J'aime pas mourir
Par Perez Serge
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À propos de ce livre électronique
Un auteur qui dérange — Il arrive ainsi, que, dans certaines bibliothèques, les livres de cet ancien libraire aient du mal à trouver leur place, entre littérature jeunesse et littérature adulte (sauf Dommage pour moi, premier roman “adulte” paru chez Actes Sud). L‛univers, plus douloureux que noir, de cet écrivain en effraie plus d‛un. Pourtant, il suffit de lire ses romans, pour constater l‛incroyable densité de l‛amour qui s‛y trouve.(...) On l‛a compris : Serge Perez ne vise pas à l‛éducation de ses lecteurs. Il cherche seulement à rendre compte d‛une réalité inaudible, impartageable, interdite et pourtant presque quotidiennement vécue par les jeunes.
Serge Perez a l‛âge d‛avoir connu enfant les jeudis et les deux-chevaux comme il sait -landais qu‛il est- ce qu‛est la mer à Capbreton où se déroule le deuxième tome de la trilogie : J‛aime pas mourir. C‛est dire que l‛écriture que l‛on a sous les yeux n‛est pas le fruit d‛une construction extérieure, mais qu‛elle prend racine, au moins, dans un univers intime. On entre donc d‛autant plus facilement dans la peau de Raymond que la phrase qui nous y conduit emprunte une voix juste. La réalité qui nous est donnée à voir n‛est pas celle, immuable, des adultes mais bien, celle, plus déstabilisante, changeante, de l‛enfant qui ne comprend pas le monde. Ainsi Raymond n‛est-il heureux qu‛avec les enfants : avec sa sœur ou avec les pensionnaires de l‛école “spéciale” où il finit par atterrir. Il comprend leur univers et l‛amitié et la tendresse deviennent alors possible; tout en restant très fragiles.
Thierry Guichard, Le Matricule Des Anges
Perez Serge
Serge Perez est un auteur de littérature française, ces livres sont traduits en plusieurs langues. Il a publié à l'École des loisirs et chez Actes-Sud.
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Aperçu du livre
J'aime pas mourir - Perez Serge
Chapitre 1
Mon père était effondré. Pour tout vous dire, il trouva pas même le courage de m’envoyer les deux mandales réglementaires qu’il balançait toujours sans sourciller. Car ce jour-là, cette lettre plantée sous son nez était en rien semblable à celles que j’avais l’habitude de lui ramener de l’école. Il y était plus du tout question d’avoir un âne pour fils. Ah ! Ça non, faut croire que c’était bien plus grave. Là, parmi les lignes étroites, propres et bien régulières que mon instituteur s’était pris la tête à rédiger, il devait y lire de ces révélations vraiment accablantes, des révélations catastrophiques d’une tout autre portée, des révélations qui dépassaient visiblement son piètre entendement. Et ça, bien sûr, ça présageait que de plus grands malheurs.
Après l’avoir lue et relue, comme pour se faire du mal, il la plia soigneusement et la glissa dans la poche de son pantalon tout en jetant un œil désespéré sur le piège à mouches que ma mère avait jugé bon de suspendre au plafond, juste au-dessus de la table de la cuisine.
Le monde tout entier se dérobait sous ses pieds, c’était flagrant, et la vie réservait décidément jamais rien de bon, car quoi que le Bon Dieu fasse, son con de fils lui boufferait toujours le peu de tranquillité qu’il arrivait tant bien que mal à préserver.
Il médita longuement encore en frottant d’une main ses joues moites et mal rasées, les yeux dépités toujours accrochés aux rubans englués. Le frottement de ses poils drus criait d’ailleurs dans la cuisine une telle quantité de désespoir que personne autour de la table osait moufter.
– Ces foutues mouches ne changeront donc jamais d’âne, il soupira enfin.
Il se leva de table, l’air totalement abattu. Sans même finir sa côte de porc, lentement, tête baissée, mains glissées dans les poches, il traîna dans un silence de ténèbres sa lourde carcasse en direction de la salle à manger. Nous, nous examinions toujours le piège à mouches qu’il nous avait tacitement conseillé de regarder. Il était encore préférable d’en voir quelques-unes se débattre que de croiser, par malchance, son regard. Nous restâmes ainsi un petit moment, sans trop savoir si nous pouvions ou non nous risquer à regarder autre chose que ce piège à la con, un petit moment encore avant qu’une explosion surnaturelle vienne briser le silence. La maison se mit soudainement à trembler, là, sous nos pieds, parmi un chaos de bris de glace et d’objets torturés, de craquements de bois insoutenables et de cris de fureur. Mon père venait de lâcher toute sa hargne en défonçant la table de la salle à manger ainsi que le pauvre vaisselier en chêne massif.
Lorsqu’il réapparut enfin calmé dans la cuisine, nous avions, ma mère, ma sœur et moi, la tête bien enfoncée dans les épaules. Ainsi courbés, il nous était bien évidemment impossible de lorgner le piège à mouches au-dessus de nos crânes, nous regardions alors fixement la côte de porc et les choux de Bruxelles infâmes dans nos assiettes respectives.
Mon père s’assit calmement ; ses narines gonflées à bloc déconseillaient pourtant à ma mère d’aller lui faire une quelconque remarque sur le prix exorbitant du mobilier qu’il venait d’anéantir, tout comme d’ailleurs de lui en demander les raisons. Elle préféra le laisser gentiment avaler sa côte de porc, ses choux de Bruxelles, sans même lui proposer de prendre pour finir quelques feuilles de salade ou un morceau de fromage. Elle le regarda repartir tout à fait soulagée vers la salle à manger où il s’installa devant le poste de télévision qu’il avait pris soin d’épargner.
– Mais Sainte Marie de Dieu, elle me chuchota rouge de colère, qu’est-ce que c’était, cette lettre ?
J’étais tétanisé sur ma chaise. Je désirais qu’une chose : enfiler un pyjama et aller jeter discrètement au sale mon slip, mon pantalon et mes chaussettes dans lesquels je venais de pisser des litres de peur.
– Raymond ! elle insistait entre ses dents afin de pas troubler la digestion de mon père, Raymond ! tu vas me répondre ?
Mais l’atmosphère devint trop électrique pour que ma petite sœur en puisse supporter davantage. Sous l’effet de la surprise, Jocelyne elle s’était émue de rien, mais là, de renifler la terreur de ma mère, avec qui plus est les violons du générique des Dossiers de l’écran qui vous traversaient la cuisine comme des lames de rasoir, elle en eut bien plus que pour son compte. Elle se mit à brailler dans son jargon toute l’horreur de ce monde en y déversant des flots de larmes diluviens et elle finit même par écraser violemment de ses deux petits poings la plâtrée de choux de Bruxelles. Avant qu’elle aille nous foutre la table en l’air, ma mère jugea bon de la prendre dans ses bras, de la consoler un instant, hop, hop, et de la porter enfin jusqu’à sa chambre pour qu’elle puisse y gueuler tout à son aise. Moi, ni une ni deux, je profitai de l’aubaine pour laisser de côté mes malheureux choux. Avant que quelqu’un remarque quoi que ce soit, je m’éclipsai discrètement en direction de la salle de bain afin de jeter dans la corbeille mon linge détrempé. La soirée avait été terrible, je m’en tirai pourtant à bon compte.
Chapitre 2
Je passai la nuit dans l’angoisse de voir se pointer le jour. Pour moi, il était évident qu’une catastrophe se préparait et que si ce soir-là mon père m’avait pas cogné sur-le-champ, c’était pour mieux mitonner la sauce à laquelle il allait m’avaler le lendemain. J’arrivais décidément pas à m’enfoncer dans la tête que quelque chose puisse l’abattre au point qu’il oublie de m’en mettre une. C’était pas dans ses habitudes, ça ; j’allais même jusqu’à penser que le mobilier dévasté était pour lui qu’un petit hors-d’œuvre de rien du tout, une simple mise en condition.
Au matin, un calme étrange régnait dans la maison, et je fus tout étonné en descendant à la cuisine de voir que ma mère m’avait préparé gentiment mon petit-déjeuner, tartines comprises. Elle me toucha pas un mot de la veille, rien, pas une remarque — sinon de me dépêcher pour pas être en retard à l’école. Elle me tournait le dos, triturant toujours dans la mousse épaisse de son évier quelques bricoles, deux trois fourchettes et un