. Tous les Chefs de Secteurs étaient des Rahams. En règle générale, ces êtres souffraient des réhabilitations longues et pénibles au cours de leurs séjours prolongés dans les Mines. Ils en sortaient complètement reconditionnés et physiquement améliorés. Outre la rénovation physique et mentale qui était en fait une transformation radicale. La mémoire d'un Raham était complètement effacée, et chaque individu recevait une nouvelle personnalité, une nouvelle identité et une nouvelle mission de vie. Avec de nouveaux traits du visage qui souvent était entièrement refait, il était très difficile de reconnaître un Raham, que ce soit à ses proches, à anciens amis ou à des connaissances. À tous les égards, le Raham préfigurait un être nouveau. Et une fois réinséré dans la société, comme un robot, il vivait au service du Nogaplan et appliquait les Lois de Santé.

    Où est ma Carte d'Admission? Gwen se mordit les lèvres, en fouillant de nouveau ses poches.

    Croyez-moi, j'ai bien reçu cette Autorisation.

    Autorisation ou pas, le Raham déclara, froidement.

    Vous êtes en retard.

    Ses yeux anormalement verts reflétaient les flux de lumière synthétique qui traversaient le ciel.

    Être en retard pour toute cérémonie publique du Conseil constitue une infraction aux Articles 22 et 29 du Règlement Administratif. C'est aussi une violation des protocoles du Conseil, articles 78 à 93 et…

    Il posa une main lourde son épaule gauche.

    Et plus on accumule d'infractions, plus on a de chances de se faire un casier médical et de justifier une étude de santé approfondie. Sous peu, on aura assez de données incriminantes pour vous envoyer automatiquement aux Mines!

    Mais ça va pas la tête? Elle le repoussa, en ne se rendant pas tout de suite compte de la gravité de son geste. C'était une infraction lourde. Selon le Code de la Santé, ne serait-ce que de toucher un Chef de Secteur représentait un crime. Laissez-moi passer!

    Bon, ça suffit! Il la poussa violemment contre la porte et la regarda droit dans les yeux.

    Dois-je vous emmener au poste pour faire un bilan de santé ou veux-tu que je t'envoie directement aux Mines?

    Je… Ses yeux se remplirent de larmes. Je… Qu'est-ce que voulez-vous de moi? Je… Je vous le jure, je ne comprends pas!

    Exactement.

    Il la relâcha. En inclinant la tête, il la regarda de biais.

    Vous ne comprenez pas. Pas encore!

    Il suivit ses gestes alors qu'elle ajusta nerveusement son manteau. Faut dire que vous ne souffrez pas encore de Nasclerosits. Non, non. Vous êtes en parfaite santé.

    Il toucha de ses mains froides les joues de Gwen et admira son visage.

    Tel un nouveau-né, tu occupes un corps sain et innocent. Quelques secondes plus tard, il posa son index sur son cou. Son doigt robuste glissa en bas. Ne voyant rien d'autre qu'une peau lisse et pure, il s'arrêta et siffla comme un serpent: "T'as pas de tatouage?

    Mais, ça veut dire que t'es une… édition spéciale?"

    Comment?

    Elle repoussa sa main, puis se frotta le cou. Sa peau était en effet impeccable.

    Je… Je n'en ai jamais vu auparavant.

    Il recula, en admiration. D'édition spéciale… Une vraie édition spéciale… Et avec un corps comme le tien… Il soupira, envieux. Oui, tu devrais en prendre bien soin… de ton corps.

    Pas de doute, tu es tombé sur la tête, dit-elle, en soupirant.

    Il n'y aura pas pas rapport, pour le moment, grogna-t-il.

    Non, pas de rapport.

    Il la fixa du regard en plissant les yeux, puis après quelques secondes de silence, il ajouta:

    Mais ça viendra, et plus vite que tu ne le penses!

    3

    Des gouttes de sueur glissèrent sur les tempes de Gwen. Elle les essuya, ainsi que son front. Bien que spacieux, moderne et magnifique, le hall voûté et colossal de cette nouvelle bâtisse qu'on nommait Kronoss n'était pas correctement climatisé. C'était-ce à se demander si c'était dû à la négligence ou à une mauvaise conception architecturale. Elle s'approcha rapidement de l'entrée de l'amphithéâtre où la conférence de presse avait lieu. Elle se haussa sur la pointe des pieds et regarda par l'une des petites vitres teintées installées dans la porte géante, quand tout à coup un rugissement suivi d'applaudissements remplit l'Auditorium. Elle fronça les sourcils. Elle n'avait jamais entendu parler de journalistes applaudissant les résolutions du Conseil.

    Elle recula avec un soupir. Les applaudissements retentirent une fois de plus. Elle jeta un coup d'œil le long du couloir vide. À quelques mètres de là, un garde en tenue anti-émeute apparut. Il portait un uniforme noir bien reconnaissable. C'était un Garde du Conseil. On ne pourrait se tromper non plus en voyant l'emblème de la Division M. De plus, seuls les hommes de cette unité d'élite portaient des casques aux bandes rouges. Elle se concentra sur le visage qui lui parut familier et sourit. Bien qu'elle eût des trous de mémoire, elle reconnut Major Tom Lascott. Elle l'avait connu depuis qu'il avait rejoint cette Division quand il était encore un jeune homme. Elle lui fit signe, et se dirigea vers lui toute heureuse. Mais avant qu'elle ne fit plus de trois pas, il appela deux autres gardes qui se cachaient derrière les colonnes et leur donna des ordres à la hâte.

    Les hommes prirent immédiatement leurs positions et déployèrent leurs boucliers en plasma luisants. Puis ils pointèrent leurs matraques électromagnétiques toutes grésillantes vers Gwen.

    Mais qu'est-ce que tout cela veut dire? Murmura-t-elle, étonnée.

    Tom arma ses Poignes Paralysantes, qu'on appelait souvent les Stun-Grips, et s'avança.

    Ne bougez pas! Il ordonna, en armant ses Stun-Grips. Le ton de sa voix, mécaniquement amplifiée résonna étrangement. S'assurant que Gwen était bien et bel dans sa ligne de mire, il ajouta:

    Vous entrez maintenant dans une zone sous contrôle.

    Mais, Tom. Marmonna-t-elle, en essayant de sourire. C'est moi, Gwen.

    Citoyenne, continua-t-il. Ceci est une zone sous contrôle.

    En effet, Tom. Elle sourit. Mais c'est le seul accès aux coulisses que je ne connaisse. Elle rit, nerveusement.

    Ah, Tom. T'es vraiment convaincant.

    Citoyenne!

    Il baissa sa visière.

    Je vous interdis de vous déplacer!

    Ce n'est pas à y croire, Tom. Dit-elle d'une voix tremblante. C'est moi, Gwen. Elle recula.

    Ne me reconnais-tu pas?

    Pas un geste! Il fit un signe de la main à ses hommes, leur ordonnant de s'avancer prudemment.

    Citoyenne, ordonna Tom. Position de fouille!

    Si c'est ce que tu veux, Gwen écarta les bras.

    Gardes, aboya-t-il. Préparez l'Insta-Scan.

    Le plus petit des hommes s'avança un peu plus près. Il rabattit un peu son bouclier et dirigea sa matraque vers le plafond. L'extrémité de la matraque s'ouvrit comme une fleur, puis tira en l'air une boule de lumière jaune qui rebondit sur le plafond et éclata au-dessus de Gwen. La lumière se propagea comme un parapluie qu'on dépliait et se transformant lentement en un écran semi-transparent qui enveloppa Gwen des pieds à la tête. Des chiffres et des lettres parcoururent la surface tremblante de cette bulle. Tout ce qui était encodé dans le corps de la femme, en commençant par toute information génétique disponible à son sujet et en finissant sur toutes ses données financières passées et présentes, apparurent sur cette étrange écran.

    Tom se rapprocha d'elle et examina les données. Il sembla hésiter -comme si quelque chose clochait. Qu'était-ce?

    Il toucha enfin la surface semi-transparente qui, en quelques secondes à peine, se désagrégea. Il recula d'un pas ou deux en attendant à ce que l'écran perdit tout éclat et les chiffres et lettres disparurent complètement. Lorsque l'énergie se dissipa entièrement, Gwen sentit une sorte de brûlure derrière son oreille. Elle voulut la toucher pour voir ce que c'était, mais changea rapidement d'avis. Les Gardes du Conseil avaient une réputation de zélote. Tout mouvement soudain pourrait coûter cher. Sans parler des séquelles dues à un coup de matraque électrostatique!

    Tom ouvrit sa visière et regarda Gwen droit dans les yeux. Il ne trahit point son hésitation. Quoi qu'il resta figé sur place un court instant. Enfin, il dit d'un ton glacial:

    Citoyenne, les données sont claires. Vous pouvez circuler.

    T'as rien d'autre à me dire?

    Gwen baissa les bras et secoua la tête comme si elle était déçue de cette interlude. Durant toutes les années qu'elle avait travaillé pour le Conseil, ils furent de très, très bons amis. Mais c'était dans le temps. Maintenant, tout cela semblait bien enterré.

    Selon les résultats de l'Insta-Scan, nous avons ici un Visiteur de Classe F.

    Tom déactiva son arme et fit un signe de la main à ses hommes.

    Son autorisation est valide. Elle peut circuler. Citoyenne; c'était une fouille réglementaire. Veuillez accepter nos excuses.

    Il se tourna vers ses hommes. Laissez ce Raham passer!

    Raham? Gwen aboya.

    Je savais que tu avais un bon sens de l'humour, mais là tu pousses un peu trop loin

    Il se tourna comme un robot et une fois de plus lui jeta un regard glacial.

    Ça sera tout, Citoyenne. Dit-il après un moment, d'un ton monotone. Une fois de plus, il fit un signe de la main à ses hommes. Emmenez cette Raham dans les coulisses et veillez à ce qu'elle ne s'égare pas.

    4

    Gwen gravit les quelques marches menant vers la scène et à l'abri d'un grand rideau, observa le groupe d'une douzaine d'individus en tuniques grises faisant face au public.

    C'étaient les hommes et les femmes du Conseil de Norangeles -les gens les plus puissants au monde. Immobiles telles des statues, ils écoutaient sans broncher l'Attaché de Presse qui faisait son discours.

    Elle concentra son regard sur cet homme. Il portait un costume d'un cadre de nomenclature supérieur empressé et orné sur les manches de l'emblème luisant du Conseil de Norangeles. Quand il se tourna légèrement

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