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Le royaume des maudits
Le royaume des maudits
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Livre électronique485 pages6 heures

Le royaume des maudits

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À propos de ce livre électronique

Dans un royaume habité par toutes sortes de gens violents, un voleur de petite envergure, à cause de sa maladresse et sa luxure, déchaîne une série d’événements terribles qui changeront tout. Ainsi, nous assisterons à la pratique de jeux et d’habitudes barbares, à l’attaque de bêtes féroces dans des bois où jamais personne ne pénètre, au danger de s’aventurer dans les rues d’une ville pleine de malandrins, à des traversées en compagnie de pirates et d’assassins, aux coutumes irrationnelles d’un couvent implacable, à l’aventure d'arriver pour la première fois sur des îles inconnues et à la concrétisation de légendes horrifiantes… Parce que dans le royaume du Gurracam, tous les habitants sont maudits.

LangueFrançais
ÉditeurBadPress
Date de sortie22 nov. 2019
ISBN9781071515495
Le royaume des maudits

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    Aperçu du livre

    Le royaume des maudits - Mario Garrido Espinosa

    Dédicace :

    À mes parents et à mon frère.

    À tous ceux qui ont cru dans ce roman, ceux qui l’ont acheté dans son format primitif ebook, ceux qui l’ont lu et m’ont donné leur opinion (bonne ou mauvaise), ceux qui ont eu envie de plus, d’une seconde partie, ceux qui boudaient mon plaisir parce qu’un des personnages subissait telle ou telle chose, ceux qui m’ont demandé de nouvelles aventures des protagonistes, ceux qui étaient actifs, jour après jour, sur les réseaux sociaux pour, avec leur grain de sable (leur « j’aime », leur commentaire ou leur « partager »), essayer de faire connaître ce que j’écris, croyant autant ou plus que moi que ce rêve deviendrait réalité.

    À Juanjo, qui a été mon premier lecteur, il y a bien longtemps.

    Et aussi à ceux qui, étaient douloureusement proches, n’ont absolument rien fait. Ne soyons pas rancuniers à ce stade.

    CHAPITRE 1

    L’INTRUSION DU MALADROIT

    C

    ette partie des quatre grands lierres qui, grâce à leur enchevêtrement, couvraient le petit manoir, était à moitié sèche et sur le point de mourir. À première vue, il pouvait sembler que le ramage s’appuyait sur le mur comme s’il faisait partie de la structure en pierre, mais ce n’était pas le cas. Dans cette zone, c’était plutôt tout le contraire, donnant la sensation que le mur et le feuillage se méfiaient, l’un de l’autre, dans une ancienne et incompréhensible répulsion.  

    L’endroit n’était à l’ombre que durant quelques heures durant la journée. Le soleil, pendant l’été, châtiait de toute sa fureur le mur du bâtiment. Le grand, le solitaire et l’ancien orme de la petite place, avec son robuste tronc droit, s’appropriait, avec l’autorité qu’on donne au premier qui arrive, toute la chaleur du soleil qu’il pouvait, soulageant, sans le vouloir, quelques parties du mur - et le lierre qui le recouvrait - de l’enfer régnant quand arrivait l’heure de midi. Mais l’orme ne réussissait pas à embrasser tout le lierre et l’insupportable canicule desséchait chaque goutte d’eau qui parcourait sa structure. De plus, personne ne s’occupa d’arroser les plantes grimpantes du jour où don Higinio s’installa définitivement dans la demeure. De fait, avant qu’une partie des plantes ne perdissent la majeure partie de leur humidité, le propriétaire avait pensé à la possibilité de les arracher et de laisser les murs à nu. Au bout du compte, en partie à cause du titanesque travail que personne ne voulait réaliser - bien qu’il eût été bien payé -, le lierre était toujours là, mourant avec la lenteur propre de la démarche d’une tortue.

    Pour toutes ces raisons, ce n’était pas une bonne idée d’essayer de monter par cette voie.

    On entendit un petit et délicat craquement, quasi imperceptible, mais pour Mario Tolón Raboso del Vozmediano il fut aussi fort et clair, aussi bruyant, que s’il n’avait existé que ce bruit sur terre. Aussitôt il commença à prendre conscience que sa vie ne tenait qu’à un fil ou, pour être plus exact, à une branche de même grosseur.

    Il n’était pas un bon grimpeur. À vrai dire, c’était la première fois qu’il grimpait à un mur. C’était un homme capable de parcourir, sans relâche, d’énormes distances à l’horizontal et à pied - de fait, il n’avait pas de cheval et ne savait pas monter, chose étrange dans les environs -, mais jamais il n’avait imaginé, jusqu’à maintenant, la possibilité de se déplacer vers le haut et à la verticale.

    Étant manifeste le peu de sécurité et d’expérience qu’il démontrait, Mario Tolón commença à descendre, avec prudence, par où il était monté. Il prit son temps pour chercher parmi ces maudites feuilles ovales les branches les plus grosses et théoriquement les plus fortes, mais le feuillage occultait, presque de façon malintentionnée, les poignées improvisées... Il arriva, avec beaucoup de chance, à la partie de la plante grimpante qui ne semblait pas sèche. Il enroula un pied sur une de ses abondantes branches, pleines de nœuds dans cet endroit. De cette manière il réussit - sans que ce fût sa première intention - à décharger en partie son poids sur sa jambe et ainsi ôter un peu de responsabilité à ses mains tremblantes, puisque celles-ci empoignaient encore, avec une peur intense, des parties quasiment sèches.

    L’homme passa un bon moment dans cette dernière position. Calme, comme une ridicule araignée qui dormirait avec ses huit pattes collées au mur. Il semblait se reposer mais, en réalité, ce qui se passait, c’est qu’il ne savait par où continuer. De temps en temps, il tremblait péniblement si, sous l’action de son propre poids, la plante bougeait un peu. Cette agitation fut maximale quand il se décida à décrocher une de ses mains croyant avoir trouvé une autre branche où s’accrocher. Aussitôt, l’intrépide main revint à son point d’origine.

    Il transpirait comme jamais. Ses mains, entre la sueur et la fatigue, n’étaient plus aussi efficaces qu’au début. Elles glissaient, presque sans s’en rendre compte, entre les feuilles chaudes. Et pour couronner le tout, il commença à avoir d’inopportunes crampes dans les bras et les jambes, qu’il supporta avec bravoure, car il n’avait pas d’autre solution.

    Après la cinquième douloureuse contraction de ses muscles - qui cette fois se produisit dans le mollet gauche - il découvrit une branche qui parcourait le mur quasiment à l’horizontale, et que, étant sous son nez, il avait négligée jusqu’à cet instant. Il put s’y cramponner, après avoir exécuté une manœuvre peu difficile, mais qui, pour Mario Tolón, était une prouesse digne d’être mentionnée. Malgré ce dernier effort et ayant amélioré notablement sa position, ses mains - dont les paumes protestaient en émettant une douleur intense et constante -, persistaient à glisser sournoisement.

    Combien de temps pouvait-il rester ainsi ? Dans quelques secondes ses poings mortifiés refuseraient de rester fermés plus longtemps...

    Une nouvelle crampe explosa dans sa main gauche. Ensuite ce fut le tour de la droite. La troisième crampe fut si violente que l’homme lâcha ses deux mains de la branche dont la position était parallèle au sol. En se voyant à moitié suspendu dans le vide, il tenta de s’encourager, de façon fort imprécise et désespérée, pour s’agripper de nouveau à la branche. Avec la main gauche il atteignit son objectif, mais l’attraction fut si forte que la plante rugit avec un autre de ses craquements familiers, pour ensuite se casser définitivement.

    Il ferma très fort les yeux, serra les dents et attendit avec une douloureuse résignation le choc contre le sol. Et il attendit. Et attendit un moment qui lui sembla très long. Était-il si haut ! Le choc allait être terrible ! Il haussa les épaules, il enfonça son chapeau jusqu’aux sourcils et serra à nouveau les dents. Il attendit. Il entendait son cœur battre la chamade. Il attendait toujours. Et attendait... Mais ça faisait beaucoup trop longtemps, de sorte qu’il ouvrit les yeux et découvrit avec surprise qu’il ne tombait pas vers le sol ; il ne sentait qu’un léger balancement. Il respira très profondément et prit conscience de sa dangereuse posture : il était tête en bas, à cinq ou six mètres de hauteur, seulement soutenu par ce pied qu’il avait enroulé dans le lierre. Finalement, il fit un effort, malgré son étourdissement, pour réfléchir à la manière dont il allait se sortir de cette situation. Une situation dont il était le seul responsable.

    ––––––––

    2

    L’énorme femme s’arrêta à la fontaine, tournant le dos à Mario Tolón. Celui-ci, en la voyant, contint sa respiration et chercha à ralentir son balancement. La servante, qui était bien en chair et d’un âge avancé, déchargea un panier d’œufs sur le sol incandescent, assumant le risque qu’ils éclatassent à cause de la haute température du pavé. Elle jeta un coup d’œil au fond des trois rues qui débouchaient sur la Plaza de Los Cien Fuegos[1] peu fréquentée. Elles étaient désertes. Elle ne prit pas la peine de regarder le haut des maisons, pensant peut-être que personne à quatre heures de l’après-midi, avec un soleil des mille démons, ne serait penché à sa fenêtre. Il semblait plus probable qu’ils fussent en train de faire la sieste dans la pièce la plus fraîche, en attendant que l’implacable chaleur cédât à la fin de la journée.

    La grosse femme souleva sa gigantesque et miteuse jupe qui, faite de plusieurs mètres de tissu, lui couvrait une énorme panse terminée par deux pieds de la taille de deux tonneaux de vin, et absents, par conséquent, de toute forme féminine. Aussitôt, elle fit gicler de l’eau en long et en large sur cette partie de son corps. Ensuite, non sans difficulté, elle ouvrit son décolleté sortant un à un ses deux seins tombants, veineux et très laids, semblables en volume à son ventre démesuré. Elle se rafraîchit abondamment cette paire de mamelles et quand elle eut fini, elle se retourna, s’assit sur le bord du bassin et, au grand désespoir de Mario, elle remit à leur place ses deux seins flasques.

    L’homme commençait à se désespérer : premièrement pour l’horrible spectacle ; et deuxièmement parce que le ramage ne semblait plus résister à son poids et casserait très vite. De plus, dans ses oreilles entrait l’odieux hurlement de quelques cigales mâles, qui l’empêchait de penser clairement à une façon d’éviter l’imminent et évident choc.

    La corpulente femme, à présent plus lentement, se mouilla le visage. Elle dut comprendre que mettre la tête dans la fontaine était une méthode plus rapide que celle d’approcher l’eau, en utilisant les mains en guise de bol, à sa laide tronche, et, sans réfléchir deux secondes, elle introduisit le crâne d’un coup jusqu’aux épaules. Les vagues qui s’étaient formées passèrent par-dessus le bassin.

    Mario Tolón commença à sentir quelques problèmes pour insuffler de l’air dans ses poumons. Avec la chaleur et la posture il devint tout rouge. Très vite, sa vue se troubla. « Disparais vite, maudite grosse ! », cria en pensée le pauvre homme, et il ne pouvait s’empêcher de sentir une certaine horreur en voyant, maintenant de manière assez trouble, la figure de la femme, qui exposait ses cheveux noirs, gras, mouillés et collés sur son front et sur ses terribles joues, où, en observant bien, on pouvait découvrir de petites plaies mal soignées.

    Les cigales frottaient toujours les zones rugueuses de leur première paire d’ailes, rivalisant pour savoir qui dérangeait le plus avec ce bruit.

    La servante peu avenante reflétait un visage d’immense satisfaction et soupirait de soulagement de façon ostentatoire. Mario Tolón, néanmoins, expérimentait avec son visage d’étranges grimaces et à en juger par la nouvelle couleur que commençait à prendre sa face, il ne devait pas manquer beaucoup pour que tout le sang emmagasiné dans son corps ne terminât par se loger dans sa tête.

    La femme regarda pour la première fois depuis quelques minutes à droite et à gauche, pour ensuite se déchausser un pied et, avec une agilité inimaginable initialement, le lever et l’immerger dans la fontaine, élevant, avec une certaine désinvolture, sa jambe aux chairs abondantes, variqueuses et en constant balancement, comme si c’était celle d’une petite fille très jeune et avec des douzaines de kilos en moins. Ensuite, l’autre pied reçut le même traitement.

    – Qu’elle s’en aille tout de suite... ! - suppliait Mario Tolón, avec les yeux complètement troublés, à toute divinité qui pourrait l’entendre.

    Juste à ce moment, la femme toussa comme si quelque chose obstruait son gosier. Elle s’éclaircit la gorge fortement et, prenant de l’élan, cracha une substance marron verdâtre qui traversa l’eau du bassin, comme si c’était une pierre, pour finir sa course dans les moisissures vertes qui formaient un petit cratère. L’eau se troubla en partie durant quelques secondes.

    La couleur de la peau de Mario Tolón en vint à prendre des tonalités verdâtres, curieusement ressemblantes à celles des corps des deux insectes, qui non seulement ne se taisaient pas, mais qui par moments semblaient faire un plus grand fracas.

    Enfin, après un bon moment, la mégalithique femme prit son panier d’œufs, essaya un ultime soupir de plaisir et s’en alla par où elle était venue, laissant des traces d’eau qui étaient immédiatement absorbées par le sol. Mario Tolón aspira profondément tout l’air qui lui faisait défaut et, ce faisant, la branche de la plante bataillant, à moitié cassée, se rompit totalement.

    Le bruit du choc fit taire les deux cigales.

    La chute s’était effectuée à une vitesse incroyable. La tête fut la première partie du corps de Mario Tolón qui cogna contre le pavé de la rue, près des trous d’où sortaient les principales branches des lierres.

    Deux minutes après, il se redressa, étourdi, et resta assis, appuyé sur les paumes de ses mains dans une position légèrement stupide. Il n’était pas tout à fait conscient de la réalité qui l’entourait et voyait toujours une collection d’étoiles et de corps flottants visibles de lui seul. Aussitôt, il sentit que ses mains, ses jambes et son arrière-train brûlaient comme l’enfer. Le sol de la rue, à cause des dernières heures d’un soleil implacable, était en train de s’embraser. Il se leva d’un saut et, se souvenant subitement quelles étaient les indignes intentions pour lesquelles il était arrivé jusqu’à cette place, il courut se cacher.

    3

    ––––––––

    Mario Tolón, à demi-caché dans une impasse, observa pendant quelques minutes la quiétude de l’endroit. Personne ne semblait avoir entendu quoi que ce fût ou simplement personne ne voulait se pencher sur le brasier qu’était à ce moment-là la Plaza de los Cien Fuegos. Quand il comprit que le danger était passé - danger, à vrai dire, qui n’avait jamais existé -, il décida d’évaluer les dommages.

    Il ôta d’abord son chapeau, qui ressemblait curieusement à celui qu’avaient porté les mousquetaires français une cinquantaine d’années plus tôt, et vit qu’il était complètement froissé et difforme. Ce chapeau, avec ses ornements de plumes déplumées, n’avait jamais été très important. De fait, il l’avait trouvé abandonné, - peut-être jeté - sur le bord du chemin par où ne passait quasiment jamais personne. Depuis lors, il le portait au sommet de sa tête, ayant une grande affection pour lui. Aujourd’hui, il paraissait plus vieux que jamais, mais le voleur l’arrangea comme il put avec un coup par-ci, un coup par-là, et il n’en sortit pas pire qu’avant le choc.

    Comme par réflexe, il se passa la main sur la tête. Il avait mal. Explorant son crâne, il palpa des morceaux de quelque chose collé aux cheveux à l’endroit où ça lui faisait le plus mal. Il arracha une de ces particules et sans savoir reconnaître ce que c’était, instinctivement, il se le mit dans la bouche, où il la goûta et la mordit. Aussitôt, il la cracha sans comprendre qu’il s’agissait d’un peu de sang des petites brèches qui se firent lors de l’impact final de la phénoménale chute, et qui avec l’horrible chaleur avait séché très vite, formant quelques petites croûtes rouge sombre disgracieuses. Il ne s’en préoccupa que peu car il y avait longtemps que ces cheveux n’avaient pas touché l’eau et, encore moins, le savon. Il pensa, finalement, que ça devait être des restes de saleté dont il était habituel qu’il portât sur n’importe quelle partie de son anatomie, et tranchant ainsi le sujet il remit rapidement son précieux chapeau cabossé, car il sentait combien sa tête cuisait.

    Il examina son épée - qui n’était sûrement pas en acier de Tolède - et vit qu’avec la chute elle avait changé sa forme droite pour celle d’un L majuscule. Il la redressa à coup de pied contre le sol et quand elle fut plus ou moins droite - chose qui ne demanda pas trop de travail -, il étudia un autre chemin pour grimper.

    Il ne fut pas long à se rendre compte qu’il ne pouvait pas penser avec clarté. Ses vêtements, curieusement de style courtisan et de couleurs sombres, qui étaient complétés par une cravate en lin et de la dentelle très à la mode - Dieu seul sait où il les aura volés -, étaient en train de le brûler. Le voleur devait soulager d’une manière ou d’une autre cette canicule si insupportable qu’il commençait à sentir, de sorte que, faisant le moins de bruit possible, il mit les deux jambes dans le bassin de la fontaine, et, quand il le crut convenable, il mit le reste de son corps dans l’eau, y compris tête et chapeau, qui, au lieu de flotter, resta fixé sur sa tête, comme si ses cheveux produisaient une colle forte.

    ––––––––

    4

    Cette fois, il grimpa sans problème. L’eau fraîche de la source réussit à le sortir de l’étourdissement accumulé par la chaleur et le terrible choc. D’abord il étudia tranquillement un itinéraire depuis le niveau du sol et ainsi il choisit, avec précision, celles qui a priori semblaient les meilleures branches. Il avait compris la leçon et à présent il ne pensait pas grimper tout simplement, donnant ainsi des ailes à sa turpitude en ce qui concerne la discipline de l’escalade. En conséquence, il posa les pieds aux endroit adéquats, les mains agrippèrent les bonnes branches et en quelques secondes, avec une facilité formidable, il atteignit son objectif. C’est depuis cette perspective qu’il découvrit que de chaque côté des fenêtres il y avait un blason écartelé en croix, gravé dans la pierre. D’en bas, à cause de ce lierre touffu on pouvait à peine les distinguer. Quelques-uns étaient un peu détériorés. Cependant, les plus proches de lui conservaient leur aspect du premier jour. Ce n’était pas la première fois qu’il voyait ce type d’emblème, mais il ne se souvenait pas du motif pour lequel cela lui semblait si familier. Aussitôt il oublia l’affaire des blasons et se mit à observer, par la fenêtre, ce qui se trouvait dans le manoir.

    Il était là, éblouissant à l’abri de l’intimité. Mario Tolón se réjouit grandement de pas s’être trompé. Presque deux heures avant il l’avait distinguée juste à travers cette fenêtre, quand il s’acheminait vers le manoir, dans la rue la plus large des trois qui donnaient sur la Plaza de los Cien Fuegos. À ce moment-là, il ne voyait pas nettement comment il allait se débrouiller pour y arriver, mais quand il la devina par la fenêtre, soudain, lui vint à l’esprit l’idée de la folle escalade. S’il ne l’avait pas vue, il n’aurait osé tenter quoi que ce fût et le futur de tout le monde, dès lors, aurait été moins dramatique.

    ––––––––

    5

    En vérité, cette femme était belle. Elle s’appelait Laura Lopezosa Quesada, et ce nom devrait perdurer dans la mémoire du voleur durant le reste de sa courte vie.

    Depuis une heure, elle était occupée à se préparer un bain agréable. Elle allait d’un endroit à l’autre avec des seaux en bois pleins d’eau, recueillie du tuyau de la fontaine située dans la cour intérieure du manoir. Au préalable, elle chauffa sur le feu de la cuisinière un peu d’eau, la mélangeant ensuite avec un bol moyen de parfum de toilette à la rose. Elle versa le liquide chaud dans l’énorme bassine en métal qu’elle avait utilisée pour prendre ses bains depuis qu’elle était petite fille. Elle attendit que le mélange refroidît un peu et que toute la pièce terminât de sentir merveilleusement bon.

    Tout ce travail aurait pu être fait par un serviteur, mais Laura savait par expérience que l’eau n’était jamais comme elle voulait : ni en quantité, ni en température, ni en arôme de rose... ni en rien. De sorte qu’elle faisait tout elle-même, et avec la force de l’habitude elle finit par réaliser ce travail avec plaisir ; ce n’était pas en vain une manière comme une autre de combattre l’ennui permanent du village où elle devait vivre.

    Une fois le récipient ovale plein, elle mit ses doigts fins dans l’eau et vérifia qu’elle était à son goût. Satisfaite du résultat, elle laissa les seaux qu’elle avait utilisés à la porte de la pièce pour qu’un serviteur les emportât ; ensuite elle ferma la porte à clé.

    Elle se sentait toujours très heureuse durant les préliminaires d’un bon bain. Tous les deux ou trois jours - cadence exceptionnellement courte pour les coutumes de ce Royaume - elle dédiait quelques heures à son hygiène personnelle avec grand plaisir et cet état d’esprit la faisait réciter des poèmes et chanter de vieux chants pour enfants qui de manière perpétuelle s’étaient installés dans sa mémoire. Ainsi, quasiment sans en être consciente, elle entonna les premières strophes d’une célèbre chanson :

    En un reino oriental,

    un obscuro día fatal,

    bien claro se escuchaba

    en un palacio suntuoso

    con pasillos sinuosos

    que una princesa lloraba.

    Su tez de color rosa

    ya no era tan hermosa.

    Sus lágrimas escapaban

    entre alfombras de colores

    y tras perfumes y vapores

    una princesa lloraba[2].

    De toutes les chansons que Laura avait apprises, sa préférée était « L’Arbre Princesse ». Il s’agissait d’une vieille, innocente et longue chanson que très peu dans le Royaume du Gurracam n’avaient pas entendue - ne serait-ce qu’un de ses plus de trois cent soixante vers - dans la bouche d’un troubadour ou d’un chanteur occasionnel. Laura la connaissait entièrement et était capable de la chanter du début à la fin ou en commençant par n’importe laquelle de ses strophes. La réciter la mettait toujours de bonne humeur ; malgré l’indiscutable tristesse du conte, Laura était consciente de sa fin heureuse. Elle continua la chanson pour enfants :

    El palacio entristeció,

    todo era gris, sin color.

    El rey se preocupaba:

    —¡La heredera mimada

    de qué está apenada!

    Y la princesa lloraba.

    Trajeron mil objetos de oro,

    pero no cesó su lloro.

    La Reina se preocupaba:

    —¡Qué era lo que ocurría

    que tan triste parecía!

    Y la princesa lloraba[3].

    Mario Tolón se pencha à la fenêtre juste quand Laura Lopezosa commençait à rassembler sa chevelure en chignon, laissant sans le vouloir une gracieuse mèche de cheveux en liberté au milieu du visage. Sans savoir qu’elle était épiée, elle disposa une savonnette verte, apportée de San Josafar, et une blanche serviette au poil doux et spongieux sur un côté de la baignoire improvisée. Mario en profita pour ouvrir un peu un des battants de la fenêtre. Ce mouvement fit plus de bruit que celui attendu de sorte que le voleur interrompit son action laissant une petite ouverture. Laura continuait de chanter, étrangère à la fenêtre par où rien ne devrait exister en dehors de l’ordinaire. Alors, Mario put l’écouter :

    El Rey, para no ir a peores,

    trajo los dos médicos mejores.

    Fueron recibidos cuando llegaban

    Nopal de Polandía

    y Sipol de Palandía.

    Y la princesa lloraba.

    Los médicos aplicaron

    su ciencia, que demostraron,

    pero solución no hallaban.

    Fracasos consiguieron

    y fracasados se fueron.

    Y la princesa lloraba[4].

    Laura commença à ôter ses vêtements déjà rares. Mario Tolón ne put éviter de s’exciter du simple fait de voir la façon si féminine qu’avait la femme qu’il épiait de se déshabiller. Elle le faisait petit à petit, pliant parfaitement chaque vêtement et le déposant au même endroit. Elle semblait réaliser une espèce de rituel hautement attractif, avec des pas et des mouvements faits depuis longtemps de cette seule manière.

    L’homme pensa à entrer à ce moment car sa position, suspendu à une perfide plante, ne donnait aucun type de sécurité, mais il attendit pour voir comment elle se défaisait de tous ses atours, presque infantiles ; et il en profita pour contempler la manière majestueuse avec laquelle elle s’inclinait pour déposer les vêtements ou le geste mécanique, constant et suggestif d’écarter de ses yeux cette mèche de cheveux qu’elle n’avait pas rassemblée dans son chignon. Quand elle commença à se débarrasser des derniers sous-vêtements, le voleur changea son excitation pour une pure et pleine admiration envers le corps de la femme qu’il avait la chance de contempler, se mouvant avec une libre spontanéité.

    Laura, étrangère à tout, continuait de chanter sur un ton de plus en plus haut, harmonieux et parfait :

    Bellos y gentiles vinieron

    mil príncipes solteros.

    Más decían que la amaban

    y arrodillados la aclamaban,

    pero ella los rechazaba.

    Y la princesa lloraba.

    Mil bufones con el Reino fueron a dar,

    los más graciosos de cualquier lugar.

    Con sus chanzas la atención llamaban.

    Ver reír a la princesa querían

    pero ella ni siquiera sonreía.

    Y la princesa lloraba.

    Mil encumbrados magos

    llegaron al oír el estrago

    y aunque estos miraban

    en sus libros de pociones

    no hallaron soluciones.

    Y la princesa lloraba[5].

    « Maintenant elle va entrer dans la bassine et elle va se savonner tout le corps », déduisit l’esprit lamentable de l’homme, juste à l’instant où Laura Lopezosa était totalement nue et interrompit son chant pour, peu à peu, entrer dans l’eau tiède et parfumée.

    Tout à coup, le lierre craqua, avertissant ainsi qu’il ne voulait pas supporter davantage le poids de Mario Tolón. Celui-ci, comprenant que sa position n’était pas sûre du tout, se décida à agir.

    ––––––––

    6

    Laura Lopezosa Quesada avait presque mis un pied dans l’eau quand elle vit, stupéfaite, qu’un homme ouvrait d’un coup la seule fenêtre de sa chambre pour aussitôt entrer tranquillement. Il avait les longs cheveux dépeignés, sales et mouillés de sueur. Son ridicule chapeau et ses vêtements froissés semblaient avoir été trempés quelques minutes auparavant. Son visage congestionné lui paraissait connu - à vrai dire, trop -, mais elle ne se souvenait pas de qui il s’agissait et la situation ne s’avérait guère propice pour y penser.

    – Mon Dieu ! - cria-t-elle en se dépêchant d’essayer de se couvrir avec la serviette aux poils blancs.

    – Tu ne te souviens pas de moi ? - commenta le voleur à voix basse -. Je suis don Mario Tolón, votre plus fervent serviteur...

    – Hors d’ici !

    – Ne crains rien. Jamais je ne te ferais du mal.

    – Je vais appeler mon père... !

    – Calme-toi, ma chère Laura. Permets-moi avant de te rappeler qui je suis - souffla Mario Tolón, qui avait remarqué avec grand plaisir l’énorme différence de température dont on profitait dans la chambre en comparaison avec celle de la rue. Le manoir semblait avoir des propriétés pareilles à celles d’une caverne. C’était peut-être la raison pour laquelle la fenêtre était fermée. De plus, la douce odeur de rose de la chambre s’avérait être le plus délicieux que son odorat peu entraîné avait eu l’occasion de détecter tout au long de sa vie.

    Laura Lopezosa Quesada, prise de panique, courut vers la porte, faisant la sourde oreille à ce qu’aurait pu dire cet homme, qui continuait à lâcher par la bouche des paroles hors de toute raison. Mario Tolón fut plus rapide et l’empêcha d’arriver jusqu’à la sortie, faisant un saut d’écureuil volant et la prenant miraculeusement par une de ses fines chevilles. Malgré tout, la jeune fille réussit à atteindre la poignée de la porte, mais comme elle était fermée à clé elle ne put l’ouvrir. Désespérée, elle commença, sans négliger la serviette, à secouer et tirer sa jambe. Mais la poigne de l’homme ne lâchait pas sa délicate cheville.

    – Vous me faites mal ! - protesta-t-elle,apeurée.

    – N’essaie pas de me fuir - supplia le voleur, tandis qu’il était toujours allongé sur le sol s’accrochant fermement à la cheville de la jeune fille. Alors il y eu un moment de silence. Ce fut à peine un instant mais tous deux restèrent calmes dans leurs positions ridicules et Mario, plus versé dans ce type de lutte, profita du désarroi et embrassa les doigts de pied qu’il saisissait. Après cela, il leva le regard, cherchant les beaux et grands yeux atterrés de la jeune fille.

    – Tu peux voir que mes intentions sont bonnes...

    Laura regarda l’homme avec un évident étonnement.

    – Lâchez-moi, alors...

    – Non, jusqu’à ce que tu te calmes.

    Voyant qu’elle ne réussissait à rien avec les paroles, Laura fléchit les jambes et avec les deux mains elle essaya d’ouvrir la poigne qui lui immobilisait la cheville. Ce fut une grande erreur, car Mario Tolón en profita pour la saisir par son léger poignet droit.

    – Lâchez-moi ! - insista-t-elle, énervée.

    – S’il te plaît, je ne peux pas croire que tu ne saches pas qui je suis.

    Mario tira sur le bras de Laura et se plaça de dos à la porte. Elle, qui pouvait à peine contrôler la serviette avec la main qui restait de libre, commença à sentir une énorme honte.

    – Hier, sur la Plaza Mayor - indiqua le voleur sans élever la voix -. Tu te souviens ?

    La jeune fille pensa à ce qui s’était passé la veille et aussitôt elle sut, avec un certain dégoût et une certaine peur, qui était cet homme. C’était curieux comme avait disparu de son esprit ce sujet malgré tout ce qui était arrivé sur la Plaza Mayor environ une douzaine d’heures plus tôt. Elle en était là quand elle sursauta en voyant qu’une main venait menaçante vers son sein gauche. La serviette qui lui couvrait une partie du corps était tombée de ce côté, laissant à découvert un virginal sein rond, sur lequel ressortait un petit téton d’une couleur marron très foncé, qui contrastait avec la blancheur rosâtre du reste de sa peau. Avec sa main libre, elle donna une retentissante tape, accompagnée d’un cri nerveux, réussissant à dévier ainsi la trajectoire de la main confiante de Mario Tolón. Celle-ci rougit après l’impact puisque la jeune femme portait à son index une grosse et pesante bague en or où était sertie une pierre bleue qui, peut-être sans l’être, pouvait passer pour une turquoise. Avec la moitié de ce que valait ce joyau Mario Tolón pourrait avoir vécu comme un roi pendant plusieurs mois.

    – Ne sois pas revêche. N’aie pas cette attitude avec moi - supplia Mario Tolón, tout en scrutant du regard le fin corps de Laura Lopezosa Quesada, qui maintenant était totalement nue, presque vulnérable, car en écartant la main du voleur, la serviette qui la couvrait en partie, était tombée par terre -. Libère une fois pour toute ta conscience. Dans le fond, je sais ce que tu veux et ça coïncide avec ce que je désire - ajouta-t-il, en se frottant sur la poitrine la main qui avait été frappée par la bague de Laura et dont il sentait à présent une intense douleur -. C’est une bêtise que de retarder quelque chose que tous deux nous désirons fortement.

    Cela dit, l’homme lâcha Laura Lopezosa Quesada et, sans bouger de l’endroit, il se disposa à ôter ses vêtements et ses armes.

    – Qu’est-ce que vous faites ! Habillez-vous et partez ! Je ne veux rien faire avec vous ! - prévint Laura, désespérée, tandis qu’elle récupérait la serviette.

    – Évidemment que tu veux quelque chose. Hier tu m’as dit avec ton visage, avec tes gestes et avec ce sourire et ce regard si précieux dont tu m’as gratifié - répondit-il, quand il fut complètement nu, laissant à découvert un corps qui n’était pas précisément d’une beauté exceptionnelle -. Tu penses peut-être que je suis assez idiot pour ne pas comprendre la signification de ton dernier regard.

    Laura Lopezosa Quesada ne se rappelait pas lui avoir dédié un type de regard spécifique. Tout au plus, elle dut montrer un air joyeux en se libérant de lui. Sur le champ et par pur instinct elle fixa son regard sur le corps de Mario Tolón et son visage la dénonça : elle n’avait jamais vu un homme nu. Mario s’en rendit compte et s’en réjouit intérieurement. Avec une certaine assurance, il devait être le premier et, pour autant, elle devrait être vierge. Avant qu’il ne sorte de son stupide repli sur soi, il lui ôta la serviette d’un seul coup. Elle, elle voulut hurler mais ne le put, absorbée dans la contemplation de cette chose pendante dont elle avait tant entendu parler, surtout par sa sœur - qui lui faisait même des dessins d’un goût douteux -, mais qu’elle n’avait jamais vu au naturel. Elle était confuse. Elle ne savait pas si c´était réellement ainsi ou si sa sœur l’avait trompée, en lui décrivant des choses qui n’appartenaient pas à ce monde. Laura ne le savait pas encore, mais son sentiment à ce moment était de pure déception devant ce que montrait-là l’agresseur. La jeune fille se l’imaginait comme quelque chose de beaucoup plus spectaculaire, mais sur cet homme il n’y avait qu’un morceau de chair laide, blafarde et apparemment flasque, qui luttait pour sortir d’entre un buisson de poils noirs, entremêlés et sales.

    ––––––––

    7

    Une personne épiait, écoutant avec l’oreille droite collée à la cloison, depuis l’instant où Laura Lopezosa Quesada émit son premier cri. Elle semblait attendre avec une patience stupéfiante le moment adéquat pour intervenir. De temps en temps elle riait doucement ou arrachait et mangeait un grain de raisin d’une grappe qui se trouvait sur un plateau en argent, juste sur la table en bois de chêne collée à la paroi de séparation des deux chambres.

    – Viens ici ! - ordonna Mario Tolón, étranger au fait que quelqu’un d’autre entendait sa voix.

    Laura Lopezosa Quesada prononça un « non » inaudible et se lançait en arrière avec de petits pas, en même temps qu’elle essayait de cacher tout ce qu’elle pouvait avec ses mains et ses bras. Mais en réalité, quand elle couvrait une partie de son corps, elle en négligeait une autre, et dans cette situation Mario ne pouvait éviter que son imagination fébrile engendrât des niveaux encore plus hauts de beauté et son excitation, naturellement, augmentât. Son membre, en conséquence, commençait à prendre un volume peu maniable, devant l’air épouvanté de Laura, qui par moments perdait la faculté de pouvoir articuler un seul mot. La pauvre, semblait être plongée au milieu d’un cauchemar répugnant. Mais ce n’était pas un rêve. Tout était bien réel et pour cela elle ne cessait de se demander avec étonnement comment il était possible qu’il pût lui arriver quelque chose de ce genre dans sa propre maison.

    Le voleur, enfin, se lança sur la jeune fille comme un lion assoiffé de sang, mais sans bien calculer son propre élan - comme tant de fois cela lui était arrivé tout au long de sa vie -, de sorte que Laura sut s’écarter à temps d’un gracieux et rapide mouvement de son corps parfait ; et l’imparfait corps de Mario s’abattit soudain dans la bassine pleine d’eau. Le voleur ne put éviter d’esquisser une exclamation de mécontentement en notant la sensation horrible du changement de température entre son corps ardent et l’eau fraîche parfumée à la rose. Ensuite, il constata avec ennui que ce qui commençait à prendre une taille différente de la normale, revint subitement à son triste état originel.

    La personne qui épiait dans

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