Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Rembrandt et la peinture baroque
Rembrandt et la peinture baroque
Rembrandt et la peinture baroque
Livre électronique599 pages5 heures

Rembrandt et la peinture baroque

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Célèbre aussi bien de son vivant qu’après sa mort, Rembrandt est un des plus grands maîtres de ce que l’on a appelé « l’âge d’or hollandais » au XVIIe siècle. Ses portraits ne constituent pas uniquement une plongée dans l’époque du peintre, ils représentent avant tout une aventure humaine ; sous chaque touche de peinture semble s’éveiller la personnalité du modèle. Ils ne sont aussi que la partie immergée de l’iceberg Rembrandt, qui a produit plus de 300 toiles, 350 gravures et 2000 dessins. Dans tout son Œuvre, l’influence du réalisme flamand est aussi puissante que celle du caravagisme italien. Ce savant mélange, il l’applique à tous ses tableaux, conférant aux sujets bibliques tout autant qu’aux thèmes quotidiens une puissance émotionnelle et intimiste sans pareil.
LangueFrançais
Date de sortie9 déc. 2019
ISBN9781644618905
Rembrandt et la peinture baroque

En savoir plus sur émile Michel

Auteurs associés

Lié à Rembrandt et la peinture baroque

Livres électroniques liés

Art pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Rembrandt et la peinture baroque

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Rembrandt et la peinture baroque - Émile Michel

    illustrations

    Les Débuts de sa carrière

    Sa Formation

    Rembrandt serait né le 15 juillet 1606. Bien que très vraisemblable, cette date de 1606 ne présente cependant pas un caractère de certitude absolue. Il était le cinquième des six enfants d’un meunier, nommé Harmen Gerritsz qui, né en 1568 ou 1569 et à peine âgé de vingt ans, avait épousé la fille d’un boulanger de Leyde, originaire de Zuitbroeck, Neeltge Willemsdochter. Tous deux appartenaient à la petite bourgeoisie et jouissaient d’une certaine aisance. Harmen avait gagné l’estime de ses concitoyens et, en 1605, il avait été nommé chef de section dans le quartier du Pélican. Il s’était, paraît-il, acquitté avec honneur de ses fonctions, puisqu’en 1620 il en avait été chargé de nouveau. C’était un homme instruit, à en juger par la fermeté de son écriture. Comme son fils aîné, il signait : Van Rijn (du Rhin), et, à leur exemple, Rembrandt dut plus tard, au bas des œuvres de sa jeunesse, faire suivre son monogramme de cette désignation. Enfin, la possession d’une sépulture près de la chaire à prêcher de l’église Saint-Pierre témoigne également de la situation aisée de la famille.

    Malheureusement, nous ne possédons aucun document qui puisse nous renseigner sur les premières années de Rembrandt. Cependant, il est permis de penser que son instruction religieuse fut l’objet de la sollicitude particulière de sa mère. Dans les nombreuses images peintes ou gravées que son fils nous a laissées d’elle, il la montre tenant le plus souvent en main, ou ayant à sa portée, la Bible, son livre favori. Ses lectures, les récits qu’elle en faisait à l’enfant produisirent en tout cas sur lui une impression profonde et vivace, car c’est aux saintes Écritures que l’artiste devait plus tard emprunter la plupart des sujets de ses compositions.

    Avec les éléments de la grammaire, la calligraphie occupait alors une grande place dans l’instruction. Rembrandt apprit à écrire assez correctement sa langue, et les quelques lettres qui nous ont été conservées de lui en font foi. Elles ne contiennent pas plus de fautes d’orthographe que celles de la plupart de ses contemporains les plus distingués. Quant à son écriture, elle est non seulement très lisible, mais elle ne manque pas d’une certaine élégance, et même quelques-unes de ses signatures, par leur netteté irréprochable, font honneur à ces premières leçons de son enfance.

    Afin de pousser plus loin l’instruction de leur fils, le père et la mère de Rembrandt l’inscrivirent dans les classes de lettres latines à l’université. Mais le jeune garçon n’était, paraît-il, qu’un élève assez médiocre. Il n’eut jamais grand goût pour la lecture, à en juger du moins par le petit nombre des volumes portés plus tard à son inventaire.

    Quoique d’un caractère affectueux et tendre, Rembrandt demeurait toujours assez sauvage, aimant à observer dans son coin, à vivre à part et à sa guise. Aussi, de bonne heure, il manifesta cet amour de la campagne qui ne fit que croître chez lui avec les années.

    Il fallut bien, à la fin, se rendre à l’évidence, et le peu de goût que Rembrandt montra pour les lettres, en même temps que la vivacité du penchant qui l’entraînait vers la peinture, décidèrent ses parents à le retirer de l’école latine. Renonçant à l’avenir qu’ils avaient caressé pour lui, ils lui permirent, vers l’âge de quinze ans, de se livrer à sa vocation. Ses rapides succès dans cette nouvelle carrière donnèrent bientôt à l’ambition de sa famille des satisfactions plus hautes que toutes celles qu’elle s’était promises.

    Les ressources qu’on pouvait alors trouver à Leyde pour son éducation artistique étaient assez restreintes, et après une période antérieure d’activité et d’éclat, la peinture avait cédé le pas aux sciences et aux lettres. Une première tentative faite pour y établir en 1610 une guilde de Saint-Luc n’avait pu aboutir, tandis que des villes du voisinage, comme La Haye, Delft et Harlem, comptaient déjà, parmi les membres des associations qu’elles possédaient, des maîtres nombreux et en vue. Mais les parents de Rembrandt le jugèrent encore trop jeune pour se séparer de lui et ils résolurent de le mettre en apprentissage dans sa ville natale. D’anciennes relations et peut-être même des liens de parenté fixèrent leur choix sur Jacob van Swanenburch, un artiste aujourd’hui tout à fait oublié, mais qui jouissait alors d’une grande considération parmi ses concitoyens. Si Rembrandt ne put guère apprendre d’un tel maître que « les premiers éléments et les principes », il trouva du moins près de lui une bienveillance qu’à cette époque les jeunes gens ne rencontraient pas toujours chez leurs patrons. Les conditions de l’apprentissage étaient, en effet, parfois assez dures ; les contrats signés par les élèves constituaient pour eux une véritable servitude et les exposaient à des traitements tels que les moins endurants s’y dérobaient par la fuite. Mais Swanenburch avait su se concilier l’affection de ses élèves, qu’il traitait comme ses propres enfants. Pendant les trois années qu’il passa chez ce maître, ses progrès furent tels que ses concitoyens qui s’intéressaient à son avenir « en étaient tout à fait émerveillés et pouvaient déjà pressentir la brillante carrière à laquelle il était appel ».

    Ce temps écoulé, Rembrandt n’avait plus rien à apprendre chez Swanenburch et il était en âge de quitter ses parents. Ceux-ci consentirent donc à se séparer de lui, afin qu’il pût se perfectionner dans un centre plus important, et ils firent alors le choix d’Amsterdam et d’un artiste très en vue à cette époque, Pieter Lastman. Rembrandt trouva chez ce dernier avec un talent bien supérieur à celui de Swanenburch, des enseignements qui étaient en quelque sorte la continuation de ceux qu’il avait déjà reçus. Lastman, en effet, faisait partie du même groupe d’italianisants qui à Rome gravitaient autour d’Elsheimer.

    Autoportrait, vers 1628. Huile sur bois, 22,6 x 18,7 cm. Rijksmuseum, Amsterdam.

    Autoportrait, vers 1629. Huile sur bois, 38 x 31 cm. Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg.

    Autoportrait à vingt-trois ans, 1629. Huile sur bois, 89,7 x 73,5 cm. Isabella Stewart Gardner Museum, Boston.

    Autoportrait, vers 1630. Huile sur cuivre, 15,5 x 12,2 cm. Nationalmuseum, Stockholm.

    Autoportrait, 1632. Huile sur bois, 63,5 x 46,3 cm. The Burrell Collection, Glasgow.

    Au moment où Rembrandt entra dans son atelier, Lastman était en possession de toute sa renommée. On le tenait pour un des meilleurs connaisseurs de tableaux italiens, et comme ces tableaux commençaient à être en vogue à Amsterdam, il était assez souvent appelé en qualité d’expert pour apprécier leur valeur dans des rentes ou des inventaires. Sa maison était fort recherchée, et son jeune élève eut sans doute l’occasion d’y rencontrer quelques-uns des personnages ou des artistes les plus en vue. Un tel commerce ne pouvait évidemment que lui être utile, ouvrir ses idées et développer ses facultés d’observation. Le temps que Rembrandt passa dans l’atelier de Lastman fut très court. Malgré la supériorité de ce dernier sur Swanenburch, il n’était, en réalité, exempt d’aucun des défauts des italianisants. En somme, l’art de ces derniers n’était qu’un compromis entre l’art italien et l’art hollandais. Un tempérament aussi entier que celui de Rembrandt ne pouvait s’en accommoder. Ses instincts, son amour de la vérité s’y refusaient. Jusque-là, on ne lui avait parlé que de l’Italie qu’il ne connaissait pas, où il n’irait jamais, tandis qu’il se voyait entouré de choses qui l’intéressaient, qui parlaient à son âme d’artiste un langage plus immédiat et plus intime. Il aimait la nature avec plus de simplicité ; il lui découvrait des beautés à la fois moins compliquées et plus profondes. Il voulait l’étudier de plus près, en elle-même, sans ces prétendus intermédiaires qui s’interposaient entre elle et lui et faussaient la naïveté de ses impressions.

    Peut-être aussi l’ennui d’être séparé de ce milieu familial auquel il était si attaché, devint-il de plus en plus fort. Il regrettait les siens, et avec le désir d’indépendance qui était en lui, il en avait assez de tous les enseignements qu’il avait reçus. Aussi, après à peine six moix, rentra-t-il à Leyde, dans le courant de 1624, trouvant bon, comme le dit Orlers, « d’étudier et d’exercer la peinture seul et à sa propre guise ». L’influence de Lastman sur son talent fut pourtant persistante et il ne s’en dégagea que tardivement.

    Dans sa façon de composer, dans son goût pour l’Orient, dans la familiarité avec laquelle il traitait certains sujets, il se montra jusqu’à sa pleine majorité fidèle aux leçons de sa jeunesse, empruntant plus d’une fois à son maître l’ordonnance et quelques-uns des traits saillants de ses compositions. Comme preuve de l’estime où il le tenait, nous voyons figurer dans ses collections deux albums remplis de dessins de Lastman. Ce dernier, au contraire, ne semble pas avoir pressenti les hautes destinées de son élève, car dans son inventaire, publié par Bredius et Roever, on ne trouve pas un seul ouvrage de Rembrandt.

    Les Premiers Travaux à Leyde

    Enfant choyé, Rembrandt ne pouvait manquer, en rentrant au foyer familial, d’être fêté dignement par les siens. Il avait renoncé à une direction qui lui pesait ; maintenant il devait marcher seul et à ses propres risques. Que fit-il dès son arrivée à Leyde et quels furent ses premiers ouvrages au commencement de son séjour ? Nous l’ignorons et l’on n’a pu jusqu’ici découvrir aucune œuvre de Rembrandt antérieure à l’année 1627. Il faut en convenir d’ailleurs, les premiers tableaux que nous connaissons de lui – car ce sont des peintures qui portent cette date – ne sont que les premiers balbutiements de sa carrière. Mais, bien que ces productions un peu hâtives témoignent d’une grande inexpérience, elles contiennent cependant pour nous de précieuses indications.

    Le Saint Paul dans sa prison nous offre à la fois, avec la date de 1627, la signature et le monogramme de Rembrandt. La pâleur du rayon de soleil qui éclaire ce triste réduit, la physionomie sérieuse du captif qui, absorbé dans sa méditation, attend pour écrire qu’il ait trouvé l’expression exacte de sa pensée, la fixité de son regard, son attitude recueillie, tout cela n’est pas d’un débutant ordinaire. On sent là ces traits d’observation que Rembrandt dans toute la possession de son talent exprima plus tard bien mieux ; mais avec les moyens, encore incomplets, dont il disposait, il put déjà les rendre saisissants. La précision même de la forme et la netteté d’exécution des accessoires : la paille du cachot, la grande épée de fer et les livres placés à côté de l’apôtre, témoignent de la conscience de l’artiste qui évidemment demanda à la nature tous les renseignements qu’elle pouvait lui donner.

    Le Changeur porte également, avec la date 1627, le monogramme formé des deux premières lettres des noms : Rembrandt Harmensz. À la lueur d’un flambeau qu’il tient dans la main gauche et dont il abrite la flamme avec sa main droite, un vieillard entouré de registres, de parchemins et de sacs d’argent qui encombrent la table devant laquelle il est assis, examine d’un air attentif une pièce d’or qui lui parait fausse. La lumière et les valeurs sont réparties et rendues avec justesse. La tonalité de l’ensemble reste, il est vrai, un peu sobre ; mais les colorations très discrètes – le vert du tapis et le violet du manteau – amorties et neutralisées avec intention, sont subordonnées à l’effet. Enfin, les empâtements, assez forts dans la lumière, ont été égalisés et comme écrasés afin de ne pas offrir un contraste trop marqué avec les fonds dont les parties sombres, à peine recouvertes, laissent jouer les transparences brunes de la préparation. À l’encontre d’Elsheimer et de Honthorst qui, en de pareils sujets, s’appliquaient à reproduire dans toute sa vivacité l’éclat du foyer lumineux lui-même, Rembrandt en cacha la flamme et se contenta de montrer la clarté qu’elle répandait sur les objets environnants. Il avait compris que de tels effets dépassaient les ressources de la peinture et, en atténuant ce qu’une opposition excessive aurait de blessant pour nos yeux, il préféra mettre tous ses soins à modeler avec une extrême délicatesse la tête du vieillard.

    Ce ne sont là que des compositions à un seul personnage et dont l’artiste a pu copier tous les éléments sur la réalité elle-même. La difficulté fut plus grande dans deux tableaux exécutés l’année suivante où il réunit plusieurs figures. Dans Samson trahi par Dalila, l’ordonnance de la composition est hésitante. Peint comme les deux précédents sur un panneau de chêne, ce tableau est de dimensions un peu plus grandes et le monogramme présente aussi une légère modification : aux initiales R et H entrelacées est ajouté désormais un trait horizontal que nous retrouverons sur presque toutes les œuvres de cette période. Il nous paraît représenter un L et signifier Leidensis ou Lugdunensis, c’est-à-dire Leyde. L’artiste se servit de ce monogramme, auquel il ne renonça que peu de temps après avoir quitté sa ville natale.

    Endormi par terre et accroupi aux pieds de sa maîtresse, Samson est revêtu d’une tunique flottante jaune clair, serrée à la taille par une écharpe rayée de bleu, de blanc, de rose et d’or, à laquelle pend un long poignard javanais, un kriss. Dalila porte une robe d’un gris violet à bordure bleue et or, qui s’accorde avec les couleurs du costume de Samson. La jeune femme a déjà coupé une poignée de la chevelure de son amant et la montre à un Philistin placé derrière elle et vers lequel elle tourne à demi son visage. Celui-ci, bien qu’armé jusqu’aux dents, ne s’avance qu’avec crainte, et plus méfiant encore, un autre de ses compagnons, dont on n’aperçoit que la tête couverte d’un casque et le sabre nu, demeure prudemment caché par les rideaux du lit. Si la disposition de trois des figures superposées en ligne droite témoigne encore d’une certaine inexpérience, la facture ici montre plus de finesse et d’ampleur, l’harmonie est mieux entendue. Les personnages se détachent franchement sur les tons jaunes du plancher et de la muraille, et l’éclat de la lumière du soleil – qui frappe de plein centre la poitrine de la femme, sa robe et la tunique de Samson – est encore rehaussé par les ombres foncées qui occupent toute la partie droite du tableau. Notons, en passant, un détail caractéristique et que nous observerons par la suite fréquemment chez l’artiste : dans la chevelure que tient en main Dalila, deux ou trois des mèches ont été dessinées en relief avec la hampe du pinceau dans la pâte encore fraîche.

    Autoportrait en buste, 1629. Eau forte, 17,4 x 15,4 cm. Rijksmuseum, Amsterdam.

    Autoportrait à la bouche ouverte, 1628-1629. Plume et encre brune, lavis gris, 12,2 x 9,5 cm. British Museum, Londres.

    Vieille Femme assise, 1635-1637. Sanguine, 23,7 x 15,7 cm. Musée du Louvre, Paris.

    La Mère de Rembrandt assise près d’une table, 2e état, vers 1631. Eau-forte et burin, 14,9 x 13,1 cm. Bibliothèque nationale de France, Paris.

    Les mêmes défauts de facture un peu inexpérimentée et de contrastes violents entre la lumière et les ombres se retrouvent dans Anne et Siméon au temple. Signée du nom entier de Rembrandt, elle n’est pas datée, mais nous la croyons de la même époque. Si l’Enfant Jésus que Siméon tient sur ses genoux paraît d’une raideur extrême, tel un morceau de bois, la composition, en revanche, est mieux équilibrée et le groupe des personnages agenouillés devant une fenêtre est heureusement terminé par la figure de la prophétesse Anne qui le couronne. Les colorations jaunes et rousses s’harmonisent bien avec la robe bleue de la Vierge, et les expressions répondent au caractère de la scène. Comme dans les œuvres précédentes, la mimique est très franche et même un peu exagérée. Avec son robuste bon sens, le jeune homme tint avant tout à se faire comprendre et à conserver la vie et la vérité des mouvements. Si les gestes, dans certaines œuvres, sont parfois excessifs et les types un peu vulgaires, du moins les intentions apparaissent très nettement écrites, sans malentendus possibles. Avec le temps, tout en conservant cette force dans l’expression de sa pensée, le maître sut la rendre avec des nuances plus délicates et plus variées.

    Rembrandt acquit le sentiment de la vie et la science du clair-obscur, que nous remarquons déjà dans ces divers tableaux, par des études toutes personnelles, faites directement d’après nature et qui eurent une grande influence sur le développement de son talent. Les modèles à cette époque étaient rares en Hollande, particulièrement à Leyde qui ne possédait pas, comme Harlem, une académie de peinture. Mais les occasions ne manquaient jamais à un artiste vraiment désireux de s’instruire, et ni l’intelligence, ni la volonté ne faisaient défaut à Rembrandt. Au lieu de chercher au loin des moyens d’étude, le jeune maître s’en créa. Ne pouvait-il pas être à lui-même son modèle et faire aussi poser pour lui son père, sa mère, ses proches ? En leur consacrant les prémices de son talent, il était assuré de trouver près d’eux une complaisance inépuisable. Heureux de lui être utiles, ils se prêtaient à tous ses caprices. Aussi pouvait-il, sans jamais les lasser, varier avec eux ses tentatives. Passionné pour son art, il apportait une telle ardeur à l’étude que, selon le témoignage d’Houbraken, « il ne cessait pas de travailler dans la maison de ses parents, tant que durait le jour ».

    De ce temps datent quelques petites têtes d’étude peintes sur panneaux et dont non seulement l’attribution à Rembrandt fut tardive, mais qui furent longtemps contestées, car elles déroutaient les opinions reçues et paraissaient peu en accord avec les œuvres qui devaient les suivre. La première de ces têtes, bien qu’elle ne porte ni date, ni signature, est certainement du maître et peut être considérée, avec le Saint Paul dans sa prison, comme un de ses premiers ouvrages. C’est un des premiers autoportraits de Rembrandt. Le visage, vu de trois quarts, est large, ramassé et se détache franchement en vigueur sur un fond clair, d’un gris bleuâtre. Un rayon de soleil frappe le cou, l’oreille et la joue droite, tandis que le front, les yeux et tout le côté gauche sont couverts d’une ombre très intense. Un bout de chemisette blanche dépasse à peine du vêtement brun. Le teint vermeil, le nez gros et luisant, l’encolure épaisse, les lèvres entrouvertes, surmontées d’un duvet naissant, la chevelure rebelle, tout indique la santé, la vigueur du tempérament ; on dirait un jeune paysan, robuste et naïf. L’exécution très large, un peu sommaire, ajoute à cette impression : la touche est donnée franchement dans une pâte abondante sur laquelle, ainsi que dans les Samson de Berlin, les cheveux ont été tracés à la hâte, avec le manche du pinceau. Bien que les yeux, noyés dans l’ombre, soient à peine indiqués, il semble qu’ils vous fixent avec une pénétration singulière, et quoique le contraste entre cette ombre et la lumière soit très prononcé, l’intervention d’un ton moyen qui sert de passage évite toute dureté.

    Bien qu’il soit probablement de la même époque, le portrait de Nuremberg (p. *) est de loin le plus intéressant et le meilleur de tous ceux de cette série. C’est également un autoportrait. On sent que Rembrandt s’est appliqué, visant à la fois une complète fidélité de ressemblance et désireux aussi de montrer dans une œuvre faite avec plus de soin l’expérience acquise par ses études. Comme dans les précédents autoportraits, la tête, vue de trois quarts, éclairée vivement par la lumière venant de gauche, se détache sur un fond gris neutre, de valeur moyenne. Les carnations sont pleines d’éclat, modelées avec une habileté extrême dans une pâte abondante, maniée dans le sens de la forme, comme le peintre saura le faire de plus en plus. Les ombres très intenses ont cependant gardé leur transparence. Un vêtement gris sombre et un bout de collerette un peu fripée, débordant sur un hausse-col en fer forgé, accompagnent heureusement le visage. Les traits, il est vrai, n’ont rien de régulier ; mais les lèvres humides semblent près de s’ouvrir, les yeux petits, ombragés par des sourcils proéminents, regardent avec une assurance ingénue, et, entre eux, le front porte déjà ce pli vertical qu’avec l’âge, les habitudes de vision de l’artiste creuseront de plus en plus. Ainsi dégagée, coiffée de cette épaisse chevelure qui se joue en mèches capricieuses sur son front, cette tête d’adolescent est charmante de santé, de naturel et de grâce. Elle respire la volonté, l’intelligence, avec un certain air d’autorité qui explique l’ascendant que de bonne heure ce jeune homme était appelé à prendre sur ses contemporains. En même temps que ces peintures, Rembrandt avait évidemment exécuté de nombreux dessins, mais qui, par malheur, furent pour la plupart perdus ou dispersés à travers les collections sous de fausses attributions.

    Rembrandt, à cette époque, ne se contentait pas de dessiner et de peindre ; mais, presque en même temps que ses premières peintures, ses premiers essais de gravure apparurent dès 1628. Comme dans ses tableaux, il se prenait pour modèle dans ses eaux-fortes et ne cessait de poursuivre sur lui-même des expériences qu’il jugeait profitables à son instruction. Pendant toute sa carrière, il ne se lassa jamais de renouveler ces tentatives. Plus libre encore qu’avec ses proches, il savait qu’il pouvait ainsi à la fois varier ses études et s’abandonner à toutes ses fantaisies. C’étaient, en effet, plutôt des études que des portraits qu’il se proposait de faire, et la ressemblance n’était pas d’ordinaire ce qu’il cherchait. Aussi trouverons-nous entre ces divers essais, suivant le but qu’il voulait atteindre, des différences assez marquées. Le type de l’artiste était cependant trop caractérisé pour qu’il soit possible de le méconnaître. Ne serait-ce qu’entre 1630 et 1631, nous ne comptons pas moins de vingt eaux-fortes qui nous offrent son image (p. * entre autres). Celles-ci avaient été précédées par une planche qui, avec son monogramme retourné, porte la date 1629 et reproduit exactement, mais à contresens, la pose et le costume du dessin du Rijksmuseum. Dans ce Rembrandt en buste, le travail est un peu grossier et trop expéditif : on dirait même que certaines parties du fond et de l’habit ont été exécutées avec deux pointes réunies. Rembrandt ne semblait pas avoir attaché grand prix à cette planche qu’il a couverte de retouches et de griffonnements.

    Jeune Peintre dans son atelier, vers 1628. Huile sur bois, 24,8 x 31,7 cm. Museum of Fine Arts, Boston.

    Homme riant, intitulé aussi Autoportrait riant, vers 1628. Huile sur bois, 41,2 x 33,8 cm. Museum Het Rembrandthuis, Amsterdam.

    Vieille Femme (ou La Mère de Rembrandt en prière), vers 1629-1630. Huile sur cuivre, 15,5 x 12,2 cm. Residenzgalerie Salzburg, Salzbourg.

    Une Vieille Femme lisant, probablement la prophétesse Anne, 1631. Huile sur bois, 60 x 48 cm. Rijksmuseum, Amsterdam.

    Jeune Homme au turban, 1631. Huile sur bois, 65,3 x 51 cm. Royal Collection Trust, Londres.

    Parmi les eaux-fortes des deux années suivantes réalisées selon son modèle et qui sont signées de son monogramme habituel, six sont datées de 1630 ; neuf autres ont été, selon toute vraisemblance, exécutées également dans cet intervalle, ce qui porte effectivement le total à vingt pour ces deux années. La valeur et l’importance de ces planches sont fort inégales : les unes, surtout les premières, sont de simples croquis négligemment jetés sur le cuivre, d’un savoir-faire indécis ou trop appuyé ; les autres, au contraire, sont gravées d’une pointe plus ferme et marquent des progrès décisifs. L’auteur, en les faisant, semble avoir cédé à une double préoccupation. Tantôt il visait directement l’étude du clair-obscur ; il cherchait les modifications qu’une lumière plus ou moins vive, plus ou moins oblique, amenait dans l’apparence des formes, dans la direction et l’intensité des ombres. Il y a là toute une série d’épreuves d’un travail généralement sommaire, mais dans lesquelles il avait noté, en accentuant les écarts, les changements d’aspect occasionnés par les déplacements successifs d’un foyer lumineux, de manière à se rendre compte des lois essentielles du clair-obscur. Tantôt, au contraire, l’éclairage ne joue plus qu’un rôle secondaire et le dessin passe au premier plan. La manœuvre de la pointe est plus sûre, plus nette ; le maître serrait de plus près la nature et s’appliquait à démêler ses traits vraiment caractéristiques. Il cherchait à varier ses poses, ses expressions et ses costumes. Tête nue et les cheveux ébouriffés, ou coiffé d’un chapeau, d’une calotte, d’une toque de fourrures, il se drapait, il se campait, le poing sur la hanche, en face de son miroir ; il observait sur ses traits l’impression des sentiments les plus divers : la gaieté, l’effroi, la douleur, la tristesse, l’attention, le contentement ou la colère. On conçoit sans peine ce que de pareilles observations ont d’artificiel et de faux. Ces airs pensifs, ces yeux hagards, ces mines effarées, ces lèvres épanouies par un gros rire ou contractées par la souffrance, ce n’est là, à vrai dire, que la grimace de l’expression. Mais dans ces contrastes violents et factices, Rembrandt cherchait les traits saillants, les grands effets visibles, ceux qui mettent leur marque sur un visage humain, ceux, par conséquent, qu’il importe surtout de rendre pour éviter toute méprise. Il corrigea plus tard ce que cette mimique volontairement outrée pouvait avoir d’excessif, et parvint à exprimer sur une physionomie les manifestations les plus profondes ou les plus fugitives des sentiments, dans leur variété infinie.

    Désormais, il ne se passa plus guère d’années sans qu’il nous laisse ainsi un souvenir peint ou gravé de sa personne. D’ailleurs, ces images se succédèrent avec régularité et profusion, permettant de suivre sans interruption les changements que l’âge apporta sensiblement à ses traits, comme aux progrès de son talent.

    Comment Rembrandt fut-il mis au courant des procédés de la gravure ? Qui lui en apprit les éléments ? Nous l’ignorons et ses biographes ne nous donnent aucune indication à cet égard. À Leyde, il trouvait encore vivants le souvenir et les exemples de l’illustre graveur qui, comme lui, y était né. De ce maître, Lucas de Leyde, pour lequel il professa dès sa jeunesse une admiration si passionnée, il ne recula devant aucun sacrifice afin de se procurer l’intégralité de son Œuvre. Rembrandt ne pouvait avoir un meilleur guide. En l’étudiant, il découvrait chez lui, avec une simplicité de moyens dont il pouvait faire son profit, quelques-unes des préoccupations qui, de plus en plus, allaient hanter son esprit, notamment celle de la lumière et des effets du clair-obscur. Le talent de Rembrandt allait offrir bien des analogies avec celui de son célèbre compatriote. Peintres et graveurs tous deux, ils avaient le même goût du pittoresque, les mêmes qualités d’observation, la même manière de comprendre les sujets religieux en y mêlant des traits familiers, le même désir enfin de faire plier toutes les ressources de leur art à l’expression de leur pensée.

    Les traditions de Lucas de Leyde s’étaient perpétrées dans sa ville natale. Des libraires, comme les Elzevier, ne manquèrent jamais de coopérateurs pour exécuter les illustrations de leurs livres à estampes, et les portraits des personnages historiques les plus en vue, hommes d’État, militaires ou lettrés, étaient répandus à profusion dans le pays, grâce au talent de

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1