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Les pions
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Livre électronique298 pages4 heures

Les pions

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À propos de ce livre électronique

Altina ouvre ses portes à une des personnalités les plus riches et puissantes de la planète, monsieur Edgar Powell. Un concours visant à dénicher trois personnes talentueuses pour un travail bien particulier à Paradisa, un archipel situé loin de toute civilisation au milieu de l’océan Pacifique, est organisé non seulement à Altina, mais aussi partout dans le monde. Noémie, une jeune Altinaise tente sa chance à l’insu de sa famille et de son petit ami, Xavier, et s’inscrit à ce concours. Lorsqu’elle le leur apprend, ses proches désapprouvent vertement sa décision. Elle veut alors annuler sa candidature, mais elle constate qu’il est impossible de le faire, Choisie parmi un nombre imposant de candidats, des épreuves dites «amusantes» s’amorcent pour déterminer les gagnants qui s’envoleront pour Paradisa. Lors des compétitions, le déroulement de certaines épreuves la laisse perplexe. Serait-elle victime d’un coup monté? Une étape mortelle se prépare. En sortira-t-elle vivante?
LangueFrançais
Date de sortie9 févr. 2017
ISBN9782897677688
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    Aperçu du livre

    Les pions - Danielle Dumais

    PROLOGUE

    La majestueuse ville d’Altina s’étend sur les rives de la Californie et occupe un territoire d’un peu plus de 2 000 km². Fondée en 2254, cette ville fut construite selon les principes énoncés du traité de la philosophie Ordre et Paix (OP) développée par le docteur Arthur Tabe.

    Économiste émérite, charismatique et visionnaire, il émit une théorie révolutionnaire et séduisante dont le seul objectif était l’équité des ressources matérielles et financières. Ce simple objectif permettrait d’établir une paix sociale solide et durable dans le monde entier.

    Sa doctrine s’appuyait sur un concept fort simple : établir une politique économique basée sur des opérations à stock nul au bénéfice de tous. Pour atteindre cet objectif louable, une direction rigoureuse des tâches appelées Fonctions devrait s’exercer et être maintenue minutieusement auprès de la population.

    Dans une société où 85 % de la richesse du monde était détenue par seulement 1 % de la population, cette philosophie inspirait un grand espoir auprès des classes pauvres et moyennes. Par contre, elle était loin de plaire à la classe des riches, et surtout des ultra-riches, ce 0,1 % de la population possédant 51 % de la richesse mondiale. À eux seuls, ils détenaient toutes les ficelles de l’économie mondiale et ne désiraient que deux choses : conserver ce pouvoir et se divertir.

    À contre-courant d’eux, le docteur Arthur Tabe étudia les bases d’une nouvelle vie fondée sur une économie juste et équitable. Il publia dans ses nombreux livres toutes ses connaissances et ses recherches. Puis, il forma un groupe qu’il appela Projet Altina. Composé en majorité de sociologues, de scientifiques et d’entrepreneurs, le groupe mit des années avant de finaliser son projet selon lequel la ville était un corps humain muni d’une tête pensante et des bras pour travailler plutôt que formée d’individus visant à s’enrichir au détriment des autres et se consacrant majoritairement aux loisirs.

    Bien que sa philosophie fit fureur dès ses premières publications en 2211 et qu’il amassa une fortune colossale en raison de ses conférences et des centaines de millions de livres vendus à l’échelle mondiale, il ne réussit qu’à convaincre tout au plus 30 000 personnes de le suivre dans cette nouvelle ville. Déçu du faible nombre d’adhérents à sa doctrine, il sut tout de même s’entourer de personnes qualifiées en matière de génétique et d’avancements scientifiques touchant de nombreux domaines tels que l’agriculture, l’informatique et la construction, pour n’en nommer que quelques-uns. En 2250, les travaux commencèrent. Arthur Tabe était alors âgé de 80 ans. Quatre ans plus tard, les portes d’Altina s’ouvraient pour accueillir ses premiers et derniers habitants.

    Aux yeux du monde entier, cette philosophie cachait cependant un volet beaucoup moins reluisant, une réalité discutable.

    En effet, pour réaliser ce grand objectif, l’équipe de concepteurs et d’entrepreneurs de cette nouvelle cité dirigée par le grand architecte Arthur Tabe établit une règle importante : tout humain à Altina serait programmé et modifié génétiquement en vue de remplir une Fonction.

    De plus, les hommes et les femmes d’Altina conditionnés à une formation et dédiés à des tâches spécifiques selon la Fonction qui leur serait attribuée dès leur naissance n’auraient d’autres choix que de contribuer à une paix solide et durable qui perdurerait des siècles et des siècles.

    Mais une autre mesure s’imposait.

    Pour éviter tout contaminant bactérien, tout polluant, toute attaque ou toute influence par des intrus, la ville fut recouverte d’une immense structure de verre. Par conséquent, chaque personne qui y entrait ne pourrait en ressortir, même une fois qu’elle serait décédée.

    À 84 ans, Arthur put admirer son œuvre. Grâce à ses millions de plaques de verre enchâssées dans une structure d’acier doré, Altina brillait comme un joyau sous le soleil californien. Tabe espérait que ce symbole d’une ville autonome et autarcique fasse l’envie de tous et que cette première cellule devienne un modèle. Des milliers de gens l’avaient suivi et avaient décidé de vivre en autoconsommation, loin de la consommation abusive et agressive des ressources naturelles exercée par les autres nations. Dans son for intérieur, il croyait que la cellule se multiplierait avec rapidité et à grande échelle dans tout l’Univers comme des milliers d’étoiles brillantes dans le firmament.

    Cent cinquante ans plus tard, cet espoir se révéla vain. Bien que certaines mégapoles se soient créées selon ce principe, elle fut l’unique cité à en suivre précisément toutes les règles et à se couper du monde entier.

    Qu’en est-il maintenant de ce monde parfait et merveilleux d’Arthur Tabe, de celui qu’on appelle Gotha à Altina ?

    Un monde parfait ?

    Vraiment ?

    Non, pas exactement !

    En juillet 2404, la population d’Altina dépasse maintenant les 45 000 habitants. La ville suffit à peine à nourrir sa population, sans parler des systèmes informatiques et mécaniques vieillissants répondant difficilement aux tâches. Une formule logarithmique basée sur l’argumentaire « Cum hoc ergo propter hoc¹ » avait permis ce surpeuplement. Cette formule s’appuyait sur un sophisme simplissime : l’évènement A est corrélé à l’évènement B. Donc, A cause B. Et pourtant, cette logique était loin d’être rationnelle et elle avait engendré une surpopulation, un effet appelé « cigogne ». On ne pouvait pas mieux le qualifier, un argument qui collait très bien à la réalité. La formule mathématique était mauvaise et avait permis trop de naissances. Si les scientifiques avaient fait une erreur aussi grossière, qu’en était-il pour les autres prémisses ? Assisterons-nous à la fin d’Altina ? L’Élite saura-t-elle corriger le tir ?

    Gotha avait un choix à faire. Un choix difficile, il va sans dire.

    Il ouvrit les portes. Pour la première fois, un maître de l’Univers imposera sa loi.


    1. Expression signifiant : Avec ceci, donc à cause de ceci.

    PARTIE 1

    Un vent de changement, un vent de liberté

    Le pouvoir, ce n’est pas ce que l’on a, mais bien ce que les autres croient que l’on a.

    Danielle Dumais

    Chapitre 1

    DÉCRÉPITUDE

    Samedi 17 juillet 2404, 1 h 34

    Floc !

    J’ouvre grand les yeux. Ce bruit, je le reconnais. J’écoute ce son qui rompt le silence de la nuit. Continuant à se réverbérer un long moment sur les parois vitrées, il finit par se taire.

    Ai-je vraiment envie de me lever ?

    La tentation est forte.

    Pourtant…

    Je sais très bien à quoi m’attendre. Alors, pourquoi me lever ?

    Je m’assois dans mon lit. Mon bracelet indique 1 h 36. Je me berce et je réfléchis. J’y vais ou je n’y vais pas ? Toutes les fibres de mon corps m’incitent à le faire. Je continue pourtant à me bercer et à réfléchir.

    J’ai peine à croire qu’on puisse passer à l’acte. Depuis quelques semaines, des mesures d’austérité nous sont imposées, dont, entre autres, un rationnement encore plus restrictif de fruits frais (et pourtant, il était déjà ridiculement trop sévère, soit d’un fruit par mois, par habitant). Altina n’est pourtant pas encore assez dégradée pour que les citoyens commettent l’irréparable. Du moins, c’est ma conviction.

    Dans l’anonymat de la nuit, cet homme ou cette femme a choisi l’heure parfaite pour commettre ce geste honteux. Je les connais peut-être ; le son était si près que je crains que ce soit un Réparateur de notre bloc d’unités.

    La tentation est forte de jeter un coup d’œil à la fenêtre. Je mets un pied à terre. Et puis, zut ! Une heure trente-sept. Il faut que je dorme et j’oublie cet incident. Demain, je travaille. Docilement, je me recouche.

    • • •

    Quelques secondes plus tard.

    Floc !

    À nouveau, le son se réverbère de nombreuses secondes avant de s’évanouir. Un immense frisson parcourt tout mon corps. Il a résonné plus fort que l’autre. La raison est simple : je ne m’étais pas rendormie.

    — Non, murmuré-je avec tristesse, ce n’est pas vrai ! Un autre suicide !

    L’envie de courir à la fenêtre est plus qu’irrésistible, elle est démente.

    À cette heure de la nuit, la ville est parfaitement silencieuse et le moindre bruit, si faible soit-il, résonne contre les parois vitrées plusieurs fois avant de mourir définitivement. Debout près de mon lit, le corps en alerte, j’écoute. Ce silence est angoissant. Y aurait-il un autre suicide ?

    Ne pouvant plus résister, je mets mes pantoufles et je cours à la fenêtre. J’allonge mon cou en direction d’où le bruit provenait. Du dixième étage, je perçois très clairement un groupe de policiers et d’ambulanciers. À Altina, nul besoin d’utiliser des sirènes pour atteindre le lieu d’un incident puisque les seuls véhicules autorisés à voler sont les véhicules de patrouille, les ambulances et les voitures des SI (Situations Imprévues), qui, à ce que je sache, peuvent utiliser ce moyen de transport. Tous les autres déplacements se font à pied sur des trottoirs roulants ou par le Filair, un moyen de transport ultrarapide permettant de passer promptement d’une zone à l’autre de la ville.

    Ah, bien sûr, il y a bien quelques vélos vétustes datant d’une époque lointaine. Une petite poignée d’Altinais les enfourchent durant les jours de congé et se promènent tranquillement en sifflotant.

    Une centaine de scooters électriques sillonnent aussi les rues de la ville. Ils sont attribués uniquement à la Fonction Entretien attitrée au maintien des parcs et des jardins urbains. Je les envie tous de pouvoir conduire un véhicule personnel.

    J’observe sans projeter ma tête à l’extérieur et avec discrétion les manœuvres du personnel policier et ambulancier. Elles s’effectuent avec une lenteur qui me surprend. Sont-ils agonisants ou morts ?

    Probablement, décédés. Ça va de soi !

    Les chaussées de la ville sont recouvertes d’un revêtement caoutchouté assez confortable pour les pieds, ce qui explique le son si doux produit lors de l’impact. C’est comme, pour ainsi dire, une invitation à se jeter dans le vide. Rien de plus simple pour y répondre.

    Les balcons et les fenêtres de nos logements facilitent la tâche et rien n’a été fait pour contrecarrer ce geste infâme. Pourquoi notre vénérable Gotha, veillant sur nous, n’intervient-il pas ou n’a-t-il pas rendu ce geste impossible ?

    Malgré cette surface synthétique d’apparence moelleuse, un saut d’au-delà de 30 m ne permet qu’une issue : la collision avec ce matériel est mortelle.

    La voix d’un homme chuchotant au module de communication accroché à son poignet (un appareil que nous portons tous et que nous désignons sous le terme de « bracelet ») m’indique que la situation pose problème. Les policiers et les ambulanciers entourent les corps et conservent leurs mains sur leurs hanches, comme frappés par l’incongruité de l’évènement ou par un fait dépassant l’entendement.

    — Pourquoi tout ce temps ? murmuré-je. Enlevez-les et débarrassez le plancher !

    Mon afficheur indique 1 h 48.

    — Ils en mettent du temps. Pourquoi ne les déposent-ils pas sur des civières ?

    Un autre véhicule arrive et trois hommes en débarquent.

    — Oh, des SI. Vraiment bizarre !

    Munis de serpillières, ils branchent un tuyau d’arrosage à une prise d’alimentation d’eau. L’eau coule et éveille d’autres personnes. Je le vois par le nombre croissant de lumières bleutées émises par les bracelets aux fenêtres des logements avoisinants.

    Finalement, les ambulanciers lèvent les corps pendant que les trois hommes arrosent abondamment la surface de la chaussée et ramassent quelques détritus au sol.

    Je grimace et pousse un soupir de douleur. Je devine aisément ce qui s’est passé.

    Avant de se jeter dans le vide, le couple s’est assuré de ne pas manquer son coup en tombant. Ils ont probablement placé sur eux des éclats de verre ou des lames métalliques.

    Pourquoi vouloir en finir si tragiquement ?

    Enfin, l’ambulance s’envole vers le Centre de traitement en emportant les deux dépouilles. Les policiers quittent les lieux et l’équipe de nettoyage poursuit avec minutie son travail.

    J’entends un bruit dans l’appartement et je cours me remettre au lit. Je suis à peine enveloppée de mes draps que la porte s’ouvre.

    — Noémie ? chuchote une voix féminine.

    Je prétends dormir. Il est hors de question que je réponde à ma mère.

    — Dors-tu ?

    Je ne bronche pas. Tout doucement, Alexia referme la porte et retourne à sa chambre.

    Chaque fois qu’un tel incident arrive, ma mère s’assure que je ne regarde pas et que je suis bien au lit en train de dormir. Et pourtant, je ne suis plus une enfant qui a besoin d’être consolée ; je suis une jeune femme de 17 ans.

    Il y a une dizaine d’années, alors que je n’avais que sept ans, je me suis réveillée en entendant ce même bruit doux et sourd. Comme cette nuit, elle en savait la provenance et elle s’est levée pour vérifier si je l’avais entendu. Elle m’a trouvée debout devant la fenêtre en train de regarder un corps étendu au sol. Ce soir-là, je ne comprenais pas ce qu’il faisait là. Un corps sur la chaussée !

    Rapidement, elle s’est dirigée vers moi et a tout de suite mis une main sur mon visage.

    — Noémie, ne regarde pas ça !

    Elle m’a reconduite à mon lit.

    — Pourquoi cet homme est-il couché sur la chaussée ?

    — Je n’en sais rien, Noémie, m’a-t-elle menti. Couche-toi, ma chérie.

    Je me suis remise au lit.

    — Pourquoi les autres hommes l’ont mis dans un lit et ensuite dans un véhicule tout blanc ? ai-je demandé même si j’avais une assez bonne idée de la réponse.

    Elle m’a bordée en passant ses mains pour bien lisser les draps. Sa respiration m’a semblée faible. Puis, elle a ajouté :

    — C’est parce qu’il dort trop profondément, tu sais. Ils l’ont mis dans un lit pour le transporter chez lui.

    — Est-ce qu’ils savent où il demeure ?

    — Bien sûr ma chérie, a-t-elle répondu avec un peu plus d’enthousiasme. Ils le savent en raison de son bracelet, tout comme toi, tu as un bracelet, me dit-elle en pointant l’anneau argenté entourant mon poignet gauche. Nous portons tous un bracelet.

    Cette réponse m’a paru incongrue. Bien sûr que je savais que nous portons tous un bracelet. Je m’en servais quotidiennement pour me diriger partout dans la localité. Ce soir-là, je n’ai pas osé lui dire ce que je pensais vraiment. Si l’homme ne s’était pas levé, c’est parce qu’il était mort.

    Une raison si simple qu’elle aurait dû y penser. Je ne comprenais pas pourquoi, elle ne saisissait pas que lorsque nous sommes décédés, nous ne pouvons ni nous relever ni marcher.

    Ma mère a quitté la pièce et elle m’a laissée dans le noir. Au sens propre comme au sens figuré.

    Maintenant, je sais qu’elle le savait et qu’elle ne voulait pas me traumatiser.

    Cette nuit, je me pose la même question qu’à ce moment-là. Pourquoi cet homme s’était-il enlevé la vie ? Et ce soir, pourquoi deux ? Quelle est donc la motivation qui les pousse à faire ce geste horrible ? N’ont-ils pas un destin tout tracé comme tous ceux qui vivent à Altina ? Et si cette voie n’était pas aussi belle qu’on le dit ? J’en ai des frissons. J’ai bien peur que la vie ne soit plus comme aux premiers jours de sa création.

    Enfouie sous les couvertures, je me demande qui je suis. Suis-je fonceuse ou bien… suiveuse ? Je fais preuve de ce dernier trait tous les jours en bloquant de mon esprit toutes les questions relatives à cette ville en décrépitude.

    Tout ce qui m’entoure tombe de plus en plus en ruine. La quiétude d’antan, du temps de la jeunesse de ma mère ou de ma grand-mère aspirant à une vie simple et sans problèmes, est maintenant chose du passé. Y a-t-il une solution à toute cette désuétude ?

    Avant de me rendormir, je revois l’homme et la femme. J’ai bien noté qu’il s’agissait d’un jeune couple, mais une chose m’a intriguée : la jeune femme ne portait pas de bracelet.

    Qui est-elle ? Et d’où vient-elle ?

    Chapitre 2

    UNE NOUVELLE FRACASSANTE

    Ce matin, tout le monde semble nerveux, même mon frère, Mattéo. Je mets ça sur la faute de l’incident arrivé très tôt ce matin. Je suis presque sûre que toute notre famille a entendu les deux sons et que personne ne s’est rendormi.

    Nous nous regardons sans nous parler. Il me semble que ça ferait du bien d’en discuter. C’est plutôt l’Omerta, la loi du silence. Tout est tabou à Altina. Tout ce qui ne contribue pas à l’ordre et à la paix n’a pas sa place.

    Comme tous les samedis matin, ma mère prépare le café pendant que mon père s’apprête à écouter les banalités d’Altina diffusée par le Réseau national.

    Les Communicateurs ne diffusent que les bris mécaniques et les interruptions de certains services, jamais les décès, ni les naissances, ni les suicides de cette grande ville. Il en va de même pour la température. Sous nos dômes de verre, la température est toujours identique à moins d’une interruption localisée et rarement générale de service des systèmes de conditionnement de l’air. Il n’y a jamais de pluie ou de bourrasque, rien qu’un ciel bleu ou gris.

    Alors que reste-t-il à transmettre sur le Réseau national ? Que les consignes de restriction en eau et les lieux de ravitaillement. Quelquefois, de vraies interruptions de distribution en eau et en électricité. Ces pannes ne durent que quelques heures, jamais plus d’une journée.

    Pour nous instruire plus que nous divertir, de nombreux documentaires sont diffusés en fin de journée. Ils traitent des animaux sauvages, de la faim dans le monde, des maladies contagieuses, de la désertification de l’Afrique et de l’extinction de nombreuses espèces animales. Tous ces documentaires datent d’avant 2254. Aucune nouveauté.

    Mon père appuie un bouton sur l’écran tactile de son module de communication. Un grand écran se matérialise dans un coin de notre unique pièce servant de salle à manger, de séjour et de cuisine.

    — Bonjour, chers concitoyens et concitoyennes. En cette journée de congé, Gotha vous souhaite une bonne journée ! Dans notre grande métropole (les Communicateurs aiment bien appeler notre municipalité-pays une métropole… pff ! quelle vantardise !), tous les services habituels de locomotion et d’approvisionnement sont fonctionnels. Les produits frais seront disponibles à partir de 10 h. Les serres de Gotha ont été productives et nous disposons d’une assez grande quantité de haricots et de pommes. L’attribution sera faite selon les règles établies.

    Ma mère dépose la cafetière sur la table. Je suis la première à me verser une tasse et à passer la cafetière à mon père. D’un air las, je regarde Jade, le Communicateur, une belle jeune fille à la chevelure blonde et aux yeux verts. Elle est plantée devant un bureau blanc et derrière elle, un mur gris, rien d’excitant pour mes cellules grises.

    — Altina fêtera ses 150 ans d’existence ce mardi 20 juillet, annonce-t-elle.

    Nous nous regardons. Jamais nous n’avons fêté la fondation de la ville, alors pourquoi cette année ? Qu’y a-t-il d’exceptionnel ?

    — Pour l’occasion, Gotha prévoit un congé ce lundi et ce mardi pour tous, sauf bien sûr pour les Communicateurs, l’Autorité et les Soignants. Il est prévu qu’Altina ouvrira ses portes ce 20 juillet à 14 h pour recevoir un invité de marque, une personnalité du monde des finances.

    Ma mère est pétrifiée. D’une main, elle tient la cafetière et de l’autre, sa tasse.

    — Nous recevrons pour l’occasion monsieur Édouard Powell, un multimilliardaire reconnu pour ses projets audacieux et spectaculaires dans le monde entier. Il sera notre invité d’honneur pour ce grand évènement.

    Mon père a la mâchoire décrochée et mon frère, les yeux exorbités.

    — Gotha accompagnera monsieur Powell lors de la cérémonie protocolaire…

    — C’est qui, cet Édouard Powell ? m’écrié-je.

    — Chut ! s’énerve mon père en frappant la table de sa main.

    C’est la première fois qu’il hausse la voix et commet un geste déplacé. J’en suis troublée.

    — … de source sûre, on m’indique qu’il fera l’annonce d’un projet incroyable. Il va sans dire que ce sont les seules informations que j’ai. Plus d’informations vous seront transmises à notre bulletin de 18 h. Je vous dis donc à ce soir, et passez une agréable journée. Ici Jade, le Communicateur…

    Puis-je vraiment poser une question ? Malgré cette tension palpable, j’ose.

    — Depuis quand fêtons-nous quelque chose à Altina ? Est-ce que nous verrons pour la première fois Gotha en chair et en os plutôt que seulement son visage rigide et perpétuellement identique et sans expression ? demandé-je avec une pointe de sarcasme.

    Ma mère me fait de gros yeux. Oui, je sais : poser des questions est interdit à Altina. Se permettre d’être railleuse l’est encore plus.

    Je me terre et enfonce ma cuillère dans mon porridge, du gruau réhydraté à la saveur artificielle de fraises et de sirop d’érable. Mon père est sur le point de fermer l’écran lorsque le Communicateur s’excite sur sa chaise ; du jamais vu.

    — Oh ! Une nouvelle de dernière minute. Elle rentre sur le téléscripteur, indique-t-elle, les yeux pétillants de joie et lisant une ligne qui s’affiche au-dessus de son bureau. Une information capitale. Il s’agit d’un concours national visant à présélectionner 30 candidats dont 3 seront choisis…, poursuit-elle.

    Mon père éteint le téléviseur. L’écran se désintègre. J’en suis stupéfaite. Pour une fois, il y avait une nouvelle, une vraie.

    — Mais, p’pa, les nouvelles n’étaient pas finies.

    — Pour le bien de tous, les nouvelles sont terminées, affirme-t-il d’une voix forte.

    Voilà que mon père impose son choix. Je n’ai pas le droit de recevoir le reste des

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