Quand elle embrasse une histoire, eût-elle l'ampleur de l'Empire romain, Françoise Chandernagor étreint tout, les chiffres et les lettres, les hommes et les idées, le grand et l'infime, le gros et le détail, le drôle et le tragique. La conteuse livre aujourd'hui le quatrième et dernier volume de la saga de Séléné, sa chère reine oubliée, unique descendante de Marc Antoine et de Cléopâtre.
Voilà douze ans que la jurée de l'académie Goncourt porte cette petite princesse déchue, orpheline et apatride qui va, court, vole de violences en chagrins: née en Égypte, élevée à Rome, elle devient reine de Maurétanie. C'est donc à Césarée qu'on la retrouve pour cet ultime volet de la tétralogie: après la mort de ses trois enfants, toute à sa haine de Rome, elle s'est retirée dans le « Jardin de cendres » qui donne son nom au roman, un jardin « aux couleurs de son âme », lieu de noir et de gris, créé pour et par sa douleur, et dédié aux mères endeuillées. Ce jardin, Françoise Chandernagor l'a inventé. Fidèle à l'exhortation de Michelet, elle s'accorde en effet le droit de « faire parler les silences » de l'histoire.
JAMAIS LA PASSION NE TRIOMPHE DES INTRANSIGEANCES DE SA RAISON
Pour le reste, tout le reste, la haute fonctionnaire respecte trop la vérité et les historiens – elle aura toujours le regret de ne pas en être, elle à qui fut désignée une seule voie, empruntée par son père: I'ENA – pour ne pas s'en tenir quasi religieusement à ce qui est établi. Avec elle, et en ce sens, elle a inventé un nouveau statut – dont elle est l'impératrice… –, le romancier faisant de l'histoire se confond avec l'historien contraint, faute d'éléments, à faire du roman. Cela lui donne par exemple le droit de s'attacher au terrible Tibère – et nous à sa suite. Mais jamais la passion – pourtant exaltée – dans laquelle trempe la plume de Françoise Chandernagor ne triomphe des intransigeances de sa raison.