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Picasso, de Malaga 1881 a Mougins 1973
Picasso, de Malaga 1881 a Mougins 1973
Picasso, de Malaga 1881 a Mougins 1973
Livre électronique539 pages3 heures

Picasso, de Malaga 1881 a Mougins 1973

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À propos de ce livre électronique

Peu de personnes contestent le fait que Pablo Picasso (1881-1973) ait été l’artiste le plus important du XXe siècle. Né à Malaga, en Espagne, Picasso a révélé son génie dès son plus jeune âge et s’est rapidement trouvé une place au sein des cercles artistiques les plus populaires de son temps, d’abord à malaga puis à Paris. En recherche d’inspiration et dans un contexte de renouveau artistique, Picasso se tourne vers l’histoire médiévale et les arts primitifs. On lui doit, ainsi qu’à George Braque, l’invention du Cubisme, non seulement l’un des nombreux mouvements avant-gardistes mais aussi l’expression d’une esthétique qui allait changer l’art de la peinture pour toujours. Une fois libéré des principes traditionnels, Picasso a produit des œuvres remarquables aussi bien en qualité qu’en quantité.
LangueFrançais
Date de sortie9 déc. 2019
ISBN9781783105083
Picasso, de Malaga 1881 a Mougins 1973

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    Aperçu du livre

    Picasso, de Malaga 1881 a Mougins 1973 - Victoria Charles

    Notes

    Autoportrait, 1917-1919. Crayon et fusain sur papier vélin, 64,2 x 49,4 cm. Musée Picasso Paris, Paris.

    Portrait de la mère de l’artiste, 1896. Aquarelle sur papier, 49,8 x 39 cm. Museu Picasso, Barcelone.

    Les Débuts

    Bien que depuis son enfance Picasso menât, selon sa propre expression, une « vie de peintre » et que pendant quatre-vingts ans, il s’exprimât justement dans les arts plastiques de par l’essence même de son génie, il diffère de ce qu’on entend généralement par la notion d’« artiste-peintre ». Peut-être serait-il plus exact de le considérer comme « artiste-poète », car le lyrisme, une mentalité entièrement affranchie de tout ce qui est prosaïque et ordinaire, et le don de transformer métaphoriquement la réalité sont tout aussi propres à sa vision plastique qu’ils le sont au monde imagé d’un poète.

    D’après un témoignage de Pierre Daix, Picasso lui-même « s’est toujours considéré comme un poète qui s’exprimait plus volontiers par des dessins, des peintures et des sculptures ».[1] En fut-il toujours ainsi ? Une précision est nécessaire. Pour ce qui est des années 1930, lorsqu’il se met à composer des vers, et puis des années 1940 et 1950, quand il fait des pièces de théâtre, cela va de soi. Mais ce qui est hors de doute, c’est que Picasso fut toujours, dès le début de sa carrière, « peintre parmi les poètes, poète parmi les peintres ».[2]

    Picasso éprouvait un impérieux besoin de poésie, alors que lui-même possédait un charme attractif pour les poètes. Lors de sa première rencontre avec Picasso, Apollinaire fut frappé par la façon fine et judicieuse avec laquelle le jeune Espagnol saisissait, et cela par-delà la « barrière lexicale », les qualités des poésies récitées. Sans craindre d’exagérer, on peut dire que si les contacts de Picasso avec les poètes tels que Jacob, Apollinaire, Salmon, Cocteau, Reverdy, ou encore, Éluard, ont marqué successivement chacune des grandes périodes de son art, ce dernier a considérablement influencé, comme important facteur novateur, la poésie française (mais pas seulement) du XXe siècle.

    Considérer l’art de Picasso, tellement visuel, spectaculaire et, à la fois tellement aveuglant, obscur et énigmatique, comme la création d’un poète, la propre attitude de l’artiste nous y invite. Ne disait-il pas : « Après tout, tous les arts sont les mêmes ; vous pouvez écrire un tableau avec des mots tout comme vous pouvez peindre les sensations dans un poème. »[3] Ailleurs, il disait même : « Si j’étais né Chinois, je n’aurais pas été peintre, mais bien écrivain. J’aurais écrit mes tableaux. »[4] Pourtant, Picasso est né Espagnol et a commencé à dessiner, dit-on, avant qu’il n’ait appris à parler. Dès son plus jeune âge, il éprouvait un intérêt inconscient pour les outils de travail du peintre ; tout petit, il pouvait des heures entières tracer sur une feuille de papier des spirales dont le sens n’était compréhensible que par lui seul, sans que, pour autant, elles en fussent privées ; étranger aux jeux de ses camarades, il ébauchait sur le sable ses premiers tableaux. Cette précoce manifestation de la vocation présageait un don extraordinaire.

    José Ruiz Blasco, le père de Pablo Picasso.

    Maria Picasso Lopez, la mère de Pablo Picasso.

    La toute première phase de la vie, préverbale et préconsciente, se passe sans dates ni faits : on est comme dans un demi-sommeil, au gré des rythmes tant inhérents à l’organisme que de ceux qui viennent de l’extérieur, charnels et sensoriels. La pulsation du sang et la respiration, la chaude caresse des mains, le balancement du berceau, l’intonation des voix, voilà ce qui en constitue alors le contenu. Puis, tout à coup, la mémoire s’éveille, et deux yeux noirs suivent le déplacement des objets dans l’espace, prennent possession des choses désirées, expriment des réactions émotionnelles.

    Maintenant, la grande capacité visuelle détermine les objets, perçoit des formes toujours nouvelles, embrasse des horizons toujours nouveaux. Des millions d’images, perçues par l’œil mais privées encore de leur sens, pénètrent dans le monde de la vision interne de l’enfant pour entrer en contact avec les forces immanentes de l’intuition, avec les caprices surprenants des instincts et les voix ancestrales.

    Le choc ressenti suite à des perceptions purement sensorielles (visuelles, plastiques) est tout particulièrement fort dans le Midi, où la furie de la lumière tantôt vous aveugle, tantôt découpe chaque forme avec une netteté extrême. Or, la perception d’un enfant né sous ces latitudes (perception inexpérimentée et encore privée du don de la parole) réagit à ce choc par une mélancolie inexplicable, sorte de nostalgie irrationnelle de la forme.

    Tel est le lyrisme de la région méditerranéenne ibérique, contrée où l’essence des choses est mise à nue, contrée des dramatiques « recherches de la vie pour la vie elle-même », comme l’écrivait Garcia Lorca[5], grand expert de ce genre de sensations. Là, il n’y a pas l’ombre de romantisme ; parmi les formes nettes et précises, il n’y a pas de place pour le sentimentalisme : il n’y a qu’un monde doté de formes physiques. « Comme tous les artistes espagnols, dira plus tard Picasso, je suis réaliste. »

    Ce qui vient ensuite à l’enfant, ce sont les mots, ces fragments de la parole, premiers éléments du langage. Les mots, ce sont des choses abstraites ; ils sont créés par la conscience afin de refléter le monde extérieur et d’exprimer le monde intérieur. Les mots sont assujettis à l’imagination, c’est elle qui les pourvoit d’images, de sens, de signification, et c’est ce qui leur donne en quelque sorte la mesure de l’infini. Instruments de la connaissance et de la poésie, les mots créent une deuxième réalité (foncièrement humaine celle-ci) ; celle des abstractions du monde pensé.

    Plus tard, quand il se sera lié d’amitié avec les poètes, Picasso découvrira que, par rapport à l’imagination créatrice, les modes d’expressions visuelles et verbales sont identiques. Alors, il transportera dans sa pratique de peintre des éléments de la technique poétique : « polysémie » des formes, métaphore plastique et métaphore chromatique, citations, rimes, « jeux de mots », paradoxes, ainsi que d’autres tropes, ce qui lui permettra de rendre visuel le monde pensé. La poétique visuelle de Picasso atteindra toute sa plénitude et sa liberté d’expression vers le milieu des années 1930 dans ses nus de femmes, portraits et intérieurs, peints avec des couleurs chantantes et aromatiques ; ainsi que, et surtout, dans ses dessins faits à l’encre de Chine où cette poétique semble être portée sur le papier comme par des coups de vent.

    « Nous ne sommes pas de simples exécutants ; notre travail, nous le vivons. »[6] Ces mots de Picasso prouvent que son œuvre dépend étroitement de sa vie : et, pareillement, lorsqu’il parle de son travail, il le désigne par le mot « journal ». Daniel Henry Kahnweiler qui a pu observer Picasso soixante-cinq ans durant, écrivait : « Il est vrai que j’ai qualifié son œuvre comme « fanatiquement autobiographique. » Autant dire qu’il ne dépendait que de lui-même, de son propre Erlebnis. Il était toujours libre, ne devant jamais rien à personne sinon à lui-même. »[7]

    Cette totale indépendance à l’égard des conditions extérieures et des circonstances est aussi signalée par Jaime Sabartés qui l’a connu durant toute sa vie. En effet, tout nous amène à constater que s’il y avait quelque chose dont Picasso dépendait dans son art, c’était uniquement du constant besoin d’exprimer pleinement son état d’âme. On peut, tout comme le fait parfois Sabartés, comparer l’activité créatrice de Picasso à une thérapeutique, ou bien, pareillement à Kahnweiler, voir en lui un artiste d’orientation romantique ; et pourtant, c’est justement le besoin de s’exprimer par l’art, ce gage certain de se connaître soi-même, qui a pourvu son art du même caractère d’universalité que possèdent des créations du génie humain telles que Les Confessions de Rousseau, Les Souffrances du jeune Werther de Goethe ou Une Saison en Enfer de Rimbaud. Notons à ce propos que lorsqu’il arrivait à Picasso de regarder, en témoin, sa propre création, l’idée ne lui déplaisait pas que ses œuvres (toujours soigneusement datées et qu’il aida volontiers à cataloguer) pussent servir de « documents humains » à une future science qu’il imaginait et qui aurait l’homme pour objet. Picasso disait que cette science chercherait à connaître l’homme en général à travers l’étude de l’homme créateur.[8]

    Portrait du père de l’artiste, 1896. Huile sur toile collée sur carton, 18 x 11,8 cm. Museu Picasso, Barcelone.

    Rendez-vous (L’Étreinte), 1900. Huile sur carton, 53 x 56 cm. Musée Pouchkine, Moscou.

    Or, il est d’usage, et cela depuis longtemps, d’étudier l’œuvre de Picasso d’une façon quasiment scientifique : on y établit des périodes, on cherche à l’expliquer par des contacts avec d’autres artistes (ce sont les dites influences qui, fort souvent, ne sont qu’hypothétiques) ou bien à y voir un reflet des événements de sa biographie (ainsi, un livre intitulé Picasso : Art as Autobiography[9], paru en 1980). Si nous reconnaissons que l’œuvre de Picasso a la valeur universelle de toute expérience humaine, c’est parce que son art reflète d’une manière exceptionnellement exhaustive et fidèle la vie intérieure de la personnalité dans son évolution. On ne saurait jamais comprendre les lois de cette évolution, sa logique, la succession des dites périodes qu’en acceptant ce postulat.

    Dans le présent ouvrage sont reproduites toutes les œuvres de Picasso se trouvant dans les musées de Russie. Elles comprennent les premières périodes de son activité que l’on classifie (plutôt selon les principes stylistiques que thématiques) telles que ; période Steinlen (ou Lautrec), période du vitrail, période bleue, celle des Saltimbanques, périodes rose, classique, nègre, précubiste, cubiste (cubisme analytique et cubisme synthétique)… on pourrait continuer longuement et détailler la liste. Pourtant, si l’on considère le temps qui embrasse toutes ces périodes (1900-1914) du point de vue de la « science de l’homme », c’est exactement celui où Picasso, entre ses dix-neuf et trente-trois ans, forme sa personnalité et atteint son plein épanouissement.

    On ne saurait jamais mettre en doute l’importance absolue de cette étape de la vie où l’individu est en devenir spirituel et psychologique (selon le mot de Goethe, pour pouvoir créer quelque chose, il faut être quelque chose) ; or le caractère exceptionnellement monolithique et l’unité chronologique de la collection de nos musées permettent d’éclaircir dûment cette phase de son activité créatrice qui est, peut-être, la plus complexe et la plus difficile à comprendre, surtout si on l’envisage du point de vue de la logique de ce processus interne.

    En 1900, alors que fut peint le premier en date des tableaux de nos collections, l’enfance espagnole de Picasso et ses années d’études étaient déjà révolues. Et pourtant, il importe de revenir sur certains points cruciaux du chemin parcouru. Tout d’abord, il faut y mentionner Malaga, car c’est là que le 25 octobre 1881 naquit Pablo Ruiz, le futur Picasso, et qu’il passa les dix premières années de sa vie. Quoiqu’il n’ait jamais représenté cette ville de l’Andalousie méditerranéenne, c’est justement Malaga qui fut le berceau de son esprit, le pays de son enfance où il faut chercher les racines de plusieurs thèmes et images de son art mûr.

    Au musée municipal de Malaga, il vit Hercule, sa première statue antique ; sur la Plaza de Toros sa première tauromachie, et à la maison, de roucoulantes colombes qui servaient de modèles à son père (« peintre de tableaux pour salle à manger », selon Picasso lui-même).

    Picasso dessine tout cela, et âgé de huit ans, il prend la palette et les pinceaux pour représenter une corrida. Son père lui permet de donner quelques touches aux pattes des colombes de ses tableaux, car Pablo le fait bien, en vrai connaisseur. Il a une colombe favorite dont il ne se sépare jamais, et quand le temps d’aller à l’école est venu, il apporte la cage avec l’oiseau dans la classe et la met sur son pupitre. L’école, lieu où règne la subordination, Pablo l’a prise en haine dès le premier jour et s’est rebiffé.

    Plus tard, il se révoltera toujours contre tout ce qui sent l’école, contre tout ce qui porte atteinte à la liberté individuelle et à l’esprit non-conformiste, prescrit des règles générales, établit des normes et impose des opinions. Jamais il ne voudra s’adapter aux conditions, se trahir ou, si l’on veut s’exprimer en termes de psychologie, renoncer au principe de « l’agréable » pour accepter celui du « réel ». Cependant les Ruiz-Picasso, qui vivaient toujours dans la gêne, se virent forcés de déménager à La Corogne, où le père de Pablo fut nommé professeur de dessin au lycée de la ville. Donc, d’une part, Malaga avec son climat doux et sa nature luxuriante, la « claire étoile du ciel » de l’Andalousie mauresque, « Orient sans poison, Occident sans activité » (Lorca) ; et de l’autre, la Corogne qui se trouve du côté opposé de la péninsule, sur un rivage baigné par le tempétueux Atlantique, avec ses pluies et ses brume.

    Ces deux villes ne sont pas que des pôles géographiques de l’Espagne, elles le sont aussi sur le plan psychologique. Pour Picasso, ce sont deux jalons qui marquèrent sa vie : Malaga le berceau, La Corogne le port de départ.

    En 1891, lorsque la famille de Pablo s’installa à La Corogne, il y régnait une atmosphère de province perdue ; rien de comparable à Malaga qui avait son cercle artistique auquel appartenait le père de Picasso. Et pourtant il y avait à La Corogne une École des beaux-arts (La Escuela Provincial de Bellas Artes), où le jeune Pablo Ruiz commença des études systématiques.

    Ses progrès étaient surprenants : il n’avait pas encore treize ans accomplis qu’il avait déjà terminé le programme académique de dessin, d’après la bosse et d’après le modèle. La précision phénoménale et le soigné du dessin y frappent bien moins que la vivacité du clair-obscur que le jeune artiste sait introduire dans cette matière sèche et qui transforme tous ces torses, mains et pieds de plâtre en images de chair vivante pleines de poésie mystérieuse et de perfection.

    Femme lisant un livre, 1900. Huile sur carton, 56 x 52 cm. Musée Pouchkine, Moscou.

    Picador, vers 1888-1890. Huile sur toile, 24 x 19 cm. Collection privée.

    La Fillette aux pieds nus, 1895. Huile sur toile, 75 x 50 cm. Musée Picasso Paris, Paris.

    D’ailleurs, il ne dessine pas seulement en classe mais aussi à la maison ; il dessine tout le temps et sur n’importe quoi. Ce sont les portraits de ses proches, des scènes de genre, des sujets romantiques, des animaux. Imitant les périodiques de l’époque, il édite ses propres revues : La Coruña et Azul y Blanco, où le texte écrit à la main est illustré de dessins humoristiques.

    Notons ici que les dessins du petit Pablo sur des thèmes libres possèdent un caractère narratif, offrent une « dramaturgie » : la représentation et la parole y semblent presque identiques, facteur significatif dans l’évolution future de son art. À la maison, guidé par son père qui, dans un élan d’enthousiasme, lui avait remis sa palette et ses pinceaux, il peignit à l’huile, la dernière année de son séjour à La Corogne, des modèles vivants : Un Pauvre, L’Homme à la casquette.

    Ces portraits et figures, privés d’académisme, révèlent non seulement la maturité précoce de l’artiste (il avait alors à peine quatorze ans), mais aussi la nature foncièrement espagnole de son talent : tout l’intérêt est porté sur l’homme, le modèle est traité avec gravité et réalisme, en relevant ce qu’il y a d’important, de monolithique, de « cubiste » avant la lettre dans ces images. On les prendrait moins pour des œuvres d’élèves que pour des portraits psychologiques, et moins pour des portraits de personnes concrètes que pour des types humains proches des personnages bibliques de Zurbarán et de Ribera.

    Lorsque, bien des années plus tard, on demanda à Picasso ce qu’il pensait de ces œuvres de jeunesse, il en parla, selon Kahnweiler, beaucoup plus favorablement que de ses tableaux peints à Barcelone. Les Ruiz-Picasso s’installèrent dans cette ville en automne 1895, et Pablo y fréquenta aussitôt la classe de peinture de l’École des beaux-arts de La Lonja.

    Après les véritables chefs-d’œuvre réalisés à La Corogne, Picasso eût pu se passer des classes académiques de Barcelone (elles ne pouvaient en rien contribuer au développement du talent original du jeune artiste) et assimiler tout seul les secrets du métier de peintre et en perfectionner lui-même les procédés. Mais comme à l’époque la voie officielle paraissait être l’unique à suivre pour devenir un artiste, Picasso, afin de ne pas affliger son père, passa encore deux années à La Lonja ; naturellement, il ne put éviter pendant un certain temps l’influence de l’académisme niveleur que l’école inculquait aux élèves en même temps que le professionnalisme. « Je hais la période de mes études à Barcelone. Ce que j’avais fait avant était bien meilleur », avouera-t-il plus tard à Kahnweiler.[10] Mais l’atelier que son père lui loua (et Pablo n’avait alors que quatorze ans !) lui permit de s’affranchir quelque peu tant du joug de La Lonja que de celui du cercle familial. « Un atelier pour un adolescent qui éprouve sa vocation avec une impétuosité débordante, c’est presque comme un premier amour, écrit Joseph Palau Fabre ; toutes les illusions s’y assemblent et s’y cristallisent. »[11]

    Et c’est bien là que Picasso peignit ses premiers grands tableaux, dressant une espèce de bilan de ses années d’études scolaires ; ce sont La Première Communion (hiver 1895-1896), composition à beaux effets de lumière qui représente un intérieur avec figures, draperies et nature morte, et Science et Charité (début 1897), énorme toile aux figures plus grandes que nature, espèce d’allégorie traitée dans une manière réaliste. Ce dernier tableau valut à son auteur une mencion honorifica à l’Exposition nationale des beaux-arts de Madrid et une médaille d’or à celle de Malaga.

    Si l’on envisage la biographie artistique du jeune Picasso selon les notions d’un « roman de l’éducation », son départ de la maison paternelle en automne 1897, sous prétexte d’aller continuer ses études à l’Académie Royale de San Fernando à Madrid, ouvre une nouvelle étape de sa vie : après les « années d’études » viennent les « années de pérégrinations ».

    Des déplacements incessants, une vie errante soumise aux lois du hasard correspondent à l’état de vague indécision intérieure, au besoin d’auto-affirmation et d’indépendance, symptômes par lesquels chez un adolescent s’annonce le devenir de sa personnalité. Les années de pérégrinations forment une période de sept ans dans la vie de Pablo Picasso et se situent entre son premier départ en 1897 pour Madrid, capitale artistique de son pays, et son installation définitive au printemps 1904 à Paris, capitale artistique du monde.

    Pierrot et danseuse, 1900. Huile sur bois, 38 x 46 cm. Collection privée.

    Tout comme en 1895, lorsqu’il avait visité la capitale espagnole pour la première fois en allant à Barcelone, Madrid c’était avant tout le Prado : Picasso y allait copier les vieux maîtres, Vélasquez surtout, beaucoup plus souvent qu’il ne fréquentait l’Académie de San Fernando. Sabartés note à ce sujet que « Madrid a très peu marqué

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