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Un été pour faire la cour
Un été pour faire la cour
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Livre électronique312 pages3 heures

Un été pour faire la cour

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À propos de ce livre électronique

Après mes études, je me voyais déjà comme la plus grande designer en aménagement paysager de Montréal ! Bon, je vous l'accorde, je visais haut. J'ai frappé un mur, aussi... Malgré l'offre incroyable que me faisait ma directrice de stage, j'ai décidé de suivre mon beau Louis dans un trou perdu... en Outaouais !
Ah, l'amour, ce que ça peut nous pousser à faire…
Résultat : trois ans plus tard, je suis juste bonne à shaker des gallons de peinture dans un ProRéno pis à chialer contre ma vie plate.
Mais je n'ai pas dit mon dernier mot ! Avec ma persuasion légendaire, je parviens à convaincre le boss de Louis de m'engager sur son projet, où je commence en bas de l'échelle, à clouer des planches de patio.
Maintenant, malgré que je respire le bonheur, mon chum, lui, n'est plus capable de me sentir. Pas question que j'accepte notre rupture si facilement ! Même si je dois dormir dans une tente, me laver sur le chantier et cruiser en caps d'acier, je vais réussir à le reconquérir.
D'ici la fin de l'été, Louis verra à quel point je suis exceptionnelle, parole d'Elizabeth Morin ! Mais qu'arrivera-t-il si mon charme ne fait pas effet sur la bonne personne ?...
LangueFrançais
ÉditeurDe Mortagne
Date de sortie14 juin 2017
ISBN9782896623792
Un été pour faire la cour

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    Aperçu du livre

    Un été pour faire la cour - Johanne Pronovost

    PULSATIONS CARDIAQUES

    Je ne peux plus remettre ça à plus tard…

    J’arrache donc, avec mes dents, l’étiquette du prix en solde qui est toujours fixée à mon nouveau chemisier de couleur aubergine pour l’enfiler en vitesse avec un jeans faussement usé. Avant de sortir de ma chambre au pas de course, je saisis un grand foulard aux motifs indiens et l’enroule lâchement autour de mon cou. Dans le vestibule, mon sac de cuir se glisse pratiquement de lui-même en bandoulière sur mon épaule. Assise en haut de l’escalier, je pousse mes pieds au fond de mes Kodiak, que je ne prends pas la peine de lacer, avant de descendre les marches de l’appartement, une à une, en sautillant comme une enfant.

    Le vent du printemps entre librement par les fenêtres ouvertes de ma jeep et emmêle au passage mes cheveux bouclés, couleur bordeaux, noués en une tresse retombant sur mon épaule. À la radio, une fille qui s’appelle Ninon, surexcitée de pouvoir enfin souhaiter « un beau bonne fête » en ondes à sa cousine Nathalie, me fait sourire allègrement.

    — … ben, attaboy ma belle Ninon, le message est passé. Maintenant, dis-moi, c’est quoi ta demande spéciale ?

    — Je voudrais entendre Kiss You Inside Out de Hedley pis Andrée-Anne Leclerc !

    — OK, Ninon, je fais jouer ça à l’instant, mais avant, j’aimerais t’entendre crier bien fort dans le téléphone le nom de ta radio préférée…

    La guitare commence tranquillement son « zignelignage » par-dessus l’euphorique Ninon qui répond à la question en s’époumonant de joie :

    — C’est NRV 108,4 ! Yahooouuu ! BONNE FÊTE, NATH !

    Jacob Hoggard enchaîne avec les premières paroles de sa chanson d’amour, puis Andrée-Anne se joint à lui. Accompagnés par les instruments shootés à la vitamine C, ils attaquent la suite du morceau comme une véritable fête.

    Il n’y a pas à dire, cette journée est drôlement bien partie avec ce rythme décoiffant et le soleil magnifique qui s’approprie la totalité du ciel au-dessus de la route 307. Alors c’est plus qu’optimiste, avec mes superbes lunettes fumées de style aviateur et mes lèvres recouvertes de gloss à la fraise, que je sillonne la montée de la Source, mon cœur battant la chamade.

    LE GARS EN KODIAK

    La musique a ce don magique de faire revivre des émotions en rappelant aux gens des événements précis qui les ont marqués par le passé. Autant je me sentais remplie d’entrain après avoir entendu cette chanson de Hedley, autant Rihanna, elle, me replonge systématiquement cinq années en arrière avec sa chanson Don’t Stop the Music qui commence à l’instant. Devant moi, les quelques kilomètres qu’il me reste à parcourir me donnent un peu de temps pour monter le volume de la radio, mais surtout pour laisser mon esprit nostalgique s’envoler librement vers une époque où la vie me semblait être du délicieux gâteau au chocolat…

    J’habitais à Longueuil, chez mes parents, et j’étudiais en design au cégep du Vieux-Montréal. Mon plus grand rêve était de devenir designer spécialisée en projets extérieurs.

    Jeudi soir de février. Avec mes copines de classe, cette grosse rougette d’Évelyne et cette grande échalote d’Anaïs, nous allons veiller dans un bar extra prisé, tout près du Campus. Comme chaque fois que nous venons ici, un troupeau de beaux gars du cours de charpenterie-menuiserie débarquent vers onze heures avec leurs gros bras tatoués et leurs Kodiak sexy.

    En les voyant accaparer les lieux, on devient toutes les trois complètement folles d’hystérie, mais évidemment aucune d’entre nous n’ose aller leur parler.

    Ce soir, ma sœur aînée, Carolanne, arrive dans la place super branchée comme une véritable tornade, pour venir nous saluer. Enrubannée dans un long foulard rayé, avec sa tuque de laine bien enfoncée sur sa longue tignasse, elle semble complètement perturbée, la pauvre.

    — Ah, Jupiter ! J'suis toute à l’envers ! Je viens juste d’aller voir Ma fille, mon ange au cinéma. Tsé, vous me connaissez, les filles. Moi, y a pas grand-chose qui m’énerve dans vie, mais je vous jure que là… voir mon beau Pierre-Luc dans un rôle de crotté… ça, y a rien à faire, j’suis pas capable !… Eille, coudonc, m’écoutez-vous quand je parle ?

    Je décrirais ma sœur comme une fille sociable, mais pas mal stressante. Elle apprécie toutes les formes d’art, se passionne pour l’astrologie et fantasme constamment sur l’acteur Pierre-Luc Brillant.

    — Désolée, Caro, mais on s’en sacre pas mal de ton Pierre-Luc avec son look de bûcheron ! Tu devrais faire comme nous pis admirer le super pétard qui est accoté au bar. Tu vois, là, celui avec les cheveux noirs pis le toupet en l’air ! Aaaah ! Il est tellement sweeeet !

    Avec un manque de classe indiscutable, ma sœur se met à hurler à pleins poumons en fixant le gars en question.

    — Eille ! Non, pas toi ! L’autre à côté ! Oui, toi, avec un t-shirt de Megadeth ! Ma sœur Éli tripe sur toi ! Moi, je l’ai déjà vue toute nue, et je te jure que ça vaudrait vraiment la peine que tu viennes lui parler !

    Mes amies et moi restons figées, nos grands yeux n’osant même plus cligner. Caro me montre d’une mitaine et fait un thumbs up laineux de l’autre, à l’intention du pétard en Kodiak.

    Elle sourit en m’annonçant :

    — Capote pas, sœurette, mais le gars avec le toupet en spikes s’en vient par ici ! J’ai comme un feeling que c’est un Sagittaire, ce qui veut dire que t’auras jamais de problème avec lui. Oh ! les filles, une dernière chose avant de partir. Si, par un hasard TROP incroyable, vous croisez mon beau Pierre-Luc durant la soirée, pourriez-vous lui faire le message que la femme de sa vie est au dépanneur d’en face ? Faut ABSOLUMENT que j’aille m’acheter des Skittles. Salut !

    Et elle repart en coup de vent.

    Le gars en question a sans doute trouvé que ma sœur était une fille vraiment TRÈS convaincante parce que, depuis ce jour-là, je sors avec… Louis !

    Tous les deux, on se vouait à des carrières florissantes, chacun dans notre domaine respectif. Après mon stage chez Blues & Stars Design, concepteur de terrasses de pub, la patronne, Janice, voulait m’engager à tout prix. Bien sûr, j’ai accepté sur-le-champ et j’étais tout énervée le soir venu d’annoncer la bonne nouvelle à mon Lou qui, curieusement, était lui aussi rayonnant de bonheur devant son assiette de pogos.

    — Mon amour ! T’en croiras pas tes oreilles ! lui lançai-je.

    — Eille, toi non plus, Éli, tu devineras pas quoi ! Je viens d’être engagé par l’extraordinaire compagnie Côté cour, Côté jardin ! Ils m’ont offert un poste de chef d’équipe, direct en commençant !

    — WOW, Louis ! C’est génial ! Ça se trouve à quel endroit, cette compagnie-là ?

    — Dans la vallée de l’Outaouais, répondit-il avec un sourire incertain.

    — WHAT ! ? !

    Ouais. La vallée de l’Outaouais. À l’autre bout du monde !

    Le mois suivant, j’étais encore en larmes parmi les boîtes de carton, tandis qu’on préparait notre déménagement vers Gatineau, cette ville voisine de la compagnie qui n’avait, évidemment, aucunement besoin de mes services pour concevoir des plans de cours et de jardins grandioses.

    Je crois bien avoir sombré dans une similidépression ou quelque chose du genre. En tout cas, je n’en menais pas large dans cette contrée étrangère, loin de ma famille et de mes amis. D’ailleurs, Louis a été le premier surpris que je le suive, mais je l’aime, donc…

    Finalement, je me suis trouvé une job de merde comme « shakeuse » de gallons de peinture dans une quincaillerie ProRéno. En revenant du travail, chaque jour c’était immanquable : je pétais des coches dans les oreilles de Louis pour me défouler des clients qui m’avaient fait suer durant la journée.

    — ARGH ! Elles me font tellement chier, ces matantes Mariette avec leur cartrrrron de couleurs ! Gnan gnan gnan… c’est trop foncé, la p’tite ! Gnan gnan gnan… c’est ENCORE trop foncé, la p’tite ! Mon Lou, écoute-moi bien, la prochaine matante frisottée à me dire une affaire du genre, je lui réponds : Pourquoi tu peinturerais pas tout en blanc pour me sacrer patience… ESPÈCE DE GROSSE NOUILLE !

    Au début, Louis sortait mes CV et les laissait sur le bord de la table comme un message subtil et délicat m’indiquant de chercher un nouveau travail, mais malheureusement, on aurait dit qu’absolument rien ne m’attirait dans cette ville à saveur industrielle.

    Pour être honnête, j’ai toujours cru que la boîte contenant l’énergie nécessaire pour me faire un nom dans le milieu du design avait été envoyée à Hong-Kong par erreur la journée du déménagement. À l’intérieur de cette foutue boîte, il y avait tous mes rêves, mes passions et… ma bonne humeur aussi.

    Au bout de quelques années, Louis a cessé d’essayer de me motiver. Il levait les yeux au ciel quand je me mettais à raconter ma journée, ou bien il s’assoyait à table avec ses écouteurs enfoncés dans les oreilles pour prendre un break de mes montées de lait quotidiennes.

    Hier soir, durant le souper, comme à l’habitude, je me vidais orageusement le cœur sur le cas d’un client que j’aurais aimé foutre dans la machine à shaker les gallons. Un dénommé Rolland qui s’est plaint parce que la peinture qu’on vend n’est pas équitable !

    — Équitable ? ! Équitable, Louis ! C’est quoi ça, de la peinture équitable ? ! Ça existe même pas, de la maudite peintu…

    KLING, KLING, KLANG ! Mon amour a balancé ses ustensiles dans la pauvre assiette de fettucines Alfredo.

    — Là, Éli, j’suis tanné en tabarnak de t’entendre chialer de même à tous les osti de soupers ! Faut que tu fasses de quoi pour arranger le problème. Je t’avertis là, ça fait trois ans que ça dure, ciboire ! J’suis plus capable d’endurer ça, est-ce que c’est assez clair ? !

    Non seulement il a fait un abus de jurons pour formuler cette menace convaincante, mais en plus, il s’est donné un élan pour kicker tous les souliers dans le vestibule, incluant mes Kodiak. Assise seule à la table, j’ai entendu la porte claquer et le pauvre cadre avec nos visages angéliques est tombé par terre. Puis les pneus du pick-up de Louis ont crissé sur l’asphalte.

    Il n’est même pas rentré coucher.

    Alors ce matin, j’ai imprimé quelques CV plutôt que d’aller vendre de la peinture pas équitable aux Rolland de ce monde.

    En roulant dans la montée de la Source avec cette bonne musique dans les oreilles, curieusement, j’ai senti comme un regain d’énergie. La boîte qui revenait tranquillement de Hong-Kong avec tout son contenu, peut-être ? En tout cas, une chose est sûre : c’est fou comme un bon coup de pied au derrière accompagné d’une menace bien placée peut vous ouvrir les yeux soudainement.

    Afin de retrouver un certain calme avant d’arriver à destination, je décide de fermer la trappe à cette chère Rihanna, même si elle me supplie de ne pas arrêter la musique. Plongée dans le silence, je n’espère qu’une seule chose en vérité : que se trouve au bout de cette route un bonheur assez puissant pour m’apporter ce qui manque à ma vie, soit le retour de la passion entre Louis et moi ainsi que l’envolée d’une carrière florissante dans le monde du design extérieur.

    PUNK SOPHISTIQUÉE

    — Il est quoi, là ? Neuf heures trente-cinq. Trente minutes pour me rendre, c’est pas trop mal !

    Assise dans ma jeep garée en retrait au bout de l’immense stationnement de gravier, j’observe longuement, par la vitre, le prestigieux commerce à tendance champêtre s’élevant seul au milieu de nulle part. Le sourire aux lèvres, je me dis, tout en glissant la ganse de mon sac par-dessus ma tête, qu’il y en a un derrière ces murs qui va se pincer en me voyant apparaître ici aujourd’hui.

    Je jette un dernier coup d’œil dans le rétroviseur pour replacer mes boucles rougeâtres dans ma tresse avant de sortir du véhicule, emportant mon sac débordant de copies de CV. Je fonce d’un pas décidé en direction de l’entrée principale, surplombée d’une enseigne en lettres dorées qui annonce : « CÔTÉ COUR, CÔTÉ JARDIN, concepteur de tous vos projets extérieurs. »

    Normalement, c’est Louis qui doit m’aviser le jour où un poste de designer se libère au sein de cette compagnie, mais comme j’attends depuis trois ans déjà, ce matin, devant mes toasts au caramel, j’ai décidé d’entamer ma recherche d’emploi en commençant par ici. Je veux voir de mes propres yeux cette fameuse entreprise en pleine expansion qui n’a, apparemment, jamais besoin de nouveaux employés.

    Je ne m’attendais pas à être aussi séduite par ce que je trouve de l’autre côté des lourdes portes.

    Cet endroit est vraiment inspirant. De riches boiseries et un parquet foncé décorent la pièce centrale baignée de lumière naturelle, où sont dispersées des dizaines de tables hautes entourées de tabourets rouge tomate. Les clients, des rêves plein la tête, peuvent s’asseoir ici durant des heures pour consulter une tonne de catalogues avec des professionnels prêts à réaliser n’importe quel projet rocambolesque. Quel concept génial !

    Quand je lève la tête, un lieu sacré se déploie sous mes yeux, et j’ai le coup de foudre pour cette gigantesque mezzanine où je peux observer des architectes et des designers portant des talons hauts couleur chair, des chandails très tendance et des grosses lunettes à la Xavier Dolan. Ces amoureux de la mode travaillent paisiblement sur leur ordinateur portable ou sur de grandes tables à dessin en buvant des cafés vanille française qui parfument la pièce.

    C’est une réceptionniste souriante coiffée d’un mohawk chic, audacieux et féminin qui m’accueille derrière le comptoir central.

    — Bonjour ! me dit-elle sur un ton enjoué. Je m’appelle Judith. Avez-vous besoin d’informations ?

    Elle semble si sympathique ! Étrangement, je sens naître en moi comme une drôle d’envie de devenir son amie. Si j’avais six ans, je l’achalerais probablement pour que nous revêtions toutes les deux les robes fleuries de nos mères avec des talons hauts trop grands et une sacoche qui traîne jusqu’au sol pour jouer à la madame. Mais ici, vingt-deux ans plus tard, ce serait une suggestion vraiment douteuse. J’enchaîne alors, en déposant mes mains sur le muret de pierres qui me sépare d’elle :

    — Oui, bonjour ! Est-ce que ce serait possible de rencontrer monsieur Côté ?

    — C’est à quel sujet ?

    Elle sourit même en parlant. C’est complètement fou !

    — Pour lui offrir mes services, réponds-je en essayant d’avoir l’air confiante.

    Et je lui souris en retour pour être polie, mais voilà qu’elle me renvoie un sourire encore plus GIGANTESQUE en étirant exagérément les coins de sa bouche. Je me demande finalement si elle n’a pas quelque chose de coincé entre les dents qui la force à faire toutes ces simagrées…

    Cette réceptionniste aux allures de punk sophistiquée décroche le combiné pour signaler un numéro de poste.

    — Qui est-ce que j’annonce ? me chuchote-t-elle en posant une main sur le combiné durant l’attente.

    — Élizabeth Morin.

    Le patron décroche enfin.

    — Monsieur Côté, j’ai devant moi une jeune femme qui s’appelle Élizabeth Morin. Elle aimerait vous rencontrer. Dois-je lui fixer un rendez-vous ?

    Oh merde ! Non, non, non ! Je la supplie avec mes mains de me laisser le voir immédiatement, parce que derrière elle se trouve un énorme tableau indiquant :

    « Mardi 2 mai : Formation finale des équipes

    Mercredi 3 mai : Début officiel des chantiers

    Bonne saison à tous ! »

    Nous sommes le 2 mai. C’est maintenant ou jamais.

    Perspicace, la joyeuse réceptionniste comprend la situation et consulte son ordinateur pour trouver, avec monsieur Côté, un trou dans l’horaire très chargé de ce dernier.

    — Je vois que vous n’avez pas de rendez-vous avant un gros…

    J’observe Judith qui calcule mentalement.

    — Vingt minutes ! conclut-elle en me souriant les dents serrées, démontrant que c’est probablement insuffisant.

    Je retiens mon souffle jusqu’à ce qu’elle raccroche et me désigne de la main une porte tout au fond de la salle.

    — Monsieur Côté va vous rencontrer tout de suite, mademoiselle Morin.

    Voilà, c’est moi, maintenant, qui souris comme une débile pendant que Judith m’adresse un clin d’œil. Je comprends par son attitude full enthousiaste qu’elle aurait sans doute aimé jouer à la madame avec moi, elle aussi. Mais je ne suis plus certaine de vouloir devenir son amie parce qu’elle me tape déjà sur les nerfs avec sa bouche hallucinante qui semble confondre le bonheur avec une véritable discipline olympique.

    Être juge de la compétition, j’exigerais d’elle un test d’urine. Mais ce n’est plus nécessaire, car devant moi se trouve la porte qui s’ouvrira peut-être sur ma nouvelle vie complètement extraordinaire. Je prends une profonde inspiration, puis je plonge vers l’espoir d’être engagée.

    OUI, JE LE VEUX !

    En ouvrant la porte, je découvre une vaste cour arrière, grouillante d’employés travaillant dans les jardins.

    La compagnie fait pousser elle-même des cèdres, des arbustes et plusieurs variétés d’arbres qui servent à l’aménagement de cours de rêve. À droite, il y a de longues serres qui débordent de pousses vertes fraîchement arrosées et plus loin, au fond, se trouvent des hangars abritant sûrement tous les matériaux nécessaires pour fabriquer de superbes pavillons extérieurs ou pour construire des terrasses à paliers multiples.

    Parmi les allées circulent des quatre-roues, des camions-remorques et plein d’autres véhicules qui ajoutent du mouvement à ce décor digne d’une carte postale. J’aperçois, qui remonte du fond du terrain, un homme dans la cinquantaine, assez grand, bien conservé et probablement un brin séducteur. Il porte une belle chemise noire en lin avec un jeans propre, comme dirait ma mère, sans taches ni trous. Debout sur le marchepied du tracteur qui le transporte, il avance dans ma direction en parlant au cellulaire d’une main et en se tenant au châssis du véhicule de l’autre.

    Je parie que c’est lui, le fameux monsieur Côté !

    L’engin qui tire une cargaison de jonquilles s’arrête devant moi en soulevant un nuage de poussière et l’homme en question saute du marchepied au milieu de la nuée. Il termine son entretien téléphonique et indique au conducteur, coiffé et barbu un peu commeeuh… notre Paul Piché national version années soixante-dix, à quel endroit déposer son chargement. Je profite de la situation pour démontrer tout de suite mon dynamisme et mon intérêt en les questionnant.

    — Aimeriez-vous que je vous aide à décharger tout ça ?

    — Élizabeth Morin ? fait le patron en me désignant du doigt.

    — Oui. Bonjour, monsieur Côté !

    Paul Piché version seventies lève sa casquette des Yankees pour me saluer avant de repartir avec sa cargaison de vivaces, puis monsieur Côté vient me serrer la main.

    — Comment trouvez-vous nos jardins ? poursuit-il en me présentant le paysage de la main.

    Dans ma tête, je vois rapidement déferler tous les synonymes que je connais du mot chef-d’œuvre, mais aucun ne m’apparaît aussi puissant que le silence pour exprimer vraiment le fond de ma pensée. Dans un manque complet de vocabulaire, je souffle simplement dans le vide.

    — Ouf !

    — C’est quelque chose, hein ?

    Il regarde autour de lui de façon émerveillée avant d’enchaîner :

    — Vous souhaiteriez travailler dans quel secteur, mademoiselle Morin ?

    Je sors mon curriculum vitæ et mon portfolio de mon sac pour les lui remettre.

    — J’ai suivi une formation en design au cégep du Vieux-Montréal il y a trois ans, et j’ai effectué un stage chez Blues & Stars Design, comme vous pouvez le constater sur ma lettre de recommandation.

    Il feuillette mes projets et semble apprécier ce qu’il voit, si je me fie à sa moue impressionnée.

    — OK ! conclut-il simplement en refermant le tout. Je vais conserver votre curriculum. Si une place se libère dans nos bureaux, je communiquerai avec vous.

    OUACH ! Louis avait raison, il n’y a aucun poste ouvert ici. Mais avant de tourner les talons pour aller bêtement postuler ailleurs, j’essaie encore

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